Avec The Shape of Water, Guillermo del Toro a retrouvé son génie de conteur d'histoire, qui semblait perdu depuis Le Labyrinthe de Pan, en mélangeant une fois de plus monstre de légende, innocence de l’enfance et cruauté de la guerre. C’était il y a déjà dix ans, depuis les films qui ont suivis, - Hellboy 2, Pacific Rim, Crimson Peak - ont manqué de cette recette magique qui nous plaisait tant. The Shape of Water, en compétition à Venise, renoue avec cette forme de conte merveilleux. On y retrouve une créature légendaire, la bonté de petites gens et la sauvagerie des puissants, avec en prime une romance.
Le film (qui sort en France le 17 janvier 2018) débute avec une longue séquence d’exposition pour nous présenter son héroïne (jouée par la fabuleuse Sally Hawkins) depuis son réveil jusqu’à son lieux de travail : elle vit toute seule, son appartement est au dessus d’une salle de cinéma, elle regarde des comédies musicales à la télévision, et elle est femme de ménage dans un centre de recherche scientifique. On va découvrir qu’elle est muette (une handicapée donc), qu’elle n’a pour seuls amis que son voisin âgé et tout aussi solitaire (Richard Jenkins) - il dessine des affiches dont on ne veut plus (un vieux donc) - et sa collègue (Octavia Spencer) femme de ménage comme elle (noire donc). Soit trois personnes qui sont victimes d’un manque de considération autour d’eux. Le film se déroule en fait aux Etats-Unis de 1962 : il faut être conquérant et avoir comme voiture une Cadillac. C’est l’époque de la ségrégation raciale mais aussi d'une homophobie culturelle (un gérant de restaurant le fera bien remarquer), et surtout c’est la guerre froide entre les américains et les communistes russes…
Guillermo del Toro accroche son récit dans un contexte historique (tout comme Le Labyrinthe de Pan ou L'Échine du Diable qui évoquaient la guerre d’Espagne), un ancrage bien réel pour donner une plus grande force de véracité à son histoire de monstre.
Cette histoire se déroule un jour où notre héroïne doit nettoyer un labo avec des traces de sang au sol et même deux doigts arrachés… Les militaires ont capturé un monstre qui est gardé ici dans le plus grand secret : il s’agit d’une grande créature amphibienne qui vit dans l’eau, avec une tête de reptile et des membres palmés (en fait très proche de L'Etrange créature du lac noir de Jack Arnold). Avec autant de curiosité que de naïveté, elle va proposer à la créature un œuf dur de son déjeuner, puis d’autres avec les gestes de son langage de muette. Elle lui fera même écouter des disques de jazz avec un électrophone... Elle est la seule à considérer la créature comme un être différent, et non pas comme un monstre à étudier comme les militaires. Parmi eux il y a le redoutable Michael Shannon qui après avoir torturé (une pratique de l’armée américaine controversée encore aujourd’hui…) le monstre à plusieurs reprises doit obéir à un général : l’ordre est donner de la tuer pour la faire disparaître. Cependant dans l’ombre œuvre un espion russe dont le réseau est intéressé par les capacités inconnues de la créature (on cherche comment envoyer un homme dans la Lune) et qui voudrait l’étudier de manière plus approfondie : cette femme de ménage muette arrive à communiquer avec le monstre ? La créature devient un enjeu de rivalité entre militaires américains et espions russes, mais en secret, elle devient surtout un séduisant ami pour la femme de ménage… Tandis que le monstre s’humanise progressivement au contact de la bonté de la femme, les hommes autour vont devenir des monstres ennemis prêt à tout.
On pourra bien faire quelques reproches à Guillermo del Toro, en premier celui étonnant d’être ici trop francophile avec un début au look un peu trop Amélie Poulain ou une scène de danse avec claquettes en noir et blanc beaucoup trop The Artist (le seul moment en trop qui aurait dû être coupé), mais bien peu en rapport avec ses nouvelles accentuations : il y a ici un peu de pastiche de film noir, un peu d’érotisme, et même un peu d’humour. The Shape of Water se révèle être une fable de monstre en surface qui révèle en fait la monstruosité de l'Homme en profondeur. C'est surtout un plaidoyer pour la différence, pour ceux qui ne sont pas comme les autres. Les Freaks tiennent ici leur revanche.