#BlackoutTuesday : 4 films inspirés de faits divers

Posté par kristofy, le 2 juin 2020

Les Etats-Unis s'embrasent de nouveau, encore une fois. Une fois de plus, un afro-américain est mort de violence policière : George Floyd dont les images insoutenables de son agonie sous le poids du genou d'un policier réputé violent ont enflammé la toile, le monde, les rues. Ce décès a ravivé le mouvement #BlackLiveMatter.

Ce mardi 2 juin c'est le mouvement #BlackoutTuesday avec pour seule image un carré noir sur les réseaux sociaux... C'est d'abord le monde de la musique (artistes, mais aussi maisons de disques comme Atlantic Records, Universal, Warner, Sony...) qui a initié un arrêt d'activité ce jour avec #TheShowMustBePaused, avant que, plus largement, d'autres figures de la culture et les internautes ne partagent ce carré noir devenu viral avec plusieurs millions de hashtag #BlackoutTuesday à travers le monde...

Un film américain récent a retracé un fait divers dans la lignée de celui de George Floyd, Fruitvale Station. Grand prix à Sundance, présenté à Cannes en 2013, il s'agit de l'histoire d'Oscar Grant qui croise des agents de police dans la station de métro Fruitvale à San Francisco. La cruauté et la sauvagerie transforment un malentendu en dérapage ignoble, où le flic raciste, conscient de son acte horrible, cherche quand même s’excuser.

Le cas n'est pas qu'américain. En France comme en Europe, on a répertorié quelques brutalités policières à caractère raciste dans le cadre de traques individuelles ou de manifestations même pacifistes. Et, s'il n'y a pas de racisme, n'oublions pas des partisans de la démocratie à Hong Kong qui ne sont que des cibles pour les autorités chinoise armées jusqu'aux dents.

La Haine (1995) : Makomé M’Bowolé, 17 ans, est tué d'une balle dans la tête par un policier durant son interrogatoire dans un commissariat. Mathieu Kassovitz imagine alors une histoire où un pistolet d'un policier serait retrouvé par des jeunes d'une cité... La Haine vient de fêter ses 25 ans et Mathieu Kassovitz déplore que rien à changé puisque dans l'affaire Adama Traoré (2016), en quatre ans de procédure, la responsabilité judiciaire des policiers est toujours esquivée (jusqu'à lui trouver un problème cardiaque pour se deresponsabiliser) :  « Les seuls responsables sont les politiques. Nous acceptons que les policiers fassent des erreurs mais nous demandons la justice, et les politiques ne la rendent pas » La Haine a reçu prix de la mise en scène au Festival de Cannes, et trois César (dont celui du meilleur film).

De l'amour (2001) : avec son troisième film, Jean-François Richet apporte une sorte de conclusion à sa trilogie amorcée avec Etat des lieux et Ma 6-T va crack-er . Plus fort et plus nuancé, le film s'intéresse à la police, à la fois protectrice et dangereuse... Pour le motif idiot du vol d'une culotte dans un magasin, une jeune femme se retrouve au commissariat, elle y sera alors violée par un policier. C'est presque un film d'anticipation car des affaires semblables seront médiatisées à partir de 2014 à Paris ou à Toulouse. On se souvient du cas d'Emily Spanton une touriste canadienne, qui a subit un viol en réunion par des policiers dans leur bâtiment du 36 quai des Orfèvres. Encore une fois les autorités ont voulu 'se couvrir' et affaiblir le témoignage de la victime (elle était alcoolisée, habillée court, hystérique...). Mais il y a eu procès et condamnation à de la prison.

Les Misérables (2019) : Abdoulaye Fofana, 20 ans, est tabassé par des policiers, mais cette fois ça a été filmé : avec les images comme preuve, il y a eu procès, les policiers ayant eu juste quelques mois de prison avec sursis et une mutation dans un autre département. Le 'copwatching' est ce qui a inspiré à Ladj Ly cette histoire où un policier a tiré, dans une scène de panique, avec son pistolet sur un enfant... Filmer un policier sur la voie publique est bien autorisé par une circulaire de décembre 2008. En 2018, une note de la Police Nationale rappelle que les policiers n'ont pas le droit de s'y opposer. En 2019 et 2020 les multiples débordements de policiers (sans leur matricule RIO d'identification pourtant obligatoire) contre les 'gilets jaunes' (et contre des habitants du 93 et du 91) filmés et diffusés sur internet se multiplient (dont des tirs interdits visant les visages). Les affaires n'entrainent aucune sanction de l'IGPN, le gouvernement nie le problème, Eric Ciotti et d'autres députés de droite veulent une loi contre ces images pour protéger les policiers en faute, au lieu de protéger plutôt les victimes. Une tribune de protestation contre cette proposition (parue dans Libération) est signée par diverses personnalité de la culture, comme Adèle Haenel, Aïssa Maïga, Camélia Jordana, Leïla Bekhti, Omar Sy, Marina Foïs, Ladj Ly, Vincent Cassel, Audrey Dana, Nicolas Duvauchelle.... Elle rappelle que "Le pouvoir de ces graves images a réveillé bon nombre de consciences sur la réalité de ces pratiques policières et a permis d’expliquer le nombre extraordinaire de blessés et de mutilés." Les Misérables a reçu prix du jury à Cannes, une nomination à l'Oscar du meilleur film international, et quatre César (dont celui du meilleur film).

