C'est déjà la 29e édition du Festival Côté Court de Pantin, manifestation consacrée comme son nom l'indique aux films courts et moyens. Si l'événement a lieu cette année en ligne, comme la majorité des festivals du printemps, il n'en présente pas moins 132 courts métrages répartis en 5 sections : Compétition Fiction, Compétition Essai / Art vidéo, Compétition Prospective Cinema, Écrans libres et Panorama. Cette dernière section est elle-même divisée en trois : fiction, documentaire et animation. On notera que "fiction" est généralement le nom que les gens venant de la prise de vues continues donnent à leurs films, afin de les distinguer absolument de l'animation, bien que cette dernière puisse, comme chacun sait, être soit fiction, soit documentaire, soit même hybride.
A l'exception de ce classique problème d'appellation, on se réjouira de pouvoir découvrir assez facilement (chaque programme étant disponible pendant 6 jours) un échantillon non négligeable de la production française de courts des 18 derniers mois. En compétition "fiction", on note la présence de certains de nos films préférés de l'an passé, tels que Sapphire Crystal de Virgil Vernier et Un Adieu de Mathilde Profit, mais aussi Journey Through a Body de Camille Degeye qui était à Cannes en 2019 et Sole Mio, l'avant-dernier court de Maxime Roy (le réalisateur ne chôme pas, il a eu le temps depuis de boucler un autre court et un premier long). On vous recommande aussi Miss Chazelles de Thomas Vernay et Massacre de Maïté Sonnet qui ont déjà pas mal fait parler d'eux auparavant.
En compétition "Essai / Art vidéo", ne passez pas à côté de l'incontournable Clean With Me (After Dark) de Gabrielle Stemmer, étonnant film de montage sur des femmes se filmant en train de faire le ménage de manière frénétique, qui débouche sur une réflexion passionnante sur la place des femmes dans la société contemporaine. Il faudra aussi voir À l’entrée de la nuit d’Anton Bialas (qui était à Berlin), Bab Sebta de Randa Maroufi (primé notamment à Winterthur), 1998 de Sigrid Bouaziz et Shanzhài Screens de Paul Heintz. Sans oublier les nouveaux films de Bertrand Mandico (Extazus), Patrick Bokanowski (Vers Syracuse), Antonin Peretjatko (Mandico et le TopsychoPor) ou encore Marie Losier (Which is Witch ?).
Plus globalement, le festival est aussi l'occasion de (re)découvrir Electric Swan de Konstantina Kotzamani (prix du court métrage du syndicat de la critique), Jusqu’à l’os de Sébastien Betbeder, Genius Loci d’Adrien Mérigeau, L’Heure de l’ours d’Agnès Patron ou encore Douma Underground de Tim Alsiofi. Mais aussi d'assister à des rencontres (virtuelles) en direct avec Marie Losier, Virgil Vernier, Bertrand Mandico, Antonin Peretjatko ou encore Sigrid Bouaziz.
Véritable paradis du cinéphile cinéphage, Clermont-Ferrand propose 31 programmes de cours métrages, rien qu'en compétition. Il faut ajouter à cela les différentes sections rétrospectives ou thématiques, ce qui porte à un niveau vertigineux le nombre d'oeuvres présentées.
Dans ce foisonnement, certains films sont déjà fortement identifiés suite à leur sélection dans d'autres festivals. D'autres, en revanche, avaient jusque-là échappé à notre attention. Parmi ceux-là, nous en avons retenu trois, issus de la compétition nationale, qui auront vraiment marqué cette 42e édition.
Genius loci d'Adrien Mérigeau
On comprend aisément pourquoi Genius loci enchaîne en quelques semaines le Festival Premiers plans d'Angers, Clermont-Ferrand et la compétition officielle de la Berlinale. Le premier court métrage en solo d'Adrien Mérigeau (avec des décors signés Brecht Evens et une séquence animée par Céline Devaux) est une splendeur visuelle et intellectuelle que l'on serait bien en peine de résumer, si ce n'est que son personnage principal, Reine, s'échappe de chez elle et s'enfonce dans le chaos urbain de la nuit, guidée par son écho.
