2018 dans le rétro : la belle année du cinéma d’animation

Posté par MpM, le 25 décembre 2018

De Fireworks de Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi le 3 janvier à Mirai de Mamoru Hosoda le 26 décembre, le cinéma d'animation n'aura pas beaucoup quitté l'affiche en 2018. Cette année aura d'ailleurs été exceptionnelle à plusieurs titres pour les films animés.

C'était en effet la première fois, en février dernier, qu'un court métrage d'animation était couronné par un Grand Prix à Clermont Ferrand (Vilaine fille d'Ayce Kartal, en compétition nationale). Pour la première fois également, un film réalisé en stop-motion remportait quelques jours plus tard le prestigieux Ours d'argent de la meilleure mise en scène à Berlin (L'île aux chiens de Wes Anderson). Deux récompenses ultra-symboliques qui prouvent que les mentalités changent, les barrières tombent, les préjugés reculent. Breaking news : le cinéma d'animation est avant tout du cinéma, et ça commence à se savoir !

En force à Cannes


A Cannes, festival réputé frileux pour tout ce qui n'est pas prise de vue réelle, l'animation semblait d'ailleurs être partout (et pas seulement dans les programmes de courts métrages !) : en compétition dans les sections parallèles (Chris the Swiss d'Anja Kofmel à la Semaine de la Critique, Samouni Road de Stefano Savona et Mirai de Mamoru Hosoda à la Quinzaine), en séance spéciale à l'officielle (Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow), mais aussi en guest star dans plusieurs films de la sélection officielle, à l'image de Leto de Kirill Serebrennikov, Under the silver lake de David Robert Mitchell et The house that Jack built de Lars von Trier. En touches légères, pour l'humour ou la dérision, l'animation apportait cette année une grosse dose de liberté à des films en quête de singularité formelle.

Pour ce qui est de l'offre en salles, là encore 2018 aura été riche et éclectique, offrant des longs métrages pour tous les goûts, et moins de suites ou de reboots qu'en 2017, même si ceux-ci sont assez incontournables dans le marché du cinéma contemporain. Le plus notable dans le domaine fut évidemment Les indestructibles 2 de Brad Bird, 14 ans après le premier volet, mais on peut aussi citer Maya l'abeille 2, les jeux du miel de Noel Cleary et Sergio Delfino, Tad et Le secret du roi Midas de Enrique Gato et David Alonso, et bien sûr le nouveau volet des aventures d'Astérix et Obélix, Le Secret de la potion magique, par Alexandre Astier et Louis Clichy. Côté adaptation, difficile de faire l'impasse sur Croc-blanc d'Alexandre Espigares qui redonne vie au héros de Jack London avec l'un des plus gros budgets du cinéma français de l'année.

Le dynamisme jamais démenti des films pour jeune public


Sans surprise, ce sont les films à destination du jeune public, voire du très jeune public, qui sont largement en tête des sorties, à l'image de Agatha ma voisine détective de Karla Von Bengston, Pierre Lapin de Will Gluck, Le voyage de Lila de Marcela Rincon Gonzalez, Yéti et compagnie de Karey Kirkpatrick et Jason Reisig, Capitaine Morten et la reine des araignées de Kaspar Jancis ou encore Pachamama de Juan Antin. Sans oublier le grand retour des studios Aardman avec Cro-man de Nick Park, qui ne s'est pas tout à fait avéré à la hauteur des attentes,  celui de Michel Ocelot, qui s'est planté avec son Dilili à Paris inventif visuellement mais souffrant d'un scénario ultra didactique et d'une interprétation outrée, et la belle surprise Spider-man : new generation de Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman.

