[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 7 Jean-Noël Tronc, directeur de la SACEM

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Jean-Noël Tronc, directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), nous parle de la musique à Cannes, et du rôle qu'y joue la SACEM.


Depuis quand la SACEM s'investit-elle au festival de Cannes ? En quoi consiste cet investissement (en général, et cette année en particulier) ?
Cela fait plusieurs années que la Sacem s’associe à l’ensemble des sélections cannoises pour valoriser la musique à l’image et ses compositeurs. Elle accueille ces derniers à l’occasion de la projection du film dont ils ont signé la partition et travaille depuis plusieurs années, avec la Semaine de la Critique et la Quinzaine des réalisateurs notamment, pour mettre en avant leur travail.

La Sacem est devenue partenaire institutionnel officiel du Festival de Cannes en 2018. Nous avons créé avec Thierry Frémaux un rendez-vous consacré à la musique qui met à l’honneur une personnalité pour son engagement envers la musique de Film et les compositeurs : « A Life in Soundtrack ». Lundi 20 mai, au palais des festival salle Bunuel, Bertrand Tavernier recevra cet hommage et nous projetterons à cette occasion un montage inédit, consacré aux musiques et aux chansons du cinéma français, issu de son merveilleux « Voyage à travers le Cinéma français ».
Nous travaillons également étroitement avec les sélections parallèles du festival : la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs, l’ACID mais aussi la Cinéfondation avec qui nous organisons des Master Classes comme celle qui mettra à l’honneur Marc Marder, Samedi 18 mai au Pavillon du monde de l’institut Français.

Pourquoi est-ce important d'être présent à Cannes ? En quoi le festival se distingue-t-il selon vous des autres grands festivals internationaux ?
Le festival de Cannes, dont la Sacem est un partenaire institutionnel, représente un enjeu de visibilité majeur pour les compositeurs. Nombreux sont nos membres créateurs qui exportent aujourd’hui leur travail dans ce secteur particulier qu’est la musique de film : Cannes représente une très belle occasion dans l’année de mettre en lumière leur métier.

Comment jugez-vous la place faite à la musique de films à Cannes ?
Le festival accorde une place de plus en plus importante à la musique. Le compositeur est légalement le 3e auteur d’un film, ce que le festival de Cannes a d’ailleurs reconnu en invitant Alexandre Desplat en 2010 et Gabriel Yared en 2017 comme membre de son jury. La Sacem serait effectivement heureuse de voir un jour la musique de films récompensée par une palme.

Avez-vous des conseils concernant les musiques à suivre dans les films de cette édition 2019 ?
Soyons attentifs à la nouvelle génération de compositrices et compositeurs qui arrive à Cannes et qui s’annonce prometteuse : Para One et Arthur Simonini avec Portrait de la Jeune Fille en feu de Céline Sciamma en sélection officielle, Wissam Hojeij avec Ciniza Negra de Sofia Quiros Ubeda à la Semaine, Julie Roué avec Perdrix de Erwan le Duc à la Quinzaine ou encore Alexis Rault avec Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobé Mevellec et Rob avec Papicha de Mounia Medour tous deux à Un Certain Regard ou encore Benoit de Villeuneuve et Gaspard Clauss avec Vif Argent de Stéphane Batut à l’Acid… et beaucoup d’autres naturellement, ce n’est pas une liste exhaustive.

Que será, será, Whatever will be, will be…. Doris Day s’en va (1922-2019)

Posté par vincy, le 13 mai 2019

L'actrice américaine, légende de l'âge d'or hollywoodien, venait de célébrer ses 97 ans. Doris Day est morte ce lundi 13 mai. A l'origine, la star devait être danseuse, mais à l'âge de 16 ans, elle est victime d'un accident de voiture qui lui brise les os et ses rêves. Durant toute sa rééducation, elle écoute du blues et du jazz, et se destine à vouloir être chanteuse.

Ainsi naît Doris Day, de son vrai nom Doris Kappelhof. Elle a 26 ans quand, après une jolie carrière de music-hall, elle débute au cinéma. Sa vie personnelle est déjà mouvementée. La profession ne lui fait aucun cadeau. Tout change quand elle signe un contrat avec Columbia Records et doit passer une audition pour ce qui sera son premier film Romance à Rio (Romance on the High Seas). La Warner Bros l'engage alors pour sept années sous contrat. Elle devient l'une de ses vedettes de film musical, genre particulièrement en vogue dans l'après guerre: La Femme aux chimères (Young Man With a Horn), Il y a de l'amour dans l'air (My Dream is Your Dream), I’ll See You in My Dreams et La Blonde du Far-West (elle y incarne Calamity Jane), son premier gros succès, doublé d'un hit en radio, "Secret Love".

Sans jamais quitter la musique, elle enregistre des dizaines de chansons, dont des duos prestigieux avec Frank Sinatra, Johnny Ray ou Bing Crosby, et elle poursuit son aventure au cinéma. Durant vingt ans, elle brillera sur le grand écran avant de devenir une star du petit écran avec The Doris Day Show. Puis, à l'instar de Brigitte Bardot, elle se consacrera aux droits des animaux (et crée la Doris Day Pet Foundation), et quitte le show-biz.

Sa carrière cinématographique prend un autre élan à partir de 1955. Extrêmement populaire, elle enchaîne Mademoiselle Porte-bonheur (Lucky Me) de Jack Donohue, Un amour pas comme les autres (Young at Heart), avec Sinatra et Les Pièges de la passion (Love Me or Leave Me) de Charles Vidor, avec James Cagney. Mais en 1956, elle change de registre, en étant la partenaire (et épouse à l'écran) de James Stewart dans un film d'Alfred Hitchcock, L'homme qui en savait trop. Ce rôle dramatique - leur enfant est enlevé - est un succès du box office et surtout, elle y chante son plus gros tube, "Que será, será".

Du musical ou de la comédie, elle passe ainsi au thriller ou au mélo. Elle tourne avec George Abbott et Stanley Donen (Pique-nique en pyjama (The Pajama Game)) et Gene Kelly (Le Père malgré lui (The Tunnel of Love)), confortant ainsi sa popularité avec son physique idéal de fiancée de l'Amérique. Elle a pour partenaire Clark Gable, Louis Jourdan, Richard Widmark, Jack Lemmon, David Niven... Mais c'est Confidences sur l'oreiller (Pillow Talk) de Michael Gordon en 1959, qui dévie une fois de plus son parcours. Elle y croise Rock Hudson et le film repart avec l'Oscar du meilleur scénario original. C'est aussi sa seule nomination aux Oscars, catégorie meilleure actrice.

