Depuis avril 2017, le nom de Netflix est sur les lèvres de nombreux festivaliers et adeptes de la Croisette. Suite à la polémique sur la nature même des films qu'il produit et diffuse, Netflix a tout simplement été banni de la sélection officielle par les organisateurs du Festival de Cannes. Pas plus tard que le mois dernier, Thierry Frémaux rappelait néanmoins que le géant du streaming pourrait néanmoins proposer ses films hors-compétition. Mais rien y fait, Netflix ne sera pas de la partie cette année. Et il se pourrait bien que le premier à être pénalisé par cette absence ne soit pas l'abonné ou le festivalier mais bien ceux qui ont toujours soutenu les politiques et diverses règles du Festival !
Absence de stars
Les plus teigneux d'entre nous pourraient arguer que l'absence de Netflix va profiter aux autres films, leur permettre de gagner en visibilité médiatique. Mais ils auraient tort (enfin presque). La non-présence de films produits ou acquis par Netflix va très certainement permettre à d'autres sélectionnés d'avoir quelques jolis papiers dans la presse mais cela n'aide pas vraiment les organisateurs du Festival dont l'attitude ne cesse d'être critiquée par les médias américains. Cette semaine, le très sérieux Variety posait d'ailleurs la question "Avec Netflix out et les stars absentes, Cannes restera-t-il influent ?"
Cette dernière peut faire sourire mais elle s'avère extrêmement pertinente. L'année dernière, les deux films de Netflix présents en sélection officielle avaient permis d'amener Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal, Ben Stiller, Dustin Hoffman et Emma Thompson sur le tapis rouge. Rien que ça ! Cette année, les deux films américains à briguer la Palme d'or (Blackkklansman et Under the Silver Lake) devraient rameuter Adam Driver, Laura Harrier, Topher Grace, Riley Keough et Zosia Mamet. A l'exception d'Adam Driver, tous les autres sont loin, très loin d'être de stars de classe A. Et si vous espérez voir Andrew Garfield en smoking pour Under the Silver Lake, il faudra repasser : l'acteur de 34 ans joue actuellement dans le remake d'Angels in America à Broadway.
La presse française ravie
Bien évidemment, l'absence de grandes stars américaines n'est pas directement responsable du manque d'engouement outre-Atlantique pour cet événement. Mais à y regarder de plus près, on constate rapidement que cette 71e édition sera avant tout marquée par des montées de marches où les acteurs français seront plus qu'à l'honneur. L'an dernier, 120 Battements par minute nous avait apporté Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel et Yves Heck, Le Redoutable Louis Garrel et Bérénice Bejo, Rodin Vincent Lindon et Izïa Higelin et L'Amant double Marine Vacth, Jérémie Renier et Jacqueline Bisset.
Cette année, les Gala, Voici et autres VSD devraient se délecter des apparitions de Vincent Lindon, Mélanie Rover pour En guerre de Vincent Brizé, Vanessa Paradis, Kate Moran et Nicolas Maury pour Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez, Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps et Denis Podalydès pour Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré et enfin Golshifteh Farahani et Emmanuelle Bercot pour Les Filles du soleil d'Eva Husson.
Car du côté des films étrangers non-américains, seul Everybody knows devrait retenir toute l'attention. Le film d'Asghar Fahradi a été choisi pour faire l'ouverture du festival, permettant ainsi à Penélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darín et Eduard Fernandez de laisser à penser que le glamour de celui-ci est intact. Mais personne n'est dupe !
L'intérêt est ailleurs
Parce que l'affaire Netflix a marqué un tournant pour le plus grand festival de cinéma au monde, il n'est pas vraiment étonnant de voir que les films les plus attendus à l'heure actuelle sont ceux qui devraient repartir bredouille. Parmi les films hors-compétition, il semble impensable de manquer Solo : A Star Wars Story de Ron Howard et The House that Jack Built de Lars Von Trier et L'Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam.
Côté séances de minuit, le téléfilm de HBO et Ramin Bahrani Fahrenheit 451 ainsi que le documentaire Whitney de Kevin MacDonald devraient faire sensation. Et autant ne pas commencer à évoquer la curiosité que suscitent les nouveaux films de Romain Gavras, Gaspar Noé, Philippe Faucon, Guillaume Nicloux à la Quinzaine des réalisateurs et de Alex Lutz et Paul Dano en à la Semaine de la critique.
L'aura de Netflix intacte
L'avenir du Festival de Cannes n'est sans doute pas en danger à cause de Netflix mais il devient de plus en plus évident que son halo s'en est allée et qu'il devient jour après jour une simple devanture pour ses partenaires. Le festival survivra très certainement sans films américains en compétition officielle mais la question est de savoir s'il peut rester compétitif et pertinent sans la hype qui entoure tous les projets de Netflix. Plus qu'attachés à la chronologie des médias et à un certain cinéma, les organisateurs pourraient bien être en train de passer à côté de l'essentiel : l'ouverture sur le monde.
Malgré le bad buzz provoqué par la présence de son entreprise en compétition l'an dernier, le fondateur et PDG de Netflix, Reed Hastings demeure confiant pour la suite. Actuellement au festival Séries Mania, il a ainsi précisé : "Concernant le festival de Cannes, nous avons créé une controverse plus importante que nous ne le souhaitions. Nous n’avons pas l’intention de perturber le système cinématographique. Tout ce que nous voulons, c’est rendre nos souscripteurs heureux grâce à nos créations." Tout cela avant de démentir les rumeurs d'achat d'une chaîne de cinémas par Netflix.
Avec déjà 125 millions d'abonnés en poche, Netflix pourrait bien finir par devenir "le grand producteur mondial" que son fondateur ambitionne d'être, qu'il s'agisse de ses séries ou de ses films. En refusant de voir concourir ses productions en sélection officielle, le Festival joue un jeu dangereux et prend le risque de passer pour l'oncle archaïque trop obsédé par sa chronologie des médias obsolète pour voir ce que la révolution numérique a de meilleur à offrir. Enfin, en l'absence d'accord, les deux partis pénalisent celui qui a toujours soutenu le Festival : le distributeur indépendant !