Cannes 2018: le palmarès de la Semaine de la Critique

Posté par vincy, le 16 mai 2018


Premier palmarès à être décerné à cannes ce mercredi 16 mai dans la soirée, celui de la Semaine de la Critique.

Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt a remporté le Grand Prix Nespresso. Cette "comédie", qui sera distribuée par UFO, raconte l'histoire d'une icône absolue du football, capable à lui seul de déjouer les défenses les plus redoutables. Mais lors du match le plus important de sa vie, son génie n’opère plus. Sa carrière est stoppée net, et la star déchue cherche un sens à sa vie. Commence alors une folle odyssée, où se confronteront néo-fascisme, crise des migrants, trafics génétiques délirants et quête effrénée de la perfection.

Le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation, dont c'est la première édition, a été remis à Félix Maritaud pour Sauvage de Camille Vidal-Naquet (le 22 août chez Pyramide distribution). Un an après son  entrée dans le monde du cinéma avec 120 battements par minute, le jeune acteur brille dans ce film qui navigue dans le milieu de la prostitution gay.

Monsieur de Rohena Gera, distribué par Diaphana, a été récompensé par le Prix Fondation Gan à la Diffusion. La sortie est prévue pour la fin de l'année pour ce film indien.

Le Prix SACD a distingué Woman at War de Benedikt Erlingsson & Olafur Egill Egilsson. Jour2fête sortira le film le 4 juillet. On découvre ici Halla, la cinquantaine, qui déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…

Enfin deux excellents courts métrages ont été primés: Ektoras Malo: I Teleftea Mera Tis Chronias de Jacqueline Lentzou avec le Prix Découverte Leica Cine du court métrage et Un jour de mariage d'Elias Belkeddar par le Prix Canal + du court métrage.

Cannes 2018 : la révolution irlandaise avec Le vent se lève

Posté par MpM, le 16 mai 2018

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.


En 2006, Ken Loach est de retour à Cannes avec Le vent se lève, une fresque sensible et engagée qui raconte la guerre d'indépendance irlandaise entre 1919 et 1921 ainsi que la guerre civile qui suivit. S'il y suit deux frères engagés dans l'Armée républicaine irlandaise, le film est surtout une plongée immersive dans la réalité de l'Irlande d'alors, entre injustices, persécutions et révoltes.

La première partie est ainsi une ode à l'action collective et à l'espoir d'un monde doublement meilleur : parce que débarrassé de l'oppresseur, mais aussi parce que plus équitable et juste. La deuxième voit s'effriter l'union des combattants révoltés, jusqu'à une guerre fratricide dont l'Irlande porte encore les stigmates. Ken Loach décortique les différents mécanismes présidant à la révolte de même qu'il observe au microscope le processus qui conduit les alliés d'hier à s'entretuer. A la fois sur le plan idéologique (les oppositions et les divergences naissantes au sein du groupe) et aussi plus concrètement.

Ainsi, le réalisateur s'attache à ne pas montrer que les exactions des Anglais. Les Irlandais se sont battus les armes à la main, et pas toujours de la manière le plus honorable, rappelle-t-il. On voit par exemple des guets-apens contre l'ennemi transformés en véritable tir aux pigeons ne ménageant aux victimes aucune possibilité de s'enfuir ou de se rendre. L'armée irlandaise tombe elle-même dans un engrenage de violence sans fin lorsqu'elle doit châtier ses propres hommes "pour l'exemple". Comme pour annoncer la noirceur des temps à venir.

Il y a quelque chose d'inhérent à la révolution elle-même dans ce coup de balancier qui après l'euphorie mène à la désillusion, une forme d'inéluctable que la caméra bienveillante de Loach filme avec acuité, ne cachant pas le camp qui a sa préférence, et ne dissimulant pas plus les sacrifices parfois insupportables que nécessitent toutes les luttes de libération.

