2018 dans le rétro: des films LGBT plus ou moins marquants

Posté par wyzman, le 31 décembre 2018

Malgré de multiples polémiques (Scarlett Johansson renonce à incarner un personnage trans dans Rub & Tug, Jack Whitewall jouera un personnage gay dans le Jungle Cruise de Disney), 2018 aura été une grande année pour le cinéma LGBT.

Explicitement ou implicitement queer, les films qui suivent sont autant de preuves que la diversité sexuelle des personnages peut être synonyme de succès commercial. A moins qu’il ne soit encore et toujours question de personnages gays — et blancs ?

Des films importants

Sans surprise, Call Me By Your Name est le film queer qui aura le plus marqué les esprits cette année. Portée par Timothée Chalamet et Armie Hammer, adapté pour le grand écran par Luca Guadagnino, cette histoire d’amour et d’éveil sexuel était le Moonlight de 2018. Pour rappel, le film est reparti de la dernière cérémonie des Oscars avec le prix du meilleur scénario adapté pour James Ivory.

De son côté, Love, Simon aura marqué les esprits et les livres d’histoire en étant le premier teen movie d’un grand studio américain centré sur un personnage homosexuel. Sa bande originale nous a autant enthousiasmé que l’interprétation tout en finesse de l’acteur principal, Nick Robinson.

Mario de Marcel Gisler était peut-être le film LGBT le plus important de cette année. En mettant en scène une histoire d’amour gay entre deux joueurs de football professionnel, le réalisateur suisse a réussi son pari : nous émouvoir. A l’instar du Bohemian Rhapsody de Bryan Singer. Malgré des perturbations survenues sur le tournage entre le réalisateur et l’acteur phare de ce biopic du groupe Queen, Rami Malek s’y donne corps et âme. Une nomination aux Oscars semble de plus en plus évidente !

L’influence des sélections cannoises

En dépit d’une édition 2018 encore marquée par « l’affaire Netflix », le festival de Cannes a su ravir ses fidèles par la diversité des histoires racontées au travers de ses multiples sélections. En sélection officielle, Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré aurait pu faire des ravages s’il n’avait pas été présenté un an seulement après l’implacable 120 battements par minute. Côté séances de minuit, c’est Whitney de Kevin MacDonald qui aura ravi la critique. Cet excellent biopic nous aura permis de découvrir la face cachée de la plus grande diva du 20e siècle, une femme agressée sexuellement dans sa jeunesse et qui a passé toute sa vie d’adulte à cacher son penchant pour les femmes…

Mais c’est sans doute de Girl de Lukas Dont que l’on se souviendra le plus longtemps. Lauréat de la Caméra d’or, du Prix FIPRESCI et de la Queen Palm, ce drame belgo-hollandais raconte l’histoire d’une adolescente et danseuse classique de de 15 ans née malgré elle dans un corps de garçon. Plus prévisible, Rafiki de Wanuri Kahiu aura eu le mérite de mettre en lumière l’hypocrisie teintée d’homophobie des autorités kenyanes.

De son côté, la Quinzaine des réalisateurs n’a pas démérité. Gaspar Noé était de retour avec Climax. Lauréat de l’Art Cinema Award, son nouveau bébé raconte comment une soirée entre vogueurs tourne au massacre à l’overdose. Bourré de personnages queer, Climax aura surpris, choqué, ravi, impressionné la Croisette. Au choix. Enfin, impossible de ne pas mentionner le drame romantique de Arantxa Echevarria, Carmen et Lola. Cette histoire d’amour entre deux gitanes était un must-see.

Si le psychédélique Diamantino nous a fait mourir de rire, force est de reconnaître que Sauvage de Camille Vidal-Naquet nous aura mis dans tous nos états. Son interprétation pleine de vigueur et d’honnêteté le place déjà parmi les meilleurs de sa génération. C’est peu dire !