Si la plupart de ses films sont d'honnêtes productions de l'époque (Piège à minuit (Midnight Lace), Pousse-toi, chérie (Move Over, Darling), La blonde défie le FBI (The Glass Bottom Boat), Un soupçon de vison (That Touch of Mink) avec Cary Grant), ce sont en duo avec Rock Hudson, plus encore qu'un autre partenaire habituel, Rod Taylor, qui restent davantage à l'esprit: Un pyjama pour deux (Lover Come Back) de Delbert Mann et Ne m'envoyez pas de fleurs (Send Me No Flowers) de Norman Jewison. Pourtant, elle a confessé plus tard, quand le "Rock" est mort du SIDA, qu'elle ignorait tout de l'homosexualité de celui-ci. Mais elle disait aussi que Rock Hudson était l'un des hommes les plus gentils qu'elle ait rencontré.

Cinq fois citée aux Golden Globes (et récipiendaire du Cecil B. DeMille Award en 1989 pour l'ensemble de son œuvre), la vedette jette l'éponge en 1968 côté plateaux de tournage. Elle a souvent manqué d'instinct, refusant par exemple le rôle de Maria dans La mélodie du bonheur ou celui de Mrs. Robinson dans Le lauréat. Avant tout chanteuse (600 chansons jusqu'en 1967), la crooneuse devient vedette cathodique durant quelques années. Avant de s'éclipser définitivement.

Sa blondeur, son mignon minois qui semblait de pas vieillir, étaient exploités par les studios pour en faire la "potiche" parfaite, alors que tout, dans sa vie privée comme dans son tempérament, montrait qu'elle en était l'inverse. Elle se battait pour que ses personnages soient d'ailleurs des femmes indépendantes et travailleuses.

Utilisée souvent pour sa voix et le chant, pour sa grâce et sa popularité (elle a été régulièrement l'actrice la plus bankable de l'année), elle n'a jamais vraiment trouvé le grand film de sa vie. Cela n'a pas empêché Doris Day d'être culte. On retrouve son nom dans plusieurs pop songs (Elton John, Billy Joel, Wham, Les Beatles).

Malgré son affichage pro-Républicain dans un milieu ouvertement Démocrate, Doris Day est restée l'une des vedettes les plus atemporelles d'un certain système hollywoodien. Sans grand film à son actif, et assez peu de grands cinéastes dans sa filmographie, elle est restée parmi les comédiennes qui ont marqué assurément leur époque. Pas le genre à faire du scandale (quatre mariages au passage), ni le genre de femme qui misait sur sa plastique: elle était l'antithèse de Liz Taylor ou de Marilyn Monroe. Ses plus beaux souvenirs étaient ceux des tournées (musicales) pas des tournages.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 6 Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde de Malavida Films

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Si Cannes a résolument le regard tourné vers le cinéma d'aujourd'hui et de demain, cela ne l'empêche pas de faire une place croissante aux films qui ont marqué son histoire. Ainsi, depuis la création de la section Cannes Classics en 2004, le cinéma de patrimoine a véritablement toute sa place sur la Croisette, permettant aux festivaliers de revoir les chefs d'oeuvre du passé dans des conditions de projection optimales. Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde, fondateurs de Malavida Films, société de distribution de films et d'édition et distribution DVD, ont eu plusieurs fois l'occasion de présenter l'un de leurs films à Cannes Classics. Cette année, ce sera d'ailleurs Kanal d’Andrzej Wajda, fraîchement restauré. Ils nous parlent de "leur" Festival de Cannes, et du moment privilégié qu'il représente dans leur agenda.


Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ? Depuis quelle année ?
Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde : Premier Cannes en 1992 pour Anne-Laure, étudiante en cinéma ayant réalisé un court métrage, en bande, on courait d’une salle à l’autre et on discutait des films pendant des heures à feu la Brasserie du Casino. Une projection manquée et c’était la fin du monde… Une période enchantée.
Ensemble avec Malavida depuis 2006, en tant qu’éditeurs DVD puis distributeurs. C’est aujourd’hui toujours un rendez-vous précieux, aimé, épuisant mais exaltant, chaque année riche de belles rencontres et de joyeuses retrouvailles comme de nouveaux coups de coeur cinématographiques. Du travail donc, mais aussi beaucoup de plaisir...

EN : Vous y serez cette année avec un film en sélection à Cannes Classics, KANAL d’Andrzej Wajda en version restaurée. Pouvez-vous nous parler du film en quelques mots ? Que change cette sélection pour lui ?
ALB et LI : Quand le film sort, Andrzej Wajda en est au tout début de sa carrière, c'est son 2e long. Et Il s'attaque à un sujet dont les Polonais ne veulent pas entendre parler. Le film, qui renvoie l'image d'un conflit "sale" et dont les protagonistes, malgré leur héroïsme jusqu'au boutiste, ne trouvent aucun avenir meilleur, aucun espoir… Condamné par ses contemporains, désarçonnés par la liberté d'un auteur qui s'affranchit de toute contrainte idéologique, ce chef d'oeuvre condense un étonnant mélange de récit de guerre, l'expression d'une sensualité farouche et une mise en scène d'un modernisme absolu.

Ce deuxième film d'Andrzej Wajda le consacre déjà comme un auteur unique à la maitrise éblouissante et au regard sans concessions. Il est mal reçu et par la critique et par le public. Mais Cannes, en 1957, le distingue avec le prix du jury et fait émerger Wajda comme un auteur majeur. Il est alors soutenu par une partie de la critique française, avant sa 1ère oeuvre reconnue de tous : Cendres et diamant.

60 ans plus tard, Kanal apparait comme un chef d'oeuvre indiscutable. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes heureux de pouvoir partager des films aussi beaux et aussi puissants, magnifiquement restauré par Kadr, enrichi de nouveaux sous-titres, pour que sa beauté brutale et sensuelle, la puissance de son propos politique et son humanité touchent à nouveau le plus possible de regards. "Survival" avant l'heure, Kanal est un film d’une intensité inoubliable. A l'heure où Malavida travaille à la redécouverte de l'oeuvre d’ Andrzej Wajda, le Festival adresse un signal fort, qui opère comme un lancement de notre travail sur le long terme, un mise en lumière essentielle. Cannes Classics offre un label de qualité inégalable pour la vie du film ensuite, en France comme à l’international pour ses vendeurs.

EN : D'une manière générale, en tant que distributeur, et notamment de distributeur de films de patrimoine, en quoi consiste votre présence là-bas ? Avez-vous des attentes ou des buts spécifiques ?
ALB et LI : Cannes Classics propose un état des lieux du patrimoine mondial : les plus belles restaurations, la politique des cinémathèques et de leurs pays respectifs. C’est passionnant et un plaisir aussi, toujours, d’y découvrir des films que nous ne connaissions pas, aux côtés de chefs d’oeuvre. La sélection est toujours riche de surprises.

Pour Malavida qui travaille énormément avec des ayants droits européens, Cannes permet de rencontrer tous nos interlocuteurs internationaux en un laps de temps très court. Tout le monde est présent, on passe de la Norvège à la Pologne en une heure, cela permet de garder les contacts établis, de donner de nos nouvelles et de se tenir au courant, c’est indispensable pour nous. Un verre partagé est toujours précieux et les rendez-vous sont bien plus efficaces que les mails pour débloquer certaines situations complexes. La complexité des questions de droit et de matériel est une des caractéristiques du cinéma que l’on défend, Cannes est d’autant plus précieux pour nous.

