Berlin 2015: Ours d’or pour Jafar Panahi et une grande année pour le cinéma chilien

Posté par vincy, le 14 février 2015

taxi

En remportant l'Ours d'or avec son dernier film, Taxi, le cinéaste iranien Jafar Panahi, filmant clandestinement depuis que la justice iranienne lui a interdit de filmer et de sortir du pays en 2010, démontre que la liberté d'expression est une fois de plus sans frontières. Le jury de Darren Aronofsky provoque ainsi les pays où les cinémas sont censurés, et ce, de la plus belle des manières. Panahi et Berlin c'est une grande histoire. Invité d'honneur en 2010, il n'a pas pu s'y rendre. Membre du jury à titre honorifique en 2011, il est toujours bloqué à Téhéran.

Il y a aussi reçu deux Ours d'argent pour Hors-jeu en 2006 et Pardé en 2013. Avec son Lion d'or à Venise en 2000 pour le Cercle, cet Ours d'or est son plus grand prix international.

Trois autres faits marquants sont à noter dans ce palmarès qui, en récompensant par deux fois deux ex-aequo, montre que le jury a trouvé la compétition exceptionnelle.

Le cinéma chilien, déjà bien récompensé depuis hier (Teddy Award pour Sebastian Silva, deux prix pour Patricio Guzman) a fait une belle razzia ce soir au Berlinale Palast. Un Grand prix du jury pour Pablo Larrain (No) avec son nouveau film El club et un prix du scénario pour le documentariste Patrico Guzman avec Le bouton de nacre (lire aussi nos critiques des deux films chiliens). Si l'on ajoute le prix Alfred Bauer pour Ixcanul de Jayro Bustamante qui nous vient du Guatemala, et les deux prix récoltés par la brésilienne Anna Muylaert dans la section Panorama hier, l'Amérique latine a trusté une grande partie des récompenses berlinois.

Deuxième point, l'Ours d'argent pour le meilleur réalisateur partagé entre la polonaise Malgorzata Szumowska (déjà très remarqué pour Elles et Aime et fais ce que tu veux) et le romain Radu Jude (Papa vient dimanche), en plus des deux prix pour la contribution artistique pour un danois (Sturla Brandth Grøvlen), un russe et un ukrainien travaillant tous deux main dans la main (Evgeniy Privin et Sergey Mikhalchuk), l'esthétique qui a séduit le jury venait d'Europe du nord et de l'Est, loin des images de Terrence Malick, Peter Greenaway ou Benoît Jacquot.

Enfin, saluons le double prix d'interprétation de Charlotte Rampling et Tom Courtenay pour leur incarnation d'un couple dans 45 Years d'Andrew Haigh (déjà remarqué avec Week-end). C'est difficile à croire mais c'est la première fois que Rampling remporte un prix d'interprétation dans un des grands festivals internationaux. Courtenay (deux fois nommé aux Oscars) avait déjà reçu une Coupe Volpi à la Mostra de Venise en 1964 (Pour l'exemple, de Joseph Losey).

Le palmarès intégral

Ours d'or: TAXI de Jafar Panahi
Ours d'argent Grand prix du jury: EL CLUB de Pablo Larrain.
Prix Alfred Bauer: IXCANUL de Jayro Bustamante
Ours d'argent du meilleur réalisateur ex-aequo: Malgorzata Szumowska (BODY) et Radu Jude (AFERIM!)
Ours d'argent de la meilleure actrice: Charlotte Rampling (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur acteur: Tom Courtenay (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur scénario: Patricio Guzman (LE BOUTON DE NACRE - documentaire)
Ours d'argent pour la meilleure contribution artistique (photographie) ex-aequo : Evgeniy Privin & Sergey Mikhalchuk (UNDER ELECTRIC CLOUDS) et Sturla Brandth Grøvlen (VICTORIA)

Meilleur premier film (toutes sélections confondues): 600 MILLAS (600 Miles) de Gabriel Ripstein (section Panorama)

Ours d'or du meilleur court-métrage: HOSANNA de Na Young-kil
Ours d'argent du meilleur court-métrage: BAD AT DANCING de Joanna Arnow
Prix du jury - Meilleur court-métrage: PLANET ? de Momoko Seto