Les programmes de courts étaient eux-aussi au rendez-vous : Rita et crocodile de Siri Melchior, L'étrange forêt de Bert et Joséphine de Filip Pošivac et Barbora Valecká, Le quatuor à cornes de Benjamin Botella, Arnaud Demuynck, Emmanuelle Gorgiard et Pascale Hecquet, La grande aventure de Non-Non de Matthieu Auvray, le programme collectif Ta mort en shorts, Mimi et Lisa, les lumières de Noël de Katarina Kerekesova et Ivana Šebestová... et plusieurs très belles sorties de films "du patrimoine" : le merveilleux Alice Comedies 2 de Walt Disney et l'indispensable Révolte des jouets (qui réunit trois courts métrages de Bretislav Pojar et Hermina Tyrlova), tous deux distribués par Malavida, et l'également formidable programme Les Contes merveilleux de Ray Harryhausen (Carlotta Films) qui permet de (re)découvrir les premiers films en stop motion de ce grand maître des effets spéciaux.

Les documentaires hybrides et l'animation pour adultes


Mais 2018 aura également relancé la veine de l'animation documentaire et à destination des adultes. A Cannes, trois films sur quatre étaient des documentaires, qui mêlaient tous animation et prise de vue continue pour aborder des sujets historiques ou politiques sensibles : la mort d'un journaliste suisse pendant la guerre en ex-Yougoslavie (Chris the Swiss), le quotidien d'une famille de Gaza city frappée de plein fouet par l'offensive terrestre israélienne "Plomb durci"' en 2009 (Samouni Road) et la guerre civile en Angola (Another day of life).

A Annecy, ce sont deux films forts, abordant l'Histoire récente, qui ont remporté les principaux prix : Funan de Denis Do qui revient sur la période terrible de la dictature des khmers rouges au Cambodge (Cristal du meilleur long métrage) et Parvana de Nora Twomey, qui dépeint la condition de vie des femmes dans l'Afghanistan des Talibans. Le reste de la sélection était d'ailleurs à l'avenant, avec deux films sur le conflit israélo-palestinien (Wall de Cam Christiansen et Wardi (anciennement La Tour) de Mats Grorud), un essai au vitriol sur la religion (Seder-Masochism de Nina Paley), un portrait cruel de la Chine contemporaine (Have a nice day de Liu Jian) et même un témoignage saisissant sur un important conflit social du début des années 50, Un homme est mort d'Olivier Cossu.

Dans un registre plus intime, mais tout aussi grave, Happiness road de Hsin-Yin Sung (présenté hors compétition et sorti pendant l'été) est un beau récit introspectif sur le temps qui passe, les choix que l'on fait et les rêves que l'on poursuit. Sélectionné à Annecy l'an passé, Silent voice de Naoko Yamada est quant à lui l'adaptation sensible et audacieuse d'un manga qui aborde la question du handicap et du harcèlement. Preuve qu'il n'existe pas de sujets tabous en cinéma d'animation, et qu'il est au contraire parfois le format idéal pour faire passer certaines images difficiles à supporter.

Et 2019 alors ?


Dans la continuation du beau dynamisme 2018, 2019 devrait nous réserver quelques belles surprises. Ca commence dès le 23 janvier avec la première sortie dans les salles françaises du premier film d'Hayao Miyazaki, Le château de Cagliostro, qui fêtera ses 40 ans ! On verra aussi enfin plusieurs films dont nous vous parlons depuis plusieurs mois, à savoir Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow, Wardi de Mats Grorud, Funan de Denis Do et Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar et André Catoto Dias.

Côté suites, on découvrira Minuscules 2, les mandibules du bout du monde de Thomas Szabo et Hélène Giraud, Dragons 3 de Dean deBlois, Ralph 2.0 de Rich Moore et Phil Johnston, La grande aventure lego 2 de Mike Mitchell, Toy Story 4 de Josh Cooley, Shaun le Mouton Le Film : La Ferme Contre-Attaque de Richard Starzak ou encore La reine des neiges 2 de Jennifer Lee et Chris Buck.

