Vesoul 2017 : Des femmes et des bébés au palmarès

Posté par kristofy, le 15 février 2017

Le 23ème Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul s'est terminée avec sa chaleureuse convivialité habituelle et beaucoup de promesses pour le rendez-vous de l'année prochaine. La manifestation prend de plus en plus d'ampleur localement (avec des lycéens, d'autres salles dans d'autres villes proches, incluant même un débat en duplex, et une programmation post-festival à Paris et ailleurs) et à l'international (au festival de Busan en Corée, on parle autant de Vesoul que de Berlin, pour beaucoup d'invités la ville vosgienne restera leur première étape de découverte de la France...), tant et si bien que de nombreuses séances ont affiché 'complet'. Sur une semaine il y a eu tout de même environ 150 séances et il a fallu en rajouter pour satisfaire la demande.

Nos films préférés

C'est au FICA de Vesoul que l'on voit en avant-première des films comme Tunnel de Kim Seong-hun (sortie le 3 mai), Après la tempête de Kore-eda Hirokazu (découvert à Cannes, sortie le 26 avril), The Bacchus Lady de Lee Je-yong (en ce moment au festival de Berlin), et surtout la riche sélection des films en compétition dont la plupart n'ont pas encore de distributeurs.

Parmi nos préférés il y avait Hotel Salvation de Shubhashish Bhutiani (Inde), Reseba-The Dark Wind de Hussein Hassan (Irak), Baby Beside Me de Son Tae-gyum (Corée du Sud), et 500m 800m de Yao Tian (Chine), ce dernier étant d'ailleurs étrangement complémentaire avec un des films les plus fort d'une autre sélection Blind Mountain de Li Yang...

Le prix du public pour Reseba-The Dark Wind

Comme on le pressentait déjà Reseba-The Dark Wind a fait forte impression sur les festivaliers et repart avec deux prix : prix du public et prix des lycéens.

Mais c'est 500m 800m de Yao Tian qui a gagné le Cyclo d'or du jury international (la cinéaste iranienne Rakhshan Bani-Etemad comme présidente, la réalisatrice géorgienne Rusudan Chkonia, le réalisateur sri lankais Vimukthi Jayasundara et la réalisatrice mongole Byambasuren Davaa) : ce film chinois risque d'ailleurs de ne pas être vu dans son propre pays tant il critique la politique de l'enfant unique en Chine (qui a été assouplie depuis 2016).

Yao Tian, fils unique, Cyclo d'or

Le réalisateur Yao Tian qui était présent à Vesoul avait expliqué que «Je suis né dans les années 80 et je n'ai pas eu de petit frère ou petite sœur à cause de cette injonction de l'enfant unique. Ce n'était pas possible car sinon il y avait une très grosse amende impossible à payer, de plus pour qui avait un travail de fonctionnaire c'était le renvoi de cet emploi. Si jamais une seconde grossesse arrivait tout de même c'était comme dans le film 500m 800m, pas possible de donner naissance à un deuxième enfant, il n'y avait pas vraiment de limite au nombre de mois de grossesse pour un avortement (ndlr : comme une séquence marquante du film). Cette politique de l'enfant unique a durer longtemps et au bout d'un moment il y a eu un vieillissement de la population, c'est pourquoi ça a été changé début 2016 avec l'autorisation d'un deuxième enfant. »

Le titre du film 500m 800m évoque deux endroits voisins où s'est construit le barrage des Trois Gorges : dans le village rural à plus de 800 mètres d'altitudes un second enfant était permis sous certaines conditions (si le premier enfant était une fille, il fallait attendre 3 ans après sa naissance...) mais ses habitants apprennent qu'on leur ordonne de déménager pour être reloger ailleurs, dans des logements plus modernes, plus bas, sous 500 mètres d'altitude... La décision de tout quitter pour les plus âgés est dure, les autres sont séduits par l'avantage d'avoir enfin une école. Une femme du village au dessus des 800 mètres déjà maman d'une petite fille se retrouve enfin enceinte d'un second enfant (ce qui est permis) et la famille bon gré-mal gré déménage donc, mais là où ils arrivent c'est l'application stricte de la politique de l'enfant unique : il lui est interdit de garder son bébé à naître...