Venise 2019 : American Skin, de Nate Parker

Posté par kristofy, le 3 septembre 2019

Nate Parker s’est fait un nom depuis le Festival de Sundance en 2016 avec son film The Birth of a Nation. Il y gagne à la fois le Grand prix du jury et Prix du public. Dans la foulée, Fox Searchlight signe un gros chèque pour distribuer le film (et vise les Oscars 2017). Ce biopic à propos d’un leader d’une rébellion d’esclaves noirs a pourtant coulé au box office. Un an avant l'affaire Weinstein, il y a eu l'affaire Parker. Le cinéaste et son colocataire Jean Celestin, qui est co-scénariste du film, ont été accusés d'avoir violé une jeune fille de 18 ans à l'université en 1999. Elle était inconsciente après une nuit de beuverie. Parker a été acquitté en 2001. Mais Celestin a été condamné à 6 mois de prison pour agression sexuelle avant que sa condamnation ne soit annulée en appel car la victime avait refusé de témoigner à nouveau, victime qui s'est suicidée en 2012 dans un centre de désintoxication. Parker a toujours clamé son innocence mais en incluant une scène d'agression sexuelle dans Birth of a Nation, la polémique a tué le film.

Après la sélection de Polanski en compétition, Venise s'offre donc une nouvelle polémique autour d'un réalisateur au passé pour le moins compromettant. Son nouveau film American Skin a été dévoilé à la Mostra, où Nate Parker est venu avec Spike Lee, son producteur. Et ça parle des racisme(s) de manière frontale.

Le pitch: Lincoln est un ancien combattant de la Marine. Aujourd'hui, il travaille comme concierge au sein d'une école et tente d’améliorer ses relations avec son fils. Un jour, lors d'un contrôle de police de routine, le jeune garçon est tué. Cependant, l'officier coupable d'avoir tiré sur lui est déclaré innocent. Lincoln choisit alors de faire justice soi-même…

American Skin adopte la forme d’un vrai documentaire (en fait il s'agit d'un montage d’images filmées par caméscope, webcam et caméras de surveillance) pour mieux interpeller et impliquer le spectateur, et lui signifier qu’il s’agit de faits réels. Le film questionne (et donne plusieurs réponses) le dramatique problème des brutalités policières aux Etats-Unis : il se produit régulièrement des faits-divers où des noirs sans arme sont tués par des policiers blancs, qui sont ensuite relaxés, car souvent jugés dans les limites des procédures. Depuis 2013, la colère s'est transformée en mouvement: #BlackLivesMatter…

Le film commence avec le contrôle par deux policiers (à travers l’objectif d’une caméra à bord de leur véhicule de police) d’une voiture où il y a deux noirs, un père et son fils. Tout ce passe vite : garder les mains visibles immobiles, demande des papiers d’assurance, sortir de la voiture, les flics ont leur pistoles dégainé, le fils a un téléphone portable qui filme. Il est tué. Il avait 14 ans. Environ un an après les faits, il y a eu un procès de l’affaire et un jugement: le policier est relaxé et réintégré en service. Des étudiants en cinéma faisant un documentaire viennent interviewer la famille de la victime, dont le père, pour évoquer cette tragédie, et de manière plus générale les brutalités policières envers la communauté noire. Avec une certaine ironie, on relève que la loi autorise un citoyen américain à s’opposer à une interpellation illégale. Mais dans les faits, quand on est noir, on préfère ne rien faire afin de pouvoir rentrer tranquillement à la maison…

Douze hommes et femmes en colère

Un matin, le père emmène les jeunes vidéastes en voiture, et il va leur demander de ne jamais arrêter de filmer : avec quelques amis à lui, ils entrent armés dans le commissariat du policier incriminé pour demander justice, à sa manière. Va se dérouler une longue prise d’otage pour refaire le procès de ce policier : ses collègues ont été attachés, les autres personnes qui étaient là (des civils, quelques prisonniers, des hommes et des femmes) sont obligées de former les 12 personnes d’un jury. Ils vont devoir juger ce flic, qui devra répondre aux questions du père…

American Skin va prendre la forme d’une joute oratoire passionnante, il y a débats (entre tous : les pères et ses amis, les jeunes vidéastes, les prisonniers, les policiers) pour évoquer à travers ce cas particulier un problème plus global, et enraciné dans la culture américaine. La force du film est de ne pas être une charge totalement anti-flic ; le propos est assez nuancé pour entendre et comprendre (voir justifier ?) les actions policières qui dérapent trop souvent quand il s’agit de noirs contrôlés. Les jurés improvisés vont devoir rendre leur verdict. On glisse d’un fort climat de tensions et de haine entre les deux groupes vers une certaine compréhension des causes qui ont provoqué l’innommable, la douleur d’un père d’avoir vu son fils tué par un policier. Alors que les choses vont vers un possible apaisement à l’intérieur du commissariat, à l’extérieur, un groupe d’intervention se prépare…

Le cinéma américain avait déjà abordé ce thème. En 1967 à Detroit dans un hôtel, il y a eu trois hommes abattus par des policiers devenu Detroit de Kathryn Bigelow en 2017; en janvier 2009 à San Francisco Oscar Grant se fait tirer dessus par des agents de police dans le métro, ce qui a donné Fruitvale Station de Ryan Coogler en 2014; c’est aussi abordé dans la plupart des films de Spike Lee comme son dernier BlacKkKlansman en 2018. Ces différents films étaient un signal dénonciateur. Pourquoi il y a aux Etats-Unis tant de noirs tués par des policiers blancs ? Il y a plusieurs réponses, et ce n'est pas qu'une question de couleur de peau. Avec American Skin Nate Parker s’est saisi de la complexité du problème avec une étonnante audace.

3 raisons d’aller voir « Bixa Travesty »

Posté par vincy, le 26 juin 2019

[Le pitch] Bixa Travesty est le portrait électrisant de Linn da Quebrada (site officiel), artiste à la présence scénique extraordinaire qui réfléchit sur le genre et ose affronter avec un rare panache le machisme brésilien. Le corps féminin trans comme moyen d’expression politique.

