Berlin 2017 : la situation économique portugaise s’invite en compétition avec Colo de Teresa Villaverde

Posté par MpM, le 15 février 2017

Il aura fallu attendre le 6e jour du 67e Festival de Berlin pour que la crise économique européenne fasse son apparition dans la compétition. La réalisatrice portugaise Teresa Villaverde, qui est de retour à Berlin après avoir été sélectionnée en 1991 au Forum pour le film Alex, a en effet posé sa caméra au sein d'une famille dont le père est au chômage depuis un long moment tandis que la mère cumule plusieurs emplois en même temps pour subvenir aux besoins de la famille. Lorsque le film commence, la situation est déjà bien installée. On sent à de petites choses (notamment l'anxiété du père lorsque sa femme tarde à rentrer) que le lent processus de détérioration de la cellule familiale est bien entamé. Même si les relations entre les personnages sont en apparence normales, on sent entre eux un malaise, une fragilité fébrile qui trahit l'éloignement et surtout l'isolement de chacun. Le père est à fleur de peau, sa femme dissimule son immense fatigue derrière une gaieté de façade, et la fille adolescente fait ce qu'elle peut pour s'extirper de ce tourbillon délétère et continuer à vivre normalement sa vie.

La réalisatrice observe ses personnages de loin, dans des plans souvent d'une grande beauté plastique et composés comme des tableaux. Elle les fige dans des encadrements de porte ou de fenêtre, individus coincés dans leur propre vie, les filme de haut, petits êtres malhabiles et perdus, les place derrière des vitres qui empêchent de les entendre parler, eux pour qui la communication est chaque jour plus ardue et moins spontanée. Chaque choix de mise en scène reflète ainsi l'empêchement des personnages, leurs aspirations ratées et leurs regrets pesants. Mais là où Teresa Villaverde est la meilleure, c'est dans sa représentation de l'errance, physique comme psychique. Ce n'est pas un hasard si chaque personnage est tenté par l'option de la disparition ou de la fuite pure et simple.

Plus allégorique que documentaire

La réalisatrice prend son temps pour montrer ces tentatives d'évasion, ces espoirs ténus d'échapper à l'étau de la misère et des larmes. Quitte à sembler aride (et trop long), le film accompagne les uns et les autres dans leurs déambulations désespérées, laissant respirer chaque scène et filant d'un bout à l'autre la métaphore de l'eau qui tantôt les conforte, tantôt les entraîne à la dérive. On est très clairement plus au niveau de la sensation et du non dit que dans l'explication ou l'hystérie. Les indices sont même plutôt épars : la mort de l'oiseau, la coupure d'électricité , le renoncement de la mère à maintenir l'image d'une famille unie... On a ainsi l'impression de faire face à une sensation d'étouffement larvé, comme un piège qui se referme lentement mais inexorablement sur ses victimes.

Cette manière de laisser la réalité économique du Portugal contaminer le récit sans jamais être mentionnée permet à Teresa Villaverde de réaliser un film plus allégorique que documentaire, où la recherche formelle va toujours de pair avec le propos, et dans lequel la famille en décomposition devient la métaphore du pays lui-même. Malgré les réserves que l'on peut émettre sur le film, qui n'est pas totalement abouti dans sa démonstration, et souffre de quelques longueurs, il faut reconnaître qu'on avait grandement besoin, dans cette édition en demi-teinte d'une Berlinale où se succèdent les films anecdotiques, d'une œuvre qui allie aussi fortement l'esthétisme d'un cinéma sensoriel à la démarche résolument politique d'une cinéaste soucieuse de parler de son époque.

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Berlin 2017: Catherine Deneuve et Catherine Frot, des femmes pas si sages

Posté par vincy, le 15 février 2017

deneuve berlinale 2017 © vincy thomasA l'applaudimètre, ça ne fait aucun doute. Les festivaliers berlinois, lors de la projection officielle de Sage Femme (hors-compétition de cette 67e Berlinale, mais avec les honneurs du tapis rouge du Berlinale Palast), la Deneuve l'emporte largement sur la Frot. Au seul nom de Deneuve, avant la projection, le public s'est levé comme un seul homme pour une ovation. Les deux "cathoches" les plus populaires du cinéma français (mais pas dans la même catégorie côté aura internationale et cinéphilique) sont à l'affiche de cette comédie dramatique de Martin Provost.

Vivre libre

Le film a ce qu'il faut de bons moments, de répliques un peu vachardes et d'émotion manipulée pour toucher un public assez large. Bien sûr, c'est la présence de ce deux stars françaises qui a sans doute conduit à une sélection officielle de ce film mineur à la prestigieuse Berlinale, ne nous illusionnons pas. Le scénario suit un parcours attendu mais mal maîtrisé vers la fin. La mise en scène épuise ses audaces au premier tiers du récit.