Berlin 2015: des Teddy Awards très latino-américains

Posté par vincy, le 14 février 2015

nasty baby

Après un film brésilien l'an dernier, les historiques Teddy Awards ont récompensé un cinéaste chilien habitué des festivals. Sebastian Silva revient de la Berlinale avec le plus convoité des prix cinématographique labellisé LGBT. Nasty Baby, qui réunit la vedette américaine Kristen Wiig (Mes meilleures amies, La vie rêvée de Walter Mitty), le réalisateur lui-même et Tunde Adebimpe, est l'histoire d'un artiste homosexuel qui désire obsessionnellement un bébé. Avec son partenaire, il parviennent à convaincre leur meilleure amie d'être la mère porteuse. Mais c'est, évidemment, plus compliqué que ça en a l'air. Le film, présenté dans la sélection Panorama, avait fait son avant-première mondiale à Sundance il y a trois semaines.

Dans la catégorie documentaire, c'est l'uruguayen Aldo Garay qui repart avec le trophée pour son film El Hombre Nuevo (Le nouvel homme). Le film est centré sur Stephania, transsexuelle, né "garçon" au Niracagua, adopté en Uruguay où elle est devenue une femme.

Le Teddy du court-métrage a été décerné à San Cristobal du chilien Omar Zúñiga Hidalgo.

Hormis ces trois Teddy tous latino-américains, le jury a distingué d'un prix spécial Stories of our Lives du kenyan Jim Chuchu, qui a aussi reçu la 2e place du jury Panorama parmi les innombrables prix de la Berlinale.

udo kierEnfin, un Teddy Award d'honneur a été remis à Udo Kier, acteur légendaire du cinéma allemand (et réalisateur d'un seul film). A 70 ans, le comédien  ouvertement homosexuel et aimant se travestir, s'est fait connaître très tôt en mannequin. Proche de Jean Marais (on les a d'ailleurs vus ensemble dans la série Joseph Balsamo), protégé de Rainer Werner Fassbinder, ami fidèle de Lars von Trier, acteur culte de Gus Van Sant, il a cinquante ans de carrière à son actif et une quantité infinie de navets aux titres risibles. Mais on l'a surtout remarqué dans Andy Warhol's Frankenstein (de Paul Morrissey, produit par Vittorio de Sica et Roman Polanski), Histoire d'O, La femme du chef de gare, La troisième génération, Lili Marleen, Lola, Europa, My Own Private Idaho, Ace Ventura, détective pour chiens et chats, Blade, Johnny Mnemonic, Breaking the Waves, The End of Violence (de Wim Wenders), Dancer in the Dark, End of Days (avec Schwarzzy), Dogville, Grindhouse, Soul Kitchen (de Fatih Akin), Melancholia, Nymphomaniac... Enfin, Madonna l'a aussi fait travaillé dans ses clips sulfureux Erotica et Deeper and Deeper en 1992.

Berlin 2015: Panahi, Hartley, Guzman, Muylaert, Schipper parmi les premiers récompensés

Posté par vincy, le 14 février 2015

Que Horas Ela Volta?

La Berlinale 2015 a déjà dévoilé la plupart de ses prix, hormis ceux du jury de la compétition (lire les pronostics) et celui du meilleur premier film. Dans la section Panorama, la brésilienne Anna Muylaert a remporté le grand prix, en plus du prix Cicae. L'Allemand Sébastien Schipper avec Victoria, l'un des favoris de la compétition, a aussi fait coup double avec un prix du public et un prix des cinémas d'art et essais allemand. On notera parmi les cinéastes en compétition que le chilien Patricio Guzman et l'iranien Jafar Panahi ont été distingués respectivement par le jury écuménique et la critique internationale.

