Cannes 2017: deux versions des « Fantômes d’Ismaël »

Posté par vincy, le 17 mai 2017

Les Fantômes d’Ismaël est le film d'ouverture du Festival de Cannes. Il sort simultanément en salles en France. Etrangement, le film d'Arnaud Desplechin sort dans deux versions. L'une, officielle, présentée à Cannes et dans les cinémas, qui dure 1h54. L'autre de 2h10 qui sera distribué dans une dizaine de salles françaises, dont le cinéma du Panthéon à Paris, qui appartient au producteur, Why Not, et à l'étranger (même si le distributeur américain n'a pas encore choisi quelle version il diffusera). Sans aucun doute, on découvrira cette version allongée en DVD/VàD/Blue Ray.

C'est étrange car Arnaud Desplechin n'a jamais mégoté sur la durée de ses films, qui peuvent s'étirer de 2h15 à 3h. Et quand on voit la durée des blockbusters hollywoodiens, souvent au dessus des 2h voire des 2h30, on ne peut pas dire que le nombre de minutes cause un échec populaire.

C'est aussi étrange parce que les deux versions sont assumées par le réalisateur. La "version longue" donnerait des clefs aux nombreuses intrigues du film, et notamment au film dans le film (avec Louis Garrel). Il y a déjà eu des précédents, y compris à Cannes avec Grace de Monaco.

Arnaud Desplechin a confié que c'était une proposition de son producteur. Pour lui il n'y a pas deux films, mais une version originale, la plus logue, et une version en salles, l'une plus intellectuelle, l'autre plus sentimentale.

Cannes en livres: « Ces années-là », chroniques journalistiques de 70 festivals

Posté par vincy, le 17 mai 2017

Le pitch: Une cinquantaine de journalistes de la presse écrite, française mais aussi internationale, raconte une ou deux années de Festival depuis sa création.

Le style: Ces chroniques sont aussi variées que la plume de leurs auteurs (parmi lesquels quelques amis, soyons honnêtes). Et oui, aucun journaliste (critique de cinéma ici) n'écrit de manière identique (c'est rassurant) et aucun ne traite une année cannoise de façon similaire. Ces années-là est comme un recueil de nouvelles forcément inégal, ou un de ces films à segments dont on préfère toujours un auteur à un autre. On apprend parfois quelques anecdotes croustillantes dans un exercice à la fois encyclopédique et narcissique. Et certaines signatures manient l'ironie ou la passion avec un plaisir goulu. On navigue ainsi de souvenirs personnels (l'intimité qui se passe à Cannes reste à Cannes) à des jugements sur les films et les palmarès en passant par la petite histoire de ce grand récit.

La remarque: aucune photo. C'est un livre de textes. Une sorte de journal subjectif de 70 festivals, non illustré. Et pour cause, le livre-hommage, voulu par Thierry Frémaux et Pierre Lescure, a été initié tardivement, au début de l'hiver. On ajoutera que Claude Lelouch avait publié ses Mémoires sous le même titre.

Ces années-là, 70 chroniques pour 70 éditions du Festival. Sous la direction de Thierry Frémaux. Paru le 10 mai chez Stock.

Cracovie, capitale printanière du cinéma indépendant

Posté par redaction, le 17 mai 2017

Début mai, à Cracovie, les amateurs de cinéma indépendant s'en sont donné à coeur joie. Pas de blockbusters, pas de films produits par les grands studios, mais plusieurs dizaines de films réalisés avec des budgets limités, à déguster sans modération. L'affluence était au rendez-vous, avec des salles bourrées de cinéphiles, notamment de nombreux étudiants, curieux de découvrir une programmation éclectique, avec des longs-métrages venus du monde entier. Pendant dix jours, entre les averses et les éclaircies, la deuxième ville de Pologne, joyau urbain regorgeant de superbes monuments, a accueilli avec gourmandise la 10e édition du festival du film indépendant Netia Off Camera.

Deux compétitions étaient au programme. L'une, internationale, présentait dix premiers ou deuxièmes longs-métrages de réalisateurs de nationalités diverses, ayant pour certains déjà eu les faveurs du public à Sundance, Locarno, Rotterdam et Toronto. L'autre, dotée du même nombre de films, était consacrée exclusivement au très riche cinéma polonais.

Car la Pologne est un pays où l'on adore le Septième art, avec des réalisateurs mondialement connus comme Andrzej Wajda (Danton), Andrzej Zulawski (Possession), Roman Polanski (Le pianiste), Krzysztof Kieslowski (La double vie de Véronique), Jerzy Skolimowski (Essentiel killing), Krzysztof Zanussi (L'année du soleil calme), Pawel Pawlikovski (Ida) ou encore Agnieszka Holland (Europa, Europa), qui présidait cette année le jury de la compétition internationale.

Ce jury a attribué son prix, doté de la très coquette somme de 100 000 dollars, à un film polonais, The last family. Ce premier long-métrage de Jan Matuszynski s'inspire de l'histoire du peintre surréaliste Zdzislaw Beksinski. Il raconte sur 28 ans les relations à la fois tendres et houleuses entre cet artiste polonais tourmenté, son épouse aimante et leur fils, excentrique et suicidaire. Ce film de deux heures, qui aurait gagné à être écourté, réserve de belles prestations d'acteurs.

De son côté, le jury de la FIPRESCI (Fédération internationale de la presse cinématographique) a décerné son prix à Pop aye, un road movie insolite, dont l'action se passe en Thaïlande, réalisé par la cinéaste singapourienne Kirsten Tan. Confronté à des problèmes personnels et professionnels, un architecte de Bangkok croit reconnaître dans une rue de la capitale thaïlandaise un éléphant qu'il a connu dans son enfance. Il décide de ramener le pachyderme dans son village natal, et croise sur son parcours mouvementé plusieurs personnages étranges. Un film maîtrisé, dépaysant et plein d'humour, qui navigue entre réalisme et absurdité. A cela s'ajoute la présence originale d'un éléphant, baptisé Pop Aye, personnage central de ce curieux long-métrage.

D'autres films étaient présentés hors compétition comme Miss Sloane de John Madden, The lost city of Z de James Gray, La tortue rouge de Michael Dudok de Wit, L'économie du couple de Joachim Lafosse, ou encore Demain tout commence d'Hugo Gélin.

