[We miss Cannes] Côté Courts #4 : Le sens de la vie

Posté par MpM, le 24 mai 2020

On achève ce petit tour d'horizon des courts métrages passés par la Croisette avec une thématique existentielle et introspective. Si le cinéma s'intéresse toujours plus ou moins au monde, à l'existence et au reste, certains films sont plus précisément des interrogations concrètes et métaphysiques sur le sens de la vie.

C'est le cas de l'insolent et cynique Decorado d'Alberto Vazquez (Quinzaine des Réalisateurs 2016), qui dévoile un univers peuplé de créatures animales tout en rondeur, en apparence mignonnes et inoffensives, mais en réalité dépressives et névrosées, aux prises avec une existence malsaine et dysfonctionnelle. Le personnage principal, dès le départ, dévoile sa plus grande crainte : et si son monde n'était qu'un décor ? Les scènes sombres, décalées et non dénuées d'absurdité se succèdent ensuite à un rythme lancinant et malaisant. Le spectateur hésite entre un rire cathartique et l'angoisse de ne que trop se reconnaitre dans ce portrait au vitriol d'une société d'artifices et de faux semblants.

Sur une note plus positive, Garri Bardine propose dans Listening to Beethoven (Quinzaine des Réalisateurs 2016 également) une parabole sur la nécessité d'être libre pour se sentir vivant. Dans une société dystopique et déshumanisée, des robots coupent et détruisent sans relâche toute manifestation d'une vie sauvage : le moindre brin d'herbe, la plus petite pousse, le plus timide bourgeon sont ainsi condamnés à une mort immédiate. Malgré tout, la nature ne cesse de lutter pour ses droits, et finit par triompher de la plus belle des manières.

Dans Limbo de Konstantina Kotzamani, une bande d'enfants est confrontée à la fois à une baleine échouée et à un jeune garçon albinos. Dans les deux cas, ils s'interrogent afin de savoir si ces deux êtres sont vivants ou morts. Et le film de nous emporter dans un récit sensoriel et hypnotique, à la beauté sidérante, qui flirte avec les grandes peurs millénaires et les interrogations qui taraudent l'être humain depuis la nuit des temps.

Enfin, petit bonus de ce dernier programme en hommage à Cannes, et en attendant de vous parler des courts métrages qui auraient dû faire leur première sur la croisette cette année, impossible de ne pas penser à Min Borda (The Burden) de Niki Lindroth von Bahr (Quinzaine des Réalisateurs 2017), comédie musicale animalière en stop motion dans laquelle des poissons solitaires, des singes travaillant dans un centre d'appel et des souris employées de fast-food chantent leur mal de vivre. Entre dérision hilarante et constat terrifiant, il nous renvoie le terrible miroir d'une société où plus rien ne tourne rond. Disponible uniquement en VoD, mais on vous promet que l'expérience vaut le détour !

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

Decorado d'Alberto Vasquez 2016 QR
Listening to Beethoven de Garri Bardine
Limbo de Konstantina Kotzamani
Min Borda de Niki Lindroth von Bahr

Et pour retrouver nos trois premiers programmes, c'est par ici, par là et encore par là !

Cinespana 2017 invite à toutes les rencontres

Posté par MpM, le 27 septembre 2017

La 22e édition de Cinespana, qui commence ce vendredi 29 septembre, est placée sous le signe du renouveau. Après la baisse drastique des subventions accordées à la manifestation en 2016, l'équipe organisatrice a tout mis en oeuvre pour que le festival se maintienne au niveau qui est le sien depuis sa création, faisant notamment appel à des mécènes privés.

"Grâce à la collaboration d’importantes institutions culturelles toulousaines, mais aussi d’artistes, de professionnels, d’exploitants, de techniciens, d’enseignants et de bénévoles, Cinespaña peut proposer cette année une programmation qui déborde amplement les frontières du cinéma et invite à toutes les rencontres" soulignent ainsi Alba Paz Roig et Loïc Diaz-Ronda, les deux co-directeurs de la programmation qui succèdent à Patrick Bernabé, en préambule du dossier de presse.

Et que nous réserve concrètement cette nouvelle édition ? Sur la forme, rien n'a changé : quatre compétitions (longs métrages récents, documentaires, "nouveaux réalisateurs", courts métrages), un panorama d’œuvres inédites et distribuées, des avant-premières, des hommages... Seules deux nouvelles sections ont fait leur apparition, reprenant et clarifiant ce qui existait jusqu'alors : le Labo, qui réunit cinéma de genre, animation, détournements et expérimentations filmiques en tout genre, et Miradas, espace de réflexion sur les enjeux de la société espagnole contemporaine consacré au documentaire.