Sur un plan plus purement cinématographique, Le vent se lève est un film si finement écrit (par Paul Laverty) que chaque scène a une fonction précise dans l'intrigue et que rien, malgré les deux heures du film, ne semble gratuit ou superflu. On est emporté par le vent de l'histoire sans jamais perdre de vue de n'y être que des fétus de paille. Ces épis d'orge que le vent secoue, comme dans le titre original inspiré d'une chanson folklorique du XIXe siècle (The wind that shakes the barley). Le jury présidé par Wong Kar-Wai ne s'y trompa pas, qui décerna à Loach sa première Palme d'or.

Quinzaine 50 : montrez ces films qu’on ne saurait voir !

Posté par redaction, le 16 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

La Quinzaine des réalisateurs, grande prêtresse du cinéma indépendant, du cinéma contestataire, du cinéma underground, moderne, ouvert, libre. La Quinzaine faite par le monde, pour le monde. Une révolte contre l’élitisme cannois, contre la censure systématisée, et contre toute forme d’institutionnalisation. C’est en cessant de cacher ces films qu’on ne saurait voir que nos agitateurs vont ouvrir la porte, jusque-là verrouillée, d’un cinéma nu et sincère. Le 10 mai 1968 s’ouvre le 21e Festival de Cannes. Et c’est en 69, année érotique, qu’on assiste à la naissance d’un immense Fes[se]tival. La première édition de la Quinzaine a le [cul]ot de projeter Le Joujou chéri de Gabriel Axel.

Film documentaire et long-métrage de fiction s’entremêlent dans cette audacieuse production danoise. Le Joujou chéri traite de la production de magazines et de films érotiques et dénonce une censure bien trop présente (surtout en France !). On découvre en une heure et demie la diversité de l’érotisme sur grand écran, du cinéma moderne au cinéma muet. Gabriel Axel réalise ce premier documentaire sans salaire, et sans réel financement. Fort d’une envie de transgression et de liberté, Axel nous interroge sur la présence de l’érotisme dans l’art. Pourquoi un artiste peintre, proposant un nu, offre de l’Art au spectateur, tandis qu’un photographe (ou un cinéaste) représentant un même nu est classé immédiatement comme pornographe ? Ce message passe directement par l’affiche du film : une gravure libertine. Art, ou pornographie ?

Par son interdiction, la pornographie se fait sombre, glauque, étouffante. Gabriel Axel, lui, veut présenter un univers lumineux, léger, joyeux, et bon enfant. A force d’interdire et de censurer, l’impression que le sexe est un danger pour l’homme se fait de plus en plus forte. Mais où est le danger ?

C’est grâce à un Danemark bien plus libéral que la France que Le Joujou chéri passe la frontière. Rappelons d’ailleurs que cette œuvre aidera à supprimer la censure adulte en 1969 dans son pays. Malgré cette hardiesse, le film sera interdit en France et ne sera distribué en province qu’en 1974 via un circuit allemand, sous le nom de Das Geliekte Spielzub. Le Joujou chéri passera ici d’une heure et demie, à une heure et quart.

Tandis que la demande de suppression de la censure de la part des Etats Généraux du Cinéma suit son cours, deux nouvelles œuvres culottées s’emparent de la Quinzaine : Le Hurlement de Tinto Brass en 1970, et Mais ne nous Délivrez pas du mal de Joël Séria en 1971.

Le Hurlement est un cri de joie et de colère, une folie douce parfaitement représentative de l’air du temps. Film psychédélique soixantehuitard, L’Urlo explore une société changeante. Les repères sont flous, la jeunesse ne sait plus à quoi se raccrocher, et erre au travers d’un milieu hostile et incompréhensible tout comme Anita (Tina Aumont) et son amant Coso (Gigi Proietti) principaux protagonistes. Anita, activiste de gauche, fuit son fiancé et rencontre un parfait inconnu avec qui elle va voyager dans une Italie étrange et grotesque, rencontrant tour à tour une famille de cannibales et des fanatiques explorant différentes facettes de leur sexualité. Le message est clair : c’est en quittant les conventions que l’individu explore et nourrit son être intérieur.

