Cannes 2018 : la révolution trotskyste avec « Mourir à 30 ans » de Roman Goupil

Posté par MpM, le 13 mai 2018

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.

En 1982, un vent de militantisme souffle sur la Croisette : la Semaine de la Critique a sélectionné un premier film choc, mêlant témoignages et images d'archives, qui évoque les années de lutte de la jeunesse communiste à travers le destin du militant d'extrême gauche Michel Recanati. C'est Romain Goupil, lui-même ancien militant, qui réalise ce documentaire habité conçu comme un hommage à son ami Recanati qui s'est suicidé en 1978, à trente ans.

Flashback : en 1965, Romain Goupil (14 ans) rencontre Michel Recanati (17 ans). Ils deviennent amis et vivent ensemble leur première prise de conscience politique avec la guerre qui fait rage au Vietnam. Recanati fonde les Comités d'Action lycéen puis s'inscrit sur les listes de la Jeunesse communiste révolutionnaire, dirigée par Alain Krivine. Goupil devient l'un des leaders du Comité d'action lycéen. Une profonde amitié les unit, qui traversera les grands événements de la période : mai 68 et ses barricades, juin 1973 et son action violente.

A travers Mourir à trente ans, Romain Goupil revisite non seulement les années passées à côté de ce camarade de lutte, mais aussi leurs espoirs, leurs idéaux, leurs réussites, leurs déceptions, leurs échecs... On revit mai 68 à travers les images d’assemblées générales et de manifestations tournées à l'époque tandis que des documents plus intimes et les témoignages d’anciens camarades dessinent en creux le portrait d’une génération.

En juin 1982, Hervé Guibert livre dans Le Monde un sentiment à chaud sur ce film "inoubliable" qui l'a bouleversé : "[Mourir à 30 ans] s’adresse à toute cette génération qui a « raté » l’événement (un peu comme on a raté à jamais, un tour de chant d’Edith Piaf), et nous met, très concrètement, au pied du mur de ce que fut mai 1968, nous fait toucher du doigt, fraternellement, en grand frère, cette plaie toujours vive, non pas pour nous mettre du sang sur les doigts, mais pour qu’on examine la dimension de la plaie, sa figuration, et la nature exacte du coutelas qui l’a ouverte. Enquête sur un espoir manipulé, enquête sur la mort d’un ami. Le sanglot reste intérieur, mais le film de Romain Goupil donne une terrible envie de pleurer. Pas seulement parce qu’il en va de la mort d’un jeune homme, mais parce qu’il en va de la mort de l’espoir de cet homme, et de toute une génération. Voyez ces têtes sur l’écran, ces visages interrogés devant le fond neutre d’un studio aménagé en appartement, comme ils sont marqués. On a un frisson de rescapé en pensant qu’on a seulement frôlé l’espoir, qu’une date de naissance a empêché qu’il nous atteigne, et on écope maintenant son contrecoup, comme un courant d’air glacial qui nous rase le dos, comme une zone sinistrée qui s’étend derrière nous dès qu’on tourne la tête."

Il résume ainsi brillamment l'effet que le film a sur ceux qui le découvrent, et sa nature de document incandescent sur Mai 68 d'abord, sur toutes les années de lutte ensuite (la séquence sur la manifestation anti-fasciste du 21 juin 1973, qui marqua la fin des activités de Michel Recanati, notamment, se regarde comme en apnée) et enfin sur le désenchantement qui suivit. Romain Goupil reçoit la Caméra d'or et le César du meilleur premier film. Il confirme alors sa place de chantre de Mai 68 et des luttes contestataires du XXe siècle.

Avant que le temps ne le rattrape, et lui fasse emprunter des chemins plus conservateurs. En 2017, il soutient Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle, et cette année, il est de retour à Cannes, en séance spéciale, pour présenter le documentaire La traversée co-réalisé avec Daniel Cohn-Bendit, et dont l'ambition est d'être "une "mosaïque" de la France, sans "vouloir rien prouver", une observation du quotidien des Français, 50 ans après mai 1968". Un film dans lequel Emmanuel Macron lui-même a une place de choix. La boucle est bouclée, bien sûr. Mais on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'en aurait pensé Michel Recanati.