Nous voilà donc face à une errance narrative syncopée, qui donne l'impression d'imiter les volutes du jazz, improvisant en toute liberté, ajoutant ici des images à peine esquissées qui se superposent au plan ; là, au contraire, dépouillant le cadre de tout détail superflu. Cette esthétique changeante d'une image à l'autre, reflet des émotions de la jeune femme, et des sensations qu'elle traverse, est un tourbillon de formes, de couleurs et de mouvements qui matérialisent la vitalité invisible du monde, ce que l'auteur appelle le chaos urbain.
Le spectateur est pris dans l'énergie débordante de ce flot d'images, envoûté par la virtuosité avec laquelle la ville s'esquisse et se transforme sous ses yeux. Comme si au contact de Reine, les choses étaient soudainement refaçonnées par ses pensées intérieures et par sa vision du monde, à l'image de ces trois harceleurs de rue qui se décomposent en tableaux cubistes, avant de se muer en un minotaure qu'elle abandonne derrière des barreaux. Les allers et retours entre abstraction et dessin figuratif sont également incessants, comme si le film hésitait entre deux manières complémentaires de représenter la réalité dans sa dimension la plus foisonnante. Le résultat est assez époustouflant, à la fois d'une incroyable beauté visuelle et d'une grande force d'évocation, avec une séquence finale qui va crescendo dans l'expression des sentiments intimes les plus enfouis, qui trouvent enfin la possibilité de s'extérioriser.
Jusqu'à l'os de Sébastien Betbeder
Ce n'est pas nous qui allons nous plaindre de la rapidité avec laquelle tourne Sébastien Betbeder, dont on a vu en 2019 successivement deux longs métrages, Ulysse et Mona et Debout sur la montagne. Son nouvel opus est un moyen métrage formidable qui renoue avec la veine la plus absurde et décalée de son cinéma, dont on aime tant la liberté de ton et la vivacité d'esprit.
Il s'agit donc de la rencontre entre Thomas, pigiste au Courrier Picard, et Usé, musicien et ancien candidat aux élections municipales d'Amiens, qu'il est chargé d'interviewer. Le premier plan nous montre Thomas qui explique à son interlocuteur qu'il lui a menti pour expliquer son retard : non, son père n'a pas eu d'AVC. Il a juste eu du mal à se remettre d'une soirée trop arrosée. A ce stade, la situation pourrait être délicate, et compromettre l'interview. Sauf qu'Usé s'avère très compréhensif, et même compatissant. On s'en rendra vite compte, ces deux-là sont faits pour s'entendre, et se sont bien trouvés. D'ailleurs, on les prend pour des frères jumeaux.
De scènes hilarantes (la longue tirade d'Usé imitant Emmanuel Macron devant son ancien lycée) en idées poétiques (brûlant un cierge pour que son ex-copine revienne vers lui, Thomas se laisse parasiter par un autre souhait, qui finira bien par être exaucé), Jusqu'à l'os est une balade punk et ultra-contemporaine dans le monde d'aujourd'hui. Pas dans le monde trop réel des violences policières et des grands capitaux qui marchent au pas, non, mais plutôt dans celui, plus fantasmé et fantaisiste, de ceux qui refusent de céder à la peur et à la bêtise. Les personnages ont l'esprit, l'attitude, l'idéalisme des gens qui luttent, même si c'est par des actes plus poétiques que politiques, et que le "parti sans cible" créé par Usé n'a recueilli que 2,2% des voix aux élections municipales de 2014. On se laisse donc entraîner sans la moindre arrière-pensée dans le périple joyeux et fraternel de ces deux héros magnifiques, notre seul regret étant de ne pas pouvoir passer plus de temps avec eux.
Qu'importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui
Cette coproduction franco-marocaine menée de main de maître par la réalisatrice Sofia Alaoui relève le pari osé de proposer un film d'anticipation épuré et minimaliste dans les montagnes de l'Atlas. Abdellah, un jeune berger, doit descendre au village pour acheter de quoi nourrir ses bêtes qui dépérissent. Mais il découvre que tous les villageois sont partis, effrayés par l'arrivée de créatures venues d'une autre planète.