Tinto Brass, auteur, scénariste et monteur, abandonne ici les traditions narratives et invite le spectateur à vivre son œuvre comme une expérience sensorielle. Il ne raconte pas mais dénonce la condition tragique de l’homme moderne seul face à la misère, à la mort, et à l’esclavagisme de la société, en continuant ainsi son travail amorcé en 1964 avec Who Works ?. Contrairement à Who Works ?, L’Urlo sera interdit par la censure en Italie pendant pas moins de sept ans.
Bizarre, surréaliste, et radicalement ancré dans la contre-culture, Le Hurlement reste tout de même proche de réalisations dans la même veine, aussi bien au niveau du scénario, qu’au niveau de la réalisation. On y retrouve des couleurs similaires, des scènes en extérieur peu surprenantes, et une révolte politique qu’on croise de partout.

Tandis qu’en 1971, Mais ne nous Délivrez pas du mal fera l’effet d’une bombe parmi les festivaliers cannois. « Une œuvres des plus malsaine […] en raison de la perversion, du sadisme et des ferments de destruction morale et mentale … » ainsi parlait la Commission de contrôle du premier long-métrage de Joël Séria.
Elevé dans un foyer à l’éducation religieuse stricte, et éduqué en pensionnat chez les curés pendant une dizaine d’années notre réalisateur est frappé par l’image idyllique d’une jeune fille qui inspirera l’aspect de ses deux héroïnes. Cette image est celle croisée au hasard d’un article de journal, celle d’une petite nymphette aux joues pleines et aux boucles rondes. Une petite fille modèle ayant décidé de jouer à la poupée avec sa meilleure amie. La poupée sera sa mère, le jeu : la lapidation. Fait divers néo-zélandais, cette histoire nourrira celle de Mais ne nous Délivrez pas du mal dans une certaine mesure. C’est d’ailleurs de ce film et de cet article que Peter Jackson tirera Créatures Célestes en  1994.

Ce long-métrage sera tourné sans l’accord du CNC, mais Joël Séria persiste. Ce scénario est ancré en lui, et il se doit de le coucher sur pellicule. Il réalise cet exercice avec brio et nous dévoile ses talents de poète. On retrouve dans ce film une mélancolie toute baudelairienne, mêlée à l’insouciance de la jeunesse et aux secrets de l’adolescence. Nos deux Lolitas, Anne et Laure, sont deux petites filles modèles en apparence mais, et ce dès les premières scènes, il se dégage d’elles une sainteté diabolique. Tout comme Joël Séria, elles se voient dès leur plus jeune âge cloîtrées chez les bonnes sœurs avec, pour seule distraction, leur imagination viciée et leurs loisirs sadiques. Anne et Laure se complaisent dans le mal comme d’autres se complaisent dans le bien ; elles œuvrent pour Satan en âme et conscience, en opposition à tout ce qui leur a été inculqué. Mais ne nous Délivrez pas du mal est un film fort, puissant, et étrangement doux. L’apparence bucolique de la campagne contraste avec la perversion des actes de nos héroïnes et nous rappelle curieusement nos propres étés. La torpeur estivale, les nuits fraiches, les balades à vélo donnent une sensualité prématurée à Anne et Laure qui se dénudent à toutes occasions.

Le scénario, puissamment anticléricale et légèrement éphèbiphile, fera interdire le film malgré sa présence à la Quinzaine. Ce n’est qu’après la coupe de quelques secondes d’une scène lesbienne entre religieuses que le film sera accessible au public. Joël Séria, sera alors l’un des derniers réalisateurs de long-métrage à avoir un film bloqué. Bien plus qu’une œuvre profane, Mais ne nous Délivrez pas du mal est une mise en garde contre le refoulement, la pression et l’oppression chez les adolescents. Autre sujet fort du début des années 70.