Quinzaine 50 : horreur, hauts espoirs

Posté par MpM, le 13 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Dans l’inconscient général, et malgré l’évidence de cette réalité - si l’on se base du strict point de vue de la sonorité - « Quinzaine des réalisateurs » ne rime pas forcément avec « Cinéma d’horreur ». Pourtant, si l’on survole rapidement l’interminable liste de films ayant été projetés à la Quinzaine depuis sa première édition en 1970, deux films incontournables nous sautent immédiatement aux yeux : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1975) et Le projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez (1999).

Ces deux films importants dans l’Histoire du cinéma horrifique nous ont poussé à entamer un retour chronologique sur presque quarante ans de films d’horreur présentés à la Quinzaine, mais la première constatation est sans appel : la grande majorité des films y ayant été présentés durant les vingt premières années d’existence du Festival sont malheureusement aujourd’hui complètement invisibles.

Minorité invisible (1970-1983)

Pourtant, dès 1970, le cinéma fantastique ou horrifique fait son apparition à la Quinzaine, avec tout d'abord le film Palaver d'Emile Degelin (Belgique), film fantastique flamand ayant pour sujet le racisme, quasiment entièrement tourné en swahili et ayant eu la particularité d'avoir été cadré par un Paul Verhoeven qui n'avait pas encore entamé sa carrière de cinéaste. Mais l'horreur à proprement parler arriverait surtout par le biais de L'araignée d'eau de Jean-Daniel Verhaeghe (France).

1970 – L'araignée d'eau (Jean-Daniel Verhaeghe, France)

Si on ne trouve aujourd’hui de trace sur le Net que de sa sublime affiche et de quelques extraits sur YouTube, le film de Verhaeghe a clairement fait forte impression aux cinéphiles ayant eu la chance de le découvrir, en salles ou en VHS. Se suivant comme un véritable rêve éveillé, toujours sur le fil entre fantasme et réalité, L'araignée d'eau emmène le spectateur le long des dérives mentales d'un écrivain suite à la découverte d'une araignée d'eau capable de matérialiser ses désirs les plus fous. Si le film évoque volontiers l'univers littéraire de Claude Seignolle, il est en réalité adapté d'une nouvelle d'un autre écrivain : le français Marcel Béalu.

Grand film aux accents surréalistes et poétiques, L'araignée d'eau s'offre quelques séquences qui apparaîtront aujourd'hui comme extrêmement en avance sur leur temps, le clou du spectacle et du film s'avérant bien sûr la métamorphose de l'insecte en femme... Réalité ou simple projection de l'esprit de la part du héros ? Le tout s'accompagne de très belles séquences troublantes à base de papillons et de chats, et nous proposera de plus un final assez dingue et inattendu. On espère qu’un éditeur vidéo avisé aura la bonne idée de le sortir un jour de l’oubli !

En 1971, on note la présence dans la sélection d’un film de science-fiction, le très intéressant THX 1138 (George Lucas, États-Unis), mais c’est surtout le français Joël Séria, futur réalisateur des Galettes de Pont-Aven, qui créera l’événement dans le domaine de l'horreur avec son premier film…

1971 – Mais ne nous délivrez pas du mal (Joël Séria, France)

Unique film fantastique de la carrière de Joël Séria, Mais ne nous délivrez pas du mal est une critique explicite de la société française de son époque, et plus particulièrement de la petite bourgeoisie aux mentalités (et aux vies) étriquées ; il fait également figure de véritable pamphlet anticlérical. Le film suit deux jeunes filles de bonne famille, que tout prédestine à une existence sans le moindre problème, mais qui s'avèrent bien décidées à consacrer leur vie à Satan, ainsi qu'au mal sous toutes ses formes. L'ennui du quotidien et le désœuvrement sont probablement à l'origine de cette vocation, de même que l’incommunicabilité entre les générations et un manque de figure paternelle et/ou d'autorité à une époque où, semble dire Séria, les parents sont absents, et les hommes sont « castrés » par leurs femmes ou par les institutions religieuses dans ces petits villages de la France profonde.