Nous attendons des nouvelles rencontres comme des retrouvailles, des découvertes, et tentons au maximum avec la super équipe de Malavida présente à nos côtés - Marion Eschard pour la presse et Gabrielle Martin-Malburet à la programmation - de profiter de cette mise en lumière essentielle pour favoriser la diffusion de nos films parfois très méconnus, en multipliant les dialogues avec journalistes et exploitants !

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre, d'une découverte ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
ALB et LI : Nos projections à Cannes Classics restent des souvenirs inoubliables et ont beaucoup contribué à faire (re)connaître Malavida comme un acteur important de la distribution de patrimoine. Le départ en 2018, J'ai même rencontré des Tsiganes heureux en 2017, Joe Hill en 2015 ont toujours été des moments d'une grande intensité émotionnelle et un jalon essentiel dans leur exploitation.

La projection sur la plage en 2015, de l’extraordinaire Joe Hill, invisible depuis 40 ans et résultat de plus de 7 ans de recherches, de négociations et de défis divers, en présence de la famille de Bo Wideberg, autour duquel nous avons - et allons encore - tant travaillé, restera bouleversante pour chacun d’entre nous. L’archétype du moment où on est pleinement heureux et fiers du boulot accompli. Le Départ l’an dernier, avec Jerzy Skolimowski, si ému et si impressionnant, devant la plage bondée est aussi inoubliable. Nous adorons la plage, qui permet de partager avec tous, professionnels ou non, ces émotions intenses.

La joie de voir grandir ici des cinéastes importants que nous avons été les touts premiers à accompagner dès leurs débuts, comme Joachim Trier ou Bertrand Mandico ces dernières années, est également très intense. A titre plus personnel, des dizaines de découvertes, de rencontres et de moments magiques attachés à Cannes, bien sûr.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ?
ALB et LI : Cannes est un festival unique. Il a été le premier à accorder un place essentielle au patrimoine, il y a plus de 10 ans... En terme de marché, la création par Thierry Frémaux avec Gérald Duchaussoy - les âmes de Cannes Classics - du Marché International du Film Classique lors du Festival Lumière à Lyon est une idée formidable et se développe à chaque édition. C’est pour nous un moment très fort de l’année, un temps dédié au patrimoine où l’on voit à quel point il passionne les spectateurs et possède un intérêt économique réel.

Les enjeux sont importants, en particulier pour nombre de pays qui restaurent le plus et le mieux possible leurs trésors : la Tchèquie, la Slovaquie ou la Hongrie par exemple, ou encore la Pologne, qui nous permet de proposer cette magnifique copie de Kanal, enrichie par Malavida de tous nouveaux sous-titres anglais et français, comme les premiers Skolimowski en début d’année.

Le festival est un moteur essentiel dans la reconnaissance de l'importance du patrimoine, en associant par exemple les cinéastes, comme Skolimowski en 2018, aux montées des marches au même titre que pour les films inédits, les valorisant et permettant ainsi à tous de les découvrir.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 5 Mickaël Marin, directeur du Festival d’Annecy

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

On l’oublie souvent, mais comme nous le racontions dans notre dossier « Cannes 70 » en 2017, le Festival d’Annecy est né à Cannes, à la suite des Rencontres internationales du Cinéma d’animation qui y eurent lieu en parallèle du Festival en 1956. Il était logique qu’Annecy revienne sur la croisette, et y porte haut les couleurs de l’animation. Nous avons demandé à Mickaël Marin, directeur du Festival d’Annecy depuis 2018, et ancien directeur du MIFA, son marché du film, de nous parler de la manière dont il perçoit Cannes, et notamment des événements qu’y organise le festival d’animation cette année.

© Gilles Piel

Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ?
Mickaël Marin : Oui, il l’est devenu. Nous sommes plusieurs de l’équipe à faire le déplacement, ce qui n’était pas le cas il y a ne serait-ce que cinq ans. Avant, la proximité des dates entre nos deux événements faisait aussi qu’on s’interdisait d’être loin du bureau à ce moment-là. La notoriété d’Annecy étant grandissante, la place du long métrage d’animation aussi, il est devenu de plus en plus évident pour nous que Cannes est un lieu privilégié pour travailler. Comme Cannes rassemble la planète cinéma pendant plus de dix jours, c’est une formidable opportunité de voir des partenaires, des journalistes, et de préparer à la fois l’édition qui vient et les éditions suivantes.

EN : Pourquoi y allez-vous cette année ? En quoi va consister votre présence là-bas ?
MM : Cannes est d’autant plus devenu incontournable pour nous qu’il y a quelques années le marché du film nous a proposé d’organiser “Annecy goes to Cannes” dont c’est la 4e édition. Il s’agit d’un dispositif qui nous permet de présenter aux professionnels des films en cours de production ou de post-production. On a donc aujourd'hui une activité très visible, au-delà des rendez-vous et des films à voir ! Et cette année aura en plus une dimension particulière puisque nous avons créé avec le Marché du Film de Cannes le projet “Animation day”. Après “Annecy goes to Cannes”, nous proposons donc un panel de discussion autour de l’animation adulte. Ainsi la visibilité du cinéma d’animation à Cannes se densifie.

EN : Pourquoi est-ce important d’amener le festival d’Annecy à Cannes, notamment avec le dispositif « Annecy goes to Cannes » ?
MM : "Annecy goes to Cannes" nous permet de continuer le travail d’accompagnement que l’on a mis en place à Annecy, en considérant qu'aujourd’hui il est important pour un festival ou un marché d’accompagner les films au-delà du temps de l’événement. Le temps de l’animation est long, autant pour son financement que pour sa production. Entre le moment où un projet est présenté à Annecy, parfois en tout début de développement, et le moment où il sort en salles dans le cas d’un long métrage, il peut se passer plusieurs années. Avec des étapes importantes : la recherche de financement, le développement, le recrutement des équipes, puis l’entrée en production. Il est aussi capital de rendre le film visible pour la presse et pour les distributeurs, de faire en sorte qu’il soit vu et qu’il circule le plus possible.

"Annecy goes to Cannes" est ainsi un moment supplémentaire d’accompagnement qui permet de poser un double label : celui d’Annecy et celui du marché du film de Cannes. Pour nous c’est vraiment intéressant, et ça prouve qu’on est en capacité de soutenir des projets et des équipes en dehors du temps d’Annecy et ailleurs dans le monde. C’est ce que l’on fait également dans le cadre d’un partenariat avec le festival Animation is film à Los Angeles. Dans ce cas, les films sont terminés, donc projetés en salle, mais c’est la même logique.