Netflix, héros de la contre-programmation

N’en déplaise à certains producteurs et distributeurs, le géant du streaming est aujourd’hui un acteur majeur dans la diffusion de films LGBT. Netflix s’est ainsi démarqué ce printemps en proposant à ses abonnés Les Bums de plage et Alex Strangelove. Le premier, réalisé par Eliza Hittman et récompensé à Sundance 2017, s’intéresse à un adolescent de Brooklyn (Harris Dickinson) qui tente de compartimenter son temps entre ses amis paumés, sa petite amie suspicieuse et les hommes qu’il rencontre via Internet et avec lesquels il aime avoir des rapports sexuels.

Le second, beaucoup plus léger, s’est retrouvé sur le service de streaming quelques semaines avant la sortie de Love, Simon et raconte une histoire similaire. Persuadé qu’il va finir sa vie avec une femme, Alex se met à questionner sa sexualité après avoir rencontré Elliot, un jeune homme ouvertement homosexuel.

Les grands oubliés

Par chance, cette année, seuls trois films pourtant fort intéressants n’ont pas su trouver leur public. Il y a d’abord eu Désobéissance de Sebastian Lelio et qui raconte les péripéties d’une jeune femme juive-orthodoxe qui avoue à sa meilleure amie la nature de ses sentiments à son égard. Puis vient Come As You Are de Desiree Akhavan. Bien que porté par Chloë Grace Moretz, Sasha Lane et Forrest Goodluck, le drame américain centré sur un établissement spécialisé dans les thérapies de conversion n’a fait qu’accentuer l’attente mondiale autour de Boy Erased, le nouveau film de Joel Edgerton avec Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe, Xavier Dolan et Troye Sivan au casting.

Enfin, nous refermons cette liste quasi exhaustive des films LGBT qui ont fait 2018 avec The Happy Prince de Rupert Everett. Le biopic qui présente les dernières heures de l’écrivain Oscar Wilde (incarné Rupert Everett) est passé complètement inaperçu mais pourrait se rattraper lors des prochaines grandes cérémonies de remises de prix.

La réalisatrice de « Rafiki » porte plainte contre les autorités kenyanes

Posté par vincy, le 12 septembre 2018

Wanuri Kahiu, réalisatrice de Rafiki, premier film kényan sélectionné au Festival de Cannes en mai dernier, a décidé de porter plainte contre le KFBC (organisme de régulation des diffusions mandaté par le gouvernement kényan), et le procureur général du pays, suite à l'interdiction de son film dans son pays.

Rafiki raconte l'histoire de deux jeunes femmes, à Nairobi, qui tombent amoureuses l'une de l'autre, essayant de ne pas se faire surprendre en restant à l'écart des commères, machos et autres dévots.

Lors de l'annonce de sa sélection à Cannes, tout le monde s'était réjoui de cet "honneur" dans le plus grand des festivals, à commencer par la Commission du Film du Kenya (l'équivalent du CNC) et le ministère des Sports et du Patrimoine, qui comprend la Culture dans ses attributions. Mais rapidement, le film a été censuré, avant même sa projection sur la Croisette. Le KFCB y a vu une "claire intention de promouvoir le lesbianisme au Kenya ce qui est contraire à la loi", ajoutant que ce film "heurte la culture et les valeurs morales du peuple Kényan".

Dans un communiqué, Wanuri Kahiu estime que l'empêchement de la diffusion du film viole plusieurs articles de la constitution qui protège la liberté d'expression et de création: "Quand quelqu’un commence à porter atteinte à votre droit d'être créative et d’exercer votre travail cela devient un problème".

Le film sort le 26 septembre en France. Il y a peu de chance qu'il représente le Kenya aux Oscars.

Cannes 2018 : Black Lives Matter

Posté par wyzman, le 13 mai 2018

Si depuis 4 mois toute la presse people n'a d'yeux que pour Cate Blanchett, présidente du jury de cette année, il se pourrait bien que le plus intéressant se trouve ailleurs. En effet, l'actrice qui succède à Pedro Almodovar a beau être "le symbole de l'ère Time's Up", elle n'en demeure pas moins relativement proche (jusqu'à preuve du contraire) de Woody Allen. Et à l'heure où les amitiés et inimitiés de chacun sont passées à la loupe, la véritable révolution de cette 71e édition est sans doute à chercher du côté de la diversité des membres du jury, des films sélectionnés et des acteurs présents sur le tapis rouge...

Des femmes in formation

Si l'an dernier, le Festival pouvait se féliciter d'avoir réussi à embarquer l'acteur Will Smith en son sein, cette année, les organisateurs semblent avoir fait bien mieux. Parmi les personnalités qui auront la lourde tâche d'attribuer Palme d'or et Grand prix, on trouve en effet deux femmes noires : la réalisatrice et productrice Ava DuVernay et la chanteuse venue du Burundi Khadja Nin. Bien plus qu'une "caution noire", les deux femmes pourraient faciliter le dynamitage d'un palmarès souvent trop pompeux grâce à leur œil unique et leur sens du détail.

Du côté des films, il faudra sans aucun doute compter sur Wanuri Kahiu. La réalisatrice est en effet la première représentante du Kenya dans toute l'histoire du Festival de Cannes. Quant à son film, Rafiki, il est au centre d'une polémique. Sélectionné du côté d'Un certain regard, le film traite d'une romance lesbienne et a d'ores et déjà été censuré dans son pays d'origine. Mais preuve que cette 71e édition pourrait être bourrée de surprise, notez que Rafiki concourt également pour la Queer Palm et que Grand-père, raconte-nous de la réalisatrice sénégalaise Safi Faye sera projeté à Cannes Classics.

Enfin, impossible de ne pas évoquer le documentaire Whitney. Projeté en Séance de minuit, le film de Kevin MacDonald dispose de tous les ingrédients nécessaires pour éclipsés certains films plus "gros" : une chanteuse adorée de tous, une histoire dramatique au possible et un regard porté sur une communauté (les Noirs américains) toujours malmenée par les autorités.

Des hommes toujours dans la partie

Souvent sous le feu des critiques, Spike Lee effectuera tout de même son grand retour sur la Croisette. Seize ans après Ten Minutes Older : the Trumpet, l'homme venu présenter BlacKkKlansman est en compétition pour la troisième fois. D'ailleurs, son film devrait marquer les esprits puisqu'il y est question du premier officier de police noir à avoir infiltré le Ku Kux Klan. Eh oui, rien que ça !

Côté acteurs, il ne faudra pas manquer les performances de Donald Glover, Michael B. Jordan et Alex van Dyk. Le premier est à l'affiche du très attendu Solo : A Star Wars Story, premier volet de ce qui pourrait être une trilogie fun et décalée. Le deuxième est la star de Fahrenheit 451, le téléfilm de HBO projeté en Séance de minuit et réalisé par Ramin Bahrani. Quant au dernier, Alex van Dyk, il se murmure que sa performance dans Les Moissonneurs fait partie des meilleures. Le film du sud-africain Etienne Kalos sera visible dans la section Un certain regard.

Et à défaut de proposer une surprise du côté de la Quinzaine des réalisateurs ou de la Semaine de la critique, les organisateurs ont eu la bonne idée de programmer Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambéty à Cannes Classics. Une chose est sûre, à Cannes 2018, black lives matter enfin !

Cannes 2018: A Queer Eye

Posté par vincy, le 11 mai 2018

Une Palme d'or pour La vie d'Adèle, deux Grands prix du jury pour Juste la fin du monde et 120 battements par minute, un prix de la mise en scène Un certain regard pour L'inconnu du lac, sans oublier Carol, Les vies de Thérèse, Kaboom... le festival de Cannes depuis quelques années a suivi le mouvement sociétal et cinématographique (les Oscars ont récompensés Moonlight l'an dernier, Une femme fantastique et Call Me By Your Name cette année): l'homosexualité et plus globalement la culture Queer se sont invités dans les sélections comme dans les palmarès. Les cinéastes, hétéros ou LGBTQI, y trouvent des sujets forts pour des genres variés et des films engagés.

2018 ne fait pas exception. Le queer sera à la mode. Il sera même banalisé, ce qui ne peut que nous satisfaire. Il sera aussi "transgenre".

Yann Gonzalez nous plongera ainsi dans le milieu porno gay de la fin des années 1970 avec Un couteau dans le cœur (compétition), tandis que Christophe Honoré nous conviera à une romance dramatique gay (et homoparental) du début des années 1990 avec Plaire, Aimer et courir vite (aussi en compétition). Les amours (de jeunesse) tourneront aussi dans L'amour debout de Michaël Dacheux (Acid). A bas les étiquettes!

Côté beaux mecs (et tendance marginal) on sera séduit par les plastiques Felix Maritaud et Eric Bernard dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet (Semaine de la critique). Dans un registre plus homoérotique qu'homosexuel, Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt se concentrera sur le culte du corps masculin d'un sportif (en l'occurrence celui de Carloto Cotta). Le sport et le corps sont aussi à l'honneur du documentaire de Marie Losier, Cassandro, The Exotico (Acid). Ici on plonge dans l'univers des catcheurs gays.

Mais peut-être que l'histoire qui nous touchera le plus est celle des deux frères, dont l'un est homosexuel, dans Euphoria de Valeria Golino (Un certain regard), avec Riccardo Scamarcio et Valerio Mastandrea...

C'est d'ailleurs toujours à Un certain regard que l'un des films les plus attendus sera projeté: Rafiki de Wanuri Kahiu. Parce que c'est le premier film kényan en sélection officielle. Parce qu'il a été censuré dans son pays après l'annonce de sa sélection. Parce que c'est une histoire d'amour entre deux femmes qui ne peuvent pas étaler leurs sentiments en plein jour. Et dans la même sélection, avec Girl de Lukas Dhont, on évoquera le genre grâce à une adolescente qui veut devenir danseuse étoile, mais qui est née dans le corps d'un garçon.

Les amours saphiques seront aussi projetés à la Quinzaine des réalisateurs avec Carmen y Lola d’Arantxa Echevarria, une histoire d'amour entre deux jeunes gitanes dans un milieu où là aussi l'homosexualité est un tabou. Et qu'attendre de Climax de Gaspar Noé, qui met le plaisir au centre de tout, cet hédonisme revendiqué et sans limites?

On le voit: le genre, la sexualité, l'homophobie, l'homoparentalité, la pornographie, et bien entendu l'amour sont présents dans des films venus de partout et formellement différents. Et on peut aller plus loin avec le frontal A genoux les gars (Antoine Desrosières, Un certain regard) qui s'affirme le film le plus féministe de la saison, L'ange (Luis Ortega, Un certain regard), dont le personnage de tueur est pour le moins ambivalent ou encore Manto (Nandita Das, Un certain regard), biopic sur un écrivain célèbre accusé plusieurs fois de pornographie...

Mais assurément le film le plus queer du 71e festival de Cannes (en séance spéciale) est un documentaire de Kevin Macdonald (Le Dernier Roi d'Écosse), qui six ans après Marley (sur Bob Marley), s'intéresse à Whitney (sur la diva Whitney Houston). Rien de gai mais cette icône gay (et pop) devrait être l'une des vedettes des dancefloors cannois. Une Queen pour célébrer la culture queer, pour aimer, sans préjugés.

Cannes 2018: Qui est Wanuri Kahiu ?

Posté par vincy, le 9 mai 2018

Une Kényane en sélection officielle. C'est une première et cet honneur revient à Wanuri Kahiu, artiste, cinéaste, activiste, auteure née à Nairobi et conteuse multi-supports. Cofondatrice de AfroBubbleGum, une agence qui soutient l'art africain, elle arrive à Cannes avec Rafiki, histoire d'amour tabou entre deux femmes, ce qui lui a déjà valu un sacré buzz pré-cannois: le film a été censuré au Kenya. L'homosexualité n'y est pas vraiment tolérée. Elle revendique la transgression. Consciente de toujours avoir été un mouton noir dans sa famille conservatrice, plutôt ultra-libérale.

A 16 ans, elle décide de devenir cinéaste. Part faire ses études à Los Angeles, apprend le cinéma sur des tournages hollywoodiens. Dès son premier film en 2009, From a Whisper, elle est remarquée, raflant 5 Africa Movie Academy Awards, dont celui du meilleur film. Elle y raconte l'histoire d'une jeune fille qui perd sa mère dans l'attentat terroriste de l'Ambassade des Etats-Unis à Nairobi en 1998. Son père lui ment en préférant lui dire qu'elle a disparu. La jeune fille cherche sa mère partout dans la ville, aidée par un policier qui culpabilise de ne pas avoir arrêté un des auteurs de l'attentat.

Entre traumatismes, mensonges, égalitarisme, féminisme et humanisme, la réalisatrice dessine l'esquisse de son message sur une Afrique ouverte, tolérante et universaliste.

Elle enchaîne ensuite avec un court métrage de science-fiction, Pumzi, une allégorie récompensée à Venise qui se déroule dans une Afrique post-apocalyptique, où elle creuse ce sillon féministe en plus d'affirmer sa sensibilité écologique. Wanuri Kahiu réalise aussi des documentaires pour une série de MNET et écrit deux livres pour les enfants (Rusties, The Wooden Camel).

Depuis la censure qui a frappé Rafiki, elle ne se tait pas. Luttant pour la liberté d'expression, pour la liberté tout court. Cannes va sans aucun doute lui offrir une tribune opportune pour rappeler que l'Afrique se réveille (outre son film, quatre autres films du continent sont sur la Croisette), tout en exposant certains des démons qui la rongent.

Cannes 2018: le Festival soutient Terry Gilliam face aux menaces de Paulo Branco

Posté par vincy, le 30 avril 2018

Dans un premier temps, la semaine dernière, Paulo Branco, via sa société Alfama Films Production, avait "obtenu l'autorisation d'assigner en référé le Festival de Cannes", après la sélection de L'homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam. Le producteur veut demander au président du tribunal de grande instance de Paris de prononcer l’interdiction de la projection du film "en violation de ses droits, droits réaffirmés par trois décisions judiciaires". L’audience se tiendra le 7 mai, la veille de l'ouverture du Festival.

Le film de Terry Gilliam, distribué par Océan Films, doit sortir en France le 19 mai, soit le même jour que sa projection cannoise.

Rappelons quand même que le producteur Paulo Branco (Alfama Films) a déjà engagé plusieurs procédures en Europe contre les producteurs du film de Terry Gilliam (Tornasol, Kinology, Entre Chien et Loup et Ukbarfilmes) ainsi que distributeur français (Océan Films Distribution Int.), estimant qu’il détient toujours les droits du film. Un des jugements doit être rendu le 15 juin par la cour d’appel de Paris.

Branco braque Cannes

Bon. Avec un peu d'humour noir, on se dit que ce n'est qu'un obstacle de plus pour cette production démarrée il y a vingt ans....

Et puis, le Festival de Cannes, à travers un communiqué signé de son Président Pierre Lescure et de son Délégué général Thierry Frémaux, ont décidé de réagir: "M. Branco ayant jusque-là beaucoup occupé le terrain médiatique et juridique, il nous semble important de faire valoir les raisons qui nous ont conduits à sélectionner le film et à encourir l’attaque d’un producteur dont l’avocat, M. Juan Branco, aime rappeler que son image et sa crédibilité se sont essentiellement bâties sur ses innombrables présences à Cannes, et par sa proximité avec de grands auteurs consacrés par le Festival. "Ce qui est vrai, et ajoute à notre perplexité."

Car oui, Paulo Branco a profité largement du Festival : La Forêt de Quinconces de Grégoire Leprince-Ringuet, La Chambre bleue de Mathieu Amalric, Cosmopolis de David Cronenberg, Les Chansons d'amour de Christophe Honoré, pour ne citer que quelques uns des films récents qu'il a produit ont été en sélection officielle.

Soutien officiel aux artistes

Le Festival de Cannes "respectera la décision de justice à intervenir, quelle qu’elle soit, mais nous tenons à redire qu’il se tient du côté des cinéastes et en l’espèce du côté de Terry Gilliam dont on sait l’importance qu’a pour lui un projet qui a connu tant de vicissitudes. Provoquées une dernière fois par les agissements d’un producteur dont l’épisode fait définitivement tomber le masque et qui nous promet désormais, par la voix de son avocat, une « déshonorante défaite »".

Avec justesse, le Festival rappelle alors que "La défaite serait de céder à la menace". "Au moment où deux cinéastes invités en Sélection officielle sont assignés à résidence dans leurs propres pays (Jafar Panahi et Kirill Serebrennikov, ndlr), au moment où le film de Wanuri Kahiu, Rafiki, qui figure en Sélection officielle, vient de subir les foudres de la censure du Kenya, son pays de production, il est plus que jamais important de rappeler que les artistes ont besoin qu’on les soutienne, pas qu’on les attaque. Cela a toujours été la tradition du Festival de Cannes, et cela le restera" affirme le communiqué.

Risques connus

Cannes avait conscience du litige entre Gilliam et Branco. Le film a été présenté au comité de sélection par le réalisateur, le vendeur du film et le distributeur, durant l'hiver. "Les contentieux tels que celui qui oppose M. Branco à Terry Gilliam ne sont pas rares, le Festival en est régulièrement informé, mais il ne lui appartient pas de prendre position sur un sujet de cet ordre. Ainsi, après vision, et alors qu’une sortie simultanée du film semblait possible, nous avons décidé de faire figurer cette œuvre en Sélection officielle" précisent Lescure et Frémaux.

Les deux patrons du Festival indiquent que "Le Festival de Cannes a pour mission de choisir les œuvres sur des critères purement artistiques et une sélection doit se faire avant tout en accord avec le réalisateur d’un film. C’est le cas. Nous étions prévenus des recours possibles et des risques encourus, dans une situation déjà rencontrée dans le passé mais en l’occurrence, lorsque notre décision a été prise, rien ne s’opposait à la projection du film au Festival."

Si le Festival de Cannes attendra la décision du Tribunal avec "sérénité", la manifestation confirme que la projection en clôture reste soumise à la décision du juge des référés le 7 mai. Mais, le Festival se défend d'avoir "agi à la légère" ou "opéré le moindre « passage en force », comme M. Juan Branco le dit à la presse".

Diffamation(s)

Car à la fin du communiqué, Cannes touche le talon d'Achille du producteur. "Le « passage en force », chacun sait dans notre métier que cela a toujours été la méthode favorite de M. Branco dont il faut rappeler qu’il organisa il y a quelques années une conférence de presse pour dénoncer le Festival de Cannes qui n’aurait pas tenu une « promesse de sélection » sur un de ses films. Accusation qui fit long feu, le Festival ne faisant pas des promesses de sélection : il sélectionne ou non. Aujourd’hui, M. Branco laisse son avocat procéder à des intimidations ainsi qu’à des affirmations diffamatoires aussi dérisoires que grotesques, dont l’une vise l’ancien Président d’une manifestation dont il s’est servi toute sa carrière pour établir sa propre réputation."

Dans son livre Voir Cannes et survivre, Les dessous du festival (2017), Carlos Gomez écrivait dans son livre: "Matthieu Amalric qui riait en me racontant que son producteur Paulo Branco était allé au casino pour tenter de regagner l'argent qu'il avait réuni pour un film de Wim Wenders, perdu la veille sur la même table de jeu." Si Paulo Branco risque de ne pas être le bienvenu à Cannes, il pourra toujours se consoler au casino.

Cannes 2018: Après les célébrations, la censure frappe le film kényan « Rafiki »

Posté par vincy, le 28 avril 2018

C'était une joie quand Thierry Frémaux a annoncé le premier film kenyan en sélection officielle (Un Certain regard). Rafiki de Wanuri Kahiu promet d'être l'un des films les plus attendus du prochain festival de Cannes. Mais hier, vendredi 27 avril, la fête a pris fin. Les autorités kényanes ont décidé d'interdire le film.

Ce film qui raconte une histoire d'amour entre deux jeunes filles n'est pas du goût du président du Kénya, qui comme dans beaucoup de pays d'Afrique, a fait de l'homosexualité un bouc-émissaire fédérateur. Dans une interview à la chaîne américaine CNN donnée le 20 avril, Uhuru Kenyatta dénonçait l'homosexualité comme une valeur contraire aux croyances culturelles de la majorité des Kényans.

"Promotion du lesbianisme"

Cela ne va pas arranger la situation des droits de l'Homme et des droits LGBT dans le pays. Rafiki ("ami" en langue locale swahili) a été jugé par le Comité national kényan de classification des films (KFCB) comme ayant la "claire intention de promouvoir le lesbianisme au Kenya ce qui est contraire à la loi."

L'homosexualité est illégale au Kénya et peut entraîner une peine de 14 ans de prison. Le film, qui sera sous les feux des projecteurs grâce au Festival de Cannes, avait conduit une association en faveur des droits des personnes homosexuelles à demander à la justice kényane d'abolir ces lois anti-gay, imposées sous la colonisation anglaise et jugées discriminante. Or le 18 avril, Theresa May, Première ministre du Royaume Uni a justement fait son mea culpa.

"En tant que famille de nations, nous devons respecter les cultures et les traditions des autres, mais nous devons le faire de manière à protéger notre valeur commune d’égalité, une valeur qui est clairement inscrite dans la Charte du Commonwealth." "Ils avaient tort à l’époque et ils ont tort aujourd’hui. Personne ne devrait subir une quelconque persécution ou discrimination à cause de qui il est ou de qui il aime, et le Royaume-Uni se tient prêt à aider tout pays membre du Commonwealth qui voudrait réformer une législation d’un ancien temps, qui rend possible ce type de discrimination, parce que le monde a changé" a-t-elle ajouté, reconnaissant la part de responsabilité du Royaume-Uni en déclarant ne savoir "que trop bien que ces lois ont souvent été mises en place par [s]on propre pays"

Contradictions au sommet de l'Etat

Mais le plus ironique est ailleurs. Le jour de l'annonce de la sélection de Rafiki à Cannes, le ministère des Sports et du Patrimoine, qui comprend la Culture dans son portefeuille, s'était félicité sur les réseaux sociaux de cette invitation cannoise. Un grand nombre de kényans avaient aussi exprimé leur fierté sur les réseaux, dont l'actrice oscarisée Lupita Nyong'o (Black Panther). Le CNC du Kenya n'avait pas hésité à propager son soutien à ce film.

Rafiki suit l'histoire de Kena et Ziki, deux jeunes femmes de Nairobi qui deviennent amies et tombent amoureuses l’une de l’autre, contre leurs parents et leurs voisins homophobes. Ces deux héroïnes devront choisir entre le bonheur et la sécurité, entre leurs sentiments et la pression sociale. Est-il plus sûr d’être invisible ou mieux vaut-il défier les règles conservatrices, pour découvrir votre identité et votre destin à travers l’amour ?

Le récit est adapté d'un roman, Jambula Tree, inédit en France qui racontait la même histoire d'amour mais en Ouganda (tout aussi homophobe). Ecrit par Monica Arac de Nyeko, le livre avait reçu le prix Caine 2007, le Goncourt de la littérature africaine.

Il a fallu sept ans pour faire ce film. La réalisatrice a confié qu'elle avait été poussée par "l’urgence et la nécessité" de faire Rafiki dans un climat anti-LGBT terrifiant en Afrique. Dans sa note d'intention, elle avoue qu'il a fallu "bousculer le cynisme profondément ancré dans la société concernant l’homosexualité à la fois auprès des acteurs, de l’équipe, de mes amis et de ma famille."

Wanuri Kahiu, la réalisatrice du film, a réagit sur twitter dès qu'elle a su son film banni dans son pays: "Nous pensons que les adultes kényans sont suffisamment mûrs et perspicaces pour regarder [ce film] mais on leur en a retiré le droit." Dans un tweet daté de ce samedi 28 avril, elle décide de citer pour seul commentaire la déclaration des Droits de l'Homme sur la liberté d'expression.