Avec une âpreté d'écriture renforcée par la topographie austère des lieux où se déroule le récit, le film ausculte le bouleversement que produit chez les différents personnages la pensée que l'être humain n'est pas seul au monde. Il y a la jeune femme qui voit une bénédiction dans cette révélation, parce qu'elle lui permet de prendre son destin en mains. Le fou du village, lui, s'enthousiasme sur ces extraterrestres qui viennent "éclairer notre ignorance". Et puis il y a le père d'Abdellah qui le traite de mécréant, et ne peut supporter de voir son système de pensées remis en cause.
Sofia Alaoui ajoute ainsi à son récit de science fiction ultra-naturaliste et parfaitement tenu une dimension de parabole métaphysique qui vient remettre en cause tout azimut les traditions, les coutumes et les croyances humaines. "Et si tout ce que nous croyons était faux ?" balbutie Abdellah, abasourdi par l'étendue du vide qui s'ouvre soudain sous ses pieds. La fin ouverte nous renvoie à nos propres certitudes, et aux difficultés que nous avons parfois à les voir questionnées.
Alors que le Festival des Œillades d'Albi a démarré sur les chapeaux de roues cette semaine, il se poursuit avec un grand bol d'air de jeunesse. Les 20 ans du festival se fêtent avec les jeunes, la réflexion et le rire, mais pas seulement. En une journée on aura navigué entre les enfers, l'Arctique et une cité de banlieue. On sera passé du charme envoûtant au délire dégoûtant, d'une belle fable à une comédie stéréotypée, de l'émancipation des femmes au racisme ordinaire.
Après un petit petit-déjeuner devant Ma vie de Courgette (l'un de nos coups de cœur de l'année et déjà 500000 spectateurs dans les salles), c'est un autre film d'animation qui a ouvert la cinquième journée du Festival. La jeune fille sans mains, de Sébastien Laudenbach, est une libre adaptation du conte angoissant des Frères Grimm. Véritable découverte, ce choc visuel n'aurait jamais pu voir le jour sans le cran et la passion de son réalisateur/dessinateur. Une jeune fille se voit offrir au diable par son père contre de l'or. Le Diable la veut sale: son père l'oblige alors à ne plus se laver et en vient à lui couper les mains (trop propre aux yeux du mal). Plein de métaphores telles que l'émancipation sexuelle, parentale et mentale de la femme, La jeune fille sans mains est une plongée dans la modernité. Violent, touchant et parfois très érotique, ce film s'inspire du dessin et des estampes asiatiques. De la première minute et jusqu'à la dernière, il noie le spectateur avec violence et douceur dans un tableau animé de couleurs et de formes laissant planer le mystère en soulevant des tas de questions et d'interprétations possibles: une véritable fable philosophique animée. Sortie le 14 décembre.
Nous avons poursuivi notre voyage avec Le Voyage au Groënland, présenté à l'ACID en mai dernier, d'un de nos chouchous, Sébastien Betbeder. Il s'agit de l'épopée de deux loseurs parisiens dans le froid du Groenland. Thomas et Thomas sont les deux meilleurs amis du monde. Comme tous meilleurs amis ils décident de se faire des vacances ensemble mais pas n'importe où; au Groenland. La raison? Le papa du premier Thomas a logé domicile dans ce lieu enneigé. Si les quarante premières minutes nous captivent et nous font rire aux éclats, le reste du film plombe l'ambiance avec des scènes trop longues et cette volonté trop voyante du "je veux faire vibrer la corde sensible du spectateur". Les scènes finissent par s'enchaîner tel un documentaire de Nat Geo Wild au point de devoir supporter l'abattage d'un ours polaire et le dépeçage d'un phoque (Brigitte Bardot vient de se suicider avec une boîte de Doliprane. On aurait voulu l'aider mais comme on a fait la même chose...). Végétariens et cinéphiles vous êtes prévenus. Sortie le 30 novembre.
Après avoir eu l'estomac dans le crâne, notre cerveau s'est fait la malle très très loin devant le Il a déjà tes yeux de Lucien Jean-Baptiste. Un couple noir adopte un enfant blanc et c'est parti pour le film le plus stéréotypé de la sélection. Entre les blagues sur les noirs, les juifs, les gays, les musulmans, les clichés de cité, le personnage de Zabou Breitman raciste au look de Nanny Mcphee et le personnage gros lourd qui se veut drôle (Vincent Elbaz, tristement pas drôle dans le rôle du meilleur pote du héros), nous étions plus accablés que mort de rire. Un genre de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu? inversé légèrement trop prévisible pour séduire. Dommage que la seule scène intelligente entre une fille et son père qui essaye de le rendre tolérant à travers un magnifique discours, ne dure que 2 minutes. Sortie le 18 janvier 2017.