Je trouve aussi que c’est une belle reconnaissance pour nous que le Marché se soit tourné vers nous, que ce soit pour « Annecy goes to Cannes » ou pour le « Animation day » cette année. On ne peut pas être spécialiste de tout. Unir nos forces profite à cet art, aux projets, aux talents et aux films.

EN : Quelles sont vos attentes ?
MM : Elles sont diverses. Sur « Annecy goes to Cannes », nous espérons que la visibilité donnée aux films suscite des discussions et génère des deals. Quant aux rencontres qu’on peut faire à Cannes, comme dans tout événement, elles nous permettent d’avancer dans la préparation de notre festival. Sur des partenariats, des conceptions de projets autour des films. Tout ce qui aide à la visibilité d’Annecy et du cinéma d’animation est bon à prendre. Mais même si cette visibilité s’est développée, il y a encore du travail. On est content de pouvoir montrer dans un lieu qui n’est pas dédié à l’animation toute la puissance de cet art.

EN : Comment voyez-vous la place du cinéma d'animation sur la Croisette, en général, et cette année en particulier ?
MM : C’est bien sûr une bonne année entre J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin et Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbe-Mevellec, [mais aussi La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti dont la sélection a été annoncée après cet entretien]. C’est aussi une satisfaction pour nous car ce sont des films que l’on suit et accompagne depuis très longtemps. Qu’ils soient dans le plus grand festival de cinéma du monde nous rend fiers, d’autant que nous les avions déjà choisis pour faire partie de notre compétition à Annecy cette année.

Bien sûr, on peut toujours penser que la présence de l’animation pourrait être plus importante, en termes de longs métrages comme de courts, tant la richesse et le niveau de la production mondiale sont importants.
Mais Thierry Frémaux doit faire des choix comme nous en faisons à Annecy. On ne peut pas tout montrer.

Notre rôle est d’autant plus déterminant à Cannes qu’il nous permet d’en proposer d’avantage La qualité des films en préparation, notamment sur des cibles plus adultes, est en développement constant. On l’a vu au dernier Cartoon Movie de Bordeaux [NDLR : forum professionnel consacré au long métrage d’animation]. Je pense qu’il y aura régulièrement des films d’animation à Cannes dans les années à venir. Les films singuliers et avec un propos narratif fort, seront sélectionnés. Je pense aussi qu’un public moins rompu au cinéma d’animation est peu à peu en train de le découvrir. Il y a une acculturation qui se fait. Les gens prennent du plaisir à constater que le cinéma d’animation n’est pas que pour les enfants. Cette année, il a de très bons ambassadeurs. J’ai tendance à penser que le meilleur reste à venir.

EN : Y-a-t-il eu une rencontre ou un événement décisif durant le festival par le passé ?
MM : Sûrement, mais rien ne me revient de concret ! Par contre, si je fais un pas de côté, je dirais que lors du premier "Annecy goes to Cannes" en 2016, on était hyper fier. C’était une super reconnaissance de se dire que dans le plus grand marché, dans le plus grand festival, on pouvait montrer ce qu’on aime, ce en quoi on croit. Être à Cannes, c’est une chance. Mais avoir du contenu à accompagner, c’est encore mieux.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ?
MM : Ce qui distingue Cannes, c’est évidemment que c’est un très grand festival mais qu’il a également un très grand marché. Les deux se renforcent. Si on fait le parallèle avec Annecy, c’est aussi ce qui fait notre force. Autre caractéristique de taille, la palette des gens qu’on peut rencontrer est extrêmement large. Du plus grand décideur à un artiste en devenir ! Et ce qui m’a le plus étonné la première fois que je suis venu, c’est que les gens restent accessibles. On peut vraiment y faire de très belles rencontres.

Cannes 2019 : La star du festival… Adèle Haenel

Posté par wyzman, le 13 mai 2019

A tout juste 30 ans, Adèle Haenel pourrait bien se diriger vers une carrière à la Isabelle Huppert. En effet, l'actrice est, depuis sa participation à son deuxième long métrage, une habituée de la Croisette.

Si en 2007, elle présentait Naissance des Pieuvres de Céline Sciamma dans la section Un certain regard, c'est bien en sélection officielle qu’elle a débarqué en 2011 avec L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand bonello.

Depuis, on l’a vue dans L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné (2014, hors compétition), La Fille inconnue des frères Dardenne (2016, sélection officielle) et 120 Battements par minute de Robin Campillo (2017, sélection officielle). Et quand elle ne fait pas la montée des marches, elle s’offre les sections parallèles. On l’a ainsi vue à la Quinzaine des réalisateurs avec Après le sud (2011), En ville (2011), Les Combattants (2014) et En liberté (2018) ; du côté d’Un certain regard avec Confession d’un enfant du siècle (2012) et Trois mondes (2012) et à la Semaine de la critique avec Suzanne (2013).

Cette année, Adèle Haenel est à l’affiche de trois films : Portrait de la jeune fille en jeu de Céline Sciamma (sélection officielle - compétition), Le Daim de Quentin Dupieux (Quinzaine des Réalisateurs) et Les héros ne meurent jamais d'Aude-Léa Rapin (Semaine de la Critique). Un brelan d'as.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 4 Rencontre avec Jérémy Redler, président de la Commission du Film Ile-de-France

Posté par MpM, le 12 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

La Commission du Film d’Ile-de-France est un établissement public de coopération culturelle créé à l’initiative de la Région Ile-de-France en 2004 afin de renforcer l’attractivité de la Région Ile-de-France comme site de tournage et comme espace privilégié pour la production cinématographique et audiovisuelle. Parmi les films présentés cette année à Cannes, trois ont bénéficié directement d'un accompagnement de production, principalement pour la recherche de décors : La Belle époque de Nicolas Bedos (officielle), Yves de Benoît Forgeard (Quinzaine) et La Nuit je mens de Stéphane Batut (ACID). Treize ont bénéficié du Fonds de soutien Cinéma et audiovisuel de la Région Ile-de-France, parmi lesquels Sybil de Justine Triet et Les Misérables de Ladj Ly (Compétition) ou encore J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Semaine de la Critique). Le président de la Commission, Jérémy Redler, nous explique pourquoi elle est présente à Cannes chaque année depuis sa création, et quelles sont ses actions sur place.

EN : Depuis quand la commission Ile-de-France s'investit-elle au festival de Cannes ? En quoi consiste cet investissement ?
Jérémy Redler : Nous assurons une présence lors de ce Festival majeur, depuis 2004, afin de promouvoir la destination Ile-de-France comme terre d’accueil de tournage ayant de nombreux dispositifs pour aider les producteurs à mener à bien leur projet de film, et afin de rencontrer justement les professionnels étrangers qui souhaitent venir chez nous et répondre précisément à leur demande.