reseba the dark windGrossesses, viols, avortements, traditions, maternité: la femme dans tous ses états

A noter que la grossesse était un sujet de société et un sujet de débat dans de nombreux films du FICA de Vesoul cette année, dont certains se retrouvent dans le palmarès. En Chine dans 500m 800m il y a des avortements forcés dans le cadre de la politique de l'enfant unique, dans Blind Mountain il y a des jeunes femmes qui sont vendues et retenues prisonnières et violées pour enfanter dans certains villages avec une majorité d'hommes qui désirent eux une descendance... Le viol est d'ailleurs un drame collatéral en période de guerre comme dans This is my moon de Asoka Handagama ou dans Reseba-The Dark Wind de Hussein Hassan. Dans La belle-mère de Samanishvili de Edgar Shengelaia le remariage d'un patriarche implique un futur bébé possible et donc la menace que son héritage soit divisé: on lui cherche une femme stérile. À l'inverse dans The Hunt de Vasantha Obeysekere un bébé né d'une liaison incite une femme à retrouver l'homme géniteur pour l'obliger à sa promesse de se marier avec elle. Quand une femme d'un certain âge se retrouve de nouveau enceinte cela provoque beaucoup de questionnements chez ses proches dans Emma (Mother) de Riri Riza et même des scandales dans Walls Within de Prasanna Vithanage. C'est donc compliqué de décider d'avoir ou pas un enfant, d'ailleurs le débat sur l'avortement est le thème central du film iranien Being Born de Mohsen Abdolvahab , Grand prix du jury, avec en balance des dépenses supplémentaires, le poids de la religion, un épanouissement contrarié... Certaines femmes n'arrivent pas à assumer leur bébé, confié à l'adoption dans The Bacchus Lady de Lee Je-yong parce que sa mère prostituée coréenne a accouché d'un bébé métis suite une relation avec un soldat américain..., dans Baby Beside Me de Son Tae-gyum, Prix Emile Guimet, une mère disparaît du foyer en abandonnant son bébé à son compagnon qui ayant un doute sur sa réelle paternité envisage de le faire adopter.

Le Palmarès du Fica de Vesoul 2017 :

- Cyclo d'Or : 500M 800M de Yao Tian (Chine)
- Grand prix du Jury International : BEING BORN de Mohsen Abdolvahab (Iran)
- Prix du Jury International : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Mention spéciale du Jury International : Hiromi Hakogi dans HER MOTHER de Sato Yoshinori (Japon)

- Prix du Jury NETPAC : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Prix de la critique : HOTEL SALVATION de Shubhashish Bhutiani (Inde)
- Prix Emile Guimet : BABY BESIDE ME de Son Tae-gyum (Corée du Sud)
- Coup de cœur du Jury Guimet : GOING THE DISTANCE de Harumoto Yujiro (Japon)
- Prix INALCO : EMMA (Mother) de Riri Riza (Indonésie)
- Coup de coeur INALCO : 500m  800m de Yao Tian (Chine)

- Prix du public du film de fiction : THE DARK WIND de Hussein Hassan (Iraq)
- Prix du Jury Lycéen : THE DARK WIND de Hussein Hassan (Iraq)
- Prix du Public du film documentaire : UN INTOUCHABLE PARMI LES MORTS de Asil Rais (Inde)
- Prix du Jury Jeune : LE CRI INTERDIT de Marjolaine Grappe & Christophe Barreyre (France / Chine)

Vesoul 2015 : Cyclo d’or pour Bwaya de Francis Xavier Pasion

Posté par MpM, le 18 février 2015

FICA 2015

La tonalité exigeante du palmarès du 21e festival des cinémas d'Asie de Vesoul traduit le choix du jury mené par Wang Chao (et composé de Laurice Guillen, Mohammad Rasoulof et Prasanna Vithanage) de récompenser des œuvres singulières et denses portant chacune en elle sa propre proposition de cinéma.

Francis Xavier PasionAinsi le Cyclo d'or, Bwaya de Francis Xavier Pasion (photo de gauche), mêle-t-il la sensorialité d'une nature presque idyllique à un constat social douloureux qui ouvre la porte à une mise en abime inattendue. Le film ne se contente pas de narrer des faits (en partie réels), il propose par petites touches une réflexion sur la retranscription cinématographique de ces faits et sur le rapport complexe au réel qui s'en dégage.