Sélection Panorama

Prix du public du meilleur film: Que Horas Ela Volta? (The Second Mother), Anna Muylaert, Brésil
2e place pour Stories of Our Lives, Jim Chuchu, Kenya
3e place pour Härte (Tough Love), Rosa von Praunheim, Allemagne

Prix du public du meilleur documentaire: Tell Spring Not To Come This Year, Saeed Taji Farouky et Michael McEvoy, Royaume Uni
2e place pour The Yes Men Are Revolting, Laura Nix, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno, Etats-Unis
3e place pour Iraqi Odyssey, Samir, Suisse

Prix Fipresci

Compétition: Taxi, Jafar Panahi, Iran
Panorama: Paridan az Ertefa Kam (A Minor Leap Down), Hamed Rajabi, Iran
Forum: Il gesto delle mani (Hand Gestures), Francesco Clerici, Italie

Jury écuménique

Compétition: El botón de nácar (Le bouton de nacre), Patricio Guzmán, Chili
Panorama: Ned Rifle, Hal Hartley, Etats-Unis
Forum: Histoire de Judas, Rabah Ameur-Zaïmeche, France

Prix des cinémas d'art et d'essai CICAE

Panorama: Que Horas Ela Volta?, Anna Muylaert, Brésil
Forum: Zurich, Sacha Polak, Allemagne

Label Europa Cinemas

Mot Naturen, Ole Giæver et Marte Vold, Norvège

Prix des lecteurs du Berliner Morgenpost

Victoria, Sebastian Schipper, Allemagne

Prix des lecteurs du Tagesspiegel

Flotel Europa, Vladimir Tomic, Danemark

Prix des lecteurs de LSE - The Siegessäule

Zui Sheng Meng Si, Chang Tso-Chi, Taïwan

Prix de la Guilde des cinémas d'art et d'essai allemands

Victoria, Sebastian Schipper, Allemagne

Prix de la Paix

The Look of Silence, Joshua Oppenheimer, Etats-Unis

Sélection Generation 14plus

Grand Prix: The Diary of a Teenage Girl, Marielle Heller, Etats-Unis
Mention spéciale: Nena, Saskia Diesing, Pays-Bas
Prix spécial du jury: Politische Bildung (Federal Agency for Civic Education): Coach, Ben Adler, France
Mention spéciale: Tuolla puolen (Reunion), Iddo Soskolne et Janne Reinikainen, Finlande

Berlin 2015 : Panahi, Haigh, Guzman, Larrain, Schipper attendus au palmarès

Posté par MpM, le 14 février 2015

taxi

À moins de 24h de la proclamation du palmarès de la Berlinale 2015, les pronostics et classements des meilleurs moments de cette 65e édition vont bon train.

Pour l'AFP, l'événement le plus marquant de la quinzaine aura été la projection de Taxi de Jafar Panahi, nouveau film clandestin du cinéaste iranien toujours sous le joug d'une interdiction de travailler. Il y sillonne Téhéran à bord d'un taxi dans lequel il fait diverses rencontres. Un candidat solide à un grand prix, ne serait-ce que pour le symbole.

L'agence de presse relève également la prouesse technique de l'Allemand Sebastian Schipper, qui a tourné son film Victoria en un seul et unique plan, soit un plan- séquence de plus de deux heures, et souligne le bon accueil réservé à deux premiers films, Ixcanul du Guatémaltèque Jayro Bustamante, et Sworn Virgin de l'Italienne Laura Bispuri. Le premier raconte l'histoire d'une jeune femme dont les projets de départ sont remis en question quand elle tombe enceinte tandis que le second s'attache au destin d'une jeune Albanaise ayant, selon la coutume, décider de vivre comme un homme pour échapper à un destin d'épouse soumise. Peut-être un prix d'interprétation féminine en perspective ?

Côté presse internationale, 45 years du Britannique Andrew Haigh figure parmi les favoris des critiques recensés dans le quotidien berlinois de Screen international. Les chiliens Le bouton de nacre de Patricio Guzman et El Club de Pablo Larrain sont eux-aussi bien placés (lire notre article). Ils pourraient définitivement se hisser sur l'une des plus hautes marches du palmarès.

Enfin, la surprise pourrait venir de deux films exigeants qui ont leurs adorateurs autant que leurs destructeurs : Knight of cups de Terrence Malick et Eisenstein in Guanajuato de Peter Greenaway, qui l'un comme l'autre mériteraient amplement un prix de mise en scène, ou encore du film russe, Under electric clouds d'Alexey German Jr., vaste fresque poétique et engagée sur la Russie contemporaine.