La 10e édition du festival du film indépendant de Cracovie, qui s'est déroulée du 28 avril au 7 mai, a aussi rendu hommage à Andrzej Wajda, décédé l'an dernier à 90 ans. Avant la projection de Pan Tadeusz (1999), plusieurs acteurs ayant joué dans ses films, dont Daniel Olbrychski, ont évoqué leurs souvenirs émus du cinéaste récompensé en 1981 par la Palme d'Or au Festival de Cannes pour L'homme de fer.

Pierre-Yves Roger pour Ecran Noir

Cannes 2017 : Qui est Stacy Martin ?

Posté par MpM, le 17 mai 2017

Vous ne connaissez peut-être pas son nom, mais si vous avez vu son visage, ne serait-ce qu'une fois, alors vous ne pourrez plus l'oublier. Stacy Martin, jeune actrice franco-britannique née en 1991, évoque Liv Tyler à ses débuts, tout en fraîcheur et délicatesse, avec des airs de Madone magnétique qui fascinent réalisateurs comme spectateurs.

Evidemment remarquée très tôt, elle est d'abord mannequin ("une activité annexe pour payer mes cours de comédie" explique-t-elle), avant d'être choisie par Lars von Trier pour incarner le personnage de Joe, l'héroïne de Nymphomaniac (2013), dans sa période adolescente. Tout de suite, on est aimanté. Les scènes où elle apparaît sont les plus réussies, les plus gracieuses. On croit à sa fausse candeur, à ses désirs irrépressibles, à sa douleur. Elle fait oublier tout le reste du film et rend la performance de Charlotte Gainsbourg (qui reprend le flambeau du personnage adulte) un peu fade.

Après l'univers sulfureux du cinéaste danois (et pas mal de scènes de nudité), elle rejoint la fresque fantastique Tale of tales de Matteo Garrone qui est sélectionnée en compétition à Cannes en 2015. Symboliquement, elle y incarne la quintessence de la jeunesse et de la beauté, une forme de miracle inaccessible et enchanteur. Inutile de se demander pourquoi le cinéaste italien a fait appel à elle... elle est globalement la jeune femme que l'on rêverait tous d'être (oui, oui, hommes compris).

2015 est définitivement son année puisqu'on la retrouve également à l'affiche de La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil de Joann Sfar (dans le rôle secondaire mais venimeux d'Anita, la bonne copine de l'héroïne), Winter de Heidi Greensmith et surtout Taj Mahal de Nicolas Saada.

Dans ce quasi huis-clos terrifiant mais minimaliste, c'est sur son visage que se déroule toute l’action du film. La frêle jeune fille, d’une pâleur de plus en plus extrême au fur et à mesure qu’avance l’intrigue, est presque de tous les plans. Ses yeux reflètent l’horreur, son corps accuse la progression fulgurante de l'angoisse. Seule dans la salle de bains, rampant sous le lit, épiant le moindre bruit, elle devient une bête traquée, prise au piège, dont le moindre geste peut s’avérer fatal. Le film est extrêmement puissant et elle y est magistrale. Le résultat ne se fait pas attendre : elle figure dans la première liste des révélations pour les César 2016. Elle n'est pas dans le quinté final, mais on se dit que ce n'est plus qu'une question de temps... et de rôle.

Depuis, on l'a aperçue chez Ben Wheatley (High rise), dans L'enfance d'un chef de Brady Corbet (primé à Venise) et The last photograph de Danny Huston (non sortis en France). Mais c'est surtout dans Le redoutable de Michel Hazanavicius, en Anne Wiazemsky aux côtés de Louis Garrel en Jean-Luc Godard que l'on a hâte de la retrouver. Comme un passage de relais symbolique entre deux générations de cinéma ?

Cannes 70 : l’émergence d’un nouveau cinéma australien

Posté par cannes70, le 16 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-2. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


1971. Cette année-là, au 25e Festival international du Film de Cannes, on trouve dans le jury Sergio Leone, Luchino Visconti reçoit un prix spécial, à la fois pour son adaptation de Thomas Mann Mort à Venise et pour l'ensemble de son oeuvre, tandis que Riccardo Cucciolla remporte le prix d'interprétation pour son rôle dans Sacco e Vanzetti.  On trouve en compétition tout un tas de nationalités différentes : des Italiens comme on vient de le voir, mais aussi des Français - tels Jean-Paul Rappeneau pour Les mariés de l'an II, Louis Malle pour Le souffle au cœur -, un Hongrois (Károly Makk avec Amour, dont on vous parlait il y a quelques mois), ou encore des Américains dont Jerry Schatzberg venu présenter Panique à Needle Park. Mais cette année-là, c'est le cinéma australien dont la présence va être signifiante, même s'il ne remporte aucun prix.

Cannes 1971 : l'émergence d'un nouveau cinéma


En effet, cette année-là sont présents Réveil dans la terreur (qu'on trouve aussi sous son titre original, Wake in fright, ou encore sous le nom de Outback), et La Randonnée (Walkabout). Deux films qui vont, inconsciemment, définir un tout nouvel élan dans l'industrie cinématographique du pays, deux témoins d'une contre-culture naissante, paradoxalement réalisés par un Canadien (Ted Kotcheff) et par un Anglais (Nicolas Roeg).

Ils s'attachent à mettre en scène l'outback, zone désertique qui forme la plus grande partie du territoire australien. Un environnement dans lequel on retrouve des animaux plus ou moins dangereux pour l'homme : des serpents, des kangourous, ou même des dromadaires (autrefois importés par des colons afghans). Cet environnement qui semble définir les hommes qui y sont soumis, même un cinéaste plus classique comme Peter Weir dans Pique-nique à Hanging rock le mettra en scène ; excepté qu'aux jeunes Australiennes à la culture anglo-saxonne, Roeg et Kotcheff préfèrent explorer des personnalités plus typiquement australiennes, qu'il s'agisse des Aborigènes, qui ont dû subir le joug des colons anglais, ou des citadins alcooliques et violents qui peuplent les villes perdues en plein désert.

Pourtant Wake in fright, malgré son importance dans le cinéma australien et dans son renouveau, est longtemps resté invisible. S'il a bien été accueilli lors de sa projection à Cannes, et est resté cinq mois à l'affiche dans l'unique cinéma parisien qui le projetait, il est ensuite tombé dans l'oubli. Pas distribué, ou alors dans des copies abîmées et censurées, il a été entièrement restauré en 2009, puis est revenu, triomphalement, à Cannes en 2014, avant d'être édité en DVD et Blu-ray.