« 1973, on interdit. 1974, on libéralise. Avant de réprimer en 1975 puis de punir en 1976 »

(Entre deux censures, 1989, Tony Crawley et François Jouffa)

Le 28 avril 1974, Valérie Giscard d’Estaing, fraîchement élu président de la république, annonce la suppression de la censure en France et prône la liberté d’expression et de création. Cette décision révolutionnera le paysage cinématographique tout entier. A la capitale, en banlieue et en province, les cinémas affichent impudiquement des œuvres érotiques sur leurs façades et dans leurs halls. En une année, plus de 128 films voluptueux sortent en salle : Les Jouisseuses, Emmanuelle, et La Papesse (pour n’en citer que quelques-uns) embrasent les foules qui se précipitent pour voir le tabou en scope. Cette curiosité légère poussera 6 497 687 parisiens et banlieusards à se cloîtrer dans les pièces confinées, surchauffées et électrisées des exploitants de 74. Le secrétaire d’état, Michel Guy, dans un éclat de lucidité, ou dans un moment de faiblesse, autorisera même l’exploitation des films pornographiques !

Ce vent de liberté atteindra rapidement la croisette qui présentera à sa sélection officielle les sulfureuses Mille et une nuits de Pier Paolo Pasolini et les outrancière Neuf vies de Fritz le chat de Robert Taylor. La Quinzaine, quant à elle, ira chercher du côté de la Yougoslavie pour trouver LE réalisateur adéquat pour cette année toute en fesses : Dusan Makavejev, auteur et scénariste de Sweet Movie.

Carole Laure (Miss Canada) porte plainte contre Makavejev, Anna Prucnal (Anna Planeta) est exilée de Pologne pendant sept ans, le film est banni en Grande-Bretagne et, en France, il subit l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans. Tout ça pour quoi ? Pour un film-manifeste, une œuvre forte qui malgré elle a engendré un scandale plus grand que ce qu’elle envisageait. Pour un poème érotico-politique ou le socialisme et le capitalisme se contemplent d’un œil curieux et cherchent à s’apprivoiser. Contrairement aux autres films de Dusan Makavejev, Sweet Movie nous offre une confrontation sociale plus directe, sans soliloques gouvernementaux indigestes. Il cherche ici à établir une relation sensorielle écran-spectateur. La sensualité est la grande ligne directrice de la mise en scène et du scénario, toute la cohésion de l’équipe de tournage vise à prôner la joie de vivre, l’amour universel et la connaissance de soi par le biais du sexe. Makavejev fait tomber les masques de l’auto-censure, le spectateur est mis à nu, sa carapace se fend et fond face à l’humour chaleureux et à la moiteur sexuelle de Sweet Movie. On parle ici « d’effet thérapeutique » comme un « aphrodisiaque léger », une communication non-verbale poussant le public à s’observer, se sentir, se toucher, se goûter, et se découvrir à travers l’œuvre.

Soulignons le fait que Makavajev, culpabilisant de ce trop-plein de bonheur face à la misère du monde, inséra dans le film des séquences documentaires sur l’excavation de cadavres polonais par des officiers nazis. Triste monde cruel.

Nous finirons l’année, le 17 octobre 1974, par une suppression du fond de soutien pour les films pornos … Monsieur Giscard et Monsieur Guy seraient-ils en train de revenir sur leurs convictions ?