EN : Pourquoi est-ce important d'être présent à Cannes ? En quoi le festival se distingue-t-il selon vous des autres grands festivals internationaux ?
JR : C’est le plus grand festival du monde en terme de réputation et surtout en terme de présence de professionnels (12 000 accrédités). Cela nous permet de rencontrer des producteurs et des institutions du monde entier, avec lesquels nous travaillons et/ou qui sont nos cibles. Enfin, un certain nombre d’annonces et de débats sont organisés à Cannes. Il est donc important pour nous de suivre l’actualité de la profession.

Quelles sont vos attentes et buts pour cette année ?
JR : Cette année, nous souhaitons présenter aux professionnels présents notre nouvelle marque, Film Paris Region, suite à l’intégration de la Commission du Film d’Ile-de-France au sein de l’agence d’attractivité régionale de la Région, Paris Région Entreprises. Nous serons présents tout au long du Festival sur le stand de Film France (Pantiero), auprès des autres commissions du film françaises. Nous organisons notamment une conférence de presse le dimanche 19 mai à 11h30 au Salon des Ambassadeurs pour présenter l’actualité de la politique régionale en matière de cinéma et d’audiovisuel ainsi que l’étude Emploi 2017 de l’Observatoire de la Production audiovisuelle et cinématographique en Ile-de-France.

Par ailleurs, nous sommes partenaires de l’évènement Shoot the Book, organisé par la Société Civile des Editeurs de Langue Française et l’Institut Français. Le 21 mai seront présentées 20 œuvres littéraires françaises et étrangères, adaptables à l’écran, auprès d’un parterre de plus de 150 producteurs de tous pays. L’après-midi se dérouleront les rendez-vous one-to-one entre éditeurs et producteurs. Enfin, le vendredi 17 mai, nous interviendrons lors de la table-ronde « Sustainability in Action » (Pavillon italien à l’hôtel Majestic) pour évoquer nos actions en termes d’éco-responsabilité sur les tournages de film, sensibilisation que nous menons auprès du secteur depuis 10 ans maintenant.

Jean-Claude Brisseau (1944-2019) part sans bruit ni fureur

Posté par vincy, le 11 mai 2019

Le cinéaste Jean-Claude Brisseau est décédé samedi à Paris à l'âge de 74 ans, a appris l'AFP par son entourage.

Le réalisateur et scénariste est décédé dans un hôpital des suites d'une longue maladie. Sa filmographie est marquée par trois films: De bruit et de fureur (1988), prix spécial de la jeunesse au Festival de Cannes et prix Perspectives du cinéma français, Noces Blanches (1989) qui révéla l'actrice Vanessa Paradis (qui empocha un césar l'année suivante) et La Fille de nulle part (2012), Léopard d'or au festival de Locarno.

Sa filmographie s'étend sur 40 ans, depuis son premier long en 1976, La croisée des chemins, qui pose une partie des bases d'un cinéma sulfureux où il scrute une jeune fille rebelle partagée entre le désir et la mort. Avec Un jeu brutal, il croise le chemin de Bruno Cremer, qu'il enrôle pour être un biologiste meurtrier. Crémer sera le truand de De bruit et de fureur, l'un des premiers films sur la banlieue, où la dureté et la violence quotidienne croise le rêve naturaliste d'un adolescent dans un environnement de solitude et d'exclusion. Une série de déflagrations qui achève le film dans une tragédie désespérée.

Noce blanche est une confrontation presque sage entre un Cremer prédateur et une Paradis pas vraiment innocente en jeune fille ex-prostituée et toxico, amoureuse de son professeur de philosophie. Derrière son émancipation, et leur histoire d'amour, il y a le vertige des deux à plonger dans un monde inconnu. Dans une interview accordée aujourd'hui au journal Le Monde, Vanessa Paradis évoque un réalisateur très grand, très autoritaire, avec une voix grave.

Il était réputé difficile. Pas vraiment le genre à attirer la sympathie. Mais ce révolté passionné et avide de liberté, avec le soutien des Films du Losange, a pu bâtir une œuvre singulière dans le cinéma français et relativement hétérogène. Avec Céline, portrait d'une jeune femme paumée versant dans le surnaturel, L'ange noir, seul grand rôle de cinéma pour Sylvie Vartan, accompagnée de Michel Piccoli, Tchéky Karyo et Philippe Torreton, dans une sordide manipulation criminelle, ou encore Les savates du bon Dieu, film romantique autour d'une quête amoureuse, à travers une errance et des braquage.

C'est loin d'être parfait. Mais il y a l'influence des grands cinéastes américains - dont John Ford qu'il admirait - qui planent à chaque fois. A partir des années 2000, la difficulté de trouver des vedettes de premier rang ou des noms connus ont compliqué le montage de ses films. Il poursuit sa voie sur le portrait de jeunes femmes marginales, dans des milieux précaires, avec la séduction, la cruauté et la mort qui s'entremêlent: Choses secrètes, A l'aventure, ou son dernier film Que le Diable nous emporte, son ultime film (2018), vaudeville plus mature où la violence masculine et la méditation sont autant d'obstacles ou de leviers vers le bonheur compliqué par le jeu des sentiments.

Jusqu'à cette mise en abyme ratée dans Les anges exterminateurs, inspiré de son propre livre et présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, où il confie ses méthodes particulières de travail, sa manière de sélectionner ses actrices et finalement, comment il s'est retrouvé condamné en justice pour harcèlement et agression sexuelle sur des actrices à qui il avait fait passer des auditions.

Il avait été condamné par le tribunal correctionnel de Paris en 2005 pour harcèlement sexuel à un an de prison avec sursis et à 15 000 euros d'amende pour harcèlement sexuel sur deux actrices lors d'auditions pour son film Choses secrètes. En décembre 2006, il est condamné en appel pour agression sexuelle sur une troisième actrice.

Suite à cela, le mouvement #metoo, qui jugeait toute célébration de son œuvre insupportable, avait contraint la Cinémathèque, qui avait essayé de défendre l'artiste en oubliant que l'homme avait été condamné, à annuler fin 2017 la rétrospective qu'elle devait lui consacrer.

Pas étonnant que son film le plus sincère, sacré à Locarno, La fille de nulle part, soit aussi son film miroir. Il y joue le rôle masculin principal, Michel un professeur de mathématique veuf et à la retraite qui vit cloîtré dans son appartement parisien. Sa vie monacale est bouleversée par l'arrivée d'une jeune femme agressée. Se noue une complicité et une entraide, troublée une fois de plus par d'étranges manifestations paranormales. Tout son cinéma est condensé là: la détresse des femmes, la violence de la société, l'amour comme seul rempart, loin des jugements et de la morale.

"C’est précisément l’esprit archaïque du cinéma des origines que convoque le réalisateur dans son propre appartement, où il a tourné avec un caméscope et une poussette (pour les travellings). Impression unique de voir un hybride entre le prosaïsme délicat et articulé d’Éric Rohmer (tendance Lumière) et les noires féeries de John Carpenter (tendance Méliès). Le dispositif paraît évidemment rudimentaire, voire bredouillant, mais cela en fait le charme gracile et discret" pouvait-on lire dans L'Humanité.