Si l'histoire est plaisante, malgré ses sujets dramatiques (une maternité qui ferme, un cancer, des solitudes, n'en jetez plus), si certains dialogues sont drôles (le public allemand y réagissait avec joie), et si l'ensemble tend vers un discours anti-libéral économiquement mais ultra-libertaire individuellement, cela ne suffit pas à en faire autre chose qu'une œuvre populaire (ce qui n'est déjà pas si mal) sans réelle personnalité.

Deux comédiennes d'exception

Martin Provost s'essaie à la comédie-sociale-dramatique-réaliste (après des films d'époque) mais reste concentré sur ce qui l'intéresse depuis toujours, les femmes. Là, reconnaissons, qu'il est généreux. Avec deux actrices au tempérament si prononcé, aux personnalités (et au jeu) si différentes, et au charisme indéniable, il en profite largement.

Catherine Frot hérite d'un rôle en creux, très intérieur, presque ingrat si elle n'avait pas un si beau métier, et opère sa mue lentement. Terne, elle devient lumineuse avec talent et sans forcer.

Catherine Deneuve, à l'inverse, sans trop heureuse d'avoir un personnage aussi cyclothymique, des rires aux larmes, s'en donne à cœur joie avec cette Béatrice flambeuse, fumeuse, alcoolique, malade, seule, ayant brûlé la vie à ne vivre que le présent hors du réel.

Un voyage interrompu

Si les deux actrices semblent efficacement incarner ces deux femmes opposées avec une facilité déconcertante, c'est sans aucun doute grâce à leur expérience et leur savoir-faire. Personne ne gagne un match où les deux camps jouent leur très bon niveau, sans aller au-delà.

Ce qu'on retiendra surtout de Sage femme, c'est leur duo. L'alchimie douce qui s'incruste dans cette relation tendue par un passé commun compliqué. Le réalisateur n'a pas résisté à l'idée de les rendre complices et dépendantes l'une de l'autre, s'offrant même un baiser tendre et amical ou un massage apaisant entre "Yolande" et "Belle de jour". Hélas, Martin Provost ne va jamais plus loin et reste en surface dans cette liaison étrange et mystérieuse, comme s'il avait peur de vouloir embarquer deux immenses comédiennes hors des sentiers battus, leur ouvrant de nouveaux horizons.

C'est d'autant plus regrettable qu'on a le sentiment qu'elles étaient prêtent à aller beaucoup plus loin dans ce voyage commun...

Vesoul 2017 : Des femmes et des bébés au palmarès

Posté par kristofy, le 15 février 2017

Le 23ème Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul s'est terminée avec sa chaleureuse convivialité habituelle et beaucoup de promesses pour le rendez-vous de l'année prochaine. La manifestation prend de plus en plus d'ampleur localement (avec des lycéens, d'autres salles dans d'autres villes proches, incluant même un débat en duplex, et une programmation post-festival à Paris et ailleurs) et à l'international (au festival de Busan en Corée, on parle autant de Vesoul que de Berlin, pour beaucoup d'invités la ville vosgienne restera leur première étape de découverte de la France...), tant et si bien que de nombreuses séances ont affiché 'complet'. Sur une semaine il y a eu tout de même environ 150 séances et il a fallu en rajouter pour satisfaire la demande.

Nos films préférés

C'est au FICA de Vesoul que l'on voit en avant-première des films comme Tunnel de Kim Seong-hun (sortie le 3 mai), Après la tempête de Kore-eda Hirokazu (découvert à Cannes, sortie le 26 avril), The Bacchus Lady de Lee Je-yong (en ce moment au festival de Berlin), et surtout la riche sélection des films en compétition dont la plupart n'ont pas encore de distributeurs.

Parmi nos préférés il y avait Hotel Salvation de Shubhashish Bhutiani (Inde), Reseba-The Dark Wind de Hussein Hassan (Irak), Baby Beside Me de Son Tae-gyum (Corée du Sud), et 500m 800m de Yao Tian (Chine), ce dernier étant d'ailleurs étrangement complémentaire avec un des films les plus fort d'une autre sélection Blind Mountain de Li Yang...

Le prix du public pour Reseba-The Dark Wind

Comme on le pressentait déjà Reseba-The Dark Wind a fait forte impression sur les festivaliers et repart avec deux prix : prix du public et prix des lycéens.

Mais c'est 500m 800m de Yao Tian qui a gagné le Cyclo d'or du jury international (la cinéaste iranienne Rakhshan Bani-Etemad comme présidente, la réalisatrice géorgienne Rusudan Chkonia, le réalisateur sri lankais Vimukthi Jayasundara et la réalisatrice mongole Byambasuren Davaa) : ce film chinois risque d'ailleurs de ne pas être vu dans son propre pays tant il critique la politique de l'enfant unique en Chine (qui a été assouplie depuis 2016).