En 1976, les bonnes résolutions de nos deux compères sont mises au placard. Pornographie ? Erotisme dites-vous ? Du passé. La loi X s’impose insidieusement, feignant l’absence de censure et affichant une simple restriction. La TVA sur les films dit pornos passe de 17.6% à 33.33%, 161 films sont classés X et interdit d’exploitation … Les rares œuvres encore en circuit sont reléguées dans des salles spécialisées pénalisées fiscalement et financièrement. Si ça ce n’est pas de la censure …

Mais la Quinzaine résiste encore et toujours à la restriction, à l’enclavement, et au blâme, et elle le montre plus que jamais avec L’Empire des sens de Nagisa Oshima. Toute la France est ébranlée, le phénomène est sans précédent. De plus, L’Empire des sens n’est pas noyé dans la sélection, loin de là, il est le film d’ouverture de cette nouvelle programmation, l’œuvre mise en lumière, l’œuvre sous les projecteurs du public, de la critique, des journalistes, et de l’organisation.

Nous ne nous étendrons pas plus que nécessaire sur ce film qui a déjà fait couler beaucoup d’encre (et beaucoup d’autres liqueurs plus naturelles). Rappelons juste que celui-ci est un pied de nez aux tabous japonais. Nagisa Oshima c’est procurer une pellicule vierge française, l’a fécondé sur sa terre natale, et l’a renvoyé en France pour la mise à bas. L’Empire des sens est interdit au Japon, rn Allemagne, en Suède, aux Etats-Unis, en Belgique … Mais la Quinzaine relève le défi de présenter cette œuvre, et tente d’ouvrir le regard du public non pas sur un film érotique ou pornographique, mais sur un poème visuel digne des estampes japonaises. Tout ici est d’une minutie implacable, la mise en scène est épurée, les dialogues finement orchestrés, et les couleurs éclatantes renforcent le lyrisme de ce qui n’était à l’origine qu’un fait divers.

L’Empire des sens établi un seul et même discours : celui d’une scène d’amour en continu, le cadre change mais l’acte reste. Même si le sexe n’est pas simulé, même si la scène finale est d’une violence inouïe, le film reste immaculé grâce à sa perfection visuelle, et grâce à ce discours n’étant ni plus ni moins qu’une approbation de la vie jusque dans la mort, l’amour ultime et inconditionnel.
Les œuvres vue précédemment sont politiques, sociales, révoltées. Elle utilise la représentation du sexe pour faire passer des messages plus ou moins abstraits, mais elles négligent l’amour rencontré dans la relation sexuelle. Nagisa Oshima, lui, le sublime.

Mais si la politique vous manque rappelons que, en 1988, interviewé par Bernard Pivot, Jacques Chirac confessera : «  J’ai vu L’Empire des sens dans la salle d’un cinéma privé qui appartient au ministère de l’information. J’ai estimé que c’était un très beau film … »

Merci au ministère de l’information et merci à Jacques !

La Quinzaine nous réservera d’autres belles surprises telles que la coréalisation franco-japonaise des Fruits de la passion de Shuji Terayama en 1981, adaptation très libre de Retour à Roissy de Pauline Réage. L’adaptation encore plus libre en 1986 du Diable au corps de Marco Bellocchio et sa vraie fellation qui coûtera cher à la carrière de Maruschka. L’onirique, le lyrique, le diaphane Kissed, premier film de Lynne Stopkewich, fable nécrophile tirée d’une nouvelle de Barbara Gowdy. Et le très contemporain Année Bissextile de Michael Rowe explorant la mécanique d’un couple sadomasochiste.

Puis d'autres films oubliés : La Fille offerte d’ Helma Sanders-Brahms, Irezumi - Esprit de tatouage de Yoichi Takabayashi, L’Esquimaude a froid  de Janos Xantus, Annabelle Partagée de Francesca Comencini …

Tant de films autour d’un seul et même sujet, d’une problématique ancestrale qui semble régir le monde : le sexe. Le sexe politique, le sexe social, le sexe spirituel, les sexes, les sexualités. Parfois représenté avec pudeur, parfois avec exubérance, le sexe est mis à l’honneur dans ces œuvres qui ont su le magnifier avec respect.