Pour autant, Joël Séria ne juge pas ses personnages, faisant même des deux criminelles en herbe deux anti-héroïnes attachantes dans leur refus forcené des conventions et leur quête de liberté, même si cette dernière semble s'épanouir de façon tordue. Exaltées, passionnées par leur rejet en bloc de la société, les  deux jeunes filles semblent toujours fuir en avant, aller droit dans le mur tout en en étant parfaitement conscientes. Inspiré par un fait divers sordide datant de 1954 (l’Affaire Parker-Hulme, qui inspirera également  Peter Jackson pour son Créatures célestes), Joël Séria dessine deux jolis portraits de femmes en devenir, et donne un premier rôle en or à sa complice Jeanne Goupil, qui deviendra son actrice fétiche durant toutes les années 70.

Mais au-delà du portrait très juste de ces deux adolescentes, Mais ne nous délivrez pas du mal s'avère aussi et surtout un film fantastique de première bourre, tirant son étrangeté de son extraordinaire réussite formelle. Visuellement, le film va chercher ses influences du côté des grands films gothiques de la Hammer des années 50/60, mais le tout est adapté à la France : châteaux et demeures bourgeoises aussi grandioses qu'abandonnés, paysages bucoliques au cœur desquels va surgir l'horreur, condamnation sévère (et très emprunte de provocation !) des autorités religieuses... La musique du film, signée Claude Germain et Dominique Ney, est également très réussie, surtout son petit thème entêtant chanté par une voix de femme, digne d'un giallo italien de la même époque.

Mais ne nous délivrez pas du mal fut d'abord totalement interdit par la Commission de censure pour « perversité et sadisme et les formes de destruction morale et mentale qui y sont contenus », puis, grâce à la sélection du film à la Quinzaine des réalisateurs, obtint après quelques coupes une « simple » interdiction aux moins de 18 ans.

En 1972, la sélection de la Quinzaine nous proposera à nouveau un film de science-fiction et un film d'horreur ; comme ça, pas de jaloux. Côté SF, c'est le téléfilm The people de John Korty (États-Unis) qui sera mis sous le feu des projecteurs : produit par Francis Ford Coppola et proposant au casting le sympathique William Shatner, le film met en scène un groupe d'extra-terrestres vivant en communauté et pacifiquement aux côtés des humains dans un petit village américain. Et côté horreur, les curieux auront été confrontés aux visions infernales de Shura (également connu sous le titre Pandemonium) de Toshio Matsumoto, qui proposait un mélange de chanbara et de dérive mentale sanglante, entre cauchemar et réalité.

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Cannes 2018: Qui est Anja Kofmel ?

Posté par MpM, le 13 mai 2018

Anja Kofmel semble (pour le moment) la femme d’un seul projet : celui de redonner vie à son cousin Chris, jeune journaliste suisse retrouvé assassiné dans de mystérieuses circonstances en Croatie en 1992, en pleine  guerre de Yougoslavie, et de découvrir la vérité sur cette mort.

La jeune femme n’a que dix ans au moment de la mort de Chris, mais elle ne cessera jamais d’y songer. Devenue adulte, elle suit des cours à l'Université des Arts de Zurich (ZHdK), puis étudie l'animation à l'Ecole de Design et d'Art de Lucerne (HSLU), et c’est naturellement qu’elle choisit son cousin, et son histoire, comme sujet de son court métrage de fin d’études.

Chrigi reçoit un bel accueil et fait le tour des festivals (il est notamment couronné par le prix du meilleur film d’école suisse à Winterthur en 2009). Tout en nuances de gris, la réalisatrice y parle à la première personne de ce grand cousin qu'elle n'a vu que deux fois dans sa vie, et de la manière dont elle a appris sa mort. Le trait est assez épuré, les décors minimalistes, et le ton à la fois enfantin et humoristique.