La nouvelle vague (encore une)


En effet, une décennie après la Nouvelle Vague originelle - la française -, bien avant la roumaine ou encore la coréenne , et plus ou moins en même temps que l'allemande, s'est formée la Nouvelle Vague australienne. Alors que la production cinématographique nationale dans les années 60 était peu abondante, de nombreux réalisateurs se sont formés à la télévision, de plus en plus populaire, mais aussi grâce à des initiatives du gouvernement.

En résulte un nouveau souffle pour le cinéma australien au début des années soixante-dix. Si l'on en croit l'encyclopédie Tout sur le cinéma, aux éditions Flammarion, deux styles de films se distinguent alors : d'un côté, des séries d’exploitation, violentes, de l'autre des plus grosses productions, plus prestigieuses. Pourtant, en regardant de plus près des représentants de ces deux styles, la différence est assez ténue. Prenons Wake in fright (1971, Ted Kotcheff) et Pique-nique à Hanging Rock (1975, Peter Weir) : tous deux sont à première vue assez éloignés. D'un côté, une descente en enfer imbibée de violence et d'alcool, de l'autre un film en costume avec des jeunes filles. Cependant, les deux cinéastes ont beau adopter deux formes drastiquement opposées, ils évoquent les mêmes thèmes, qui semblent définir ce nouveau cinéma australien : la violence des rapports humains et la relation conflictuelle avec une nature à la fois libératrice et prédatrice.

Le cinéma australien, au-delà de cette vague des années 70, est dans son ensemble un cinéma qu'on voit peu. On trouve d'ailleurs très peu d'ouvrages, et aucun en français, sur le sujet de ce cinéma australien des années 1970 - ni même sur les décennies suivantes. Il faut dire que les réalisateurs australiens les plus connus ont mené une carrière internationale, et ont peu livré de films purement australiens après leurs premiers grands succès. Difficile en effet de considérer le Australia de Baz Luhrmann comme un film à l'identité australienne marquée ; idem pour les plus grands succès de Peter Weir, même si la nature dans Les chemins de la liberté est à la fois une ennemie et une alliée. Crocodile Dundee, plus gros succès du cinéma national, met lui en scène l'outback et les aborigènes ... mais pas sûr qu'il le fasse avec finesse !

À Cannes même, la représentation du cinéma australien reste modeste. En 1980, Jack Thompson, légende du cinéma australien, reçoit un prix du second rôle pour Héros ou Salopards (Breaker Morant), en 1994 la Quinzaine des Réalisateurs invite Muriel pour son mariage et révèle deux grandes actrices (Toni Collette et Rachel Griffiths) et plus récemment en 2015, George Miller se réinvente en ajoutant un nouvel opus à sa saga fétiche avec Mad Max Fury Road, présenté hors-compétition mais si bien reçu que le réalisateur devint le président du jury un an plus tard. En manque de représentants marquants côté cinéastes aujourd'hui en dehors de ses nombreux visages familiers devant la caméra (Nicole Kidman, Naomi Watts, Hugh Jackman, Geoffrey Rush, Cate Blanchett...) parfois emportés par les sirènes du cinéma international au détriment des productions locales, le cinéma australien n'a plus la veine créative des années 70 et dans une moindre mesure des années 80, pourtant on espère encore qu'une nouvelle nouvelle vague australienne nous séduise et nous offre à nouveau de belles images de cinéma comme il nous en fut alors proposé.

Nicolas Santal de Critique-Film

Piratage d’un film et chantage en bitcoins contre Disney

Posté par vincy, le 16 mai 2017

Les cyberattaques seront-elles la nouvelle guerre froide? Après Sony (lire notre actualité du 18 décembre 2014) et Netflix, c’est au tour de Walt Disney d'en subir une, et pas des moindres. Un groupe de hackeurs airait réussi à voler un film inédit au studio, demandant "une énorme rançon" à payer en bitcoins, selon les termes de Bob Iger, patron de Disney et que rapporte The Hollywood Reporter.

Sans révéler le titre du film, et en refusant de se plier au chantage, Disney a décidé de collaborer avec la police fédérale et surveille l'éventuelle fuite du film sur les réseaux. Selon Deadline, le film piraté serait, ironiquement, le nouvel épisode de Pirates des Caraïbes qui s'apprête à sortir dans le monde entier dès ce week-end. Mais d'autres sources parlaient de Cars 3, issu des studios Pixar et prévu dans les salles en juin.

Les hackers ont menacé de montrer d’abord cinq minutes du film volé, puis vingt minutes si la rançon n’était pas payée. Tout dépend maintenant de savoir de quel film il s'agit. Le vol de Pirates des Caraïbes n'aurait pas un énorme impact à quelques jours de la sortie, en sachant que dès la semaine prochaine il sera accessible sur des réseaux pirates. Cars 3 ou un autre film de l'été, et qui n'aurait pas été montré à la presse, menacerait davantage les recettes potentielles du studio.

Cannes 70 : Derrière le rideau de Saint-Saëns avec Thierry Frémaux

Posté par cannes70, le 15 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-3. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Pendant que j’écris cette phrase, j’entends les premières notes du morceau Aquarium, qui fait partie de la suite musicale du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. J’ai l’impression d’être à nouveau assis dans un fauteuil devant l’écran cannois : nous sommes dans un paysage sous-marin et commençons à monter les marches, couvertes d’un tapis rouge. Nous sortons de l’eau pour nous envoler jusqu’à l’espace extérieur, entourés par les étoiles. Une légende sous le dessin d’une palme d’or : Festival de Cannes. Le public commence à applaudir. Le film commence.

La route du film commence ainsi. Cannes est la plus grande vitrine du monde cinématographique et un bon ou un mauvais accueil de la presse peut jouer un rôle essentiel sur la continuation de la vie de ce film : une ovation de plusieurs minutes de la part de la presse pourrait lui ouvrir les portes des pays du monde entier, un prix pourrait le consacrer à jamais, même avant de sortir dans les salles commerciales. C’est ainsi que fonctionne le Festival de Cannes : les critiques et les professionnels du cinéma du monde entier se sont donnés rendez-vous pour dessiner les lignes générales de l’année cinématographique qui va suivre. Tout sera dit à la fin, un portrait-robot de ce qui est censé être le cinéma d’aujourd’hui sera affiché à l’issue du Festival. Est-ce que cela est juste ? Ça, c’est un autre débat.