Une démarche déconcertante qui rend le film parfois malaisé, mais surtout toujours surprenant. On est quelque part entre le cinéma sensoriel et énigmatique d'un Apichatpong Weeresetakul, le constat social dépouillé d'un Brillante Mendoza et le récit mythique universel sur les origines du monde. Dans ce cadre qui évoque les premiers temps de l'humanité, le contraste saisissant entre la beauté foudroyante de la nature et les difficultés matérielles des habitants emporte tout.

Le grand prix, Exit de Chenn Hsiang, est une oeuvre plus urbaine, mais tout aussi dépouillée. Dans des scènes courtes très peu dialoguées, le jeune réalisateur dresse le portrait sensible et sans fard d'une femme plongée dans une solitude infinie. L'héroïne, une Taïwanaise de 45 ans pour laquelle tout semble s'arrêter (sa vie professionnelle, sa vie de mère et même sa vie de femme), est perpétuellement enfermée dans des cadres travaillés et des perspectives bouchées. C'est comme si, pour elle, toutes les portes se fermaient, au sens propre comme au sens figuré. Une oeuvre en apparence austère qui s'attache aux plus petits détails pour transmettre toutes les émotions qui ne passent ni par le récit, ni par le scénario.

Le jury a par ailleurs distingué One summer de Yang Yishu et Melbourne de Nima Javidi, deux longs métrages qui abordent un contexte social et politique par le prisme de la cellule familiale. Dans le premier, construit comme un thriller anémique, une femme passe tout un été à essayer de comprendre pourquoi son mari a été arrêté. A grands renforts de plans fixes, de scènes ultra-quotidiennes, d'ellipses et de non-dits, le film raconte à la fois la vacuité de l'attente, l'ignorance anxiogène, l'arbitraire tout puissant et l'implosion d'existences bien rangées. Malgré ses faiblesses (narration si déliée qu'elle peut en sembler factice, scènes parfois absconses), One summer a quelque chose de saisissant qui captive.

Melbourne (photo de droite) est Melbourne au contraire un quasi huis-clos étouffant dans lequel la parole joue le rôle principal. Pris dans un dilemme moral inextricable, un jeune couple s'embourbe dans les mensonges, les conjectures et les revirements, saisis par une culpabilité qui les étouffe. Même s'il ne va pas aussi loin dans son étude cruelle des rapports de classe, impossible de ne pas penser au cinéma d'Asghar Farhadi, période Une séparation. Probablement l'oeuvre la plus aboutie, voire la plus maîtrisée de la compétition.

Parmi les lauréats des autres prix, on note la présence du premier film birman en compétition à Vesoul, The monk de The Maw Naing, une oeuvre assez classique sur le conflit de génération entre un apprenti moine boudhiste et son maître malade, mais aussi le très poétique Kurai Kurai de Marjoleine Boonstra, fresque délicate inspirée de légendes kirghizes ou encore A matter of interpretation de Lee Kwang-kuk, savoureux exercice de style qui mêle rêves et réalité à la manière de Hong Sang-Soo.

Un palmarès qui reflète au fond la grande homogénéité de cette compétition 2015, moins axée sur les grands sujets de société que sur des propositions cinématographiques assez personnelles et parfois relativement arides qui ne cèdent ni à la complaisance, ni à la facilité. Un très bel aperçu de la vitalité des cinémas asiatiques qui ne cessent de se renouveler et de se réinventer pour obtenir l'alchimie idéale entre recherche formelle et démarche sociale ou politique.

Vesoul 2015

Le palmarès complet

Cyclo d'or
Bwaya de Francis Xavier Pasion (Philippines)

Grand prix du jury
Exit de Chenn Hsiang (Taïwan)

Prix du jury ex-aequo
One summer de Yang Yishu (Chine) et Melbourne de Nima Javidi (Iran)

Prix NETPAC
The Monk de The Maw Naing (Birmanie)

Prix Emile Guimet
Kurai Kurai : tales of the wind de Marjoleine Boonstra (Kirghizstan)

Coup de coeur de Guimet
Bwaya de Francis Xavier Pasion (Philippines)