Anja Kofmel s'y met en scène sous les traits d'une petite fille subjuguée par l'existence aventureuse du jeune homme, qu'elle transforme en personnage de roman. Cela permet de gommer l'aspect le plus dramatique du récit, sans pour autant l'édulcorer. En quelques images, la réalisatrice suggère en effet les conditions troubles des derniers jours de Chris. L'hommage est aussi touchant que sincère, et surtout réussi.

Mais Anja Kofmel ne s’arrête pas là, et fait également de Chris le sujet de son premier long métrage, Chris the Swiss. Cette fois, il s’agit d’un documentaire qui donne la parole à ceux qui ont connu le jeune journaliste, doublé d’une enquête pour comprendre les circonstances de sa mort.

Les parties en animation permettent de faire revivre Chris et de mettre en scènes les derniers mois de sa vie. La réalisatrice a gardé une esthétique assez épurée, avec un noir et blanc contrasté, et un trait qui s'affirme, plus travaillé que dans le court. La jeune femme se met également en scène dans les passages en prise de vues continues, afin de donner corps à son périple.

On découvrira le film en compétition à la Semaine de la Critique avant de le retrouver à Annecy hors compétition. En attendant, une question nous brûle les lèvres : Anja Kofmel en a-t-elle vraiment fini pour de bon, en tant que réalisatrice, avec son cousin Chris, ou nous réserve -t-elle d’autres surprises ?

Cannes 2018: Nos retrouvailles avec Nicoletta Braschi

Posté par vincy, le 13 mai 2018

Une si longue absence. Cette rubrique semble être faite juste pour elle. Nicoletta Braschi revient sur le grand écran, treize ans après son dernier film. Pourtant durant ces treize ans, sa vie a été mouvementée.

A Cannes, on se souvient d'elle comme membre du jury Cinéfondation et courts métrages lors du Festival de Cannes 2013. A peine trois semaines plus tard, elle est victime d'un accident de voiture, la laissant avec des blessures au visage. Ce n'était pas la seule blessure qui l'a éloignée du cinéma. Cinq ans plus tôt, son frère, le producteur Gianluigi Braschi décède à l'âge de 45 ans des suites d'une maladie grave.

Durant ces treize années sans cinéma, Nicoletta Braschi a préféré les planches dont Giorni felici (Oh les beaux jours), de Samuel Beckett, mis en scène par Andrea Renzi en 2013 et reprise en 2016.

A 58 ans, l'actrice italienne (et productrice) revient au cinéma, avec Heureux comme Lazzaro (Lazzaro felice) d'Alice Rohrwacher (Grand prix du jury à Cannes en 2014). Aux côtés de Adriano Tardialo, Sergi López et Alba Rohrwacher, elle incarne la marquise Alfonsina de Luna, qui règne sur un hameau resté à l’écart du monde où réside Lazzaro, un jeune paysan abusé à cause de sa bonté exceptionnelle.

Vous la reconnaitrez immédiatement. Son visage de muse de Raphaël, blonde aux airs vénitiens, a fait le tour du monde avec le film de son époux, Roberto Benigni, La vita è bella (La vie est belle), où elle incarnait sa femme déportée dans les camps. Elle a tourné dans tous les films de Benigni, et a même produit les deux derniers, Pinocchio et Le tigre et la neige (2005).

Nicoletta a aussi tourné pour Jim Jarmusch (Down by Law, Mystery Train), Marco Ferreri (Y'a bon les Blancs), Bernardo Bertolucci (Un thé au Sahara, où elle était une femme française), Blake Edwards (Le Fils de la panthère rose), Marco Tullio Giordana (Pasolini, mort d'un poète), Roberto Faenza (Pereira prétend), Paolo Virzi (Ovosodo, film aux accents néo-réaliste pour lequel elle reçoit un David di Donatello de la meilleure actrice dans un second rôle) et Francesca Comencini (J'aime travailler, primé à Berlin et pour lequel elle est récompensée comme meilleure actrice à Mar del Plata).