Les réalisateurs et producteurs du monde entier s’apprêtent à faire de leur mieux afin de pouvoir insérer le si envié logo de la palme, Festival de Cannes, dans le générique de leurs longs métrages. Mille huit-cents soixante-neuf films ont été présentés lors de la 69e édition, en 2016. Seulement une soixantaine figureront dans la sélection officielle, plus de 1800 films seront refusés et au fur et à mesure que le jour de l’annonce de la sélection approche, la pression va augmenter. La passion animée par le désir de réussite coûte que coûte (est-ce plutôt l’inverse ?) monte à son apogée le jour de l’annonce. Quel est le vrai enjeu ? S’agit-il d’une question purement liée à la distribution du film ? Une question financière à un niveau plus vaste ? Politique ? Juste l’étincelle d’une vanité non avouée ?

Pourquoi choisir un film et pas un autre ?

Thierry Frémaux assume la subjectivité du choix. Il évoque ainsi la difficulté de réaliser une sélection de films pour un festival tel que Cannes quand cette logique s’impose : “Une bonne sélection, c’est grâce aux films ; une mauvaise sélection, c’est à cause du sélectionneur”. Comment dire non à tous ceux qui misent toutes leurs espérances de réussite pour leur film dans l’inscription à un festival, LE Festival ?

Deux cas opposés sont évoqués par Frémaux dans son livre, Sélection officielle publié aux éditions Grasset au mois de janvier dernier. D’un côté, The Last Face de Sean Penn (2016) et de l’autre, le nouveau projet, toujours inédit, d’Emir Kusturica. Le film de Sean Penn fut présenté en compétition en 2016 et reçut un accueil désastreux : le film fut hué et moqué lors de la projection presse.

Le délégué général montra ses réserves par rapport à la première version qu’il vit de ce film et rendit visite à Penn à Los Angeles pour lui proposer de faire quelques modifications dans le montage de son film afin qu’il fût prêt pour le Festival. Le réalisateur aurait promis à Frémaux de faire de son mieux en lui assurant qu’il serait remanié avec succès lors de la première du Festival. Frémaux fit confiance à Penn et l’invita directement en compétition.

Ceci est un exemple de comment faire partie de la compétition peut faire du mal à un film qui resterait trop faible face aux regards malveillants. C’est ainsi que Sean Penn monta les marches avec son équipe l’année dernière, ayant déjà pris connaissance des dures critiques contre lui et contre les critères de sélection du Festival. Frémaux se défend des reproches qui lui sont faits en tant que responsable de la programmation de la sélection officielle : “quand vient l’heure du bilan, chacun reconstruit la compétition à posteriori - il est aisé de faire une sélection idéale en fonction d’un accueil connu entre-temps”. C’est ainsi que l’équipe de Frémaux aurait proposé plusieurs fois l’idée de faire en sorte que les séances presse et gala se déroulent simultanément afin que les artistes n’aient plus à monter les marches après avoir lu un éventuel mauvais accueil fait par la critique.

D’un autre côté, quelques semaines avant l’annonce de la sélection officielle, Emir Kusturica aurait invité son ami Thierry Frémaux à voir une ébauche de son nouveau projet, dont il n’avait monté que dix minutes. Ce dernier aurait trouvé l’idée intéressante mais, le film n’étant toujours pas terminé, il ne pouvait pas l’inviter en compétition. Après avoir laissé un message téléphonique à sa productrice pour lui annoncer sa décision, Kusturica aurait répondu avec un texto direct et concis : « You are not my friend anymore ! Emir ».

Quand est-ce que le film est terminé ?

Sélection officielle constitue une sorte de journal d’une intimité rédigée, qui nous permet d’accompagner le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, le long d’une année qui commence pour lui le 25 mai 2015 et s'achève le 22 mai 2016. Du premier jour qui suit le festival 2015 jusqu’au dernier jour de l’édition de 2016, nous suivons le quotidien de Frémaux en tant que délégué général mais aussi en tant que directeur de l’Institut Lumière de Lyon. Il est par ailleurs un des principaux ambassadeurs du patrimoine cinématographique et humain des frères Lumière autour du monde, coïncidence intéressante venant d’un homme qui joue actuellement le rôle de tête visible dans le festival de cinéma le plus important au monde.

D’ailleurs, Frémaux cite de manière très émouvante Henri Langlois, un des fondateurs de la Cinémathèque française, quand il parlait des frères Lumière en disant : « Il fut un temps où le cinéma sortait des arbres, jaillissait de la mer, où l’homme à la caméra magique s’arrêtait sur les places, entrait dans les cafés où tous les écrans offraient une fenêtre sur l’infini. Ce fut le temps des Lumière ».

Chez Lumière, il y avait la sagesse de l’humain qui regarde de manière instinctive dans le temps. La sagesse de l’enfant pour qui tout reste à venir, quand toutes les images sont encore possibles. Pendant que Frémaux se prépare à citer ce beau passage du journal de Jean Cocteau, j’arrive à la fin de mon article : « Il y a un moment de fatigue où les films n’entrent plus en nous. Une sorte de sommeil qui ne fait pas dormir, ressemble à celui des enfants qui n’écoutent plus le conte mais seulement le murmure de la voix de leur mère. Je suivais et je ne suivais pas ». Les images de cinéma défilent sans cesse dans notre cerveau pour hanter nos rêves les plus beaux, ainsi que nos cauchemars. La musique du Carnaval des animaux est terminée.

Miquel Escudero Diéguez de Critique-film

Cannes 70 : quelle place pour les femmes sur la croisette ?

Posté par cannes70, le 14 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-4. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


C'est un peu la tarte à la crème des polémiques cannoises, la (vaste) question des femmes sur la Croisette. Les éléments, tout le monde les connaît : une seule femme palmée en 69 éditions (mais deux fois, puisque Jane Campion est la seule à avoir réussi le doublé Palme d'or du court et du long métrage), un nombre très faible de réalisatrices sélectionnées en compétition lors de certaines éditions récentes (2 en 2014, 1 en 2013, aucune en 2012), et en gros l'impression que les choses "sérieuses" (la réalisation et l'écriture) sont réservées aux hommes tandis que les femmes sont cantonnées dans le domaine glamour des montées des marches et de la présentation des cérémonies d'ouverture et de clôture.

D'accord, des études le rappellent régulièrement, il est plus difficile pour une femme de vivre de son travail de scénariste et / ou de se voir confier des budgets importants. Moins de films réalisés par des femmes sortent chaque année (moins d'un quart des réalisateurs de longs métrages français sont des femmes, moins de 20% à l'échelle européenne d'après une grande enquête menée en 2014), surtout si on regarde à l'échelle du cinéma mondial. L'offre est donc par définition moins large, et le problème existe en amont de Cannes.