Prix INALCO
Melbourne de Nima Javidi (Iran)

Coup de cœur INALCO
A matter of interpretation de Lee Kwang-kuk

Prix du public long métrage de fiction
Margarita with a straw de Shonali Bose et Nilesh Maniyar

Prix de la critique
Exit de Chenn Hsiang (Taïwan)

Prix du Jury Lycéens
Margarita with a straw de Shonali Bose et Nilesh Maniyar (Inde)

Prix du public du film documentaire
Nu Guo, au nom de la mère de Francesca Rosati Freeman et Pio d'Emilia (Chine, Italie, Japon)

Prix Jury Jeunes
Iranian Ninja de Marjan Riahi (Iran)

Photos : Michel Mollaret

Vesoul 2014 : le Cyclo d’or du 20e anniversaire pour « 10 minutes » du Sud-Coréen Lee Yong-seung

Posté par MpM, le 19 février 2014

Les lauréats du FICA 2014

Face à une sélection de haute volée qui mêlait propositions formelles, scénarios sensibles et cinéma engagé, le jury international du 20e Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul composé de Brillante Mendoza, Taraneh Alidoosti, Jocelyne Saab et Philip Cheah a récompensé trois films qui privilégient l'intime et l'humain.

Un Cyclo d'or elliptique et un Grand prix doux-amer

Cyclo d'or 2014C'est ainsi le Sud-Coréen Lee Yong-seung (à gauche sur la photo, avec Defne Gürsoy et Brillante Mendoza, Cyclo d'honneur de ce 20e anniversaire) qui a reçu le Cyclo d'or pour son premier long métrage 10 minutes, déjà lauréat du prix FIPRESCI au Festival de Pusan en 2013, et coup de coeur du jury INALCO à Vesoul. Construit comme un quasi huis clos, le film suit le parcours de Kang Ho-chan, un étudiant rêvant de devenir producteur de télévision, dans l'administration où il est embauché comme stagiaire.

Le récit très elliptique et la narration presque éparse donnent l'impression d'un film fuyant, fait de sensations et d'anecdotes. Pourtant, un fil directeur émerge peu à peu de cette observation presque chirurgicale des relations professionnelles et familiales. L'ambivalence des rapports humains, l'absence de loyauté, les difficultés économiques et l'individualisme forcené sont notamment autant de thèmes effleurés par le cinéaste. On reste toutefois un peu sur sa faim devant un final qui manque de panache. Le grand soin apporté à la photographie, qui tranche avec l’aspect quasi documentaire de l'ensemble, renforce la sensation d'un bel objet un peu creux.

Autre lauréat de ce 20e FICA, Grand Prix du FICA 2014le premier film de fiction de la réalisatrice turque Deniz Akçay, Nobody's home, justement récompensé du Grand prix du jury ainsi que du prix du jury lycéen (reçus en son nom par Defne Gürsoy, avec brillante Mendoza sur la photo de droite). Cette chronique familiale douce-amère, qui suit quatre membres d'une famille tentant de se reconstruire après la mort du père, oscille entre humour burlesque et violence psychologique.

Le personnage central, une trentenaire réservée, doit apprendre à faire face à sa mère étouffante et hystérique pour prendre enfin en mains son existence. Très finement écrit, le scénario accumule les situations conflictuelles et les tensions latentes en évacuant toute tentation dramatique hors champ. Ce sens de l'ellipse, associé à de très beaux personnages féminins, lui permet de transformer une intrigue presque banale en véritable parcours initiatique d'une femme qui conquiert chèrement sa liberté.

Les relations familiales au cœur des films récompensés

Anup SinghUne mention spéciale a par ailleurs été décernée au seul film indien de la sélection, Quissa d'Anup Singh (photo de gauche), également récompensé par le prix du jury INALCO. Mêlant grande et petite histoire, ce conte parfois cruel raconte l'histoire d'un Sikh contraint d'abandonner sa terre lors de la partition entre l'Inde et le Pakistan. Ne pouvant supporter de ne pas avoir d’héritier mâle, il travestit sa 4e fille dès la naissance et l'élève comme un garçon.