Un personnage de cinéma. Le documentaire de Claudia Priscilla et Kiko Goifman, récompensé aux prestigieux Teddy Awards, mais aussi à Biarritz et à Chéries Chéris, met en scène Linn da Quebrada, artiste charismatique qui s'affranchit des étiquettes et des genres et utilise son corps (féminin) trans comme arme politique dans un pays encore dominé par le machisme et subissant une forte recrudescence des actes homophobes et transphobes. Linn est magnifique, drôle, enragée, directe, provocatrice, révolutionnaire, réfléchie. Ce qui pourrait passer pour un ego trip devient une guerre pour que nous soyons tous égaux. Sa manière d'être à la fois drama queen, ultra-queer, chanteuse énervée et voix engagée (posée) la rend aussi attachante que séduisante. Elle peut ainsi être déchaînée avec un icro et décalée quand elle se fait opérer d'un cancer. A cela s'ajoute, Jup, éternelle complice. Un duo parfois hilarant, à la Laurel et Hardy, complémentaire et revendicateur. Accessoires, perruques et maquillages font le reste : autant de moyens d'affirmer sa différence pour qu'il n'y ait plus de norme dogmatique.

Un pamphlet engagé. Face à la haine, à un gouvernement appelant à la violence contre les LGBT, au repli sur soi constaté un peu partout, le documentaire fait office de tract en images contre le machisme, le racisme, le sexisme et l'homophobie. Salutaire, cette prise de parole, qui n'est pas didactique, partage l'existence et l'expérience d'une combattante, qui n'hésite pas à utiliser sa musique ou Canal Brésil, pour partager sa vision ouverte et tolérante du monde. Linn da Quebrada ne mâche pas ses mots mais sait aussi conquérir ses audiences. En interpellant l'humaniste qui est en nous, en constatant la méconnaissance globale de son monde, elle projette les spotlights sur les trans et les minorités opprimées, sur la condition des femmes et sur la difficulté d'être respecté en tant qu'être humain. Bixa veut dire pédé. Terme choc qui affronte un monde où cette expression est surtout devenue une insulte pour les intolérants ou les ignorants.

Un film punk-attitude. Du slam et du rock au look, de la liberté de ton à l'intimité des plans, Bixa Travesty est un cri qui vient de l'intérieur mais qui hurle fort. Du sexe comme propagande et des paroles comme pistolets. En fusionnant les genres sexuels - on se fout de l'inclusif, du pronom personnel. Elle est il et il est elle. Le documentaire déconstruit nos préjugés et ouvre nos yeux sur des territoires flous, illustrant ce fameux et récent concept du "genderfluid". Filmé dans la durée à la fois immersif et observateur, à l'écoute et haut-parleur, ce film n'agressera que ceux qui veulent garder leurs œillères et rester sourds à cette déclaration de liberté et de fraternité prônée par Linn (et ses gants d'argent).

Oscars 2019: Green Book sera-t-il victime de ses polémiques?

Posté par vincy, le 23 février 2019

Green Book est l'un des favoris pour l'Oscar du meilleur film cette année. Il a toutes ses chances: un sujet politique et consensuel, une comédie dramatique, le prix du public au festival de Toronto, le Golden Globe dans la catégorie musical ou comédie, le film de l'année pour l'American Film Institue et pour le National Board of Review, le meilleur film selon la Producers Guild of America, et un joli succès public aux Etats-Unis (67M$ soit déjà plus que La forme de l'eau, Oscar l'an dernier).

Il peut perdre aussi. Roma est qualitativement supérieur, mais une partie des votants pourraient ne pas vouloir donner l'Oscar pour un film Netflix. A Star is Born, Black Panther et Bohemian Rhapsody sont largement plus populaires. Blackkklansman et Vice sont plus politiques. La Favorite pourrait être aussi un concurrent surprenant, correspondant aux choix habituels de l'Académie.

Green Book a cependant du affronter plusieurs polémiques au fil des mois. Ce qui risque de le desservir. Une partie des critiques et des professionnels lui reprochent, pour raccourcir, son point de vue "blanc", à travers le regard du personnage joué par Viggo Mortensen, Tony Vallelonga. Le film est produit par le fils de Tony, Nick, personnalité controversée (pro-Trump et islamophobe, même s'il s'est excusé pour certains tweets). Ce qui entraîne une deuxième polémique: le consentement de la famille de Don Shirley, incarné par Mahershala Ali, qui n'a pas été impliquée dans le développement du film. Les deux personnages réels sont morts à quelques mois d'écart en 2013.

Trop blanc pour beaucoup, le film est aussi accusé d'un racisme anti-blancs, selon comment on le perçoit (et ses opinions). Certains critiques, y compris dans la presse branchée, ont vu dans cette histoire une glorification d'un personnage noir et un grand mépris pour le personnage blanc. A cela s'ajoute que, selon la famille, Donald Shirley ne voulait pas d'un film sur cette histoire (comme on va vous l'expliquer).

N word et autres mensonges

Cela aurait pu rester une politique de réseaux sociaux si, en pleine tournée promotionnelle, Viggo Mortensen n'avait pas utilisé l'infamant mot en N, plutôt que le correct afro-américain ou noir. Paradoxalement, le mot est utilisé dans des films comme Si Beale Street pouvait parler ou dans la pièce actuellement à Broadway, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, sans que cela créé de polémiques. Mortensen a du s'excuser et Ali a fait savoir officiellement qu'il acceptait ces excuses.

Mais les vannes étaient ouvertes. En décembre, alors que le film commençait à récolter plusieurs citations ou prix, la famille de Donald Shirley s'émeut publiquement d'avoir été mise à l'écart et reproche le manque d'authenticité de certains faits décrits dans la fiction. Le frère de Donald Shirley évoque même "une symphonie de mensonges". Selon la famille, Shirley n'était pas aussi seul, ni coupé de la communauté afro-américaine. Pire, ils accusent Vallelonga de révisionnisme, puisque selon eux les deux hommes n'avaient pas d'autres relations que professionnelles. Nulle amitié réelle donc.

Pourtant, dans le documentaire Lost Bohemia de Josef Astor, Donald Shirley dit le contraire, confiant sa pleine confiance envers son chauffeur. "Tony n'était pas seulement mon chauffeur. Nous n'avons jamais eu de relation employeur-employé. Nous étions liés par une amitié mutuelle." S'il a refusé de donner son accord au projet, c'était, apparemment, davantage par peur qu'on révèle son homosexualité, alors qu'il n'a jamais fait son outing.

Peter Farrelly, le réalisateur, explique également qu'il a tenté de joindre la famille avant le tournage. Mahershala Ali a préféré continuer de s'excuser en se disant désolé si sa participation au film dans le rôle de Shirley les a offensés. Le neveu du pianiste reconnaît que l'interprétation de l'acteur est remarquable mais ne reconnaît pas son oncle tel qu'il est dépeint dans le film. "Ils ont fait un succès commercial, un film populaire, mais dans ce process, ils ont distordu et réduit la vit d'un des deux personnages principaux."

A l'inverse, son producteur, ami et légataire testamentaire Michael Kappeyne, par ailleurs consultant pour le film, explique que le comédien, favori pour l'Oscar du meilleur second-rôle masculin, a su capter la complexité du musicien, "sa colère intérieure, son sens de la solitude, sa dignité intègre et son intérêt à aider les gens."

On le voit bien: selon les souvenirs des entourages, le regard change sur le film. Après tout, il est vendu comme une fiction inspirée de faits réels et non comme une biographie. Ce n'est pas un documentaire. Ce qui compte c'est la narration et l'émotion qui s'en dégage, en plus du message généreux qu'il comporte. Ce que l'on reproche au film, finalement, c'est d'avoir écrit un récit autour du chauffeur blanc alors que c'est l'employeur noir qui est dominant (ce qui donnerait envie d'un documentaire ou d'une fiction centrée sur la vie de Shirley).

Au moins, le film est véridique sur d'autres aspects du film (l'appartement de Shirley, sa tournée dans le sud, ses concerts devant les blancs, la correspondance du couple Vallelonga, l'arrestation du chauffeur et de son employeur, etc...).

Edito: La forme de l’or

Posté par redaction, le 22 février 2018

Que nous disent les Oscars cette année? Au-delà de l'ouverture au genre, d'une féminisation dans certaines catégories et d'une ouverture aux minorités, il y a quelque chose qui frappe: les 9 films nommés traversent l'histoire contemporaine.

On part ainsi de mai 1940 avec Les heures sombres et Dunkerque. Le Royaume Uni, la guerre, Churchill. Puis ce sont les années 1950, dans le chic londonien, avec un couturier et sa muse venue de l'Est dans Phantom Thread. On passe en 1962 en pleine Guerre froide avec La forme de l'eau. A la fin des années 1960 et au début des années 1970, avec un scandale politico-médiatique sur la guerre du Vietnam dans Pentagon Papers. Aux années 1980 en Italie avec un Américain qui se laisse séduire par un jeune prodige polyglotte dans Call Me By Your Name. On bascule en 2002 avec Lady Bird. Et on termine à notre époque avec deux films où la violence et l'humour noir décryptent une Amérique des laissés-pour-compte ou des opprimés avec Get Out et 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, deux films qui montrent à la fois le racisme systémique de l'Amérique et le déclin des "whites".

Tout y est: la politique, la sexualité, le féminisme, le racisme, la liberté d'expression, ... C'est un voyage dans le temps mais c'est aussi un décryptage de notre temps. Ces dernières années, les Oscars ont récompensé des films très variés: Argo était un thriller aux allures politiques mais qui parlait d'Hollywood (années 1980), Twelve Years a Slave évoquait l'esclavage et le traitement des afro-américains (19e siècle), Birdman était une introspection du milieu (contemporain), Spotlight une enquête journalistique sur un scandale sexuel au sein de la religion catholique (début des années 2000) et Moonlight un film dense qui plongeait dans les zones troubles de l'homosexualité, de la ghettoïsation des afro-américains et des précaires oubliés par le rêve américain  (sur une vingtaine d'années).

Les Oscars ne sont pas forcément le reflet de leur époque. Mais ils en sentent les pulsions. Il est fort probable que le gagnant cette année - les trois favoris sont La forme de l'eau, 3 Billboards et Get Out - sera avant tout la consécration du film de genre (fable fantasy, polar décalé ou thriller horrifique). Mais on retiendra surtout qu'hormis Les heures sombres et Dunkerque, les films se lançant dans la course de la statuette suprême donnent avant tout le beau rôle à des femmes (Phantom Thread, Pentagon Papers, Lady Bird, 3 Billboards, La forme de l'eau), à des personnages noir (Get Out) ou homosexuel (Call me by your name).

En cela, l'Académie, qui se diversifie année après année, élargissant son nombre de votants à des professionnels plus jeunes et plus cosmopolites, fait le choix d'en finir avec un certain académisme. Selon le vainqueur, on verra certainement comment Hollywood va réagir une année de Trumpisme, aux affaires Me Too et aux massacres de masse. Moonlight était clairement un message anti-Trump. Il est fort à parier qu'un film faisant l'apologie de la femme forte, de la paix et du respect des minorités sera dans l'air du temps le 4 mars. Une chose est certaine: l'édition 2018 est de haute qualité. Et ce n'est déjà pas si mal.

Edito: Ôtez-nous d’un doute…

Posté par redaction, le 7 septembre 2017

Il y a presque un mois, une jeune femme antiraciste a été tuée par un suprémaciste blanc à Charlottesville, en Virginie. La question / division raciale aux Etats-Unis est toujours aussi vivace. Pas seulement aux Etats-Unis d'ailleurs, puisque, désormais, le politiquement correct domine l'ensemble de la communication des uns et des autres (au points d'être choqué ou amusé dès que quelqu'un sort des clous dictés par le code de bonne conduite).

Chaque citoyen occidental pèse un statut ou un tweet pour ne pas subir les trolls opposants. On anéantit le débat, on écrase la réflexion sous un torrent d'insultes, de vannes, de piques, de punch-lines. Le second degré disparaît. L'esprit se meurt. La nuance n'a plus le droit d'exister. La liberté d'expression est "sous contrôle" et "sous pression".

Cela conduit à des situations absurdes, proche d'un révisionnisme historique ou/et cinématographique inquiétant. Une salle de cinéma de Memphis a ainsi annulé la présentation annuelle d'Autant en emporte le vent, projeté depuis 34 ans en août à l'Orpheum Theatre. Brett Batterson, président du cinéma, considère qu'en tant qu’organisation "dont la mission est de divertir, d’éduquer et de mettre en valeur la communauté que nous servons, The Orpheum ne pouvait diffuser un film qui est insensible à une grande partie de la population locale", suite aux nombreux messages sur les réseaux sociaux. Le film le plus vu au cinéma dans l'Histoire du 7e art est qualifié de "potentiellement raciste". Sic.

En 1939, les producteurs savaient que le contenu racial du film pouvait être offensant pour certaines personnes. Pour adapter le roman de Margaret Mitchell, quelques modifications avaient été apportées afin d'atténuer l'esclavagisme ou même les stéréotypes liés aux afro-américains. Malgré cela, la comédienne Hattie McDaniel, qui incarnait une domestique bienveillante, a été la première Afro-Américaine à gagner un Oscar (meilleur second-rôle féminin), près de 25 ans avant la fin de la ségrégation dans les Etats du sud.

Mais oui, en effet, Autant en emporte le vent peut-être vu comme "potentiellement raciste". Ce qui ne retire rien aux qualités du film. Car cet aspect dérangeant est aussi celui qui prévalait (parfois encore plus durement) à l'époque où se déroule les aventures de Scarlett O'Hara. La guerre de Sécession était aussi un combat pour l'abolition de l'esclavage et l'affranchissement des Afro-américains. Les Sudistes, héros du livre comme du film, n'étaient pas dans le bon camp (et d'ailleurs, ils perdent). C'est toujours mieux que d'effacer complètement le sujet comme dans Les Proies de Sofia Coppola.

Censure

Si on en vient à refuser de projeter ce film mythique, quid des Westerns (franchement anti Amérindiens pour la plupart)? Quid des films de guerre où les ennemis étaient régulièrement caricaturés (propagande oblige)? Peu de films seraient finalement "visibles".

De la même manière le raciste Tintin au Congo serait interdit (il l'est parfois dans certaines bibliothèques). Comme on a gommé la pipe de Monsieur Hulot ou le clope de Lucky Luke au nom du dogme "Le tabac c'est mal". On révise l'histoire, on la transforme au gré de nos humeurs, morales, et autres contextes sociétaux. Mais il est évident qu'un film réalisé dans les années 1930 ou 1950 ne peut pas avoir le même point de vue qu'un film contemporain. Ce n'est pas pour rien aussi que les minorités se battent pour être "visibles" ou plaident pour "l'égalité" des salaires. Le combat n'est pas fini. Cependant, on constate que sur les Afro-américains, les Amérindiens, les homosexuels, etc..., le cinéma américain a évolué. Et peut-être que dans 30 ans, les futurs spectateurs seront choqués de voir des acteurs/actrices se fréquenter dans un fast-food ou conduire une voiture (autant de choses qu'on jugera sans doute nocives dans le futur). Pour l'instant, fumer semble moins tolérer que baiser (et souvent c'est sans capotes). Doit-on pour autant juger les films où Bogart allume une cigarette comme "potentiellement dangereux" pour la santé? Et que dire de tous les grands films pourtant très sexistes réalisés au fil des décennies?

Le racisme n'a aucun sens et être raciste est un délit indiscutable et condamnable. On ne reviendra pas là dessus. Mais plutôt que d'interdire à un spectateur de voir ou revoir un grand film sous prétexte qu'il n'est pas politiquement correct "de nos jours", il suffit d'accompagner la projection d'un débat pédagogique pour expliquer son contexte.

Car si on efface l'identité d'une époque, la vérité d'un moment de l'Histoire, l'art illustrant/traduisant cette période, alors on risque de censurer de nombreuses œuvres plastiques, littéraires ou cinématographiques. Autant en emporte le vent, les John Wayne ou les James Bond sont datés. Pas forcément cinématographiquement, mais socialement, politiquement. Mais ils font aussi partie d'un grand récit artistique, de notre mythologie par l'image, de ces fictions qui construisent notre perception du monde et reflètent la vérité de leur époque, donc de notre Histoire. Donc de notre présent.

Venise 2017: avec Suburbicon, George Clooney explose l’American Dream

Posté par kristofy, le 2 septembre 2017

Quel est le point commun entre George Clooney et les frères Joel & Ethan Coen ? Certes ils ont tourné quatre films ensemble. Mais ils ont aussi un même sens de l’humour sarcastique pour des (anti)héros pris dans une spirale criminelle, et surtout: ils sont amis et ils ont les même amis… C’est ainsi qu’est né le générique de Suburbicon, en compétition au 74e festival de Venise: au scénario, les frères Coen et George Clooney (et son co-scénariste Grant Heslov), et à l’écran Matt Damon, Julianne Moore, Oscar Isaac (qui ont d’ailleurs tous été dirigés par les Coen), mais aussi Alexandre Desplat pour la musique. Soit une dream team prête à tout pour le 6ème film de George Clooney derrière la caméra. Et c’est jouissif!

Suburbicon est le nom d’une ville idéale des Etats-Unis vers la fin des années 50. C’est même l’incarnation idyllique du rêve américain de cette époque, quand on découvrait le consumérisme, l'électro-ménager et la télévision. Le facteur et bientôt tout le voisinage vont se rendre compte d’un événement déplaisant pour eux : dans une maison vient d’arriver une nouvelle famille pas comme les autres, avec la peau noire. Tout le monde y va de son commentaire négatif et raciste… La maison juste à côté est celle de Matt Damon avec sa femme Julianne Moore (blonde), leur fils et la sœur de son épouse, toujours incarnée par Julianne Moore (mais rousse). Chez eux tout va basculer le temps d’une nuit : deux malfaiteurs se sont introduits chez eux, ils ont été immobilisés et brutalisés, et malheureusement la femme est décédée. Après l’épreuve des funérailles Matt Damon et sa belle-sœur Julianne Moore (la rousse si vous suivez) sont convoqués par la police pour une séance d’identification de suspects arrêtés : ils ne reconnaissent aucun de leurs agresseurs. On ne procède par conséquent à aucune arrestation. Mais leur fils est persuadé que les coupables étaient bien là, devant eux…

Ce début pétaradant va être le point de départ pour une implosion de la famille: mensonges et manipulations vont s’ensuivre à un rythme effréné. Les apparences ne sont pas seulement trompeuses, elles vont être mortelles. On y reconnaît bien l’humour noir particulier des frères Coen, en particulier le ton de leurs films Fargo et Burn After Reading. Alors qu’une machination dérape de pire en pire, pour la maison voisine, celle de la famille noire, les évènements empirent aussi : un mur est construit autour comme clôture, des dizaines de gens viennent les importuner en faisant du vacarme, puis une centaine de ‘citoyens’ fanatiques l'encercle…

Le contexte de la ségrégation raciale a particulièrement retenu l’attention puisque la présentation du film arrive quelques semaines après la dramatique actualité de Charlottesville, où le KKK, les néo-nazis, les suprémacistes blancs et autres groupuscules d'extrême-droite se sont confrontés à des antiracistes, notamment issus du mouvement Black Lives Matter, causant la mort d'une entre eux (Heather Heyer) et en blessant 19 autres.

George Clooney a dû évidemment apporter à Venise un commentaire politique : "Le slogan de Trump ‘Make America Great Again’ est tourné vers l’Amérique de Eisenhower, il s’adresse uniquement à un homme, blanc, hétérosexuel. Il a fallu environ deux ans pour mettre en route la production de ce film et le terminer, on ne se doutait pas que Suburbicon allait être autant en phase avec l’actualité. Oui, c’est un film de colère. Il y a beaucoup d’américains en colère aujourd’hui contre la façon dont le pays est dirigé."

I am not your Negro : la fabrique de la discrimination raciale

Posté par vincy, le 9 mai 2017

Ce mercredi sort en salles I am not your Negro (Je ne suis pas votre nègre), documentaire maîtrisé et passionnant réalisé par Raoul Peck. En VO la voix est celle de Samuel L. Jackson, en VF, le spectateur aura celle de JoeyStarr. Sophie Dulcad distribution a prévu une sortie modeste sur moins de 20 copies, mais avec plusieurs séances événementielles (avec débats le plus souvent) dans des cinémas franciliens notamment à partir du 10 mai.

Une flopée de prix

Le documentaire vadrouille de festivals en festivals depuis sa première à Toronto en septembre dernier, ce qui lui a permis d'être nommé aux Oscars et aux Independent Spirit Awards en février dans la catégorie du meilleur documentaire. Depuis son prix du public dans la catégorie docu à Toronto, il a glané plusieurs prix. A la dernière Berlinale, il a remporté le prix du public dans la section Panorama et une mention spéciale du jury œcuménique. Le public l'a aussi récompensé au Festival de Chicago, au Festival des Hamptons, au festival de Portland et au Festival de Philadelphie (où le film a aussi reçu le prix du jury). Les critiques de Los Angeles, San Francisco et ceux de Dublin l'ont sacré meilleur documentaire. L'Association des documentaristes lui a décerné le prix du meilleur scénario. A Thessalonique, le film a été distingué par le prix Amnesty International. Aux USA, distribué par Amazon studios, il a récolté 7M$ de recettes, soit le 4e meilleur score pour un docu depuis début 2016.

Très bon score sur Arte

Arte a déjà diffusé le documentaire dans version française il y a deux semaines. La chaîne culturelle s'est ainsi offert la cinquième meilleure audience annuelle avec 650000 téléspectateurs, auxquels se sont ajoutés 380000 visionnages en rattrapage, soit le record mensuel pour Arte+7.

Pourquoi ce documentaire est-il si intéressant? Le pitch est assez sobre: "À travers les propos et les écrits de l’écrivain noir américain James Baldwin, Raoul Peck propose un film qui revisite les luttes sociales et politiques des Afro-Américains au cours de ces dernières décennies. Une réflexion intime sur la société américaine, en écho à la réalité française. Les mots de James Baldwin sont lus par JoeyStarr dans la version française et par Samuel L. Jackson dans la version américaine."

La suite d'un roman inachevé

En fait, Raoul Peck, maniant les archives comme un chef d'orchestre assemble les instruments pour rendre harmonieux une partition, décode la manière dont l'identité afro-américaine s'est construite, et comment elle s'est retrouvée marginalisée, discriminée, et attaquée dans une Amérique qui n'a pas su quoi faire de ses descendants d'esclaves. Pour cela il prend un témoin, James Baldwin, écrivain et intellectuel noir et homosexuel, et trois figures mythiques du combat des droits civiques: Medgar Evers, mort le 12 juin 1963, Malcolm X, mort le 21 février 1965 et Martin Luther King Jr., mort le 4 avril 1968. "Les trois ont été considérés comme dangereux parce qu’ils levaient le voile sur le brouillard de la confusion raciale" explique le réalisateur.

James Baldwin voulait écrire sur ces trois hommes dans ce qui serait son dernier ouvrage, Remember This House, inachevé. Ecrivain prolifique et considéré comme un observateur précis et lucide de la société américaine, il avait anticipé la montée des communautarismes et des tensions sociales. Plus surprenant, il se désolait dans les années 1960 qu'il faille attendre au moins 40 ans pour avoir un Président noir à la Maison-Blanche (l'Histoire lui aura donné raison). Il pointait du doigts les gestes visibles et les non-dits de la société à l'encontre des minorités. Il parlait déjà d'identité.

L'image fantasmée des noirs d'Amérique

"J’avais honte d’où je venais. J’avais honte de la vie dans l’Eglise, honte de mon père, honte du blues, honte du jazz, et bien sûr honte de la pastèque. Tout ça, c’était les stéréotypes que ce pays inflige aux Noirs : que nous mangeons tous de la pastèque et que nous passons notre temps à ne rien faire et à chanter le blues, et tout le reste, j’étais vraiment parvenu à m’enfouir derrière une image totalement fantastique de moi qui n’était pas la mienne, mais l’image que les Blancs avaient de moi" expliquait-il au début des années 1960.

En mélangeant politique, histoire, psychologie et humanisme, sa réflexion, et on le constate tout au long du documentaire au fil de ses interviews ou en écoutant ses textes, n'est pas seulement visionnaire et ne résonne pas seulement avec justesse: elle décrypte minutieusement comment l'Amérique fabriquait une société discriminante, raciste, violente. Et ça n'a pas changé depuis 40 ans. Les incidents et accidents continuent. Les émeutes et les manifs sont toujours là. La fracture n'est pas résorbée. "Le plus consternant est que toutes ces choses ne seraient peut-être pas aussi terribles si, lorsque vous vous retrouvez devant des Blancs pleins de bonne volonté, vous ne vous rendiez pas compte qu’ils ne savent rien de tout cela, et n’en veulent rien savoir" résumait l'écrivain.

Un docu aussi visuel que politique

Raoul Peck démontre ainsi le chaos cyclique qui perturbe la bonne relation entre les communautés, revient sur les racines du mal et décortique l'aspect structurel toujours présent qui entraîne une défiance régulière entre l'Amérique WASP et les afro-américains. Le réalisateur expérimente ainsi un propos très politique avec un formalisme complexe. C'est un puzzle qu'il compose, explosant les codes narratifs classiques du documentaires pour en faire un film plus expérimental, très esthétique, qui met en valeur James Baldwin, ses opinions et leur liens avec l'Histoire américaine. Il s'autorise à insuffler une liberté de pensée, à inviter de la musique et de l'humour, à dramatiser en ne masquant rien de la brutalité, de l'exploitation, des assassinats et des injustices d'un peuple à la fois victime et combattant.

I am not your Negro est aussi visuel que philosophique, sonore que pédagogique. Il se réapproprie toute la culture "noire", des clichés aux malentendus, des icônes aux erreurs historiques. Il "monte" et "découpe" son récit emblématique tout en démontant et coupant les préjugés idéologiques. Il colorise des archives et passe en noir et blanc des images plus modernes. Il trouble notre vision chronologique pour mieux assumer l'unité de temps et de lieu d'un phénomène qui dure depuis plus de deux siècles. De la même manière, les archives sont diversifiées, de programmes télévisés populaires à des interviews et débats plus costauds en passant par des extraits de films hollywoodiens. Ce montage "kaléidoscopique, frénétique et poétique", comme un mix de DJ revisitant des airs connus, permet évidemment de ne pas rendre ce film ennuyeux. Loin de là. Une heure et demi, ça semble presque court.

Insécurité raciale

Outre l'intelligence de l'ensemble, le prosélytisme bienvenu, et la force de son propos, I am not your Negro fait indéniablement écho aux antagonismes sociaux actuels en Occident. "Ce n’est pas tout ce que vous avez pu me faire qui vous menace. C’est tout ce que vous avez fait à vous-même qui vous menace" écrivait-il. Il précisait même : "J’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent à leurs haines avec tellement d’obstination, est qu’ils sentent qu’une fois la haine partie, ils devront affronter leurs souffrances." En renvoyant les bourreaux à leur propre misère, il avait compris que le problème des exclus était moins le leur que celui des excluants. Critique insatiable des pouvoirs dominants et supérieurs (religions, blancs, politiques...), il interpellait notre insécurité culturelle dans Le jour où j'étais perdu : La vie de Malcolm X:
"Pourquoi ne demandez-vous pas aux Blancs, qui sont vraiment entraînés à la violence, ce qu’ils pensent de tous les Noirs innocents qu’ils tuent ? Quand un jeune blanc tue, c’est un problème « sociologique ». Mais quand un jeune Noir tue, vous êtes prêts à construire des chambres à gaz. Comment se fait-il que vous ne vous inquiétiez jamais quand les Noirs se tuaient entre eux ? Tant que l’on massacrait les Noirs de sang-froid, tant qu’on les lynchait, vous disiez : « les choses s’arrangeront »."

5 raisons de ne pas aller voir Going to Brazil

Posté par redaction, le 23 mars 2017

Going to Brazil est un film signé Patrick mille, en salles depuis hier. A la vue du film, ona préféré ne pas perdre trop de temps. Le pitch est digne, comme souvent ces derniers temps, d'un article de magazine féminin, mixé avec le concept désormais très recherché du Very Bad Trip: "La folle aventure de trois copines invitées au mariage de leur meilleure amie au Brésil (hello Babysitting 2, non mais franchement on a combien d'amis qui ont les moyens de faire leur mariage au Brésil?!, ndlr). À peine arrivées à Rio, elles tuent accidentellement un jeune homme trop insistant (oh le méchant autochtone! Le harcèlement mérite-t-il une peine capitale?!, ndlr). Dès lors, tout s'emballe...!"