Après une telle journée où le mal s'invite là où ne l'attend pas forcément, il nous tarde de revenir au grande cinéma, avec un certain Jean-Louis Trintignant.
Deux documentaires, un film d'animation et sur les 9 films, seulement trois ont un distributeur. La sélection de l'Acid (12-21 mai) fait la part belle aux nouveaux talents avec trois premiers longs métrages et de cinq seconds longs métrages. S'ajoute le nouveau film de Sébastien Betbeder, actuellement en salles avec Marie et les nuafragés.
Isola de Fabianny Deschamps, avec Yiling Yang, Yassine Fadel et Enrico Roccaforte
La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach (animation), avec les voix de Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm, Philippe Laudenbach, Olivier Broche, Françoise Lebrun, Sacha Bourdo et Elina Löwensohn.
Madame B, histoire d'une Nord-Coréenne de Jero Yun (documentaire)
Le Parc de Damien Manivel, avec Naomie Vogt-Roby, Maxime Bachellerie et Sessouma Sobere
Sac la mort de Emmanuel Parraud, avec Patrique Planesse, Charles-Henri Lamonge, Martine Talbot et Nagibe Chader
Swagger de Olivier Babinet (documentaire), avec Aïssatou Dia, Mariyama Diallo, Abou Fofana, Nazario Giordano, Astan Gonle, Salimata Gonle, Naïla Hanafi, Aaron N’Kiambi, Régis Marvin Merveille N’Kissi Moggzi, Paul Turgot et Elvis Zannou.
Tombé du ciel de Wissam Charaf, avec Rodrigue Sleiman, Raed Yassin, Said Serhan, George Melki et Yumna Marwan.
Le voyage au Groenland de Sébastien Betbeder, avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen, Benedikte Eliassen, Mathias Petersen, Judith Henry et Martin Jensen.
Willy 1er de Ludovic & Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas, avec Daniel Vannet, Noémie Lvovsky, Romain Léger, Eric Jacquet, Alexandre Jacques, Robert Follet, et Geneviève Plet.
Marie et les naufragés, le nouveau film du cinéaste Sébastien Betbeder (Deux automnes, trois hivers) sort sur les écrans le 13 avril prochain. Il réunit notamment Pierre Rochefort, Vimala Pons, Eric Cantona et Emmanuelle Riva dans une comédie enlevée et tendre.
«Marie est dangereuse», a prévenu Antoine. Ce qui n’a pas empêché Siméon de tout lâcher, ou plus exactement pas grand chose, pour la suivre en secret. Oscar, son colocataire somnambule et musicien, et Antoine, le romancier en mal d’inspiration, lui ont vite emboîté le pas. Les voilà au bout de la Terre, c’est-à-dire sur une île. Il est possible que ces quatre-là soient liés par quelque chose qui les dépasse. Peut-être simplement le goût de l’aventure. Ou l’envie de mettre du romanesque dans leurs vies...
UFO, qui distribue le film, vous fait gagner 5X2 places pour le film, ainsi que des vinyles comportant la bande-originale du film composée par le chanteur et musicien Sébastien Tellier.
Pour participer, il suffit de répondre par courriel à la question suivante (en mentionnant votre nom et vos coordonnées postales) avant le 11 avril :
C'est dans un film de sa mère, Nicole Garcia, que Pierre Rochefort tient son premier grand rôle au cinéma en 2014. De quel film s'agit-il ?
Attention, aucune réponse postée dans les commentaires du site ne sera prise en compte.
A l'occasion de la 3e édition du Jour le plus court, nous avions proposé au réalisateur Sébastien Betbeder, aussi à l'aise dans le format court (La vie lointaine, Nu devant un fantôme...) que dans le long (Nuage, Les nuits avec Théodore, 2 automnes, 3 hivers...), d'être notre invité d'honneur.
Pour clore cette carte blanche, il a accepté de nous parler de son nouveau court métrage, Inupiluk, réalisé dans des conditions extrêmement modestes.