Sans doute filmait-il son propre fantôme, lui si mystique. Sans doute son cinéma a-t-il été mal compris à cause de ses agissements et de ses méthodes qui déforment les jugements. Car si on y regarde bien, il sublimait souvent ses actrices, et dénonçait tout aussi souvent la brutalité masculine. Homme d'une autre époque, cela n'excuse pas tout. Il vitupérait le féminisme castrateur d'hommes hétérosexuels et le climat de censure de l'époque. Mais il regrettait surtout de ne plus pouvoir tourner avec les vedettes qui l'intéressaient. Il s'inquiétait de ne plus pouvoir filmer. Il était déphasé.

Dans une de ces dernières interview, à Paris-Match, il expliquait: "Je suis trop émotif (...)  Je vous avoue que l’opinion que les gens de cinéma peuvent avoir de moi me laisse indifférent. Là où je suis triste, c’est pour mes anciens élèves. Avant, quand je les rencontrais dans la rue, ils étaient fiers. Maintenant, j’ai l’image colportée d’un “super-violeur”. Mais quand j’ai eu un procès, je ne me suis pas défendu. J’ai eu tort". Ajoutant: "J’ai vécu des réactions de vengeance… Alors que la jouissance de la femme m’a toujours intéressé au cinéma et que je ne fais que creuser les mêmes thèmes."

Jean-Claude Brisseau, inexcusable, restera entaché par cette affaire (alors que d'autres bien plus vénérés s'en sont sortir indemnes). Mais le cinéaste, lui, aura produit quelques beaux films qui sondaient le mystère des femmes, le plus inexplicable à ses yeux.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 3 Rencontre avec Jean-Marc Thérouanne, Délégué général du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul

Posté par MpM, le 11 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Jean-Marc Thérouanne, délégué général et cofondateur du Festival international des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, est un habitué de Cannes, qu'il fréquente depuis plus de vingt ans. Pour lui et pour son équipe, cette quinzaine sur la croisette revêt une importance primordiale à la fois pour découvrir les films qui figureront peut-être dans la sélection 2020 du FICA, mais aussi pour tisser et entretenir des liens étroits avec les professionnels du cinéma de tout le continent asiatique.


Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ? Depuis quelle année ?

Jean-Marc Thérouanne : Cela est une évidence, j’y viens avec Martine Thérouanne, la Directrice du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, depuis 1997, c’est à dire depuis 23 ans sans discontinuer. Et, depuis 2010, deux très proches collaborateurs, Bastian Meiresonne, directeur artistique, et Marc Haaz, responsable du département technique du FICA, nous accompagnent. Il y a tant de choses à faire à Cannes qu’être quatre n’est pas de trop !

EN : Pourquoi y allez-vous cette année ? En quoi va consister votre présence là-bas ? Avez-vous des attentes ou un but particulier ?
JMT : Parce que cela est indispensable d’y être quand on est dirigeant d’un festival comme le nôtre. Le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul est considéré comme l’un des quatre festivals socles par le CNC, en raison de sa spécificité. Il fait partie, en France, de la vingtaine de festivals de cinéma soutenus, en national, par le CNC.

Nous y allons donc pour peaufiner notre toile relationnelle avec les producteurs de films des cinémas d’Asie de toute l’Asie géographique, de l’Oural à l’océan pacifique et du canal de Suez à l’océan indien. Cannes étant le plus grand marché du film du monde, il permet d’entretenir les contacts aussi bien avec Israël Film Fund, qu’avec la Fondation Liban, Iranian Independents, Taiwan Cinema... Nous y allons aussi pour rencontrer les institutionnels des pays d’Asie, les représentants des festivals d’Asie, mais également les distributeurs français, les institutionnels français, les partenaires du festival... Quand on s’est vu et qu'on a parlé, même brièvement, lorsqu'après on se recontacte pour finaliser des projets, les rapports humains sont... plus humains. Nous allons aussi à Cannes pour rencontrer des critiques, des acteurs, des réalisateurs... Cela permet d’établir des contacts pour bâtir les différents jurys des futures éditions du FICA.

Nous y allons enfin pour assister les professeurs et les élèves de l’option Arts visuels du lycée Edouard Belin de Vesoul, qui se rendent à Cannes. Certains de ces élèves font partie du Jury Lycéen du FICA. Le lycée Edouard Belin est partenaire depuis l’origine du FICA. Celui-ci est un passeur d’images, cela fait partie du travail pédagogique d’un festival.

EN : Et puis il y a les projections...
JMT : Bien évidemment, nous y allons aussi pour voir des films ! Notamment les films des pays d’Asie répartis dans les différentes sections de la sélection officielle mais aussi des sections parallèles. Pour éviter le formatage de notre regard par les cinématographies asiatiques, nous nous astreignons à voir la totalité des films de la compétition officielle. Il est important d’avoir une connaissance du cinéma mondial, et puis voir les œuvres des plus grands réalisateurs au monde, c’est un plaisir incommensurable, bien qu’il soit très difficile de pouvoir obtenir des billets pour les voir au Grand Théâtre Lumière quand on est directeur de Festival car nous sommes accrédités « Institutions Culturelles ».

Pour pouvoir voir le maximum de films importants et de rencontrer le maximum de personnes dans le temps incompressible des douze jours du Festival, il est indispensable de bâtir un emploi du temps grand format permettant d’avoir une vision globale des projections des films indispensables et des rencontres professionnelles incontournables [à voir sur la photo]. La maîtrise de la gestion du temps est un élément essentiel dans la stratégie à mettre en place pour réussir une édition cannoise. Cannes, c’est un peu « Marathon Man » !

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
JMT : Le réalisateur hongkongais Stanley Kwan avait remporté le Cyclo d’or à Vesoul, en 2002, pour son film Lan Yu. Stanley n’avait pu rester jusqu’à la fin du festival vésulien. Nous lui avons donc remis le Trophée lors de la Hong Kong Night plage du Carlton. Stanley, tout joyeux, nous a fait entrer dans la tente VIP, c’est ainsi que mon épouse Martine, notre collaboratrice Martine Armand et moi, avons passé deux heures à discuter avec Michelle Yeoh, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai et Jia Zhang-ke. C’est un souvenir inoubliable. Cela nous a permis de faire venir Jia Zhang-ke, en compétition au 11e FICA, avec son film The World, et de bâtir une rétrospective Stanley Kwan au 14e FICA.
Une fois que l’on rencontre les personnes, cela est plus facile pour bâtir des projets et les inviter ! En 23 ans de Cannes, nous avons une foule de souvenirs marquants. En douze jours, on vit une multitude de rencontres, naturellement très brèves mais très intenses : Wong Kar Waï, Kore-eda Hirokazu, Naomi Kawaze, Hou Hsiao-hsien, Nadine Labaki, Abbas Kiarostami... mais aussi Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Agnès Varda... On vit la dilatation et l’intensité du temps dans sa brièveté.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux que vous avez l'habitude de fréquenter ?
JMT : Le Festival de Cannes est très sélectif quant à sa programmation officielle qui compte une centaine de films en tout (compétition, hors compétition, Un Certain Regard, séance spéciale, Cannes Classics). Il diffère ainsi de Berlin, Busan, Toronto, Locarno, Rotterdam, ceux-ci présentant plusieurs centaines de films par édition.
En ce qui concerne le Marché du film, c’est vraiment le plus grand marché du monde. Il permet de faire le tour de la terre de la profession dans un espace resserré. Tous ceux qu’il faut contacter sont là. Cela permet de diffuser notre matériel de communication pour nous faire connaître et reconnaître, et de récupérer le maximum de documents cinématographiques dont nous avons besoin pour préparer les prochaines éditions du FICA Vesoul.