Face à une compétition aussi ouverte, rien ne semble joué d'avance, et on pourrait fort être surpris par les choix du jury mené par Darren Aronofsky. L'excellente nouvelle, c'est qu'au vu de la qualité de la sélection 2015, il y a peu de chance que le lauréat de ce 65e Ours d'or ne soit pas un film réellement intéressant, à défaut d'être un pur chef d'oeuvre.

Berlin 2015 : Peter Greenaway ressuscite brillamment S.M. Eisenstein

Posté par MpM, le 12 février 2015

eisenstein in guanajuato

Décidément, la compétition officielle de cette 65e Berlinale fait le pari du rire et de la légèreté. Malgré des sujets souvent graves ou douloureux, les films semblent en effet avoir cherché à rivaliser d'humour, parfois franchement noir, comme dans Aferim de Radu Jude (sur les préjugés racistes) ou plus ironique, comme dans Body de Malgorzata Szumowska (sur une spiritiste persuadée d'être en contact avec les morts).

Peter Greeneway s'est lui carrément tourné vers la farce flamboyante pour rendre hommage à l'un des plus importants cinéastes du début du 20e siècle, le surdoué et fantasque Serguei Eisenstein. Eisenstein in Guanajuato se déroule au Mexique du début des années 30, alors que le réalisateur russe n'a encore que deux films à son actif. Décidé à tourner en Amérique latine, il s'installe dans la petite ville de Guanajuato où il fait la connaissance de Palomino, un fringant Mexicain qui lui sert tout à la fois de guide, d'ange gardien et d'initiateur.

Dans une cinématographie exubérante (plans courts frénétiques et hallucinés, split screens, travellings acrobatiques...), le film aborde tour à tour les mystères de la création artistique, le rapport à la mort et à la sexualité et la révolution intérieure aussi bien physique qu'intellectuelle subie par le cinéaste au cours de son séjour. Greenaway ne recule devant rien (sa scène de dépucelage atteint des sommets d'outrance) pour rendre palpable la personnalité complexe de son personnage, "clown tragique" déjanté et génial.

Il fallait bien toute la folie cinématographique de Greenaway (qui se sert avec maestria de tout ce que la grammaire cinématographique compte d'effets, parfois jusqu'au vertige) pour saisir la folie complexe et structurée d'Eisenstein. Sa logorrhée rapide, sa nonchalance face à l'autorité, ses talents de conteur, son caractère indomptable et provocateur... le portrait est joyeux et décomplexé, savoureuse tranche de vie au dénouement attendu plutôt que biopic tenté par la psychologie de comptoir. On est à la fois bluffé par le rythme trépidant du film et enchanté par l'inventivité du réalisateur qui parvient à mettre en adéquation son style et son sujet.

A Berlin est traditionnellement remis le prix Alfred Bauer qui "ouvre de nouvelles perspectives dans l'art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière". Pour 2015, Eisenstein in Guanajuato semble tout indiqué. Mais au fond, on serait un peu déçu qu'il ne reparte qu'avec ce prix "singulier" tant il est manifestement l'aboutissement d'une réflexion captivante sur ce qu'est, peut et devrait être le cinéma.

Berlin 2015 : retour mitigé pour Wim Wenders

Posté par MpM, le 11 février 2015

L'un des événements de cette 65e édition du Festival de Berlin est l'hommage rendu à l'enfant du pays, le cinéaste Wim Wenders, qui s'apprête à recevoir samedi, au moment de la proclamation du palmarès, un Ours d'or récompensant l'ensemble de sa carrière débutée il y a 45 ans.  Par ailleurs, le réalisateur palmé en 1984 pour Paris, Texas revient à la fiction pour la première fois depuis 2008 avec son nouveau long métrage Every thing will be fine.

Le film, présenté hors compétition, a été tourné en 3D et réunit James Franco, Charlotte Gainsbourg, Rachel McAdams et Marie-Josée Croze dans une histoire assez classique de culpabilité, de travail de deuil et de rédemption.

"Pour moi, le sujet principal de ce film est la guérison, la façon dont on pardonne aux autres et dont on se pardonne à soi-même" a expliqué le réalisateur lors de la conférence de presse. "Il n'y a pas assez de films qui parlent de la guérison (...) La plupart parlent de la blessure."