Yao Tian, fils unique, Cyclo d'or

Le réalisateur Yao Tian qui était présent à Vesoul avait expliqué que «Je suis né dans les années 80 et je n'ai pas eu de petit frère ou petite sœur à cause de cette injonction de l'enfant unique. Ce n'était pas possible car sinon il y avait une très grosse amende impossible à payer, de plus pour qui avait un travail de fonctionnaire c'était le renvoi de cet emploi. Si jamais une seconde grossesse arrivait tout de même c'était comme dans le film 500m 800m, pas possible de donner naissance à un deuxième enfant, il n'y avait pas vraiment de limite au nombre de mois de grossesse pour un avortement (ndlr : comme une séquence marquante du film). Cette politique de l'enfant unique a durer longtemps et au bout d'un moment il y a eu un vieillissement de la population, c'est pourquoi ça a été changé début 2016 avec l'autorisation d'un deuxième enfant. »

Le titre du film 500m 800m évoque deux endroits voisins où s'est construit le barrage des Trois Gorges : dans le village rural à plus de 800 mètres d'altitudes un second enfant était permis sous certaines conditions (si le premier enfant était une fille, il fallait attendre 3 ans après sa naissance...) mais ses habitants apprennent qu'on leur ordonne de déménager pour être reloger ailleurs, dans des logements plus modernes, plus bas, sous 500 mètres d'altitude... La décision de tout quitter pour les plus âgés est dure, les autres sont séduits par l'avantage d'avoir enfin une école. Une femme du village au dessus des 800 mètres déjà maman d'une petite fille se retrouve enfin enceinte d'un second enfant (ce qui est permis) et la famille bon gré-mal gré déménage donc, mais là où ils arrivent c'est l'application stricte de la politique de l'enfant unique : il lui est interdit de garder son bébé à naître...

reseba the dark windGrossesses, viols, avortements, traditions, maternité: la femme dans tous ses états

A noter que la grossesse était un sujet de société et un sujet de débat dans de nombreux films du FICA de Vesoul cette année, dont certains se retrouvent dans le palmarès. En Chine dans 500m 800m il y a des avortements forcés dans le cadre de la politique de l'enfant unique, dans Blind Mountain il y a des jeunes femmes qui sont vendues et retenues prisonnières et violées pour enfanter dans certains villages avec une majorité d'hommes qui désirent eux une descendance... Le viol est d'ailleurs un drame collatéral en période de guerre comme dans This is my moon de Asoka Handagama ou dans Reseba-The Dark Wind de Hussein Hassan. Dans La belle-mère de Samanishvili de Edgar Shengelaia le remariage d'un patriarche implique un futur bébé possible et donc la menace que son héritage soit divisé: on lui cherche une femme stérile. À l'inverse dans The Hunt de Vasantha Obeysekere un bébé né d'une liaison incite une femme à retrouver l'homme géniteur pour l'obliger à sa promesse de se marier avec elle. Quand une femme d'un certain âge se retrouve de nouveau enceinte cela provoque beaucoup de questionnements chez ses proches dans Emma (Mother) de Riri Riza et même des scandales dans Walls Within de Prasanna Vithanage. C'est donc compliqué de décider d'avoir ou pas un enfant, d'ailleurs le débat sur l'avortement est le thème central du film iranien Being Born de Mohsen Abdolvahab , Grand prix du jury, avec en balance des dépenses supplémentaires, le poids de la religion, un épanouissement contrarié... Certaines femmes n'arrivent pas à assumer leur bébé, confié à l'adoption dans The Bacchus Lady de Lee Je-yong parce que sa mère prostituée coréenne a accouché d'un bébé métis suite une relation avec un soldat américain..., dans Baby Beside Me de Son Tae-gyum, Prix Emile Guimet, une mère disparaît du foyer en abandonnant son bébé à son compagnon qui ayant un doute sur sa réelle paternité envisage de le faire adopter.

Le Palmarès du Fica de Vesoul 2017 :

- Cyclo d'Or : 500M 800M de Yao Tian (Chine)
- Grand prix du Jury International : BEING BORN de Mohsen Abdolvahab (Iran)
- Prix du Jury International : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Mention spéciale du Jury International : Hiromi Hakogi dans HER MOTHER de Sato Yoshinori (Japon)

- Prix du Jury NETPAC : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Prix de la critique : HOTEL SALVATION de Shubhashish Bhutiani (Inde)
- Prix Emile Guimet : BABY BESIDE ME de Son Tae-gyum (Corée du Sud)
- Coup de cœur du Jury Guimet : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Prix INALCO : EMMA (Mother) de Riri Riza (Indonésie)
- Coup de coeur INALCO : 500m  800m de Yao Tian (Chine)

- Prix du public du film de fiction : THE DARK WIND de Hussein Hassan (Iraq)
- Prix du Jury Lycéen : THE DARK WIND de Hussein Hassan (Iraq)
- Prix du Public du film documentaire : UN INTOUCHABLE PARMI LES MORTS de Asil Rais (Inde)
- Prix du Jury Jeune : LE CRI INTERDIT de Marjolaine Grappe & Christophe Barreyre (France / Chine)