Extrêmement symbolique, le film parle avec intelligence des questions d'identité et de genre qui agitent tant la société française actuellement. Persuadée d'être un garçon pendant la majeure partie de sa vie, la jeune héroïne ne peut plus s'envisager comme fille lorsqu'elle apprend la vérité. Très subtilement, le réalisateur interroge les notions d'homme et de femme en se fondant non sur une stérile opposition des genres, mais sur leur complémentarité à l'intérieur même de chaque être, quitte à recourir pour cela à des éléments fantastiques déroutants.

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Vesoul 2014 : les 5 Cyclos d’or à (re)voir absolument

Posté par MpM, le 16 février 2014

A l'occasion de la 20e édition du Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul qui se poursuit jusqu'au 18 février, retour sur les temps forts qui ont jalonné l'histoire de la manifestation.

C'est en 2000 qu'est décerné le premier Cyclo d'or de l'histoire du Festival de Vesoul. Il est remis à Yara de Yilmaz Arslan par le jury du cinéaste iranien Rafi Pitts. Jusque-là, seul le public remettait un prix. Depuis, le palmarès du FICA s'est étendu, et pas moins de 12 prix sont distribués lors de chaque édition.

S'il est encore un peu tôt pour essayer de deviner quel sera l'heureux lauréat du Cyclo d'or du 20e anniversaire, retour sur cinq films ayant reçu la récompense suprême, à découvrir absolument.

Lan Yu de Stanley Kwan (2002)

lan yuLa rencontre entre Lan Yu, un étudiant pauvre, et Chen Handong, un homme d'affaire de la grande bourgeoisie, dans le Pékin de la fin des années 80.

Entre comédie romantique et mélodrame, Stanley Kwan raconte une histoire d'amour qui se noue et se dénoue sur une période de onze ans. Avec énormément de pudeur, et une démarche esthétique d'une grande finesse, le réalisateur rend tangible la relation complexe qui relie ses deux personnages, tout en captant quelque chose du climat ambigu qui les entoure.

Derrière l'épure des scènes, la sensualité des corps s'exprime, et donne une vision sensible de l'amour à la fois charnel et sentimental. Le parfum d'interdit qui accompagne la relation entre les deux hommes (contexte politique oblige) exacerbe le romantisme presque noir du récit et laisse une impression étrange de tragédie moderne.

Vodka lemon d'Hiner Saleem (2004)

vodka lemonDans un village kurde au pied de la plus haute montagne d’Arménie, entouré de vastes étendues enneigées et presque entièrement coupé du monde en hiver, un veuf élégant rencontre une veuve séduisante.

Fantaisie et humour un peu absurde font le charme de cette chronique douce-amère sur le quotidien post-soviétique d’un petit village kurde d'Arménie. Le burlesque y côtoie ainsi le non-sens et la fantaisie la plus décalée : un lit transformé en traîneau, un chauffeur de bus obsédé par Adamo, une défunte qui manifeste encore quelque jalousie…

La gravité n’est jamais loin, pourtant, dans une région autrefois sous influence soviétique, où le chômage et la misère font rage. Mais elle sait se faire discrète. Quand Hamo, le personnage principal, se plaint de sa maigre pension et du manque de travail, la musique recouvre ses paroles. Lorsqu’il est contraint de vendre ses meubles pour survivre, le réalisateur insiste soudain sur un détail amusant qui atténue la tristesse, ou passe à autre chose sans s’attarder. Même l’éventuelle nostalgie "du temps des Russes" est vite étouffée. "On n’avait pas de libertés, mais on avait tout le reste", se souvient Hamo, sous l’œil dubitatif de l’un de ses amis. Difficile de savoir quelle période a été la plus dure, semble penser celui-ci.

La pudeur interrompt toutefois systématiquement ce qui pourrait passer pour des plaintes. Les scènes se succèdent trop vite, tantôt gaies et tantôt graves, pour que l’on ait le temps de s’apitoyer. "Le peuple kurde est le plus triste et le plus joyeux des peuples", prétendait un orientaliste du 17e siècle cité par Hiner Saleem, et les héros du film ne dérogent pas à la règle.

Grain in ear de Zhang Lu (2006)

grain in earCui Shun-ji est une Chinoise d’origine coréenne qui vit seule avec son fils dans un baraquement désaffecté au milieu des voies ferroviaires. Pour survivre, elle vend du Kemchi (un plat coréen) à la sauvette. Parmi ses clients, elle compte un autre sino-coréen, Kim, par qui elle est peu à peu attirée.

Ce qui frappe dans Grain in ear, c’est la mise en scène implacable qui crée une ambiance oppressante et étouffante d’où toute émotion semble absente. Zhang Lu observe ses personnages à distance, dans de longs plans fixes qui frôlent l’asphyxie, et s’attache à ne montrer que des scènes anodines, quotidiennes, presque sans intérêt. Tous les temps forts de l’intrigue sont ainsi relégués hors-champ (quelques bribes sonores peuvent alors nous parvenir) ou tout simplement absents.

Ce montage elliptique a de quoi frustrer le spectateur habitué à se voir expliquer le moindre ressort de l’intrigue. Mais il n’en sera que plus attentif aux détails infimes par lesquels passent les sentiments. L’évolution psychologique du personnage féminin est ainsi perceptible à travers les plus petites choses : ce qui lui semblait important n’a soudainement plus d’importance à ses yeux (que son fils apprenne le coréen), ce qui la faisait encore réagir (les rats morts) la laisse désormais indifférente.

L’actrice Ji Liu Lian fait un gros travail physique (corps désarticulé, visage totalement inexpressif) pour incarner cette femme qui se trouve au-delà de la souffrance sans trahir la ligne dramatique volontairement ténue du film. Sa prestation, en parfait accord avec la sobriété (la froideur ?) confondante du reste, fait naître par contraste une émotion saisissante.

Je ne peux pas vivre sans toi de Leon Dai (2010)

vivreWu-Hsiung cumule les petits boulots pour élever sa fille de sept ans, avec laquelle il vit sur les docks du port de Kaohsiung, la deuxième métropole de Taiwan. Mais la fillette a désormais l'âge d'aller à l'école et Wu-Hsiung est sommé de l'inscrire. Commence alors un inextricable imbroglio juridique avec les services sociaux qui menacent de lui retirer l'enfant.

Leon Dai insuffle rythme et personnalité à son récit en mêlant séquences à la limite du documentaire et scènes plus fictionnelles qu'il accompagne d'une musique tantôt entraînante, presque guillerette, tantôt mélancolique. Il parvient de cette manière à déjouer les attentes du spectateur et à créer des ruptures de ton, voire des simili-rebondissements.

Je ne peux vivre sans toi est ainsi un film ambivalent, âpre et austère dans sa forme (noir et blanc non esthétisé, peu de dialogues), plus démonstratif sur le fond, dont la grande force est de se concentrer sur les détails pour évacuer le pathos des bons sentiments. C'est sans doute pourquoi, malgré quelques maladresses scénaristiques, on retient plus sa sensibilité humaniste que sa tonalité dramatique.

Jiseul de O Muel (2013)

JiseulEn 1948, en Corée, l’ordre fût donné aux soldats d'éliminer les résidents de l’île de Jeju désignés comme communistes. Environ 30 000 civils ont ainsi été tués.

Tout en noir et blanc très esthétique et très graphique, le film joue avec différents éléments visuels : une fumée qui se dissipe montre plus de détails, des gros plans de visages se détachent sur un fond sombre qui fait abstraction du décors, des plans larges de paysages enneigés isolent les personnages...

C'est aussi un film de guerre avec une dimension universelle qui parvient à réunir dans certaines situations un peu d'humour noir burlesque et rendre compte à la fois des différents comportements face aux horreurs subies. En plus du Cyclo d'or à Vesoul, il a reçu le grand Prix du jury international à Sundance en 2013.

Vesoul 2012 : retour sur le palmarès qui couronne August drizzle

Posté par redaction, le 22 février 2012

Après une semaine de compétition, de rencontres et de découvertes en tous genres, la 18e édition du festival des cinémas d'Asie de Vesoul (FICA) s'est achevée mardi soir avec l'annonce du palmarès et la projection en avant-première du nouveau film de Wang Quan'An, Apart together. Le jury international présidé par Atiq Rahimi, et réunissant Ermerk Chinarbaev, Nestor O. Jardin et Latika Padgaonkar, a choisi de remettre le Cyclo d'or 2012 au Sri-lankais Aruna Jayawardana pour August drizzle, également couronné du prix NETPAC.

Le film se déroule dans la campagne sri-lankaise où le soleil assèche toute chose. On y suit la vie d'une femme dans son activité d'entrepreneur de pompes funèbres, reprise après la mort de son père. Rejetée par la communauté de son village du fait de cette profession habituellement masculine, l'héroïne tente de mener à bien le projet de construction d'un crématorium, utile pour le village mais qui risque de ruiner son concurrent. Sous un aspect physique peu charmeur, la jeune femme rêve malgré tout d'amour, de mariage, d'enfants... même si le destin en a décidé autrement.

August drizzle se caractérise par des images pas du tout racoleuses, et au contraire belles dans leur capacité à nous montrer la dure réalité quotidienne de cette communauté. Et puis il y a cette femme dont on s'écarte, qui abandonne un à un ses rêves de bonheur personnel, mais si forte dans la poursuite de son projet, et qui a su émouvoir et séduire public et jurés.

Le Grand prix du jury international va lui à Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée), qui surprend par son observation du genre d’accueil que peut offrir la Corée du Sud à une réfugiée de Corée du Nord. La jeune femme est observée et guidée de manière assez pressante quand elle n’est pas surveillée de manière oppressante. Le réalisateur Jeon Kyu-hwan propose un film à l’aspect moins cinématographique que son précédent (Animal Town, déjà présenté à Vesoul, qui avait fait une très favorable impression), comme si l’esthétique de l’image était diminuée par la dureté de son contenu. On y voit surtout une grande ville qui n’intègre pas vraiment une personne étrangère, ni même ses habitants quand ils sont très âgés ou handicapés. Ces solitudes qui se croisent parfois ne semblent jamais entrevoir la perspective d'une amélioration de leur sort. A noter que le film a également convaincu le jury INALCO, qui lui décerne son prix coup de cœur.

Le jury international a également choisi de distinguer Le temps dure longtemps de ?zcan Alper et Nino de Loy Arcenas. Si le premier tranchait incontestablement sur le reste de la compétition, par ses qualités cinématographiques et la force de son propos (les génocides kurdes et arméniens), on peut en revanche être plus surpris par le succès du second (qui a également reçu le coup de coeur Guimet), mélo familial formaté à l'esthétique de série télévisée.

Final Whistle de Niki Karimi (photo de droite) récolte quant à lui trois prix mérités (Prix Emile Guimet, Prix INALCO et Prix du jury lycéen). Le film débute avec une réalité qui nous est familière (l'actrice/réalisatrice Niki Karimi qui travaille sur un film) comme pour nous faire croire à la réalité du scénario : une femme est prête à vendre un de ses organes dans l’espoir de réunir assez d’argent pour éviter que sa mère ne soit condamnée à mort.

Dans le film on se déplace beaucoup d’un endroit à un autre et souvent en voiture, la caméra est toujours en mouvement pour suivre les personnages et en même temps pour placer le spectateur en position de témoin. Bien qu’il s’agisse d’une fiction on est alors happé par une impression de réel, et on va découvrir progressivement le drame qui a eu lieu. L'occasion de partager avec le spectateur plusieurs questions sur la justice ou les droits des femmes en Iran.

Return ticket de Teng Yung-Shing (mention spéciale NETPAC), sur des ouvrières chinoises qui aspirent à retourner dans leur ville natale pour le Nouvel An,  et Khalifah de Nurman Hakim (prix du public), qui aborde la question de l'intégrisme religieux en Indonésie, se partagent les autres récompenses de la compétition long métrage tandis que Les origines de la pomme de Catherine Peix (prix du public) et Parvaz, l'envol de Reza d' Ali Badri (prix du jury jeunes) sont distingués dans la compétition documentaire.

Une partie des films primés seront repris comme chaque année à l'auditorium du Musée des Arts Asiatiques Guimet de Paris du 18 au 20 avril 2012. Et pour la prochaine édition du FICA, il faudra attendre la semaine du 5 au 12 février 2013.

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Le palmarès complet

Cyclo d'or
August drizzle de Aruna Jayawardana (Sri Lanka)

Grand Prix du Jury International
Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée)

Mentions spéciales :
- Nino de Loy Arcenas (Philippines)
- Le temps dure longtemps de ?zcan Alper (Turquie)

Prix du Jury NETPAC
August drizzle de Aruna Jayawardana (Sri Lanka)

Mention spéciale NETPAC
Return ticket de Teng Yung-Shing (Taïwan/Chine)

Prix Emile Guimet
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Coup de cœur Guimet
Nino de Loy Arcenas (Philippines)

Prix INALCO
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Coup de cœur INALCO
Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée)

Prix du public long métrage de fiction
Khalifah de Nurman Hakim (Indonésie)

Prix du Jury Lycéens
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Prix du public du film documentaire
Les origines de la pomme de Catherine Peix (Kazakhstan-France).

Prix Jury Jeunes
Parvaz, l'envol de Reza d' Ali Badri (Iran-France)

Crédit photos : Michel Mollaret

Vesoul : retour sur le cru 2009 des « visages d’Asie contemporain »

Posté par MpM, le 20 février 2009

Traditionnellement, à Vesoul, la section compétitive des longs métrages de fiction est l’occasion d’appréhender les grands courants de la production asiatique contemporaine ainsi que les préoccupations récurrentes de ses auteurs. Cette année, on a ainsi pu relever une tendance à questionner les rapports entre religion et société (voir article du 14 février) et à revenir sur les traumatismes du passé (Un cadeau pour Staline, L’aube du monde). Toutefois, c’est plus généralement la volonté d’explorer la particularité de destins humains confrontés à des drames universels ou intimes qui a semblé être le fil conducteur de cette sélection.

Cinq prix pour deux films

Un cadeau pour stalineLe grand gagnant (Un cadeau pour Staline de Roustem Abdrachev qui remporte trois prix dont le prestigieux Cyclo d’or) suit ainsi une poignée de déportés vivant en bonne entente dans un petit village du Kazakhstan. Par le regard d’un petit garçon orphelin, on découvre à la fois les horreurs et les petites joies d’une existence réduite à peu de choses. Présenté en fin de festival, le film a fait une quasi unanimité auprès des festivaliers, en raison bien sûr de son sujet fort mais aussi de sa mise en scène soignée, même si l’on peut reprocher au réalisateur sa tendance à appuyer l’émotion au lieu de la laisser affleurer subtilement.

Autre cinéaste à tirer son épingle du jeu, Abbas Fahdel (L’aube du monde) s’est vu décerner le très envié prix du public, ainsi que celui du jury NETPAC. Son film à l’intrigue ténue traite des Maadans, un peuple vivant dans la région des grands marais du delta du Tigre et de l’Euphrate. La succession des guerres, l’intolérance et la pauvreté a fait d’eux des exilés qui ne pourront jamais rentrer au pays. Comme une fable, L’aube du monde rend hommage à leurs souffrances et dénonce les exactions commises à leur encontre. Un premier long métrage envoûtant, malgré d’évidentes maladresses de mise en scène.

Sensations et controverse

Le Festival a connu une autre vraie sensation avec Daytime drinking, le premier long métrage du Coréen Noh Young-seok, qui suit un jeune homme embarqué dans un périple de plus en plus catastrophique, où l’alcool joue un rôle primordial. Malgré un budget extrêmement modeste (5000 euros), le film fonctionne si bien que la descente aux enfers du héros finit par mettre le spectateur particulièrement mal à l’aise. Néanmoins, il fait preuve d’une énergie et d’un humour (noir) universels, et Noh Young-seok repart de Vesoul avec le Prix Langues’O qui vient s’ajouter à une mention spéciale et au prix NETPAC reçus au Festival de Locarno 2008.

Seul 100 de Chris Martinez n’était pas vraiment attendu au Palmarès. Malgré son manque flagrant d’inspiration, ce mélodrame philippin sur une jeune femme se sachant condamnée à mort a pourtant convaincu le jury Guimet. Certes, le film reste plutôt léger, mais passée la première heure, il peine à se renouveler. De post-it en post-it (ceux sur lesquels son héroïne écrit les choses qu’elle voudrait faire avant de mourir), l’histoire tourne en rond et ne parvient pas vraiment à acquérir profondeur ou émotion. Sur le même thème, on préfère Le temps qui reste ou Ma vie sans moi.

Les oubliés du Palmarès
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