Il est vrai qu'on peut reconnaître au film une certaine sobriété dans l'exposition des situations les plus mélodramatiques. Cette retenue dans la mise en scène est hélas contrebalancée par  la musique, lyrique et omniprésente, qui semble souligner la moindre petite émotion. Le rythme, lui, peine à s'installer, entre une première partie plus dense et plus profonde et des "sauts dans le temps" qui donnent l'impression d'une dilution de l'intrigue.

Les questions posées (Qu'est-ce que la responsabilité ? Combien de temps dure la culpabilité ? Comment faire son travail de deuil ? etc.) trouvent des réponses évasives et relativement convenues, là où on attendait de l'introspection et de la subtilité. Les atermoiements des personnages peinent alors à nous toucher, voire à nous intéresser, malgré la (trop) forte charge émotionnelle qu'ils véhiculent.

Même l’utilisation de la 3D laisse perplexe. Wenders est un des réalisateurs qui semblait avoir donné ses lettres de noblesse au genre avec son très beau Pina, où le corps des danseurs, perçu en trois dimensions, occupait tout l'écran. Ici, on oublie assez rapidement le procédé, qui n'apporte pas grand chose au récit, si ce n'est quelques effets de changement de focale, et une très belle scène d'ouverture où la caméra parvient à capter les minuscules particules de poussière qui flottent dans l'air.

Après le magnifique Sel de la terre, documentaire sur Sebastião Salgado, les attentes étaient élevées, et la déception est forcément proportionnelle. Il est tout de même curieux que Wenders, qui réalisa une oeuvre de fiction aussi dense que captivante, peine désormais à s'y confronter, alors même qu'il confine au génie dans le documentaire.  Bien sûr, l'expérimentation est à présent au cœur de son travail, ce qui peut être une piste pour expliquer le soin extrême apporté à la réalisation, au détriment du scénario et du récit, mais il n'en demeure pas moins frustrant de voir littéralement gaspillées des propositions de cinéma qui, utilisées à bon escient, seraient plus ambitieuses et excitantes que la majorité de la production contemporaine.

Berlin 2015 : Guzman et Larrain montrent les non-dits de la société chilienne

Posté par MpM, le 10 février 2015

le club de pablo larrain

Le hasard de la programmation favorise parfois l'émergence de thématiques, ou au moins de rapprochements et de communauté d'esprit entre les films présentés. Ainsi, après avoir vu coup sur coup deux films chiliens en compétition pour l'Ours d'or, le festivalier berlinois ne peut s'empêcher d'y chercher des similitudes et des échos.

Le bouton de nacre de Patricio Guzman et Le club de Pablo Larrain n'ont a priori en commun que l'origine de leur réalisateur, et témoignent pourtant d'un même désir d'interroger, encore et toujours, l'histoire et les non-dits de leur pays, chacun dans la droite ligne de ses films précédents (le documentaire élégant pour l'un, la fiction minimaliste pour l'autre).

Dans Le bouton de nacre, tout part d'une goutte d'eau emprisonnée dans un bloc de quartz depuis 3000 ans que le réalisateur parvient à rattacher (parfois un peu acrobatiquement) à deux grandes tragédies chiliennes : l'extermination des populations autochtones de Patagonie (le "peuple de l'eau") et l'assassinat de plus 1000 opposants jetés à la mer sans autre forme de procès pendant la dictature. Mêlant images d'archives, témoignages d'Indiens Kawersquar, reconstitution du "largage" des opposants et même superbes images de l'espace, Patricio Guzman (Le cas Pinochetchoisit une voie singulière, presque intime, pour retracer deux des grandes tragédies du Chili.

Avec Le club, Pablo Larrain (No) s'intéresse lui à une petite communauté religieuse retirée à La Boca, petite bourgade de bord de mer, dont la principale occupation semble être d'entraîner un lévrier pour les courses dominicales. Après une séquence d'exposition plutôt enjouée, l'arrivée d'un nouveau membre met au jour le secret de ces hommes d'Eglise qui ont tous un passé criminel à se reprocher.  Avec la complicité de l'Eglise elle-même, soucieuse d'éviter tout mauvaise publicité, ce club très fermé d'anciens pédophiles ou autres complices de la dictature est prêt à toutes les extrémités pour sauvegarder son existence. Et Dieu dans tout ça ? Le cinéaste montre avec lucidité (et une pointe de cynisme) qu'il n'a guère sa place dans une organisation qui couvre les pires exactions de ses membres.