Il y a deux ans, elle disait que le mot carrière était plus adapté à sa prochaine vie. "Je n'ai aucun regret et je suis satisfaite du fait que j'ai fait des films qui ont la capacité de donner quelques heures de divertissement honnête à ceux qui les regardent" évoquait-elle. Et de mettre les points sur les "i": "Mon indépendance vient précisément par le fait que l'on travaille ensemble, collabore et se confronte. Je suis plus qu'heureuse et honorée de travailler avec Roberto Benigni, j'ai été très chanceuse de l'avoir rencontrée et d'avoir construit nos films avec lui".

La muse de Benigni, telle Giulietta Masina pour Federico Fellini, s'émancipe depuis plusieurs années, sur les planches. La voici qui entre dans l'univers onirique de Rohrwacher, voulant sans doute montrer sa part fantasque et une autre facette que celle d'une femme adulée par un génie de la comedia dell'arte. La grande popularité du couple mythique du cinéma italien n'a pas atteint son humilité et sa suavité, qui ne l'empêche pas d'incarner des femmes de caractères ou des rêveuses...

Cannes 2018 : Black Lives Matter

Posté par wyzman, le 13 mai 2018

Si depuis 4 mois toute la presse people n'a d'yeux que pour Cate Blanchett, présidente du jury de cette année, il se pourrait bien que le plus intéressant se trouve ailleurs. En effet, l'actrice qui succède à Pedro Almodovar a beau être "le symbole de l'ère Time's Up", elle n'en demeure pas moins relativement proche (jusqu'à preuve du contraire) de Woody Allen. Et à l'heure où les amitiés et inimitiés de chacun sont passées à la loupe, la véritable révolution de cette 71e édition est sans doute à chercher du côté de la diversité des membres du jury, des films sélectionnés et des acteurs présents sur le tapis rouge...

Des femmes in formation

Si l'an dernier, le Festival pouvait se féliciter d'avoir réussi à embarquer l'acteur Will Smith en son sein, cette année, les organisateurs semblent avoir fait bien mieux. Parmi les personnalités qui auront la lourde tâche d'attribuer Palme d'or et Grand prix, on trouve en effet deux femmes noires : la réalisatrice et productrice Ava DuVernay et la chanteuse venue du Burundi Khadja Nin. Bien plus qu'une "caution noire", les deux femmes pourraient faciliter le dynamitage d'un palmarès souvent trop pompeux grâce à leur œil unique et leur sens du détail.

Du côté des films, il faudra sans aucun doute compter sur Wanuri Kahiu. La réalisatrice est en effet la première représentante du Kenya dans toute l'histoire du Festival de Cannes. Quant à son film, Rafiki, il est au centre d'une polémique. Sélectionné du côté d'Un certain regard, le film traite d'une romance lesbienne et a d'ores et déjà été censuré dans son pays d'origine. Mais preuve que cette 71e édition pourrait être bourrée de surprise, notez que Rafiki concourt également pour la Queer Palm et que Grand-père, raconte-nous de la réalisatrice sénégalaise Safi Faye sera projeté à Cannes Classics.

Enfin, impossible de ne pas évoquer le documentaire Whitney. Projeté en Séance de minuit, le film de Kevin MacDonald dispose de tous les ingrédients nécessaires pour éclipsés certains films plus "gros" : une chanteuse adorée de tous, une histoire dramatique au possible et un regard porté sur une communauté (les Noirs américains) toujours malmenée par les autorités.

Des hommes toujours dans la partie

Souvent sous le feu des critiques, Spike Lee effectuera tout de même son grand retour sur la Croisette. Seize ans après Ten Minutes Older : the Trumpet, l'homme venu présenter BlacKkKlansman est en compétition pour la troisième fois. D'ailleurs, son film devrait marquer les esprits puisqu'il y est question du premier officier de police noir à avoir infiltré le Ku Kux Klan. Eh oui, rien que ça !