Mauvais bilan


Pourtant, impossible de ne pas remarquer que Cannes est le festival européen d'envergure qui a le plus mauvais "bilan", notamment en terme de reconnaissance des réalisatrices. Rien que ces quinze dernières années, on compte ainsi trois femmes lauréates d'un Ours d'or (Ildikó Enyedi, Claudia Llosa et Jasmila Žbani), deux lauréates d'un lion d'or (Sofia Coppola et Mira Nair), et cinq réalisatrices couronnées d'un Léopard d'or (Ralitza Petrova, Milagros Mumenthaler, Xiaolu Guo, Andrea Staka et Sabiha Sumar). C'est loin d'être parfait, mais c'est toujours mieux que Cannes dont le compteur est bloqué à une dans toute son histoire (et en plus c'était en 1993, soit il y a presque 25 ans).

Malgré tout, on se doit de relativiser : peut-être y-a-t-il tout simplement beaucoup plus de femmes en compétition dans ces autres festivals internationaux ? En fait... pas vraiment. A Berlin, 4 en 2014 (2 à Cannes), 3 en 2015 (2 à Cannes), 2 en 2016 (3 à Cannes), 4 en 2017 (3 à Cannes). A Venise, 2 chaque année depuis 2014. A Locarno, 2 en 2014, 3 en 2015, 6 en 2016. On est très loin d'un début de parité, dans tous les cas. Et on vous passe les plus mauvaises années.

Un palmarès pas folichon


Autre début d'explication: peut-être que la palme d'or est l'arbre trop voyant qui cache la forêt de prix décernés à des femmes ? Après vérification... pas vraiment. Petit calcul rapide. En 69 édition, les réalisatrices en compétition officielle ont récolté :
- trois grands prix :  Journal à mes enfants de Márta Mészáros (1984), La forêt de Mogari de Naomi Kawase (2007), Les merveilles d'Alice Rohrwacher (2014)
- un prix de mise en scène : Récit des années de feu de Yuliya Solntseva (1961)
- un prix du scénario : Agnès Jaoui en 2004 pour Comme une image (avec Jean-Pierre Bacri)
- sept prix du jury : Samira Makhmalbaf en 2000 pour Le tableau noir et en 2003 pour A cinq heures de l'après-midi, Andrea Arnold pour Red road (2006), Fish tank (2009) et American honey (2016), Marjane Satrapi pour Persépolis (avec Vincent Paronnaud) en 2007, Maïwenn en 2011 pour Polisse.
A noter que deux comédiennes ont également obtenu ce fameux prix du jury un peu fourre-tout : Irma P. Hall pour The ladykillers (2004) et Catherine Deneuve pour Conte de Noël et l'ensemble de son oeuvre (tant qu'on y est) en 2008.

Si on s'autorise un peu de mauvais esprit, on constate qu'il y a eu plus de prix du jury attribués à des femmes que tous les autres prix confondus (hors prix d'interprétation, évidemment). Mais c'est bien sûr une coïncidence s'il s'agit du prix le moins prestigieux, pensé comme une sorte "d'encouragement" (entre parenthèse, Andrea Arnold doit commencer à se sentir assez encouragée, là, merci).

Et les jurys, dans tout ça ?


Mais si elles sont si mal récompensées, serait-ce parce que les femmes figurent peu dans les jurys ? Oui et non. Par exemple, la première présidente du jury fut Olivia de Havilland en 1965, suivie de Sophia Loren en 1966. À l'époque les femmes réalisatrices ne sont pas pléthores. La première à prendre la tête du jury officiel est Liv Ulllan en 2001. Et encore porte-t-elle les deux casquettes, cinéaste et actrice. Devinez qui fut la première réalisatrice non comédienne appelée à cette haute fonction ? Jane Campion, aka l'éternelle caution féministe de Cannes. En 1979, l'écrivaine Francoise Sagan occupe le poste prestigieux... mais ce sera la seule. Finalement, sur les 69 édition, on en est à... 11 présidentes. En revanche, depuis plusieurs années, le Festival fait attention à choisir des jurys paritaires. Ont été membres du jury (outre de nombreuses comédiennes) les cinéastes Sofia Coppola (2014), Naomi Kawase et Lynne Ramsay (2013), Andrea Arnold (2012), Marjane Satrapi (2008), Lucrecia Martel (2006), Agnès Varda (2005), Moufida Tlati (2001), Nicole Garcia (2000), Doris Dorrie (1999), Nana Djordjadze (1992)... Plus on remonte dans le temps, moins on en trouve. Mais il faut néanmoins mentionner la présence de quelques écrivaines, journalistes et productrices, tout de même.

Par contre, si on regarde du côté des autres jurys, rien que dans les années 2010, on trouve six présidentes cinéastes : Naomi Kawase (Cinéfondation et courts métrages, en 2016), Catherine Corsini (Caméra d'or, 2016), Nicole Garcia (Caméra d'or, 2014), Agnès Varda (Caméra d'or, 2013), Jane Campion (Cinéfondation et courts métrages, 2013), Claire Denis (Un Certain regard, 2010) et neuf "simples membres" cinéastes : Jessica Hausner (Un Certain regard, 2016), Delphine Gleize (Caméra d'or, 2015), Héléna Klotz (Caméra d'or, 2014), Noémie Lvovsky (Cinéfondation et courts métrages, 2014), Daniela Thomas (Cinéfondation et courts métrages, 2014), Isabel Coixet (Caméra d'or, 2013), Maji Da-Abdi (Cinéfondation et courts métrages, 2013), Tonie Marshall (Un Certain regard, 2012), Jessica Hausner (Cinéfondation et courts métrages, 2011). D'accord, certains noms reviennent. Mais on est déjà beaucoup plus près d'une véritable parité. Le constat pourrait donc être que lorsqu'on cherche les femmes à Cannes, il vaut mieux regarder ailleurs qu'en compétition.

Quoi que. Même dans les sections parallèles, tout reste lent. S'il y a 5 films réalisés par des femmes à Un Certain regard cette année, il n'y en avait que 3 en 2016, 3 en 2015, 6 en 2014. A la Semaine de la Critique, on compte 3 réalisatrices pour 4 réalisateurs cette année, mais 1 seule en 2016 et aucune l'année précédente. A la Quinzaine des réalisateurs, 7 sur 20 cette année, 5 en 2016, 3 en 2015. Il faudra encore quelques années pour voir si ce sont les "bonnes" années qui sont exceptionnelles ou si les "mauvaises" se raréfient.