Sur le fond, les festivaliers auront comme toujours des choix à faire entre les nombreux films présentés. Parmi les temps forts, on retrouve notamment : María (y los demás) de Nely Reguera et La Chana de Lucija Stojevic (tous les deux en ouverture) ; Abracadabra de Pablo Berger (en clôture et en avant-première avant sa sortie le 3 janvier prochain) ; Vivir y otras ficciones de Jo Sol (en compétition et en avant-première avant sa sortie le 6 décembre) ; le merveilleux Psiconautas de Pedro Rivero & Alberto Vázquez (en panorama) ; Incierta gloria de Agustí Villaronga (en première française) ; El bar de Álex de la Iglesia (en panorama, alors que le film n'est distribué que via Netflix) ; les courts métrages Decorado de Alberto Vázquez (pré-sélectionné aux césar), Morning Cowboy de Fernando Pomares (sélectionné à Berlin) et Contact de Alessandro Novelli (sélectionné à Annecy)...

Sans oublier la séance monographique consacrée à l'artiste Maria Canas ("la Vierge terroriste des archives") ; le cycle sur le cinéma quiqui (genre né à la fin des années 1970, avec pour personnage principal le jeune délinquant de banlieue et pour modèle les films américains de gangs, qui trahit un climat d'urgence sociale) ; l'hommage (en sa présence) à Álex Brendemühl et de nombreux autres ateliers, rencontres et séances jeune public. De quoi séduire comme chaque année les nombreux festivaliers et professionnels pour qui Cinespana est synonyme de carrefour incontournable de tous les cinémas espagnols.

----

22e édition de Cinespana
Du 29 septembre au 8 octobre 2017 à Toulouse
Informations et horaires sur le site de la manifestation
Cinespana sur Ecran Noir depuis 2007

Première édition du Cartoon Movie de Bordeaux

Posté par MpM, le 5 mars 2017

Cartoon Movie, le rendez-vous européen des professionnels du film d'animation créé en 1999 avec le soutien de Creative Europe - MEDIA, s'installe pour la première fois à Bordeaux. Du 8 au 10 mars prochain, 55 projets en provenance de 19 pays, dont 17 films français, seront présentés devant plus de 800 producteurs de longs métrages d’animation, investisseurs, distributeurs, agents de vente, sociétés de jeux vidéos et new media players de 38 pays dans le but d'établir coopérations et coproductions.

Les comédies familiales et films d'aventures pour enfants ont toujours la cote, puisqu'ils représentent 35 des 55 projets, mais les longs métrages à destination d'un public plus adulte sont également bien présents, avec des thématiques tournant autour des abus sexuels, de la maladie d’Alzheimer ou encore du franquisme. Certains films sont encore à l’état de concept, d'autres en cours de production et la majorité en cours de développement. Tous cherchent à accélérer le montage financier du projet, nouer des coproductions et coopérations transfrontalières ou simplement intéresser des distributeurs européens et internationaux.

Sont notamment attendus Zombillenium, de l'auteur de bande dessinée Arthur de Pins, Buñuel in the Labyrinth of the Turtles de Salvador Simó qui retrace la vie de Luis Buñuel après la projection de L'âge d'or, Calamity, a childhood of Martha Jane Cannary, le nouveau projet de Rémi Chayé (Tout en haut du Monde) sur le personnage historique de Calamity Jane, Ooops! 2 de Toby Genkel et Sean McCormac, la suite de Ooops! Noah is gone ou encore Unicorn Wars d’Alberto Vazquez (Decorado, Psiconautas), Le Grand Méchant Renard et Autres Contes de Benjamin Renner et Patrick Imbert et Le voyage du Prince de Jean-François Laguionie (Louise en hiver).

Pour tous les participants, c'est un excellent début car Cartoon movie obtient depuis ses débuts des résultats impressionnants avec plus de 274 longs métrages présentés ayant trouvé leur financement, ce qui représente un budget de 1,9 milliard d’euros.

Mais cette première édition bordelaise du Cartoon Movie permettra également de connaître les lauréats des Cartoon Movie Tributes qui récompensent "une personnalité ou une société ayant eu une influence dynamique et positive sur l’industrie européenne du long métrage d’animation". Trois prix seront remis le 10 mars : meilleur producteur, meilleur distributeur et meilleur réalisateur européens de l'année.

___________________

Cartoon Movie Bordeaux
Du 8 au 10 mars 2017
Site de la manifestation

Psiconautas d’Alberto Vazquez et Pedro Rivero secoue le festival Différent !

Posté par MpM, le 21 juin 2016

psiconautas

On aurait pu craindre qu'avec les années (c'est déjà la 9e édition), le festival Différent ! délaisse un peu sa quête de cet "autre cinéma espagnol" méconnu en France pour se tourner vers des films et des auteurs plus installés. Il n'en est pourtant rien, tant cette fenêtre ouverte sur la production ibérique continue année après année de proposer avant tout des œuvres fortes, qu'elles soient confidentielles ou plus incontournables dans le panorama cinématographique contemporain.

