Cinespana 2012 / Espagnolas à Paris : avant-première du captivant « N’aie pas peur »

Posté par MpM, le 6 octobre 2012

N'aie pas peurDeux rendez-vous incontournables du cinéma espagnol, Espagnolas en paris et le festival Cinespana de Toulouse, avaient choisi cette semaine de présenter en avant première le film N'aie pas peur de Montxo Armendariz qui sortira sur nos écrans le 31 octobre prochain. Une œuvre forte et violente qui aborde frontale ment la question de l'inceste et surtout la difficulté qu'éprouvent les victimes à se reconstruire après avoir subi ce type d'abus sexuels.

Très sobre formellement (puisque les scènes sexuelles entre le père et la fille sont systématiquement suggérées et non montrées), le film montre à la fois le douloureux parcours de son héroïne, de son enfance au jour où elle décide de se révolter contre son bourreau, et des témoignages poignants d'autres personnes, hommes et femmes de tous âges, qui ont également vécus l'inceste.

En cadrant Sylvia (Michelle Jenner) de près, son visage net se découpant sur un fond presque toujours flou, avec seulement des bribes de son direct nous parvenant, Montxo Armendariz isole la jeune femme du monde dans lequel elle évolue comme pour bien faire sentir qu'elle n'appartient pas à ce monde dont elle n'a pas les clefs. Quoique libre d'aller et venir, elle est comme emmurée en elle-même, privée de parole et de libre-arbitre, condamnée à se percevoir comme l'objet impuissant du désir de son père. La mise en scène acérée conduit ainsi à une impression de huis clos oppressant où le mal-être de l'héroïne donne un relief particulier à chaque parole échangée, chaque regard, chaque geste esquissé.

Car Montxo Armendariz donne à voir la réalité concrète de l'inceste : dilemme entre amour (père ambigu qui se montre prévenant et attentionné) et haine, sentiment d'incompréhension, n'aie pas peurde culpabilité et de trahison, malaises physiques, et une immense solitude qui agit comme un cercle vicieux et empêche la victime de briser le silence. La fin est d'ailleurs ouverte car le processus de "libération" est long. On ne guérit jamais complètement des plaies laissées par un inceste mais on apprend à vivre avec, semble dire le film.

Il livre ainsi une réflexion juste et sensible sur un sujet qui reste souvent tabou. Lors de la présentation du film à Espagnolas en Paris, Montxo Armendariz a d'ailleurs expliqué que cela faisait partie des raisons fondamentales qui l'avaient poussé à réaliser N'aie pas peur : "Dans notre pays et dans nos sociétés occidentales, l'inceste demeure méconnu. Les gens subissent en silence. Le cinéma leur rend leur voix, et c'est la seule manière de trouver une solution. J'ai passé du temps avec des gens qui avaient subi des violences sexuelles et j'ai vu le temps que cela leur prend pour surmonter ce traumatisme. Toutes ces personnes luttent contre un destin qui a mis leur vie par terre, et ça peut arriver à tout le monde."

Parfois, certains cinéastes se réfugient derrière un douloureux sujet de société pour réaliser un film plein de bons sentiments, et cinématographiquement pauvre. Mais dans le cas de N'aie pas peur, le cinéma est incontestablement présent, totalement au service d'un thème auquel il donne résonance et profondeur. Une œuvre maîtrisée et puissante à découvrir de toute urgence dès le 31 octobre.

Cinespana2008 : qui est José Luis Alcaine ?

Posté par MpM, le 7 octobre 2008

On doit à ce passionné d’image et de peinture parmi les plus belles lumières et atmosphères du cinéma espagnol des trente dernières années. D’abord photographe de plateau, José Luis Alcaine est en effet devenu dans les années 80 l’un des directeurs de la photographie les plus respectés dans son pays. Collaborateur de Fernando Fernán Gómez, Manuel Gutiérrez Aragón, Carlos Saura, Pedro Almodóvar, Bigas Luna, Fernando Trueba, Pilar Miró... il offre à chacun un style adapté à ses désirs et contraintes, bien loin d’une recette toute faite qu’il ne ferait que décliner. On lui doit notamment la tonalité bleue, presque indigo, de Démons dans le jardin (Manuel Gutiérrez Aragón, 1982), la faible luminosité et l’ambiance poussiéreuse des intérieurs espagnols des années 50 dans Amants de Vicente Aranda (1993) ou encore l’intense combat entre la lumière et l’ombre qui imprègne El Sur (Víctor Erice, 1983), poème visuel proche de Vermeer. Obsédé par les nuances de lumière selon les lieux et les heures du jour, il crée également la luz de siesta ("lumière de sieste"), où les rayons du soleil, encore haut dans le ciel, envahissent doucement les pièces tout en se réfléchissant sur le sol. Il l’utilise notamment dans Tasio (Montxo Armendáriz, 1984) et Belle époque de Fernando Trueba, où, selon lui, la couleur et la lumière faisaient écho à la sensualité des jeunes filles et au monde champêtre et pictural de Renoir.

Pour José Luis Alcaine, la lumière doit être la plus réaliste possible et générer un volume et un relief mettant en valeur acteurs et objets. "La question du volume est inhérente à ma façon de voir les choses", explique-t-il. "C’est peut-être à cause de l’influence d’un tableau qui m’a toujours obsédé, Las Meninas de Velázquez, où la lumière crée au fur et à mesure une foisonnante échelle de volumes." Autre caractéristique de son travail, le contraste inspiré du clair-obscur pictural qui lui permet de créer des ombres sans forcer l’intensité et en marquant le rythme du film. Lui-même définit son art comme une "peinture avec la lumière", permettant de façonner à l’infini les émotions et les perceptions de chaque scène. En lui rendant hommage au cours de sa 13e édition (jusqu’au 12 octobre prochain), Cinespana le met en lumière à son tour, offrant au public de (re)découvrir une partie de son œuvre, et honorant à travers lui une profession souvent méconnue.