Bon déjà dans le dossier de presse, on avait un peu peur. Le comédien - cinéaste Patrick Mille, qu'on aime plutôt bien, se justifiait à coup de clichés: "Je voulais tourner à l’étranger, et je suis fou de Rio et du Brésil, qui me fascine depuis que je suis petit. J’aime les Brésiliens, leur musique, leur cinéma, leur Histoire, bien sûr leur football donc je suis allé trouver Dimitri Rassam, et je lui ai dit : c’est une comédie avec des filles, il leur arrive des bricoles , et c’est au Brésil. C’est comme ça que j’ai vendu mon film". Petite pensée aux scénaristes qui triment pour vendre leur belle histoire au fin fond du Cotentin.

Il choisit donc un casting sexy, plus jeune que dans la première version du script. Vanessa Guide, Alison Wheeler, Margot Bancilhon et Philippine Stindel ont l'avantage d'être très jolies, drôles, et pas chères.

Cependant, comme on vous l'a promis, on a décidé de vous dire pourquoi ce film ne mérite guère qu'on s'y attarde. On peut toujours y voir du énième degré dans certains gags ou certaines séquences: l'ensemble laisse un arrière-goût désagréable pour les 5 raisons suivantes.

1. Cette manie de mal jouer sur les clichés. Les Brésiliens aiment la chirurgie et l'Amérique du Sud est connue pour ses histoires de corruption. Le film ne va pas plus loin que ça et joue avec des stéréotypes datés en espérant que ça va rendre le scénario un peu plus crédible. Sauf qu'au final, on se dit que ça se passe certes au Brésil mais que l'histoire aurait pu être transposée n'importe où ailleurs, tant qu'il y a une plage, des jeunes gens beaux et riches et de la corruption !

2. Les personnes principaux sont des femmes mais c'est sexiste et misogyne. Le film explique que : 1) si tu te fais larguer, c'est forcément de ta faute (si tu es une femme) ; 2) pour être épanouie, il faut que tu baises et donc que tu sois baisée par un mec (le sexe lesbien n'étant apparemment pas une option) ; 3) les Françaises sont des cochonnes donc on peut tout faire avec elles, elles seront toujours partantes — même dans le cas d'un viol ; 4) si un mec te largue c'est sans doute parce que tu baisais mal ; 5) en cas de grossesse, ton corps est avant tout un réceptacle qui n'est plus tien mais appartient au père de l'enfant (surtout s'il est riche).

3. C'est souvent raciste. Oh ce racisme est légèrement et bien dissimulé. Mais nous n'avons pas manqué les multiples blagues raciales qui ne sont pas forcément drôles et les rares filles de couleur dans le film sont réduites à des rôles de pseudo militaires qui sont aussi des esclaves sexuelles.

4. La scène musicale est mal introduite, mal jouée et mal mise en scène. La bande de filles arrive dans une maison pleine de monde et leur hôte se lance dans un grand numéro de transformisme qui amène à une scène pro-partouze. Et comme si ça ne suffisait pas, le playback de la scène est absolument dégueulasse !

5. Il y a un mauvais traitement des corps. Les femmes sont nues pour signifier du désir sexuel, la nécessité de se reproduire ou d'arriver à la jouissance (du côté de l'homme) alors que les rares hommes nus le sont juste pour évoquer une forme d'état naturel, de retour à un mode de vie simple.

Edito: Nos coeurs en hiver

Posté par redaction, le 28 janvier 2016

On est au coeur de l'hiver. Les sorties en salles cette semaine pourront vous réchauffer un peu. Dans un cottage anglais, un ranch américain, sur un bateau en route pour le Pôle Nord, dans des paysages luxuriants thaïlandais, au milieu des maisons en briques rouges de Boston ou dans un paisible quartier de Tokyo. Avec un couple qui aime les Platters, une mère courage, des jeunes intrépides, des journalistes qui ont la foi, ou une vieille femme qui vous cuisinera des gâteaux succulents à base d'haricots rouges confits. Vous avez le choix.

Car si les César se concentrent sur quelques films tant le système semble verrouillé, même si on se félicité de la présence de femmes et de minorités dans les nominations, si les Oscars sont dans la tempête à cause d'un panel trop uniformisé qui exclut les femmes et les minorités, le cinéma continue à offrir le choix aux cinéphiles grâce à sa diversité. Mais qu'on se comprenne bien. Puisque janvier n'est pas terminé, c'est le temps de faire encore de bonnes résolutions, à défaut de vouloir faire la révolution. Pour que cette variété si chère aux spectateurs puisse exister, pour que l'égalité si souhaitée par les professionnels puisse se concrétiser, il va bien falloir changer quelques règles, et surtout les mentalités.

Briser le plafond de verre

Ce ne sont pas quelques breloques dorées qui sont en cause. Un film ou un acteur ne doit pas être jugé en fonction de son sexe, de sa sexualité, de son origine ethnique ou même de ses moyens financiers ou des épreuves physiques qu'a subit son film. C'est en amont que se situe le problème. C'est un problème d'offre et pas de demande. Il est nécessaire de faire émerger des talents et de leur donner la visibilité qu'ils méritent. Femmes ou hommes, blancs ou noirs, peu importe tant que le sexe, ses goûts amoureux ou la couleur de peau n'est pas un obstacle "invisible" et "inconscient" pour un producteur, un studio, un financier. Aux Etats-Unis, il semble impossible pour une réalisatrice de prendre les commandes d'un blockbuster. Evoquer un James Bond noir semble encore tabou. En France, un film comme Made in France, récit ancré dans la réalité de jeunes de banlieue tentés par le djihadisme, dès cette semaine en vidéo à la demande, se voit finalement refuser l'accès aux salles.

A trop "censurer" économiquement ou médiatiquement ces voix différentes, ces tons nouveaux, ces sujets contemporains, le risque est que le 7e art se coupe d'une réalité, ou pire, soit gagné par une forme d'uniformité. Ce qu'on demande au cinéma c'est de la haute couture artisanale et quelques basics casuals mondialisés, pas du prêt à porter made in China.