C'est pourquoi le festival 2016 ne pouvait faire l'impasse sur Psiconautas d'Alberto Vazquez et Pedro Rivero, long métrage d'animation envoûtant et puissant qui a fait sa première française au Festival d'Annecy la semaine passée, et avait auparavant conquis San Sebastian (Prix Greenpeace) et Stuttgart (Grand prix). Version plus longue et complexe du court métrage Birdboy (Goya du meilleur court métrage en 2012 et présélectionné pour les Oscar), lui-même adapté d'une bande-dessinée d'Alberto Vazquez, il met en scène les destins croisés de plusieurs enfants vivant sur une île isolée ravagée par un terrible désastre écologique.

Graphisme riche et virtuose

Adoptant un ton résolument sombre, voire tragique, Psiconautas dépeint une société coercitive et artificielle où les seuls échappatoires sont la drogue, la mort ou la folie. Les personnages adolescents tentent de s'abstraire de la réalité en poursuivant le rêve chimérique d'un départ sans retour pour un ailleurs sublimé. Mais l'île, personnage à part entière de l'intrigue, ne semble pas décidée à laisser partir qui que ce soit.

Le graphisme, riche et virtuose, combine différentes techniques en fonction de la tonalité des scènes. Les flash-backs adoptent ainsi des couleurs pastels et douces tandis que les passages les plus dramatiques s'accompagnent d'un trait plus dur et d'un camaïeu de gris et de noirs. Quelques explosions de couleurs, tantôt violentes et criardes, tantôt chaudes et naturelles, permettent par ailleurs d'exprimer les différentes émotions traversées par les personnages tandis que chaque lieu (la décharge publique, la forêt, le sanctuaire verdoyant...) a une identité visuelle très marquée.

Malgré les thématiques abordées (la destruction de la nature, le gaspillage matériel, l'absence d'entraide et de compassion...), Psiconautas n'a pourtant rien du film plombant ou didactique. Ce n'est certes pas un conte de fées avec happy end intégré, mais il s'attache à laisser planer une certaine forme d'espoir, et surtout à prendre systématiquement le spectateur à contre pied avec un humour (noir) ravageur.

Décor artificiel

Critique au vitriol d'une société qui a perdu le sens des réalités, le film présente par exemple une famille complètement dysfonctionnelle où le chien de la maison, considéré comme le fils prodige, est mieux traité que sa "sœur", et où les adultes aspirent seulement à mener une "vie normale" à grands renforts de "pilules du bonheur". Les forces de l'ordre s'acharnent quant à elles à détruire le peu de faune et de flore qui restent tandis que la religion semble n'être qu'une des multiples drogues mises à disposition des habitants. Finalement, les objets, dotés de parole et de conscience, semblent avoir plus d'âme (et de raison) que leurs possesseurs.

Le monde apparaît alors comme un décor insipide et artificiel derrière lequel se dissimulent les horreurs d'une réalité sans fard. Entre la béate ignorance des adultes qui ne semblent pas s'en apercevoir et la révolte impuissante des adolescents qui cherchent à s'en extraire, on ne sait pas trop ce qui est le plus terrible. Immanquablement, on pense au dernier court métrage en date d'Alberto Vazquez, Decorado, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier festival de Cannes, et dans lequel le personnage principal s'aperçoit qu'il vit dans un monde de carton-pâte dont il ne parvient pas à s'échapper.

Génération perdue

Différent 9Difficile de ne pas voir également des échos entre le constat du film et les difficultés rencontrées par l'Espagne ces trente dernières années. "Nous parlons d'une certaine génération perdue et de la réalité sociale des années 80", reconnaît le co-réalisateur Pedro Rivero, qui a échangé avec le public à l'issue de la projection. "Il y a ensuite eu une prise de conscience, notamment dans le domaine de l'écologie, suite aux catastrophes qui se sont produites, par exemple en Galice [comme le naufrage du Prestige en 2002, dont le fioul avait atteint les côtes]."

Par rapport à la bande-dessinée, le duo de cinéastes a par ailleurs étoffé l'intrigue. "Dans la BD, Birdboy ne faisait que se droguer et se plaindre", explique Pedro Rivero. "L'adolescence était vraiment au cœur du récit. Nous avons essayé d'en faire quelque chose de plus vaste en amplifiant les péripéties, les trames secondaires, le cycle animiste de la vie..." La fin a même été remaniée pour offrir au spectateur un "petit quota d'espoir".

Même si cela ne suffit pas à faire de Psiconautas une comédie légère, il ne faudrait surtout pas prendre cela comme prétexte pour faire l'impasse sur cette magistrale démonstration de ce que peut être le cinéma d'animation, et surtout le cinéma tout court. De son propre aveu, Pedro Rivero "n'attend rien du public espagnol", peu enclin à s'enthousiasmer pour ce type de film. La surprise pourrait alors venir de France où il sortira à l'automne 2016, et où il doit absolument être accompagné, soutenu et surtout montré au plus grand nombre. Mais on en reparle très vite.