La ville de Poitiers, déjà fréquentée chaque année par les Rencontres Henri Langlois dont Ecran Noir est partenaire, s'arme cette semaine d'un nouveau festival intitulé "Filmer le travail".
Du 3 au 8 novembre, le festival présente une sélection "internationale" (le terme est mis volontairement entre guillemets pour porter l'évènement à une échelle importante, la grande majorité des films présentés étant français) avec la présence des réalisateurs qui viennent parler, voire débattre de leurs films; un colloque autour d'un sujet précis ("Images du travail, travail des images") et des rétrospectives, des projections de films connus (ou méconnus) de cinéastes plus que confirmés: un hommage est rendu aux premiers films de Ken Loach par exemple ou encore à la trilogie "Profils paysans" de Raymond Depardon.
Parmi les films en compétition étaient projetés mardi, en début d'après-midi, deux films, l'un d'une durée de 63 minutes, l'autre de 16 minutes.
Le premier film a pour titre L'initiation et est réalisé en duo par Boris Carré et François Xavier Drouet (tous deux absents). Le film suit un groupe de jeunes qui, le temps d'un week-end, vont préparer l'épreuve des concours d'entrée en école de commerce. Un entretien de personnalité. Dans un bel hotel entièrement mis à leur disposition, des formateurs vont leur apprendre à devenir les meilleurs.
Sans se préoccuper de la lumière, sans rechercher le moindre effet de style, les deux réalisateurs se contentent de suivre les différents protagonistes, filmant souvent de front la personne concernée. Il en résulte une prise directe avec les dires, et ceux notamment du formateur "en chef". Un chef d'entreprise qui vend la méthode à l'américaine, qui critique la vieille France et qui vante la culture du winner. Son entrain fait sourire mais ses propos effraient et accablent, surtout lorsqu'il apprend à ces futurs cadres supérieurs comment licencier le petit personnel pour garder le bateau à flot. Individualisme forcé, culture du meilleur, écrasement des autres. Certainement le capitalisme dans toute sa splendeur.
Comment j'ai quitté TBWA de Boris du Boullay (également absent mais présent en fin de semaine) vient se placer à l'opposé de L'initiation. Il prend le problème de face et donne à voir un film frappant et tout à fait singulier. Jour après jour, matin après matin, soir après soir, Boris du Boullay se filme avec son téléphone portable sa propre image dans le miroir de son ascenseur. Dans le même temps, en voix-off, il livre son état lamentable qui pourtant ne cesse de se dégrader. Rongé par son entreprise, diminué par le poids des responsabilités, il perd son dimanche et sa vie sociale. Il ne vit plus.
Le film est bref et percutant mais son procédé qui fait son originalité s'essouffle dans la longeur et son propos donc perd en puissance.
Deux films très différents mais qui, au fond, donnent à penser un même constat: on continue à donner sa vie pour son travail. Dommage cependant que les curieux ne fussent pas plus nombreux.
La version étendue de Métropolis attendra Berlin
Ce soir (le jeudi 5 novembre), il nous est permis de (re)découvrir l'un des plus célèbres chefs d'oeuvres de Fritz Lang (tout aussi absent que les autres d'ailleurs !), Metropolis. A noter que, bien qu'une version du film plus longue de 25 minutes fut découverte en juillet 2008 à Buenos Aires, c'est la version de deux heures (modelée dans les années 90) qui nous fut présentée. Un des professeurs de cinéma de l'université de Poitiers, qui présentait le film, s'est chargé de le spécifier. Il a rappelé également les nombreux niveaux de lecture que le film offrait, qu'il soit socialistes, religieux, politique voire même fascistes pour certains ! Un film qui, ajourd'hui encore, nourrit une certaine controverse.
Le festival pour cette soirée spéciale, a tenu à projter aux spectateurs le film dans le cadre d'un ciné-concert et, avec donc, un accompagnement au piano de Jacques Cambra (un habitué de ce genre d'évènements puisque depuis 1997, il accompagne de façon régulière les films muets au piano) qui, rien que pour nos oreilles, s'est prêté au jeu de l'improvisation. Et une fois, les petits problèmes techniques réglés, la musique de Cambra peut aller se frotter au gigantisme du film de Lang. Parfois pris au dépourvu par les changements de plans et de rythme du film, le pianiste n'en perd jamais pour autant le fil de sa création. Et le public, venu nombreux, peut se délecter de ses flamboyances musicales qui accompagnent si parfaitement les intensités dramatiques de Metropolis. Une expérience à la fois sonore et visuelle qui réconcilie les plus réticents avec le cinéma muet et qui rapproche le public de l'oeuvre, véritablement intemporelle.
"Filmer le travail" est un premier festival timide mais dont l'intérêt porté par les spectateurs est certain. Il ne lui reste plus qu'à poursuivre sa route jusqu'au 8 novembre, pour revenir l'an prochain, plus hardi et plus étoffé pourquoi pas.