Ecran Noir : Depuis 2 automnes, 3 hivers, vous avez déjà tourné un nouveau court métrage... A quel stade en est-il ?
Sébastien Betbeder : Il est en fin de post-production. Il est quasi fini et on a eu la bonne nouvelle d’apprendre qu’on est sélectionné à Clermont Ferrand. C’est un film qui est un peu tombé du ciel, un projet que je n’avais pas prévu à l’avance. Il a fallu trouver de l’argent très vite, donc on l’a financé avec des appels à dons sur le site ulule.fr. Je n’avais jamais fait ça ! Mais on a réuni 5000 euros et on a fait le film avec 5000 euros. Après, on a eu l’aide à la post-production de la Seine Saint-Denis et on a pu le finir dans des conditions plutôt normales. C’est chouette!
EN : Comment est né ce projet ?
SB : Le film s’appelle Inupiluk, c’est un terme inuit. Le projet est assez particulier : c’est Nicolas Dubreuil, le frère de mon producteur [Frédéric Dubreuil], qui est guide au Groenland. Il vit là-bas la moitié de l’année depuis 20 ans, dans un des villages les plus reculés.
Ca faisait longtemps qu’il avait envie de faire venir en France des chasseurs inuits, qui eux n’avaient jamais quitté le village, et il a enfin réussi à trouver des financements pour organiser le voyage. Il avait envie de garder une trace de ce séjour mais il n’avait pas envie de faire appel à une équipe de télé, il voulait plutôt travailler avec des gens proches.
Je lui ai dit "pourquoi pas, mais je ne me sens pas du tout de faire un documentaire". Je ne me sentais pas la légitimité de ça. Ce n’est pas une écriture que j’ai travaillée, ni dans laquelle je me sens capable de me lancer. J’ai réfléchi deux jours et je lui ai proposé d’écrire une fiction à partir de cette situation-là. Ca s’est passé comme ça, et les deux Inuits arrivaient quinze jours après.
EN : Comment s'est passée l'écriture ?
SB : J’ai écrit un pseudo scénario et j’ai demandé à deux comédiens, Thomas Blanchard (qui joue Yann dans 2 automnes, 3 hivers) et Thomas Scimeca, d’être les comédiens de ce film qui était à moitié écrit.
J’ai créé une sorte de condition à la fiction qui était que le père du personnage de Thomas Blanchard vive au Groenland et doive faire venir ses amis en France. Mais ce père a eu un accident de chasse et s’est blessé à la jambe. Donc il propose à son fils d’accueillir ses deux amis. A partir de ce postulat de départ, j’ai créé des situations.
On se voyait tous les jours avec les comédiens pour imaginer ensemble comment on pouvait créer de la fiction avec la venue de ces deux Inuits et on s’est greffé sur le parcours prévu par Nicolas, le frère de Frédéric. Dans ce programme-là, moi j’ai fabriqué des scènes entre les deux Thomas et les deux Inuits. Le film raconte leur semaine passée en France.
EN : Comment s'est déroulée cette semaine ?
SB : Ce qui était beau, une des raisons qui ont fait que j’étais motivé par ce projet, c’est quand j’ai demandé à Nicolas ce que les deux Inuits voulaient faire. Il y avait trois choses : voir des animaux (parce qu’ils n’avaient jamais vu en vrai d’autres animaux que des phoques et des ours), marcher dans une forêt (parce qu’ils n’avaient jamais vu d’arbres) et se baigner dans la mer. Le programme du film, c’est ça, les amener dans ces endroits-là. On a capté des choses qui sont vraiment des moments de première fois.
C’est un film que j’aime beaucoup, dont je suis très fier. Il n’aurait pu se fabriquer que comme ça. Ca me tentait depuis longtemps de partir dans quelque chose de trèsz léger, d'assez peu écrit. Et puis là, ce qui était bien dans cette occasion-là, c’est qu’il n’y avait pas d’enjeux. Personne ne nous attendait. C'est un film qu'on a fait entre nous. Il y avait un chef op’, un ingénieur du son qui perchait aussi, un assistant, quelqu’un à la régie et moi. Nous étions cinq : c'était très léger et très agréable d'un point de vue de travail.
A découvrir, un extrait de la première rencontre de travail entre Nicolas Dubreuil et les deux comédiens du film :
A noter que le dernier long métrage de Sébastien Betbeder, Deux automnes, 3 hivers, sort sur les écrans le 25 décembre. Deux avant-premières ont lieu le 23 décembre à Paris, au MK2 Beaubourg à 20h et au MK2 Hautefeuille à 19h30.
Jean-Marc Fabre est connu pour son travail de chef opérateur sur les films de Noémie Lvovsky, Danièle Thompson ou encore Nicole Garcia. On lui doit également la photographie d'Un héros très discret de Jacques Audiard et de Lemming de Dominik Moll. Après Sauve-toi (1992), il a signé son premier long métrage (Beluga) en 2007.
Sébastien Betbeder a découvert Sauve-toi avant de devenir réalisateur mais n'a jamais oublié l'ambiance singulière du film. Il nous explique les raisons de ce troisième et dernier choix.
« Là, c’est plus un souvenir de jeunesse. C’est un film que je n’ai jamais revu. J’ai juste regardé un extrait sur internet, qui m’a donné très envie de le revoir. C’est un film français qui s’appelle Sauve-toi de Jean Marc Fabre. Je l’ai découvert, je me souviens très bien, une nuit sur France 2, dans la case des courts métrages. C’est un film qui date de 92 et auquel je pense très souvent. Je l’avais trouvé incroyable. C’est un film qui diffuse une ambiance très singulière de mystère, à la Lynch, à la Twin Peaks.
L'acteur principal est Emmanuel Salinger. Je le trouve fascinant dans ses premiers rôles, et c’était peut-être une des raisons pour lesquelles j’ai voulu regarder ce film. Son personnage commet un hold-up dans une pharmacie mais s’y prend de manière un peu maladroite. Je ne sais plus comment ça se passe mais il braque quelqu’un, il prend peur, il fuit et il va chez quelqu’un en lui expliquant la situation. Ce quelqu’un lui propose de se cacher dans une maison de campagne en attendant que ça se calme. Il s’installe tout seul dans cette maison et on lui dit de rester enfermé.
Il observe un voisin qui a un comportement très étrange. Il y a une fameuse scène où il est derrière sa fenêtre et il regarde le voisin en pensant ne pas être vu. Mais l’autre le voit, et il y a un échange de regards. Celui qui pense être en situation d’observateur devient l’observé. C’est assez beau comme relation. Et il y a une scène fabuleuse que j’ai revue puisqu’on la trouve en ligne, où le type tond sa pelouse, en costume, il fait une première ligne et ensuite il réfléchit au chemin que va pouvoir emprunter son deuxième passage de tondeuse. C’est très beau, pas absurde, mais lynchéen, sur une attitude presque burlesque et en même temps très inquiétante.
Et il y a une histoire de complots. Alors ce sont vraiment des souvenirs puisque je n’ai jamais revu le film, mais le personnage a l’impression qu’il y a un complot autour de lui, donc il est là pour être protégé et en même temps, par sa position de voyeur, il entre dans une espèce de schizophrénie très étrange et très belle. »
Ce documentaire à la première personne a remporté de nombreux prix, notamment le Prix de la Création à Clermont Ferrand et le Prix spécial du jury à Nyon - Visions du Réel.
C'est lors d'une projection hors compétition au Festival de Pantin, où il lui fit une forte impression, que Sébastien betbeder l'a découvert. Il revient sur les raisons de ce deuxième choix.
« Claudio Pazienzia est un Suisse italien qui a fait plusieurs films entre documentaire et essai. Celui que j’adore, qui m’a vraiment bouleversé pour le coup, s’appelle Scènes de chasse au sanglier. C’est un film qui doit durer 45 minutes, et c’est une sorte d’essai poétique et cinématographique sur le deuil et la question très générale de ce qu’on filme et de comment on le filme. Il l’a tourné au moment de la mort de son père. Le film mélange du 16mm, de la vidéo numérique et des plans pris avec un téléphone portable.
Il y a une scène en particulier où il filme avec son portable le visage de son père mort. Avec une déclamation chuchotée de réflexions sur la nature des images, le questionnement sur ce qu’est une image. Ca n’a pas l’air, comme ça, mais c’est un film qui est très ludique aussi. Plein d’humour.
Il appelle ça Scènes de chasse au sanglier car à un moment il se promène dans une forêt avec un des amis de son père et il installe un dispositif de plusieurs caméras au cœur de la forêt. Ils sont dans l’attente du sanglier, et il y a un sanglier en animation qui arrive dans le champ. Il y a quelque chose de très poétique entre la trivialité de la chasse et cette idée de fabriquer des images. C’est un film très très beau, plein d’invention, un mélange des genres très détonnant.
Et ce que je n’ai pas dit, c’est qu’il s’auto-filme. Par exemple, quand il est avec ce vieux monsieur, c’est lui qui se filme, et parfois il s’adresse à la caméra dans un dispositif très documentaire. Il y a un côté work in progress dans son cinéma qui est très beau. »
Invité par Ecran Noir à sélectionner trois courts métrages qui l’ont particulièrement marqué au cours de sa vie, le réalisateur Sébastien Betbeder (notre parrain pour cette 3e édition du Jour le plus court) a tout d'abord choisi le moyen métrage Mon enfance de Bill Douglas.
Il s'agit du premier volet de la trilogie inédite du cinéaste britannique qui est sortie en version restaurée pendant l’été. Encore sous le charme, le cinéaste explique les raisons de ce premier choix.
« J'ai découvert Bill Douglas, un peu comme tout le monde, au moment de la rétrospective qui a eu lieu cet été, initiée par mon distributeur UFO. Mon enfance est un film en partie autobiographique sur la relation entre un petit garçon et un militaire allemand, en Irlande, après-guerre. Ce petit garçon n’a pas de parents et est élevé par sa grand-mère.
Ca arrive assez rarement, mais de découvrir ce film qui est le premier de la trilogie, c’était comme une bouffée d’air. Découvrir au auteur dont je n’avais jamais vu aucun film et découvrir une forme de cinéma très novatrice, très pure, dans un rapport à la mise en cène, au découpage, au jeu des non-comédiens qui est absolument bouleversant…
La publicité parlait de diamant brut, et c’est exactement ça. Pour moi, c’est une des découvertes de l’année les plus fortes, tous formats confondus. »
A l'occasion de la 3e édition du Jour le plus court, grande fête du court métrage qui a lieu le 21 décembre, Ecran Noir a choisi un invité qui est à la frontière entre le long et le court métrage, le réalisateur Sébastien Betbeder, dont le prochain film (Deux automnes, trois hivers, un long métrage sélectionné par l'ACID au Festival de Cannes 2013, et présenté dans différents festivals dont Paris, Londres, Arras, Vendôme...) sort sur les écrans le 25 décembre, et dont le suivant, Inupiluk (un court) est sélectionné à Clermont Ferrand en 2014.
Sébastien Betbeder fait en effet partie de ces rares cinéastes qui alternent longs et courts métrages au gré de leurs envies. "Quand on fait un film, c'est le sujet, le budget, le mode d'écriture et de production qui imposent la durée", expliquait-il lors du dernier Festival de Vendôme où était proposé un focus autour de son travail.
Nous lui avons donc demandé de nous parler des films courts en général et de ses expériences en particulier, mais aussi de sélectionner trois courts métrages qui l'ont particulièrement marqué. Ces trois films seront dévoilés sur notre site tout au long de la journée du 21 décembre.
En attendant, première étape de cette carte blanche, Sébastien Betbeder parle sans fard du format court, trop souvent considéré comme un simple exercice de style avant le passage au long, ou un pré-programme avant le "vrai film", mais aussi des critères de durée qui sont parfois un peu absurdes à remplir. Alors qu'au contraire, le court métrage devrait être un formidable espace de liberté et de d'expérimentation.
Ecran Noir : La semaine passée, au Festival de Vendôme, un spectateur demandait au réalisateur Xavier Legrand à quoi sert le court métrage et quel peut être son avenir, notamment commercial, dans la mesure où il est très peu diffusé...
Sébastien Betbeder : A quoi ça sert ? Je ne sais pas. Je considère qu’un film, c’est un film. Je ne me pose pas la question dans ce sens-là. Je me dis qu’il y a des récits, des histoires, qui nécessitent cette durée-là, et je ne me vois pas gonfler une histoire qui ne nécessite pas une durée plus longue qu’une demi-heure, et inversement, réduire un scénario… J’ai toujours fonctionné comme ça. Il y a des idées qui me viennent et qui ne peuvent exister que sous format court.
Je déteste l’expression "carte de visite pour le long métrage". Pour le coup, je trouve ça très triste. Ca voudrait dire que ce format n’est destiné qu’aux jeunes cinéastes dans l’attente de leur premier long. Alors que c’est un format, dans l’histoire du cinéma, qui a toujours compté. Il y a énormément de chefs d’œuvre, de très belles choses. Je ne l’ai jamais considéré comme une carte de visite, mais comme le format adéquat pour l’histoire que j’avais à raconter. La seule fois où je me suis posé cette question : "à quoi ça sert ?", c’est effectivement quand j’ai recherché de l’argent pour mon premier long métrage. C'était bien d’avoir quelque chose à montrer pour dire qu’on avait déjà fait quelque chose. Mais si ça ne devait servir qu’à faire des longs métrages, j’aurais arrêté.
EN : Ce qui est assez révélateur que personne ne demande à quoi sert le long métrage…
SB : Oui, voilà, exactement !
EN : Mais la question de son manque de diffusion est réelle.
SB : Les gens disent : "ah, c’est dommage, on ne voit pas de courts métrages". Ou alors : "je me souviens d’une époque où ça passait avant le long métrage"… Ca aussi c’est une idée reçue. C’est un peu dommage de considérer que le court métrage, c’est forcément un avant programme. Ce n’est pas forcément une solution. En plus ça veut dire que le court métrage sera forcément court et ne dépassera pas dix minutes, sinon c’est un programme trop long.
C’est un drôle de format, c’est très compliqué de lui donner sa place, à part dans les festivals. Je ne sais pas, je n’ai pas trop de solutions… En plus, je trouve qu’il n’y a rien de plus difficile que de programmer un programme de courts métrages. L’ordre des films. Quel film à côté de quel autre… C’est vraiment très compliqué. Je sais qu’il y a des programmateurs qui sont très sensibles à ça, des sélectionneurs de festival. Parce que ça peut être dangereux, un film peut en gêner un autre, installer le spectateur dans un état qui est presque contradictoire avec le projet revendiqué par le cinéaste.
EN : Lorsque vous préparez un film, à quel stade savez-vous si votre projet est plutôt un court ou un long ?
SB : Le problème, c’est que le contexte nous oblige à décider ça très tôt. On ne dépose pas au même endroit au CNC et dans les chaînes de télévision selon si le film sera un long ou un court (ou moyen, en ce qui me concerne, c’est souvent des moyens). Donc on doit le décider assez tôt. Sauf que moi, j’ai travaillé pas mal sur des durées proches de l’heure, donc c’était un vrai handicap. Surtout que mes scénarios sont assez ouverts, et l’expérience du tournage offre toujours des possibilités autres que ce que l’écriture propose, donc je me retrouve souvent dans des situations assez délicates.
Même sur 2 automnes, 3 hivers, c’était un peu la même question. Il y avait cette idée d’un projet très singulier dans la forme, donc je n’avais pas la certitude que le film tiendrait la durée d’une heure et demie. En même temps il faut mettre des règles. Il a fallu décider qu’un court métrage c’était un film jusqu’à 59 minutes, et ce n’est pas une heure et une seconde… C’est une règle imposée à laquelle je me soumets, mais qui, dans mon cas, pose tout le temps des problèmes.
Ce qui fait que les Nuits avec Théodore, on l’a déposé en court métrage parce qu’il faisait 58 pages et qu’on a tendance à dire "une page correspond à une minute". Après, on se retrouve en salle de montage avec un film d’une heure dix, on arrive à un objet qui nous satisfait qui fait une heure sept, sauf qu’on avait eu de l’argent pour 59 minutes… [NDLR : Le film existe finalement sous une forme courte intitulée Je suis une ville endormie et est sorti en salles dans une version longue qui s'appelle Les nuits avec Théodore.] C’est un peu absurde, mais il faut faire avec.
A revoir, la bande-annonce des Nuits avec Théodore :