La sexualité, même surreprésentée, reste encore tabou. Une petite partie de chacun d’entre nous dort dans une coquille de glace. Le rôle de ces films est, entre autre, de faire fondre cette armure pour que le spectateur découvre avec émotion une autre facette de sa personnalité, belle, pure, et lumineuse.

La Quinzaine est le réceptacle d’une sensualité venue du monde entier. Elle livre au sein de l’une des plus grandes institutions cinématographiques un havre de chaleur cotonneuse. Elle ne nie pas ce qui fait un pan tout entier de l’Homme, elle l’embrasse, elle se l’approprie, avec une programmation toujours précise et surprenante. La Quinzaine réinvente le sexe sur grand écran et le crédibilise.

Clara Sebastiao de critique-film

Cannes 2018: Qui est David Robert Mitchell ?

Posté par kristofy, le 16 mai 2018

C'est l'un des nouveau cinéaste américain qui a été révélé dès son tout premier film à Cannes, et le voila de nouveau cette année au festival mais cette fois il revient en compétition, en position privilégiée pour une Palme d'or : David Robert Mitchell signe un film noir vénéneux avec Under the Silver Lake.

A 44 ans, ce gosse du Michigan, diplômé en Floride, ne semble pas vieillir. Fan de cinéma européen, d'Hitchcock et d'American Graffiti, il a débuté en faisant le montage de bandes annonces. Sans doute de là que vient son art du montage. Mais au fil des films, on sent surtout qu'il veut détourner les genres - le teen-movie, l'horreur, le suspens.

C'est à la Semaine de la Critique que les cinéphile ont remarqué la singularité de ce nouveau talent en 2010 en présentant The myth of the american sleepover, puis quatre ans plus tard, toujours à la Semaine, en projetant son deuxième film It follows. Si la gestation du premier a été longue (7 ans, pour un budget inférieur à 100000$) et sa sortie en France inédite en salles (seulement en DVD en 2014), l'autre a connu un large écho favorable, rapportant même 15M$ aux Etats-Unis.

Aussi différent l'un de l'autre, ces deux premiers films de David Robert Mitchell représentent des explorations du coming-out of age, de ce moment particulier de l'adolescence au seuil de l'inconnu, avant d'être adulte. Grandir, tomber amoureux, envisager une faculté lointaine pour The myth of the american sleepover avec une approche sensible et naturaliste des sentiments pour se projeter vers un futur lumineux. Le film avait reçu le Prix spécial du jury à Deauville.

Presque à l'opposé, avec une orientation fantastique un peu horrifique, It follows parle de relations sexuelles et d'une transmission de la peur qui obscurcit l'avenir. Le film a été distingué notamment par un Prix de la critique à Deauville ainsi que le Grand prix et le Prix de la critique à Gérardmer.

Ses deux films partagent un sens du casting aiguisé avec la fraicheur de nouveaux visages, et surtout une originalité séduisante pour la mise en scène, avec des cadrages soignés et une musique toujours adéquate.

David Robert Mitchell est vite devenu visible sur les différents radars de nouveaux talents à suivre dont on guette la confirmation. Pour son troisième film, Under the Silver Lake, peut-être celui qui représente un pari plus risqué, il a fait jouer des acteurs confirmés comme Andrew Garfield, Riley Keough et Topher Grace. Un jeune homme, incapable de dépasser l'adolescence glandeuse et d'oublier un amour de jeunesse, se lance dans une quête surréaliste pour retrouver une femme, le sujet presque universel peut se prêter à toutes les audaces, en l'occurrence ici une multitude de références aux films noirs des années 50 et à la culture underground et pop. Le film, sort le 8 août en France.

Cannes 2018: Qui est Steven Yeun ?

Posté par vincy, le 16 mai 2018

Il est américano-coréen. Steven Yeun est né en Corée (du sud) et a grandi dans le Michigan où ses parents étaient commerçant en maquillage et beauté. Inutile de dire que la beauté, il l'a et le maquillage semble superflu pour ce jeune homme de 34 ans.