EN : Comment voyez-vous la sélection asiatique cette année ?

JMT : J’ai dix-sept films asiatiques à voir ! Trois réalisateurs confirmés en compétition, dont je suis la carrière depuis l’origine. A Un Certain Regard, Midi Z poursuit son petit bonhomme de chemin, à la Quinzaine des Réalisateurs il y a deux poids lourds au style et à la carrière bien différents (Lav Diaz et Takashii Miike). La réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadet, revient avec son second long, elle fait son trou patiemment, pas à pas. J’aurai aussi plaisir à découvrir le réalisateur Zu Feng à Un Certain Regard, Johnny Ma à la Quinzaine, et Gu Xiaogang à la Semaine, les réalisateurs chinois sont toujours très intéressants. Je me réjouis d’avance d’aller à Cannes Classics voir le film chinois restaurée de Tao Jin et le film géorgien d’Eldar Shengelaia, réalisateur à l’humour décapant. Les deux autres films classiques asiatiques, je les connais, ils sont excellents. Je m’étonne qu’il n’y ait pas en sélection de films venus de Turquie, d’Iran, d’Inde, d’Asie centrale, notamment du Kazakhstan, il y a des réalisateurs talentueux dans ces pays.

Cannes 2019 : le jury de la Critique internationale

Posté par wyzman, le 11 mai 2019

A trois jours du coup d’envoi de la 72e édition du Festival de Cannes, le jury du prix FIPRESCI vient d’être dévoilé.

Jury international

Comme chaque année, le prix FIPRESCI (parfois appelé Prix de la critique internationale) est remis par la Fédération internationale de la presse cinématographique et a pour ambition de récompenser un cinéma de genre particulièrement original. Depuis 2002, plusieurs films sont récompensés au terme du Festival de Cannes : un film de la compétition officielle, un film Un Certain regard et un troisième choisi entre les sections parallèles (Quinzaine des Réalisateurs ou Semaine de la critique). L’an dernier, ce sont Burning de Lee Chang-dong (compétition), Girl de Lukas Dont (Un Certain regard) et One Day de Zsófia Szilágyi (Semaine de la critique) qui ont reçu les honneurs des critiques internationaux membres du jury FIPRESCI.

Présidé par le critique portugais Paulo Portugal, le jury de cette année compte en son sein : Ann Lind Andersen (Danemark), Gideon Kouts (France), Jan Storø (Norvège), Alissa Simon (USA), Marie-Pauline Mollaret (France), Niels Putman (Belgique), Naama Rak (Israël), Sadia Khalid (Bangladesh). Pamela Bienzobas sera en charge de la coordination. Remis dans une dizaine de festivals, le prix FIPRESCI est souvent annonciateur du palmarès final du Festival de Cannes mais également de la Berlinale, de la Mostra de Venise ou encore du TIFF.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 2 Rencontre avec Ron Dyens, producteur chez Sacrebleu productions

Posté par MpM, le 11 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Avec dix sélections à Cannes depuis la création de sa société Sacrebleu Productions en 1999, Ron Dyens est un habitué du festival de Cannes, et des grands festivals internationaux en général. De retour cette année avec le court métrage d’animation L’Heure de l’ours d’Agnès Patron, sélectionné en compétition officielle, et après avoir présenté l’un de nos coups de coeur de l’an dernier, La Chute de Boris Labbé, à la Semaine de la Critique en 2018, il nous parle de “son” festival de Cannes.


Ecran Noir : Quel est votre rapport à Cannes ? Est-ce un rendez-vous incontournable dans votre agenda ?
Ron Dyens : Oui, Cannes est un rendez-vous incontournable déjà au vu de la variété des films. Avec les différentes compétitions, qui se croisent, on a la chance d’assister à un cinéma pluriel, un état des lieux du cinéma mondial. Rien que pour ça c’est intéressant d’y aller, d’autant que tous les films présentés ne trouvent pas nécessairement après coup leur place dans les salles. Le premier attrait est donc cinéphilique. Ensuite, il y a toujours ce paradoxe qu’il est parfois plus facile de voir des vendeurs ou des distributeurs à Cannes qu’à Paris. Pour les rendez-vous, c’est donc aussi un lieu incontournable. Enfin, j’ai une histoire un peu personnelle avec le festival puisque j’ai la chance d’avoir eu un film sélectionné à Cannes en 2003 en tant que réalisateur, à la Semaine de la Critique. Puis, en 2005 nous avons eu, toujours à la Semaine de la Critique, notre premier film d'animation [Imago de Cédric Babouche]. Forcément pour nous ça a été une rampe de lancement vraiment importante !

EN : Vous y serez à nouveau cette année avec un court métrage que vous avez produit, L'heure de l'ours d'Agnès Patron, qui figure en sélection officielle. Que change cette sélection pour lui ?
RD : Commencer sa carrière à Cannes est indéniablement un plus pour un film, même si évidemment il est difficile de prédire une carrière avec ou sans cette sélection. D’ailleurs nous vivons une situation paradoxale pour ce film, puisqu’il n’a pas été sélectionné à Annecy où il y a plus de place pour l’animation, alors qu’il l’a été à Cannes parmi 4200 films reçus… Mais j’espère qu’il va avoir une jolie carrière, car il est assez hypnotique de par sa musique et son choix d’animation. Il est sans dialogue et il a un discours universel… C’est un film symbolique aussi. Des ingrédients qui personnellement influent sur mes choix de films.

Après, bien sûr, je pense que la sélection va aider le film, car on commence déjà à recevoir des propositions de distribution, des demandes de la part de festivals qui veulent le voir… Il y a un petit buzz. Mais le gros buzz, ce serait évidemment de recevoir la Palme d’or. Je l’ai vécu avec le film de Serge Avédikian, Chienne d'histoire. C’est un court métrage qui initialement avait été refusé par de grands festivals avant sa présentation à Cannes, où il a eu la Palme d’or. Du jour au lendemain, on a eu des demandes dans le monde entier. On a dû à l’époque fabriquer plus de 40 copies en 35mm puisque tout le monde le voulait… Un tel prix c’est aussi un engagement technique et financier à assumer dans la foulée ! On voit bien que c’est un accélérateur général pour le réalisateur et pour le producteur. On l’a vu aussi avec Céline Devaux, qui a tout de suite été contactée par des boîtes de production de longs métrages suite à sa sélection avec Le repas dominical [en 2015].

