C'est l'un des petits bonheurs du Cartoon movie, dont la 22e édition se tenait du 3 au 5 mars à Bordeaux : découvrir en grande avant-première les images des longs métrages d'animation attendus sur nos écrans dans les mois à venir. Car si la majorité des présentations est consacrée à des projets qui n'en sont parfois qu'au stade de concept, quelques films terminés sont toujours de la partie, annonçant les grands temps forts de l'année.
Et quels temps forts !, puisque l'on a pu découvrir des extraits de La Traversée, le premier long métrage de la réalisatrice Florence Miailhe, connue pour ses courts métrages récompensée notamment d'un César (Au premier dimanche d'août en 2002), et d'une mention spéciale à Cannes (Conte de quartier en 2006), ainsi que les vingt premières minutes de Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé, à qui l'on doit le très beau et poétique Tout en haut du monde, qui mettait déjà en scène une héroïne libre et débrouillarde dans un monde d'hommes, celui des explorateurs.
La Traversée de Florence Miailhe (sortie le 9 septembre 2020)
Après plus de douze ans de travail, Florence Miailhe et sa productrice Dora Benousilio (Les Films de l'Arlequin) étaient passablement émues de nous annoncer que, ça y est, La Traversée est terminé, prêt à commencer une belle carrière en festival, avant d'être dévoilé au grand public début septembre.
Situé dans un pays imaginaire et dans un contexte atemporel, mais faisant évidemment écho à l'Histoire du XXe siècle comme à l'époque contemporaine, le film suit Kyona et Adriel, deux enfants jetés sur les routes de l'exil, à la recherche d'un pays plus clément où vivre libres. On a pu découvrir des extraits de quelques séquences emblématiques, comme le moment où ils assistent, impuissants, à l'arrestation de leurs parents, ou leur traversée clandestine dans une barque de fortune qui les amène vers un inconnu bien incertain, à la merci de trafiquants d'êtres humains.
Visuellement, on est une nouvelle frappé de stupeur devant la profusion de couleurs vives qui donnent une tonalité très picturale aux premières scènes. Qu'il s'agisse du corsage jaune de Kyona ou des feuilles orangées des arbres au début de l'automne, tout semble étinceler de lumière et de vie. Au fil du périple, bien sûr, l'esthétique se modifie, comme lors de ce passage plus hivernal, dans une forêt recouverte de neige, qui joue au contraire sur le contraste entre le noir et le blanc, et nous offre un passage quasi abstrait pour représenter la tempête qui fait rage. Un autre plan magnifique montre le souffle chaud d'un chien qui fait tout à coup apparaître le visage de la jeune fille ensevelie sous la neige. Il faut enfin dire un mot des séquences nocturnes, qui jouent sur un camaïeu de teintes plus bleutées, comme voilées par l'obscurité.
Cet aperçu nous a par ailleurs permis de se faire une idée des différentes épreuves traversées par les deux enfants, mais aussi des moments de douceur qui malgré tout s'offrent à eux, et du mélange de solidarité et de compassion qui, parfois, les accompagne. On sent ainsi que le film ne se veut pas un drame larmoyant, mais plutôt une fresque flamboyante et vibrante qui réunisse en un même mouvement humaniste tous les migrants, exilés et autre réfugiés de l'Histoire, laissant le spectateur libre de dresser les parallèles qui s'imposent avec la situation actuelle.
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé (sortie le 15 octobre)
Voilà peut-être le cadeau le plus frustrant de cette édition du Cartoon movie : nous montrer les 20 premières minutes de Calamity, puis interrompre la projection en nous demandant d'attendre octobre pour connaître la suite des aventures de sa jeune héroïne ! On en a en tout cas vu assez pour savoir que le film réunit tous les ingrédients pour séduire largement au-delà du cadre purement familial.
Rémi Chayé s'attache en effet à l'enfance de celle qui deviendra "Calamity Jane", et plus précisément à ce moment de bascule qui l'amène à prendre conscience de sa condition de femme. Les séquences d'exposition la montrent ainsi en compagnie des autres enfants du convoi qui travers l'Ouest sauvage pour rejoindre l'Oregon. Pendant que les garçons chevauchent parmi les chariots et surveillent le troupeau, elle marche durant des heures, et met ce temps à profit pour imaginer la vie de rêve qui les attend à destination. Mais voyant qu'il lui à la fois impossible d'aider son père blessé, et qu'en plus personne ne la prend au sérieux, la jeune adolescente s'impose en secret un entraînement intensif pour être capable de monter à cheval et de manier le lasso comme un homme.
Si le début du film semble aller à cent à l'heure, détaillant de manière assez classique la rivalité entre la jeune fille et le fils du chef, net écho de la rivalité de classe qui existe entre leurs pères, la suite du récit devrait se resserrer principalement sur elle, et sur le parcours initiatique qui l'amènera à se révéler. On est bien sûr curieux de voir si la narration trouvera alors un rythme moins précipité, mais quoi qu'il en soit on est déjà convaincu par les choix formels de Rémi Chayé et de son équipe.
Le réalisateur reprend en effet une partie de l'esthétique au coeur de Tout en haut du monde (vastes aplats de couleurs et absence de traits de contours) qui donne aux paysages l'aspect quasi impressionniste de vastes tâches de couleurs. Les plans rapprochés sur le visage décidé de la petite héroïne alternent également avec les plans larges et les amples mouvements de caméra sur les grands espaces que traversent les personnages. De quoi assurer la personnalité visuelle du film, entre simplicité de représentation et incitation à l'imaginaire, et assumer son héritage cinématographiques forcément mâtiné de westerns et de films d'aventures.