L'an dernier, Steven Yeun était à l'affiche d'un film en compétition à Cannes, membre du Front de Libération Animale dans Okja, qui défraya la chronique non pas pour les qualités du film mais pour son appartenance à la galaxie Netflix.

Mais c'est avant tout sur le petit écran qu'il s'est fat connaître. Aux côtés d'innombrables petits rôles dans diverses séries, il tourne six saisons de The Walking Dead, incarnant Glenn Rhee, intrépide et chanceux, enclin à aider les autres, mais néanmoins froidement assassiné au début de la septième saison.

Après avoir débuté dans l'impro, il a préféré devenir acteur que de suivre des études classiques, se heurtant à ses parents, pas farouchement enthousiastes. Alors que sa carrière s'épanouit, il investit dans le restaurant Bun Shop de son frère.

Car depuis qu'il a quitté The Walking Dead, Steven Yeun s'investit avant tout dans le cinéma. En 2014, il est de l'aventure du poétique I Origins de Mike Cahill, prix du meilleur film à Sitges et récompensé à Sundance. Puis on le retrouve dans l'horrifique Mayhem de Joe Lynch, où la encore la science lui joue des tours. Il s'avère à l'aise dans l'univers du film d'action, ce qui lui sera utile dans Okja.

Steven Yeun enchaîne les films, refusant d'être cantonné au personnages de l'asiatique de service. Doubleur hors-pair et voix de films d'animation très divers, on le retrouvera dans Sorry to Bother You de Boots Riley, comédie fantastique avec Armie Hammer et Tessa Thompson qui sortira cet été.

En attendant, il revient à Cannes, en compétition, avec Burning de Lee Chang-dong, cinéaste rare et souvent sélectionné, ancien ministre de la culture de son pays et écrivain. Steven Yeun y sera Ben, homme au mystérieux passé, qui fait la rencontre de Jongsu, jeune coursier, par l'intermédiaire d'une amie commune.

Ce sera sans aucun doute l'occasion pour le comédien de révéler une autre part de son talent, sans exposer ses biceps ou affronter des ennemis de toutes sortes. Un premier grand rôle dramatique qui est aussi son premier grand rôle dans son pays natal...

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 6, retour sur quelques films sélectionnés

Posté par redaction, le 16 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Parmi les réalisateurs que vous avez invité, quelques noms sont étonnants, comme ceux de John Lennon et Yoko Ono

J'ai pris leurs films car ça m'amusait. Celui de Yoko Ono c'était The Fly. Une fille nue étendue sur un matelas, on suit une mouche et on attend qu'elle se pose sur son sexe. Ça dure vingt minutes, jusqu'au moment où elle se pose. Celui de John Lennon, Apotheosis, c'était une montgolfière qui montait, qui montait. Ça se passait à Oulan Bator, en Mongolie, c'était pollué et tout à coup on dépasse les nuages et on retrouvait le ciel bleu. Ce n'était que ça. Je prends les films, je trouve ça rigolo comme tout. John vient avec Yoko, un autre Beatle mais je ne sais plus lequel, en avion privée, avec une trentaine de groupies. Ils déjeunent à la Colombe d'or, un restaurant de luxe en dehors de cannes, lui et toute sa bande, ils étaient une vingtaine au moins. Beaucoup de rosés, de vins, mais aussi beaucoup d'autres substances ! Si bien que quand ils sont revenus vers trois heures de l'après-midi, l'un d'entre eux s'évanouit devant la Malmaison où sont nos bureaux. Nous sommes allés le secourir et, comme on arrivait pas à le réanimer, il a fallu appeler les pompiers, ça a fait scandale. Jacques Doniol Valcroze et moi avons été convoqués par le maire qui disait qu'on est un repère de voyous. Doniol m'avait prévenu qu'il était fou furieux et j'ai donc mis une cravate et une décoration. On lui dit qu'on ne savait pas qui c'était mais qu'on l'avait secouru, sinon c'était non assistance à personne en danger. Doniol ajoute, malin, monsieur le maire, vous auriez fait pareil. L'atmosphère se détend et sur ces belles paroles, Richard Dembo entre en santiags, avec une robe comme les hippies, une rose dans la main et fait le signe peace… Doniol et moi on ne pouvait pas le croire, on a éclaté de rire, on n'arrivait plus à s'arrêter devant les trois membres du conseil municipal et on est parti en se disant advienne que pourra. Ils nous voyaient comme des voyous. Cette réputation ne nous a pas suivi longtemps heureusement. Les anglais ont mis de l'huile sur le feu en nous appelant «counter cannes festival». Ce qui n'était pas du tout le cas. C'était à côté, ce n'est pas pareil.