Attention, futures cinéastes en vue


Le pire, c'est que la première sélection d'une réalisatrice en compétition à Cannes remonte à... 1947 (Paris 1900 de Nicole Vedrès). On ne peut pas dire que les choses évoluent très rapidement. Dans la compétition cannoise, en tout cas. Parce qu'ailleurs, heureusement, la situation est plus contrastée. Par exemple, les écoles de cinéma sont aujourd'hui pleines de jeunes femmes qui font jeu égal avec leurs collègues masculins. L'industrie du court métrage (bon indicateur des talents à venir) fait elle aussi la part belle aux réalisatrices. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il y a plus de femmes lauréates de la Palme d'or du court métrage que du long (six films récompensés entre 1986 et aujourd'hui, aucun auparavant) ou si la parité est mieux respectée dans les sélections de courts : cette année, 4 réalisatrices pour 6 réalisateurs à la Semaine de la Critique, égalité parfaite à la Quinzaine des Réalisateurs (5 de chaque), 7 réalisatrices (sur 16) à la Cinéfondation et 3 (sur 9) en sélection officielle.

Cela signifie qu'il existe déjà un vivier de jeunes réalisatrices que l'on devrait voir rapidement prendre position dans la prestigieuse compétition cannoise. On attend maintenant sur le tapis rouge des talents révélés à Cannes les années précédentes comme Julia Ducournau, Deniz Gamze Ergüven, Or Sinaï, Houda Benyamina, Ida Panahandeh, Atsuko Hirayanagi,  Claire Burger et Marie Amachoukeli, Clio Barnard, Sandra Hirtt... Et on tient à disposition des différents comités de sélection une liste fournie de jeunes réalisatrices prometteuses à suivre. Si les choses ne changent toujours pas à court terme, on sera en droit de commencer à y voir un système volontairement excluant. Car pour le moment, on a plutôt le sentiment que Cannes est surtout le reflet d'une société où la sous-représentation des femmes à des postes-clef est si intégrée que plus personne n'y fait réellement attention. C'est lorsqu'on commence à y réfléchir avec une once de volontarisme que le problème apparaît.

Femmes sur grand écran


Toutefois, si l'on prend un peu de recul, on constate au fond que l'endroit le plus important où les femmes ont toute leur place, ce sont les films. Ces dernières années, on a rencontré régulièrement de beaux personnages féminins qui, à eux seuls, font plus pour la progression de l'égalité hommes-femmes que bien des discours ou des lois paritaires. Dans l'histoire récente de Cannes, les film, ont même souvent eu des femmes pour personnages principaux. Et pas n'importe quelles femmes !

Impossible de les mentionner toutes, mais citons la résistante inflexible face à des promoteurs immobiliers sans scrupule dans Aquarius (Kleber Mendoça Filho, 2016), les guerrières manipulatrices de Mademoiselle (Park Chan-wook, 2016), la ninja mélancolique de The assassin (Hou Hsiao-hsien, 2015), le couple lesbien de Carol de Todd Haynes (2015) et celui de La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche (2013), les mères étonnement fortes et volontaires de Leonera de Pablo Trapero, d'une Famille brésilienne de Walter Salles et Daniela Thomas et de The exchange de Clint Eastwood (2008)...

Plus généralement, l'air de rien, on a croisé des femmes médecins (La fille inconnue des frères Dardenne, 2016), des cheffes d'entreprise (Elle de Paul Verhoeven, 2016), des juges (La tête haute d'Emmanuelle Bercot, 2015), des réalisatrices (Mia madre de Nanni Moretti, 2015), des photographes de guerre (Louder than bombs de Joachim Trier, 2015), des pianistes virtuoses (Amour de Michael Haneke, 2012), des policières (Polisse de Maïwen, 2011)... Et cette année, on verra même une astro-physicienne dans Les fantômes d’Ismaël d'Arnaud Desplechin. On a tout de même fait un peu de progrès depuis le personnage typique de "petite amie" ou de "mère" du héros.

D'autres beaux personnages féminins ont évidemment marqué l'histoire de Cannes depuis ses origines. Gilda dans le film éponyme de George Cukor (1948), femme libre à la sensualité exacerbée que ses amants ne parviennent pas à dompter  ; La cucaracha, pasionaria de la révolution mexicaine interprétée par Maria Felix, comédienne habituée aux rôles hauts en couleurs, dans le film d'Ismael Rodriguez (La cucaracha, 1959) ; la funambule Elvira Madigan, elle aussi éprise de liberté et d'absolu, sous les traits de Pia Degermark (Elvira Madigan de Bo Widerberg, 1967) ; la danseuse Isadora Duncan (Vanessa Redgrave) à l'impressionnante liberté de caractère est saisie devant la caméra de Karel Reisz qui capture l'audace de ses compositions chorégraphiques (Isadora, 1969) ; Alice, emblème des revendications et aspirations féminines dans Alice n'est plus ici de Martin Scorsese (1974) ; la soixantenaire amoureuse et peu soucieuse du qu'en dira-t-on dans Tous les autres s'appellent Ali de de Rainer Werner Fassbinder (1974) ; Yang Huizhen, la valeureuse guerrière prête à tout pour venger la mort de son père dans A touch of zen de King Hu (1975) ; la révolutionnaire, journaliste et théoricienne Rosa Luxemburg chez Margarethe von Trotta (Rosa Luxemburg, 1986) ; Rosetta, la jeune ouvrière en lutte pour retrouver un emploi à tout prix (Rosetta des frères Dardenne, 1999)...

Et au fond, puisqu'il faut bien commencer quelque part, reconnaissons que la présence de ces personnages féminins loin des sentiers battus est un excellent début pour parler de parité. On ne juge jamais un film sur le genre de son auteur, et ce serait un contre-sens de penser qu'une jurée a des goûts diamétralement opposés à ceux d'un juré. En art, il n'y a que des sensibilités variées, diverses et multiples, propres à chaque individu et non standardisées en fonction d'un genre ou d'une origine.

En revanche, ce qui reste d'un festival comme Cannes, ce que le grand public en voit et ce que l'Histoire en retient, ce sont les films, les sujets qu'ils abordent et les personnages qu'ils mettent en avant. C'est donc le point essentiel pour faire évoluer les mentalités. Et à force de voir ces personnages féminins forts, volontaires, brillants et tout simplement dignes d'intérêt sur grand écran, cela contamine naturellement les représentations sociales et les stéréotypes de genre. Jusqu'à rendre possible, demain, la présence de dix réalisatrices en compétition pour la Palme d'or. Chiche ?

Marie-Pauline Mollaret pour Ecran Noir

Cannes 70 : Histoires d’A, une projection avortée

Posté par MpM, le 13 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-5. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


C'est une lutte de longue haleine qui fut menée pour accorder aux femmes le droit de disposer de leur corps en toute liberté. Au sein du combat pour le droit à l'avortement libre et gratuit, le film Histoires d'A tient une place majeure.

Au départ il existe un court-métrage Pathé réunissant les rushes d'un sujet d'actualité sur un avortement par aspiration pratiqué par Pierre Jouannet - l'un des fondateurs du Groupe Information Santé (GIS) - monté par Marielle Issartel. Il devient rapidement inexploitable car trop endommagé.

L'idée de tourner un autre court-métrage à ambition pédagogique et militante est lancée, toujours avec Marielle Issartel et avec son mari Charles Belmont, liés aux médecins militants de Secours Rouge depuis le tournage de Rak, une fiction sur le cancer avec Sami Frey et Lila Kedrova. Le court devient finalement un long-métrage dont le but premier est direct : montrer, sans détour, que «l'avortement est un acte simple et sans danger lorsqu'il est pratiqué dans de bonnes conditions».

Le 22 novembre 1973, Maurice Druon, alors ministre des Affaires Culturelles, en prononçait l'interdiction totale car il «comporte […] des images enregistrées d'un délit réellement commis et, en l'état de droit, sa diffusion constituerait une atteinte à l'ordre public». Hélène Fleckinger revient dans la revue Documentaires (édition 22-23, publiée en 2010) sur la genèse du film, ses déboires légaux et sa dimension désormais historique.

Ce documentaire engagé est également une œuvre de cinéma ambitieuse au niveau artistique – une rareté dans le cinéma militant – avec des images signées Philippe Rousselot, alors à ses débuts et devenu depuis l'un des plus grands directeurs de la photo de sa génération. Le film est tourné en noir et blanc, pour dédramatiser l'avortement et «introduire de la distance avec le sang».

Histoires d'A n'a pas été officiellement sélectionné à Cannes mais a néanmoins fait parler sur la Croisette, comme nous le raconte Marielle Issartel.


Comment Histoires d'A s'est retrouvé à Cannes ?

À Cannes, comme dans de nombreuses villes, il y avait ce qu'on appelait des MLAC, des groupements de personnes ayant adhéré à la charte du Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception. C'est une association qui avait été créée en avril 1973 à la suite de l'action du GIS qui pratiquait des avortements selon la méthode Karman et avait voulu faire une action de désobéissance civile très spectaculaire, en affirmant «nous faisons des avortements selon une méthode facile, non dangereuse, et nous le faisons gratuitement», forçant le pouvoir en place face à un choix clair : sévir ou céder, c'est à dire être bafoué.

Pour ce Groupe Information Santé, nous avions tourné, Charles Belmont et moi, un film qui devait être au départ pédagogique avant de se développer et d'être interdit. Le MLAC regroupait un certain nombre d'organisations dont le Planning familial, central dans cette histoire parce qu'ils avaient eux déjà travaillé tout le pays, depuis une dizaine à une vingtaine d'années, sur les questions de maternité, de choix et de contraception et aidaient même lorsque c'était interdit.

Des MLAC, sur la base de cette action pro-avortement et contraception, se sont créées dans toute la France, notamment à Cannes. Le MLAC de Cannes a voulu organiser une projection pendant le Festival de Cannes 1974. Charles et moi, avec une autre amie du MLAC et la présidente du MLAC, Monique Antoine, nous avons trouvé un petit appartement à la Bocca, afin de participer à cette projection.


La projection a eu lieu où exactement ?

Elle n'a pas eu lieu ! Il ne faut pas oublier que ce film était totalement interdit, dans les salles, dans des projections privées, à l'exportation… complètement interdit… La seule façon de le voir qui n'aurait pas été interdite était de se réunir à 19 personnes dans ton salon pour dire «on se fait une projection familiale».

Donc, toutes les projections du MLAC étaient interdites et donnaient l'occasion de créer une situation de force – toujours dans la même idée de désobéissance civile – en prolongeant l'action de l'avortement. Soit la projection se passe bien et le pouvoir (au sens large) est bafoué, soit ils interviennent et ça relance encore plus le mouvement parce que la presse était pleine, tous les jours, d'actions du MLAC.

Nous, on prenait une bonne place avec Histoires d'A dans cette action parce que les MLAC imposaient une projection et ce film interdit, son sujet suscitaient beaucoup d'intérêt. Il y avait une véritable interaction entre le film et les militants au sens large qui devenaient véritablement militants de choses interdites. Ce qui est quand même un autre stade de militantisme.

La projection devait avoir lieu un soir, je crois, dans une salle de la ville, pas dans le palais du festival. Or, on apprend l'après-midi, quelques heures avant cette projection – qui n'était pas du tout liée au festival de Cannes - que des flics qui voulant interdire cette projection sont entrés dans une salle et ont commencé à taper sur les gens alors qu'ils étaient en train de regarder «benoîtement» un film sur le Vietnam [NDLR, Femmes au Vietnam] !

Des gens ont été blessés, quelqu'un a eu un bras cassé, et ça a ému quand même un peu les gens de Cannes officielle, forcément !. À ce moment-là, la SRF (Société des Réalisateurs de Films) qui n'avait pas levé un cil ou plutôt avait refusé de lever un cil quand le film avait été interdit en novembre 1973 au motif, selon le président d'alors Costa-Gavras, qu'il ne fallait pas soutenir Claude Nedjar, lequel était notre distributeur. Sans lui, rien n'aurait été possible, par l'argent qu'il a injecté et son soutien dans la lutte qui suivait l'interdiction du film. Je précise qu'avant on a fait le film sans lui, il était juste le distributeur commercial, pas le distributeur pour les projections privées ou militantes. Mais s'il n'avait pas été là, on n'aurait jamais pu faire tout ce qu'on a fait parce qu'il a injecté beaucoup d'argent, beaucoup d'énergie et s'est beaucoup, beaucoup amusé avec nous pour faire des coups pendables comme sortir à deux reprises un film interdit en salles. Il fallait le faire, parce qu'il risquait beaucoup, les gens de la salle aussi, nous aussi, on risquait beaucoup.