Enfin, dans le registre des grandes impatiences, on n'en peut plus d'attendre Buñuel après l’âge d’or de Salvador Simo, La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattoti, L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian et quelques autres qui, malheureusement, ne verront peut-être pas le jour avant 2020... C'est peut-être là le grand défaut de l'animation : souvent, elle requiert une certaine dose de patience.

Trois bonnes raisons d’aller voir Happiness road de Hsin-Yin Sung

Posté par MpM, le 1 août 2018

Découvert hors compétition à Annecy, Happiness road est le premier long métrage de la réalisatrice taïwanaise Hsin-Yin Sung. A la fois joyeux et profond, mélancolique et drôle, il s'adresse plus particulièrement à un public d'adultes ou de jeunes adultes, ce qui n'est malheureusement pas si fréquent dans le monde de l'animation.

Son héroïne est en effet une jeune femme qui vit aux Etats-Unis et revient à Taïwan, son pays natal, à l'occasion du décès de sa grand-mère. Ce retour aux sources génère à la fois de nombreux souvenirs issus de son enfance et de son adolescence, mais aussi des interrogations sur ce qu'est sa vie, et ce qu'elle souhaite désormais en faire.

Si le film est plein de nuances et de détails qui le rendent intrigant et précieux, trois raisons principales en font une des sorties incontournables de l'été :

Une vision sans fard de la famille


Dans sa lecture la plus évidente, Happiness road est avant tout une histoire de famille, qui s’intéresse aux liens plus ou moins forts en fonction des époques qui nous unissent à nos parents. Parfois tendre, parfois cruel, le film montre comme les parents apparaissent tour à tour comme des héros ou des embarras, des personnes dépassées que l’on ne veut plus écouter ou au contraire des soutiens indispensables. Bien que la narration ne soit pas linéaire, on reconstitue l’évolution des sentiments de Tchi pour ses parents, et le mouvement de balancier qui la ramène finalement vers eux. À cela s’ajoutent le personnage haut en couleur de la grand mère facétieuse et complice, la « petite bande » de la jeune fille qui lui sert de « famille choisie », les enfants de sa meilleure amie Betty... La réalisatrice observe avec finesse l’immense malléabilité de ces rapports humains toujours en mouvement.

Une fable introspective


La partie la plus intéressante du film, et probablement la plus ambitieuse, est la dimension introspective de l’histoire. Le jeu des temporalités et des correspondances ramène sans cesse le personnage à s’interroger sur sa vie, ce qu’elle en fait, ce qu’elle en attend, ce qu’elle veut changer... À tous les âges, Chi rêve d’un avenir meilleur. Mais c’est dans l’époque contemporaine que ses interrogations prennent le plus d’acuité. À un peu plus de quarante ans, elle est à nouveau à la croisée des chemins, indécise sur la direction qu’elle devrait prendre, comme elle semble l’avoir été une partie de sa vie. La manière dont le film se refuse d'asséner des réponses ajoute à la mélancolie entêtante de cette plongée intime qui éveille forcément des échos chez le spectateur, quel que soit son parcours.

Quarante ans d’histoire taïwanaise


Happiness road se déroule sur une vaste période de temps, entre la prime jeunesse de l’héroïne au début des années 80 et la période contemporaine. Le récit intime est donc étroitement lié à l’histoire sociale et politique de Taiwan, et notamment à son ouverture progressive au monde après la mort de Tchang Kai Chek en 1975. Même si cela n’est jamais souligné, on reconnaît dans le film des temps forts de la démocratisation du pays comme les premières élections en 1996. On assiste aussi à plusieurs vagues de manifestations réclamant la démocratie et la fin de la loi martiale. Le personnage du cousin Weng (poursuivi pour avoir lu un livre interdit) permet également d’aborder la question de la censure et de la répression politique. Enfin, le rêve américain de l’héroïne (qui fait pendant à celui de sa copine Betty, dont le père est un soldat américain qu'elle n'a jamais connu) interroge à sa manière le rapport des Taïwanais à leur île et la voie empruntée par chacun pour trouver à la fois la liberté et le bonheur.