Comme s'ils avaient envie d'appuyer là où ça fait mal, les deux cinéastes livrent un témoignage fort sur la société chilienne et, au-delà, sur les plus gros travers de l'Humanité. C'est non seulement réussi d'un point de vue cinématographique, mais aussi parfaitement adapté aux goûts d'un Festival qui aime à récompenser des œuvres éminemment ancrées dans la réalité. On peut donc tabler sur un ou deux ours venant couronner ce cinéma chilien militant, courageux et brillant.

Berlin 2015 : Terrence Malick crée l’événement avec Knight of cups

Posté par MpM, le 9 février 2015

knight of cupsTerrence Malick a beau tourner plus souvent qu'autrefois, chacun de ses nouveaux films demeure un événement, en témoigne la très longue (et peu commune) file d'attente qui s'est formée au moment de la première projection berlinoise de son nouvel opus, Knight of cups.

Cette nouvelle production de celui qui fut palmé à Cannes avec Tree of Life justifiait-elle un tel engouement ? Que l'on ait adoré ou détesté le film (Malick a plus que tout autre son fan club d'un côté et ses haters de l'autre), impossible de ne pas reconnaître du cinéma quand on en voit. Dans la lignée de son oeuvre récente comme Tree of Life et To the Wonder (À la merveille), le cinéaste sonde le mystère de l'existence humaine dans un style qui semble avoir atteint son apogée : voix-off, musique et fourmillement de plans jusqu'au vertige.

Le cerveau humain n'est pas assez vif pour saisir ce défilement presque incessant d'images qui donnent la sensation d'être directement relié à la mémoire d'un individu qui repasserait toute sa vie en revue. Les événements se succèdent non sans logique mais par un jeu d'échos et de correspondances qui évoquent les associations mentales propres à l'esprit humain. La beauté des plans et la virtuosité du montage laissent hypnotisés et pantois, tantôt abasourdis par tant de beauté, et tantôt démunis devant tant de fulgurance.

Trop d'images

Un empereur a un jour déclaré à Mozart que ses compositions comportaient trop de notes, on pourrait de la même manière dire des films de Malick qu'ils contiennent trop d'images. Et cela aurait, au fond, le même sens : avouer que le cinéaste a saturé son oeuvre de cinéma, la rendant difficilement intelligible pour ceux qui n'en attendaient pas tant. Alors oui, on peut s'ennuyer et trouver le temps long. On peut aussi avoir le sentiment d'un récit qui se répète en boucle et pourrait aussi bien se poursuivre ou s'interrompre sans que cela fasse de différence. On peut être parfaitement insensible à la démonstration mystique en forme de prêche.

Mais tout cela pèse peu face au sentiment d'avoir à faire à un trop rare moment de vrai cinéma où l'image se substitue à tout, y compris la pensée classique, pour essayer de rendre compte de tout ce qui ne peut être dit : le sens de la vie, le souffle de l'existence, la quête de soi, l'écoulement presque miraculeux de nos existences qui filent ou au contraire stagnent.

Libre d'interprétation

Ainsi le personnage de Christian Bale, hagard au milieu de sa propre vie qu'il traverse comme un fantôme, enchaînant de manière totalement hypnotique les rencontres et les aventures dans un monde superficiel et vain. Il est l'homme universel, englué dans un état qu'il n'a pas choisi, réduit à quelques attributs, dénué d'une vraie liberté de choix, d'une vraie liberté tout court. Il est le chevalier endormi qui a oublié sa patrie et son but, condamné à rêver interminablement, et dont la vie s'écoule devant ses yeux sans qu'il puisse la saisir.

Les opposants à Malick n'y verront sans doute que "philosophie new age" ou "spiritualité affectée", peut-être même grandiloquence et maniérisme, et il est indéniable que c'est l'une des multiples facettes du film. Mais chacun est surtout libre d'y puiser ses propres réponses (et surtout ses propres questions). Loin des réflexions "prêtes à penser" d'un certain cinéma faussement métaphysique, Malick laisse à la fois son film dire ce qu'il veut et le spectateur y puiser ce qu'il veut y trouver. Exactement comme lorsqu'on observe la vie d'un autre de l'extérieur, sans a priori, ni thèse toute prête, dans l'espoir d'y trouver simplement un écho à la sienne. Mais il est vrai que l'exercice (périlleux et aride) ne peut pas séduire tout le monde.

Berlin 2015 : élémentaire, mon Sherlock !

Posté par MpM, le 8 février 2015

mr holmes Arriver en cours de festival produit à peu près le même effet que d'entrer dans une salle de cinéma alors que le film est déjà commencé. On arrive à suivre l'histoire, mais il perdure pendant toute la durée le sentiment d'avoir irrémédiablement raté quelque chose qui ne pourra se rattraper.

C'est ainsi que se sent le festivalier qui prend en route le train de cette Berlinale 2015 : attentif à chaque film, mais sans point de comparaison, il ne peut juger de l'harmonie de la sélection, de ses fils conducteurs et de sa qualité en tant qu'oeuvre à part entière.

Entamer la sélection officielle par l'inoffensif Mr Holmes de Bill Condon diffusé en ce dimanche matin ne peut à ce titre être d'aucune aide. Archi-classique, le film raconte poussivement, et de manière alternée, la dernière affaire du célèbre détective ainsi que sa retraite morne dans un coin perdu d'Angleterre. Frappé de pertes de mémoire de plus en plus profondes, l'ancien héros flamboyant se lie immanquablement d'amitié avec un jeune garçon qui lui redonne le goût de la vie. Conscient de ce que l'on attend de lui, Ian McKellen cabotine sans vergogne, entre répliques cinglantes prononcées avec gourmandise et scènes d'absence légèrement surjouées.

Le pire est que si l'on n'attendait rien de spécial de cette énième adaptation des aventures de Holmes (redevenu à la mode ces dernières années sur grand comme petit écran, sous les traits de Robert Downey Jr, de Benedict Cumberbatch et de Jonny Lee Miller, et même en jeu vidéo), on n'est ni déçu ni surpris. L'intrigue se déroule sans grande imagination, avec son lot de dialogues et de situations formatés, sans réel ennui (quoiqu'au bout du 12e flashback, l'effet de répétition commence à lasser) mais sans grand intérêt non plus.

Ce Sherlock Holmes-là est bonhomme, plus malicieux que déficient, plus inoffensif que torturé. Un bon grand père obsédé par ses abeilles et dont les vieux "tours" n'intéressent plus guère que les enfants. Un peu à l'image du film, clairement destiné a un public familial pas trop regardant sur l'action, le suspense ou la complexité de la nature humaine.

Marcel Ophüls et Naum Kleiman honorés à Berlin

Posté par vincy, le 27 janvier 2015

berlinale kameraA une semaine du lancement des festivités, le 65e Festival de Berlin révèle encore quelques ingrédients de son menu. Deux Berlinale Camera seront remises.

La première sera décernée le 11 février au réalisateur franco-américain Marcel Ophüls, né à Francfort en 1927. Il a notamment réalisé de nombreux documentaires sur la période de l'Occupation en France et la seconde guerre mondiale (et plus généralement sur les origines du totalitarisme): Le Chagrin et la pitié (1969), The Memory of Justice (1976), Hôtel Terminus: Klaus Barbie, sa vie et son temps (1989, Oscar du meilleur documentaire) ou plus récemment Un Voyageur, film autobiographique (2013)... Il a également réalisé le film Peau de Banane (avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo) et a été assistant réalisateur de son père Max Ophüls (Lola Montès), de Julien Duvivier, de Jean Dréville, John Huston...

La seconde Berlinale Camera récompensera Naum Kleiman le 12 février. Mécène, lecteur, auteur, historien du cinéma, Naum Kleiman, né en Moldavie en 1937, est l'un des plus brillants défenseurs du cinéma russe. Il a co-fondé les Archives d'Eisenstein, créé le musée du cinéma de Moscou, une cinémathèque qui, depuis l'été 2014, connaît de lourds conflits avec les autorités russes. Naum Kleiman en a été licencié, et tout le personnel a décidé de démissionner par solidarité.