Côté acteurs, il ne faudra pas manquer les performances de Donald Glover, Michael B. Jordan et Alex van Dyk. Le premier est à l'affiche du très attendu Solo : A Star Wars Story, premier volet de ce qui pourrait être une trilogie fun et décalée. Le deuxième est la star de Fahrenheit 451, le téléfilm de HBO projeté en Séance de minuit et réalisé par Ramin Bahrani. Quant au dernier, Alex van Dyk, il se murmure que sa performance dans Les Moissonneurs fait partie des meilleures. Le film du sud-africain Etienne Kalos sera visible dans la section Un certain regard.

Et à défaut de proposer une surprise du côté de la Quinzaine des réalisateurs ou de la Semaine de la critique, les organisateurs ont eu la bonne idée de programmer Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambéty à Cannes Classics. Une chose est sûre, à Cannes 2018, black lives matter enfin !

Cannes 2018: Qui est Nandita Das ?

Posté par vincy, le 13 mai 2018

Nandita Das n'est pas une inconnue du Festival de Cannes Il y a treize ans, elle était membre du jury des longs métrages et il y a cinq ans elle était revenue pour être jurée de la Cinéfondation et des courts métrages.Mais cette fois-ci, plus question de juger les autres: c'est son film Manto qui se retrouve sous les projecteurs, à Un Certain Regard.

Manto est basé sur une histoire vraie, celle de l'amitié entre l'auteur et dramaturge Saadat Hasan Manto et de l'acteur vedette de Bollywood Shyam Chadda dans une Inde tout juste indépendante à la fin des années 1940. Pour annoncer la production de son film, Nandita Das avait réalisé un court-métrage, In Defence of Freedom, juste avant le Festival de Cannes de l'an dernier.

Fille du peintre Jatin Das et de l'écrivaine Varsha Das, athée, diplômée en géographie, fondatrice de l'agence de pub "éthique" Leapfrog avec son ex-mari, Nandita Das appartient à l'élite intellectuelle indienne. Elle est impliqué dans différentes actions (droit des enfants, lutte contre le sida, violences faites aux femmes). Elle a tourné dans plus de 40 films comme comédienne dont Aamaar Bhuvan, un Jules & Jim de Mrinal Sen (2002), ou Neer Paravai de Seenu Ramasamy (2012), un mélo autour d'une communauté catholique vivant dans la misère. En début d'année, elle était la vedette de Dhaad, un drame d'action de Paresh Naik.

Actrice et réalisatrice indienne hors-Bollywood, Nandita Das, 48 ans, s'est fait connaître avec des films aux sujets un peu tabous dans son pays. Fire, en 1996, de Deepa Metha, traitait ainsi de l'homosexualité féminine. Le rôle lui permet cependant de devenir célèbre. Toujours avec le cinéaste Deepa Metha, deux ans plus tard, elle est au générique de Earth, film sensible sur l'indépendance et la partition de l'Inde et du Pakistan. En 2000, elle incarne une femme victime d'un viol collectif en quête de justice dans Bawandar de Jag Mundhra. Elle retrouve le cinéaste pour Provoked en 2007, interprétant une femme soutenant une épouse maltraitée qui a tué son mari.

En 2008, Nandita Das décide de réaliser ses propres films, souvent politiques et engagés, offrant un regard critique sur un pays qui se nourrit de la violence entre les castes, entre les religions, entre les ethnies. Son premier film Firaaq évoque ainsi les violences au Gujarat de 2002, quand l'incendie d'un train de pèlerins hindous ayant entrainés 58 morts conduit à des émeutes visant les populations musulmanes de cette région limitrophe du Pakistan tuant de 800 à 2000 personnes. Le point de vue singulier e la réalisatrice permet de "donner de la voix" aux délaissés comme aux puissants. Le film a remporté une dizaine de prix dans le monde.

Dix ans plus tard, elle revient derrière la caméra avec Manto. Et par la grande porte cannoise.