Comment avez-vous découvert Massacre à la tronçonneuse ?

Je l'avais vu à New-York. Il m'a foutu une trouille si épouvantable que je l'ai pris. Je me suis fait engueuler à la Quinzaine ! Par beaucoup de critiques qui me disaient ce n'est pas un film Quinzaine. Je leur ai répondu, ça fait X années que je fais la quinzaine, je n'ai jamais su ce que c'était qu'un film Quinzaine, expliquez-le moi alors ! C'était le premier du genre ! Je ne regrette pas du tout de l'avoir pris. La Quinzaine surprenait par rapport à la compétition, mais là d'un seul coup, un film qu'on dit de genre aujourd'hui, cette appellation est grotesque d'ailleurs.

Le joujou chéri ?

Un film sur les films érotiques de bordel, ça m'amusait, c'est insolent et on était aussi dans la veine d'une époque où il n'y avait pas le sida. Une veine libertine un peu partout, tout le monde s'envoyait en l'air, c'était une grande époque. L'année 68… ce qui se passait à la Sorbonne occupée par les étudiants ! Moi j'avais à l'époque une chambre près de là, j'ai passé des nuits dans le grand amphithéâtre Richelieu, je ne vous dis pas ce qu'on y faisait...

Hurlo de Tinto Brass ?

Rien à voir avec les films érotiques qu'il fera ensuite. C'est un film assez violent dans mon souvenir. Tinto Brass, c'est curieux car il avait travaillé à la cinémathèque chez Langlois, il déchirait les billets. Il était devenu cinéphile comme ça. J'ai le souvenir d'avoir été impressionné par le film et je ne l'ai pas revu depuis. Je n'en ai pas d'images sauf des couleurs violentes.

Viol d'Anje Breien ?

Elle vivait à l'époque avec Henning Carlsen. Elle a fait ce film que j'ai trouvé très bien mais c'était à l'époque où on découvrait le cinéma pornographique. En France, ce n'était pas autorisé, mais à cannes, il y a avait extraterritorialité, donc les gens allaient voir au marché rue d'Antibes - il n'y avait pas encore les salles au palais – et découvrir Derrière la porte verte. Des gens sont allés voir Viol en pensant que c'était érotique alors qu'il s'agissait d'un drame psychologique féministe, ce n'est pas du tout pareil ! Le malentendu a été complet ! Le cinéma norvégien d'ailleurs n'existait pas à l'époque. Suédois, oui, mais pas le norvégien.

De Scandinavie, qui vous a le plus marqué ?

Aki Kaurismaki ! D'abord parce que pochard comme ça, il tient bien la route avec son cinéma. Il est sympa, avec un humour à froid.  Les finlandais, ce n'est pas des gais. Helsinki, c'est une ville chiante, toute en béton pour résister aux tempêtes de neige. Franchement, ce n'est pas drôle, le protestantisme dur. Pas une statue, pas une peinture dans la cathédrale. On s'emmerde dans cette ville, à part boire ! Et ça, ils boivent !

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film