EN : On dit souvent que pour un premier long métrage, il est essentiel d’être à Cannes en terme de visibilité. Est-ce la même chose pour le court ?
RD : Cannes est important, il crée un focus indéniable. Et évidemment cela peut être un tremplin pour le passage du court au long. C’est là où Cannes est évidemment important pour le court. Pour les courts d’animation c’est un peu différent. Les réalisateurs d’animation ne sont pas dans la course à l’échalote pour faire un long métrage dans la foulée de leurs courts. Ce qui les intéresse, c’est de faire des films. Ça prend tellement de temps de faire de l’animation, que réaliser un long métrage, c’est quasiment entrer au couvent ! Donc pour eux, la priorité c’est davantage de faire des expériences cinématographiques. Après, pour revenir à Cannes, des expériences se mettent clairement en place pour favoriser la porosité du court au long, notamment au sein du Short Film Corner (rencontres entre professionnels du court et du long, expertises, etc.).

EN : D'une manière générale, en tant que producteur, en quoi consiste habituellement votre présence à Cannes? Avez-vous des attentes ou des buts spécifiques ?
RD : C’est compliqué parce qu’on a envie de faire plein de choses à Cannes ! Il y a un effet miroir aux alouettes. Beaucoup de choses qui brillent, beaucoup de sollicitations… C’est à la fois un lieu de festivités et un lieu de travail. Il faut préparer son festival de Cannes. C’est un endroit où l’on signe les contrats, bien sûr, mais les grandes annonces faites à Cannes sont souvent signées avant, et l’annonce est faite pendant le festival. Cannes c’est plus l’occasion de rencontrer des personnes, de préparer le futur, de sentir l’air du temps. C’est aussi intéressant de se balader dans le marché et de voir les affiches des films étrangers. Voir comment les films sont “travaillés”. A l’étranger, le cinéma peut être envisagé de manière radicalement différente. Si on reste seulement sur son prisme franco-parisien, on rate des choses, notamment dans les films qu’on choisit en tant que producteur. C’est important de se dire : “tiens, comment le film pourrait être perçu à Dakar, à Montréal, au Japon ?”. Essayer de se mettre à la place des gens, des spectateurs. Je pense même que c’est le principal travail d’un producteur. Si on ne s’intéresse pas à la manière dont sont organisées et perçues les autres cinématographies, on rate quelque chose sur sa propre cinématographie.

EN : Est-ce que cela peut aussi arriver de voir un court métrage et de penser : “cet auteur, j’ai envie de le produire” ?
RD : Alors c’est un petit peu compliqué, surtout à Cannes, parce qu’il y a quand même toujours une notion de respect du producteur qui a produit le film. Si je vois un film qui me plaît beaucoup, je peux aller le dire, au réalisateur et au producteur. Ça fait évidemment toujours plaisir. Ce qui peut arriver aussi, avec les films étrangers, c’est une potentielle coproduction sur le projet suivant ou sur un éventuel long à venir.

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre, d'une découverte ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
RD : Sur Tout en haut du monde [de Rémi Chayé], il ne nous manquait quasiment plus qu’un vendeur international. On avait eu quelques pistes qui ne s’étaient pas concrétisées, et puis un soir, on s’était retrouvé dans un dîner organisé par la société Urban Distribution. A un moment, on a présenté le trailer du film sur mon ordinateur, et toute l’équipe d’Urban a adoré. Quand le “big boss” est arrivé, Frédéric Corvez, toute son équipe lui a dit : “il faut que tu regardes ! c’est mortel !”. Il a regardé puis il a sorti son chéquier et il a dit “XXXXXXX euros !”. Et le temps s’est arrêté… Bon, on a continué à discuter après, évidemment, mais c’était très drôle, parce que c’est exactement l’image qu’on se fait de Cannes. Un geste très “grand seigneur”, complètement improbable, et qu’on raconte après en se disant “ah oui, c’est Cannes. C’est donc possible”. C’est beau, pas seulement par rapport au montant (quoique…), mais déjà par rapport au geste.

J’ai une autre anecdote qui est sympa aussi, c’est quand le court animé de Cédric Babouche a été sélectionné en 2005 à la Semaine de la Critique. A l’époque, les courts métrages passaient en premier partie des longs. Ce n’était pas “ghettoïsé”, et les journalistes “longs métrages” venaient voir aussi les courts. On est passé en première partie du film Me, myself and I de Miranda July, distribué par MK2, qui a fini par avoir la caméra d’or. Et le lendemain, je reçois un coup de fil de l’attachée de presse de MK2, qui me dit : “Nathanaël Karmitz veut absolument voir ce court métrage”. On ne savait pas pourquoi. Et en fait, ce qui s’était passé, c’est qu’il y avait eu un article dans Libération où on parlait plus de notre court métrage et de la renaissance de l’animation française que du long de Miranda. Ça avait intrigué Nathanaël, on s’était rencontré dans la foulée et on avait failli collaborer ensemble à l’époque, pour faire un long métrage. Évidemment ça fait hyper plaisir. Ça prouve que ça peut vraiment être un ascenseur artistique d’être à Cannes et d’avoir cette fenêtre de visibilité.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ? Qu’est-ce qui fait que Cannes a cette aura supérieure à des festivals comme Berlin ou Venise ?
RD : Je pense qu’il y a plein de choses qui peuvent expliquer ça. D’abord, à l’époque de la création du Festival, il n’y avait pas tous les festivals qu’il y a aujourd’hui. Il y a donc une antériorité qui donne une forme de légitimité. Aussi il y a une image de la France, une sorte d’attraction pour le pays. Il y a eu aussi toujours une certaine audace qui a accompagné les sélections, avec ce désir de faire un état des lieux du cinéma. Tarkovski, par exemple et d’autres films qu’il était très difficile de faire sortir de leur pays, comme Yol de Gören et Güney, ont trouvé leur place à Cannes. En plus, Cannes a cette capacité à faire sa mue régulièrement, à se réinventer, à créer des sections parallèles comme la Semaine, la Quinzaine, l’ACID… Il y a également beaucoup de films français ou coproduits par la France qui sont ainsi présentés à Cannes. La France a indéniablement une relation particulière avec le cinéma. Toutes ces raisons se sont agrégées pour faire ce qu’est Cannes aujourd’hui. Toute la question va être maintenant de faire face aux nouveaux combats qui arrivent, comme celui face à Netflix et la sortie en salles de films produits par les télévisions et les sites. Mais bon, ce n’est pas le premier combat et ce ne sera pas le dernier pour Cannes, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure.