C'était l'année de trop. Un an après la polémique autour de l'absence de nominations d'Ava DuVernay, réalisateur de sexe féminin et de couleur noire, les Oscars ont du affronter une fronde médiatique sur la question ultrasensible aux Etats-Unis de la représentation des minorités (les "non blancs représentant 40% de la population américaine). C'est désormais la question qui est posée dans chaque interview. Tout le monde se doit d'y répondre: les Oscars sont-ils racistes? (lire aussi notre article du 17 janvier) Les vétérans - de Michael Caine à Charlotte Rampling - ont beau tempéré, rien n'y fait. Le hashtag #OscarsSoWhite continue de se propager. Les Will Smith, Spike Lee (pourtant Oscar d'honneur cette année) & co ont décidé de boycotter la cérémonie, qui sera d'ailleurs animée par Chris Rock, comique afro-américain qui va devoir jongler sur le sujet avec délicatesse, ou pas. Certains activistes lui ont demandé de démissionner de son poste. Dustin Hoffman a même parlé de "racisme subliminal". Mais si la fronde provient des afro-américains, elle touche en fait toutes les minorités ethniques (asiatiques, latinos) et l'égalité hommes-femmes.
Aucun acteur, aucune actrice, aucun cinéaste n'est issu des rangs de la "diversité" cette année. Certains plaideront que noirs, latinos, asiatiques n'ont pas eu les meilleurs rôles (et la responsabilité est rejetée sur les studios), d'autres pointent des absences criantes (Idris Elba pour commencer). Au-delà du problème de couleur de peau, les Oscars sont aussi critiqués pour leur misogynie, reflet d'une industrie qui laisse peu de pouvoirs et peu de films entre les mains d'une femme - aucune réalisatrice n'est citée (une seule, française, dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère) -, et pour leur homophobie (le procès est latent depuis la défaite de Brokeback Mountain il y a plus de dix ans).
Des membres essentiellement mâles, vieux et blancs
Dans l'urgence, et afin d'éteindre le feu qui s'empare de la vénérable Académie, une réforme assez ample a été votée unanimement jeudi 21 janvier pour laisser plus de place aux femmes et aux minorités ethniques dans le corps des votants. La présidente de l'Académie, Cheryl Boone Isaacs, une femme noire qui doit se sentir blessée intimement par les attaques, a proposé une politique d'ouverture plutôt que de quotas.
Il y a actuellement 6261 membres ayant le droit de voter (sur un total de 7152). Tous travaillent dans divers métiers de l'industrie du film. La liste évolue marginalement chaque année, en s'ouvrant à ceux qui ont été nommés récemment ou à des talents reconnus dans les grands festivals. En juin dernier, 322 nouveaux noms se sont ajoutés, soit l'une des plus importantes transformations de l'histoire de l'Académie. Et on constate en effet une amélioration du côté de la diversité et de la féminisation.
Objectif: doubler le nombre de femmes et de votants issus des minorités
L'Académie souhaite désormais, d'ici 2020, doubler le nombre de femmes membres (et atteindre ainsi 48%) et de professionnels issus des minorités ethniques (et atteindre ainsi 14%). Actuellement, les membres sont vieux (en moyenne) mais surtout mâles (76%) et blancs (93%). Ava DuVernay a été l'une des premières à réagir vendredi sur Twitter: "C'est un bon pas au cours d'un chemin long et compliqué pour les gens de couleur et les femmes artistes".
Mais la réforme va bien au-delà d'une simple intention arithmétique. Car désormais, les nouveaux membres n'auront le droit de vote que pour dix ans et non plus à vie, et ce droit ne sera renouvelé que si les membres ont été actifs au cinéma pendant la décennie en question. Le droit de vote à vie ne sera obtenu qu'au bout de trois décennies actives dans l'industrie ou après l'obtention d'une nomination ou d'un Oscar.
Manière de rajeunir le panel qui est considéré depuis des décennies comme trop conservateur. Déjà, il y a quelques années, les Oscars avaient limité les campagnes de lobbying et de promotion mondaine lorsque certains outsiders ont réussi à l'emporter sur des films historiquement plus marquants.
Nouveau processus d'adhésion et fin du statut de membre à vie
L'Académie s'attaque désormais au coeur du réacteur en altérant le processus de sélection de nouveaux membres, jusque là centré sur la cooptation. Une campagne ambitieuse et mondiale pour identifier de nouveaux membres qualifiés représentant une plus grande diversité sera lancée.
"L'Académie va mener le mouvement et ne pas attendre que le secteur rattrape le retard" en termes de diversité, a déclaré Cheryl Boone Isaacs. Manière de renvoyer aussi la balle enflammée aux studios. Elle reproche la lenteur des changements dans les institutions hollywoodiennes, et conforte ainsi le sentiment d'acteurs comme George Clooney qui soutient que l'Académie avait régressé sur ces points là ces dix dernières années.
Les statistiques sont sans appel
Historiquement, les Oscars ont souvent été confrontés à ce genre de crise "politique", certains refusant même la statuette.
Statistiquement, il est vrai que les Oscars sont blancs.
Afro-américains: 4 acteurs noirs ont remporté l'Oscar du meilleur acteur (19 nominations pour 13 comédiens) ; Une actrice noire a été oscarisée (10 nominations, 10 comédiennes) ; 4 acteurs ont reçu l'Oscar du meilleur second rôle masculin (16 nominations pour 14 comédiens, dont 3 ont aussi été nommés pour l'Oscar du meilleur acteur) ; 6 actrices ont été honorées d'un Oscar du meilleur second rôle féminin, dont Hattie McDaniel en 1939, pionnière en la matière (sur 19 nominations, dont 2 ont aussi été nommés pour l'Oscar de la meilleure actrice) ; et sinon les afro-américains ont récolté 70 nominations (dont seulement 3 pour le meilleur réalisateur et 6 pour le meilleur film) dans les autres catégories (une seule cette année) pour 17 victoires (2 pour l'adaptation, un seul pour le meilleur film, 6 pour la meilleure chanson, 2 pour la meilleure musique...).
Les Latinos (hors artistes d'Amérique latine) doivent se contenter de 3 Oscars (deux meilleurs seconds rôles féminins, un pour la meilleure chanson) sur 8 nominations.
Les Asiatiques de nationalité américaine ne comptent que quatre nominations dans la catégorie réalisateur et six toutes catégories d'interprétation confondues. Le nombre est beaucoup plus important si on prend en compte les artistes britanniques d'origine asiatique ou simplement les nombreux talents d'Asie qui ont collaboré à Hollywood.
Côté femmes, une seule réalisatrice a remporté l'Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur (Kathryn Bigelow). Seules trois autres réalisatrices ont été nommées dans l'histoire de la catégorie meilleur réalisateur.
Catégorie intéressante puisque les cinq derniers vainqueurs sont tous nés à l'étranger...