La SRF n'avait pas pipé mot puisque le patron Costa-Gavras – je le répète – avait dit on ne va pas soutenir Nedjar, faisant preuve là d'un vrai sens politique, d'un vrai sens des priorités, d'une vraie réflexion sur les forces en présence (je rigole)… La SRF a commencé à dire «il y a ce film qui doit passer et est interdit», alors ils sont venus nous voir, on leur a dit « : «vous faites ce que vous voulez». Ils ont fait une requête pour passer le film dans le palais des festivals. Ce qui était très amusant, c'est que nous n'étions pas invités à ces discussions, on n'était jamais que les réalisateurs-producteurs !


Ils vous ont dit pourquoi ils vous ont exclu de leurs actions ?

Ah non, ils faisaient leur truc dans leur coin et Charles n'a jamais eu envie d'être dans ce concours social, mondain… Il avait ses amis, ses militants, faisait beaucoup d'actions mais pas avec ce type de gens, tous à vouloir hausser le col et souvent d'ailleurs, pas très actifs. Ils se réunissaient entre eux et Jean-Daniel Simon [réalisateur en 1967 de La Fille d'en face, sur un scénario de Roman Polanski et Gérard Brach] était le seul à venir nous dire ce qu'ils avaient décidé. Nous on trouvait ça très amusant finalement.

Du coup l'idée qu'un film était interdit et qu'il fallait exiger de le passer, ça fait toujours plaisir, donc ça a plu à un certain nombre de personnes qui ont manifesté sur la Croisette, dont Michel Piccoli qui était là, à Cannes, et a activement soutenu le mouvement, il le dit très nettement et très simplement dans le reportage de l'INA. Je me souviens que Francis Girod était là aussi, mais plus des autres participants. C'était rigolo car personne n'est venu nous dire de venir en tête et nous on n'a jamais dit qu'on voulait y être non plus mais cela aurait été normal que les réalisateurs du film soient dans la brochette tout de même. Nous on était assez content de ne pas y être finalement, c'était notre côté rebelles.

Le slogan de la manif c'était «ah ah ah, on veut voir Histoires d'A » ! Ils ont obtenu dans les murs du palais d'avoir cette projection qui, au sens strict, aurait dû être interdite. Je ne me souviens même pas si on y est allé, parce que, comment dire, il y avait quelque chose de terriblement décalé dans tout ça.

Depuis 1971, les femmes du MLF menaient une action par rapport à l'avortement, avec notamment le manifeste des 343 femmes, qui prenaient des risques mais elles étaient célèbres pour la plupart, et donc il ne s'est rien passé. Après, c'était un manifeste. Il n'y avait pas de moyens faciles pour pouvoir passer à l'acte, c'était des moyens dangereux : c'était des sondes, elles y ont pensé, elles ont renoncé, elles ont bien fait.

Un ami, avec qui on avait milité dans un groupe issu du Secours Rouge, a vu un avortement selon la méthode de Karman, chez Delphine Seyrig, je crois. Il est venu à la maison et nous a dit «c'est extraordinaire cette méthode, si je pouvais faire un manifeste à partir des médecins du groupe, il y aurait une quinzaine de médecins qui signeraient ça, ce serait très fort !». Je me souviens, je le vois nous disant ça dans notre studio du XVe… et en fait, première vague, il y en a eu 330 qui ont signé ! Et jusqu'à 600 dans la deuxième vague de signataires ! Donc cette action est devenue une action de désobéissance civile qui avait besoin d'un support. Le support, ça a été le film qui, au départ, a été fait simplement pour démontrer ce qu'était un avortement Karman. Toute cette activité politique, humaine avec toutes ces femmes, leurs difficultés à résoudre ces peurs... tout ce qui était notre quotidien commun n'avait rien à voir avec ce qui se passait à Cannes.

Donc le MLAC de Cannes se servait du film, à très bon escient, pour montrer ce qui est dans le film, plein d'interrogations, d'enseignements, de contradictions, de vie… Ce film servait à alerter et à mobiliser, très loin de ce petit cénacle de sous-préfecture de la SRF quoi. Ce n'est même pas le souvenir de projection le plus éblouissant qu'on ait eu. Je ne sais même pas si on y était, je le répète ! C'est très très loin ! Je me souviens surtout qu'on était là, avec Charles, et qu'on rigolait de cette intervention de la SRF.

Dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma (numéro 251-252, pages 48-55), Charles Belmont précisait lui-même en 1974 : «Deux ou trois personnes de la SRF sont venues en disant «Dites que la SRF est avec vous» (c'était plutôt comique, car depuis six mois, ils ne s'étaient jamais manifestés)». L'interdiction du film est levée le 7 octobre 1974 et l'avortement sera légalisé quelques mois plus tard le 17 janvier 1975, une loi préparée par Simone Veil, alors ministre de la Santé. Depuis, Histoires d'A est devenu une référence esthétique dans le cinéma documentaire et sa portée politique reste encore aujourd'hui une évidence.

Pascal Le Duff pour Critique-Film

Dernière fugue pour Manuel Pradal (1964-2017)

Posté par redaction, le 13 mai 2017

Le cinéaste français Manuel Pradal est mort samedi 13 mai à Paris, à l’âge de 53 ans, des suites d’une longue maladie a-t-on appris par l'AFP.

Né le 22 mars 1964 à Aubenas, Manuel Pradal, admirateur de Pier Paolo Pasolini et diplômé de la première promotion de la Femis, "était un cinéaste exigeant, sensible, poète", a déclaré sa soeur Laure Pradal à l'agence de presse.

Il avait écrit et réalisé Canti, son premier film, avec Agnès Jaoui (1991), Marie, baie des Anges, qui révéla Vahina Giocante, le polar US Ginostra avec Harvey Keitel et Andie MacDowell, La Blonde aux seins nus, avec Giocante et Nicolas Duvauchelle, Tom le Cancre, diffusé essentiellement dans des lieux alternatifs, et dernièrement l'adaptation de Benoît Brisefer: les taxis rouges (un flop financier magistral) et La Petite Inconnue (2016).

On lui doit aussi le film franco-américain présenté à Deauville, Un crime, polar coécrit avec Tonino Benacquista où Emmanuelle Béart croisait Harvey Keitel. Il passait ainsi du film pour enfants à des drames sombres, de productions avec des bénévoles à des castings de stars, militant délibérément pour "un cinéma buissonnier".

Manuel Pradal voulait "montrer que le cinéma amateur peut redonner du jus, de l’espace à un septième art de plus en plus étouffé par son hypermarchandisation". Même si, lucide il confiait à L'humanité il y a deux ans: "Entre deux films où l’on gagne sa vie, je ne renonce pas à faire des films où '?la vie vous gagne'".