Le 12ème film d’Orson Welles pourrait sortir au cinéma en 2015

Posté par vincy, le 11 novembre 2014

the other side of the wind orson welles john hustonUltime oeuvre d'Orson Welles, intégralement tournée mais inachevée, The Other Side of the Wind, pourrait sortir en salles. Selon le New York Times, Royal Road Entertainment est prêt à en acquérir les droits de distribution pour sortir le film le 6 mai 2015, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance.

Orson Welles a tourné le film entre 1970 et 1976. Il a travaillé sur le montage jusqu'à son décès, en 1985. Il en reste une copie de 45 minutes. Mais les ayant-droits, par détestation réciproque, ont jusque-là fait en sorte qu'elle ne soit jamais diffusée. Royal Road Entertainment a négocié directement avec l'amie de Welles, Oja Kodar, sa fille et unique héritière, Beatrice Welles, et la société de production franco-iranienne les Films de l'Astrophore. Cette société avait pis le contrôle des bobines du film (1083 pellicules), suite à un désaccord avec le réalisateur, et les avait entreposés dans les environs de Paris.

Dans L'Express, Françoise Widhoff, qui a travaillé avec Orson Welles, raconte : "Lorsque, en février 1979, les mollahs ont pris le pouvoir à Téhéran, ils ont voulu saisir l'entreprise, et Mehdi [Bousheri, gérant de la société et beau-frère du Chah d'Iran] m'a alors confié la gérance de la société. Peu après la Révolution, un émissaire iranien, très courtois, s'est rendu à Paris pour tenter de saisir la boîte. Mais, comme il a cru que celle-ci était criblée de dettes, il est reparti, toujours aimablement, faire la révolution dans son pays." Les pellicules sont stockées à Bagnolet, à côté de Paris.

Entre temps, le cinéaste, qui réside en banlieue parisienne, met à l'abri, à Los Angeles, 42 minutes déjà montées du film. Ces 42 minutes voyagent quand son ancienne compagne Oja Kadar, désormais sculptrice, les rapatrie dans son pays natal, la Croatie.

Le casting du film réunit John Huston, en réalisateur de cinéma tempétueux se battant contre les cadres d'Hollywood pour pouvoir finir un film (autant dire un autoportrait de Welles), Susan Strasberg, Lilli Palmer, Dennis Hopper et Peter Bogdanovich. Ce dernier expliquait en 1974: "C'est ce qu'Orson a fait de plus intéressant depuis Citizen Kane." Pour d'autres, il n'est pas commercialisable. Lors de la rétrospective dédiée à Welles, au festival de Locarno, un livre, également intitulé The Other Side of the Wind avait été publié et retraçait l'incroyable histoire de ce film.

Reste à finir le montage du film, en fonction des indications très précises que Welles a laissé, et la post-synchro (notamment en complétant la musique originale). Si The Other Side of the Wind sortait en mai prochain, la filmographie d'Orson Welles passerait de 11 à 12 films.

En 2012, c'est un court métrage, Too Much Johnson du maître qui avait été retrouvé.

Nouvelle mobilisation pour la réalisatrice iranienne Mahnaz Mohammadi

Posté par MpM, le 14 juin 2014

mahnaz mohammadi"Je suis une femme et je suis cinéaste, deux raisons pour être considérée comme une criminelle dans ce pays". Ces mots, écrits par la réalisatrice iranienne Mahnaz Mohammadi à l'occasion d'un débat sur la liberté d'expression, revêtent un sens particulièrement prégnant alors qu'elle vient d'être condamnée à 5 ans de prison et accusée de "complot contre la sécurité de l’Etat" et de "propagande contre le régime de Téheran", puis incarcérée à la prison d’Evin le samedi 7 juin dernier.

Ce n'est pas la première fois que Mahnaz Mohammadi est inquiétée par la justice de son pays. Depuis plusieurs années, elle est la cible des autorités iraniennes en raison de son engagement et de ses prises de position politiques. Réalisatrice du documentaire Femmes sans ombre en 2005, collaboratrice de médias occidentaux tels que la BBC, Radio France et Radio "Voix de l’Amérique", elle a participé en 2009 au documentaire de Rakhshan Bani-Etemad Nous sommes la moitié de la population (à propos de l'élection présidentielle de 2009), ce qui lui avait déjà valu d'être condamnée.

En 2011, le monde du cinéma français s'était même déjà mobilisé en sa faveur alors qu'elle avait été arrêtée par des agents des forces de sécurité sans chef d'accusation avoué.

La Société des Réalisateurs de Films, représentée par ses coprésidents Pascale Ferran, Katell Quillévéré et Christophe Ruggia, lance donc une nouvelle pétition de soutien à Mahnaz Mohammadi, dans laquelle elle  demande "à la ministre de la Culture et de la Communication, de tout mettre en œuvre pour obtenir [sa] libération au plus vite."

De nombreuses organisations se sont jointes à la SRF, parmi lesquelles l'ACID, l'ARP, le Syndicat français de la Critique de cinéma et la SCAM. Parmi les premiers signataires du texte, on retrouve Chantal Ackerman, Xavier Beauvois, Michel Ocelot, Bertrand Tavernier ou encore Danièle Thompson. Tous dénoncent fermement "cette nouvelle attaque à la liberté de création et d’expression faite aux cinéastes" en Iran.

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Voir (et signer) la pétition en ligne

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 12

Posté par MpM, le 27 mai 2013

abdellatif kechiche adele exarchopoulos lea seydouxCher Jafar,

Ca y est, le festival est terminé. Une clôture de toute beauté avec la remise de la Palme d'or au réalisateur Abdellatif Kechiche et à ses deux actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.

En récompensant La vie d'Adèle, le jury présidé par Steven Spielberg a ouvertement voulu mettre en avant un cinéma profond, courageux, engagé et éminemment romantique. Au-delà de la bouleversante histoire d'amour entre Adèle et Emma, le film aborde en effet des thématiques sociales fortes comme la nécessaire transmission du savoir, la lutte contre toutes les formes d'intolérance et les dangers de clivages sociaux trop importants.

Visiblement ému, le réalisateur a dédié son film à "cette belle jeunesse de France (...) qui [lui] a beaucoup appris sur l'esprit de liberté et du vivre-ensemble" ainsi qu'à "une autre jeunesse", celle de la révolution tunisienne, "pour leur acte extraordinaire, la révolution tunisienne, et pour leur aspiration à vivre eux aussi librement, s'exprimer librement et aimer librement".

Bel hommage, mais qui serre le cœur, quand on sait que les Tunisiens ont peu de chance de découvrir La vie d'Adèle sur leurs écrans. Le directeur général du cinéma tunisien Fathi Kharrat a déjà souligné que le film s'adresse à "un environnement particulier" et que des réactions violentes seraient à craindre en cas de projection en salles. Les censeurs, tu ne le sais que trop, trouvent toujours des justifications justes et nobles à l'exercice de leur art.

Toutefois, comme le relève l'organisateur du festival de cinéma américain indépendant Views of America, Hisham Ben Khamsa, le vaste circuit de vidéoclubs et surtout la puissante industrie du piratage en Tunisie seront probablement d'une aide précieuse pour aider à la diffusion de La vie d'Adèle dans les foyers tunisiens. On n'a jamais fait mieux que la vente sous le manteau pour contourner la censure !

En revanche, Abdellatif Kechiche n’échappera pas à une autre polémique, celle lancée par des techniciens ayant participé au tournage de son film, et qui lui reprochent des conditions de travail difficiles ainsi que plusieurs manquements au Code du Travail (voir l'article du Monde le 24 mai). On parle d'horaires volumineux et fluctuants, de travail bénévole, de tarifs au rabais, d'exigences intenables...

Pour le moment, le cinéaste ne s'est pas exprimé sur cet aspect de son travail. Mais il est certain que cela va à l'encontre de son image d'artiste social engagé et que, quel que soit son talent, ce genre de pratiques est difficilement acceptable. Il faut avouer que cela gâche même franchement la fête. Mais parce qu'il vaut mieux en rire, un tumblr spécial vient de voir le jour : ça s'appelle La vraie vie d'Adèle, et ce n'est pas tendre envers le tout nouveau lauréat de la sacro-sainte Palme d'or.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 11

Posté par MpM, le 25 mai 2013

l'image manquante de Rithy PanhCher Jafar,

Tu étais le grand absent de ce festival 2013, et pourtant tu n'as pas été oublié. En recevant le grand prix Un Certain Regard pour son magnifique film L'image manquante, le cinéaste Rithy Panh te l'a dédié, dans un geste d'une élégance folle.

Si Asghar Farhadi reçoit lui aussi un prix pour le Passé, aura-t-il à son tour une pensée pour toi ? Jusqu'à présent, il n'a guère mentionné ton nom, mais avoue que ça aurait de la gueule en plein théâtre lumière, devant les médias du monde entier...

Ton autre compatriote Mohammad Rassoulof, qui a reçu le prix Fipresci pour Les manuscrits ne brûlent pas, a quant à lui rendu hommage à tous ceux qui ont pris le risque de travailler avec lui. En accord avec les membres de l'équipe restés en Iran, il n'a cité aucun nom. Toutefois, on a senti que cela lui pesait de récolter seul tous les honneurs pour un film qui, plus que tout autre, n'aurait pu se faire sans l'engagement, l'abnégation et la loyauté d'un groupe soudé de personnes prêtes à prendre tous les risques pour qu'il existe.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 10

Posté par MpM, le 24 mai 2013

Cher Jafar,

Les manuscrits ne brûlent pas. Tu connais cette phrase de Mikhaïl Boulgakov ? Dans Le maître et Marguerite, elle est prononcée par le Diable, mais peut être interprétée comme l'affirmation de la liberté d'expression face à l'autorité totalitaire.

Ton compatriote Mohammad Rasoulof, en choisissant cette citation comme titre de son nouveau long métrage, annonce donc la couleur avant même le générique de début.

Et de fait, le film est un brûlant pamphlet sur les atteintes à la liberté d'expression commises par le gouvernement iranien. Le coeur du film est une histoire vraie : en 1995, Téhéran avait ordonné au chauffeur du bus conduisant 21 poètes à un festival en Arménie de précipiter le véhicule dans le vide. Les artistes avaient été sauvés par les hasards du destin, et s'étaient vus ordonner de ne rien révéler. Le cinéaste Mohammad Rasoulof imagine que l'un de ces artistes décide de raconter la tentative de meurtre dans un roman.

S'ensuit un film construit comme un thriller qui raconte comment l'émissaire du pouvoir met tout en oeuvre pour retrouver les différentes versions du manuscrit et empêcher la fuite de l'information. On y assiste tour à tout à des scènes d'intimidation, de menace, de torture et de meurtre, le tout avec l'aval de l'état.

Tu l'auras compris, Les manuscrits ne brûlent pas est un film choc et révoltant qui dénonce sans fard les exactions commises à l'encontre des artistes et de tous ceux qui, plus généralement, veulent exprimer une opinion critique à l'égard de leur gouvernement. Par peur d'éventuelles représailles, aucun membre de l'équipe de tournage n'est crédité au générique. Mohammad Rasoulof assume seul la paternité du film et se dresse tel David contre Goliath face aux autorités de son pays.

Bien sûr, le cinéaste a tourné dans la plus parfaite clandestinité et sans la moindre autorisation. C'est aussi en secret que le film a été envoyé au festival de Cannes qui a décidé de le montrer dans sa section Un certain regard.

Plus frontalement que tu ne le faisais dans Closed curtain, mais avec la même force narrative, Mohammad Rasoulof porte un regard ultra critique sur les méthodes iniques des représentants de la loi en Iran et notamment sur le "programme de répression des intellectuels" qui justifie toutes les exactions.

Il garde malgré tout une petite note d'espoir : il n'est jamais possible pour un gouvernement de verrouiller à 100% les informations qui le dérangent. Dans le film, l'un des meurtres se fait ainsi sous le regard d'un témoin anonyme qui pourra à son tour raconter ce qu'il a vu. Dans la réalité, chaque spectateur ayant regardé Les manuscrits ne brûlent pas peut témoigner de l'absence de liberté d'expression en Iran et de la volonté secrète de l'état de bâillonner, si ce n'est d'éliminer, les artistes qui lui déplaisent.

Tu es mieux placé que quiconque pour le savoir, mais lorsque le cinéma permet de dénoncer les injustices et de porter à la connaissance du public les dysfonctionnements d'une société, contrecarrant de fait la volonté d'opacité et de secret de l'état, il ne fait au fond rien d'autre que ce pour quoi il a été créé : témoigner, partager et faire réfléchir.

Cannes 2013 : lettre à Jafar Panahi – jour 9

Posté par MpM, le 23 mai 2013

Cher Jafar,

Aujourd'hui je voudrais te parler d'un sujet moins grave que d'habitude, mais symptomatique de notre époque. Beaucoup de gens l'ignorent, mais, pendant plus de 30 ans, des jeunes de la France entière ont eu la chance de venir à Cannes et d'y décerner l'un des plus jolis prix qu'on puisse imaginer, celui de la Jeunesse. En parallèle, d'autres jeunes (une quarantaine chaque année) étaient invités pour quelques jours, juste pour profiter des films, des rencontres avec les artistes et de l'ambiance unique du festival.

Peux-tu imaginer ces cinéphiles à peine sortis de l'adolescence qui découvraient à Cannes la fine fleur de la cinématographie mondiale ? Qui voyaient le premier film thaïlandais, roumain ou iranien de leur vie ? Qui avaient une révélation face à un cinéma d'auteur, exigeant, en un mot brillant, dont ils ignoraient peut-être tout auparavant ?

Tu te doutes que ce prix, mis en place par le ministère de la jeunesse, a été à l'origine de nombreuses vocations. On en croise chaque année sur la Croisette, des anciens du Prix de la jeunesse, revenus en tant que journalistes, producteurs, attachés de presse, réalisateurs... Sans compter tout ceux qui ont attrapé le virus pour toujours, sans en faire leur métier, et qui le transmettront à leur tour à leur entourage.

Chaque année, en dix jours, le prix a fait plus pour l'éducation à l'image et l'ouverture des esprits que toutes les campagnes un peu artificielles que peuvent organiser les politiques. Ne serait-ce qu'en aidant les plus jeunes à s'interroger sur le monde à travers des films qui ont changé pour toujours leur perception de l'existence... Lorsque l'intelligence et la curiosité gagnent du terrain, c'est toujours une victoire sur la peur, l'obscurantisme et l'intolérance. À notre époque, on ne devrait pas se permettre de négliger ça.

Pourtant, le prix de la jeunesse n'est plus. Supprimé sans fleurs ni couronnes. Laissant orphelins tous ceux dont il a changé la vie, et frustrant la nouvelle génération qui n'aura pas la chance d'en profiter.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – Jour 8

Posté par MpM, le 22 mai 2013

grigrisCher Jafar,

Je sais comme cela te tient à cœur que chacun puisse tourner librement les films qu'il souhaite et les montrer le plus largement possible. Sur le sujet, tu aurais sûrement beaucoup d'idées à échanger avec Mahamat-Saleh Haroun, présent en compétition à Cannes avec son film Grigris.

Le cinéaste tchadien se bat contre l'invisibilité du cinéma africain en Afrique comme dans le reste du monde. "Je pense que c'est important que l'Afrique soit présente à Cannes" a-t-il déclaré lors de la conférence de presse de Grigris. "Et il faut que l'on se batte pour faire des films importants, qui soient présents dans les grands rendez-vous cinématographiques. Le cinéma a besoin d'Afrique, et l'Afrique a besoin de ces rendez-vous importants comme Cannes. Il faut que notre présence soit vraiment banalisée."

Il a également lancé un appel aux réalisateurs africains eux-même, les invitant à prendre les choses en mains : "Il n'y a pas de circuits de distribution, il n'y a pas de visibilité dans notre propre continent. Donc il revient à chaque cinéaste africain digne de ce nom de donner une visibilité à l'Afrique, en étant dans un grand rendez-vous cinématographique (...) On ne peut pas en permanence invoquer l'absence de financements, parce qu'à un moment, il arrive aussi que peut-être les cinéastes peuvent avoir une part de responsabilité. Je me dis que le coup de tête, il faut aussi pouvoir le donner soi-même, avant de dire qu'il faut qu'en permanence quelqu'un puisse nous donner un coup de pouce".

Un discours courageux et volontaire, qui te parle, j'en suis sûre, toi qui arrives à faire des films même quand on te l'interdit, même en étant assigné à résidence. Car le cinéma c'est aussi cela, un droit que l'on s'arroge coûte que coûte, un besoin insidieux, une nécessité qui se situe au-delà des autorisations et des questions matérielles. Filmer pour exister et surtout filmer pour ne pas mourir.

Cannes 2013 : lettre à Jafar Panahi – jour 6

Posté par MpM, le 20 mai 2013

Jafar PanahiCher Jafar,

Tu sais que le monde du cinéma ne t'oublie pas ? Depuis mercredi, tu es même à l'honneur sur les murs du Palais des festivals à Cannes ! C'est dans le cadre de l'exposition "les dessins de la liberté" qui réunit des dessins de presse du monde entier.

Dessins qui sont vendus aux enchères aujourd'hui au profit de Cartooning for Peace. Créée en 2008 par Kofi Annan et Plantu, cette association combat toute forme d’intolérance et rassemble des dessinateurs chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques et athées.Environ 80 dessins humoristiques sur le thème du cinéma et de la liberté artistique ont ainsi été retenus pour la vente.

Au palais, tu apparais sous le coup de crayon tendre de Plantu dans un panneau consacré à l'Iran. Sur les deux dessins, la pellicule symbolise l'évasion sous la forme de tapis volant et d'ailes dans le dos. Ce qui est à la fois joli et ironique : dans ton cas, la pellicule peut aussi être vue comme une entrave : c'est bien parce que tu tournes des films que tu as été condamné. Une idée révoltante, insoutenable, d'un autre temps.

Depuis longtemps, Cannes défend toutes les formes de liberté d'expression. On l'oublie parfois à cause des paillettes et des montées des marches glamour, mais les artistes persécutés ont toujours trouvé leur place ici, à l'époque soviétique comme à celle de la censure chinoise. C'est pourquoi tu te devais d'être là, ne serait-ce qu'en esprit.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 5

Posté par MpM, le 19 mai 2013

image manquanteCher Jafar,

Il y a à Un Certain Regard un film qui te plairait, L'image manquante de Rithy Pan.

Je crois que tous les deux, vous avez du cinéma une vision commune : tu as toujours fait des films pour témoigner sur la situation actuelle de ton pays, lui effectue depuis la fin des années 80 un gigantesque travail de mémoire sur les exactions du régime khmer rouge. L'oeuvre de toute une vie, qui se poursuit aujourd'hui avec un documentaire plus intime sur l'expérience que le cinéaste fit lui-même du régime de Pol Pot dans sa jeunesse.

C'est comme un flot de souvenirs qui s'écoule sur fond de documents d'archives et de reconstitution des scènes d'époque avec de petites figurines d'argiles (ingénieux procédé imaginé par Rithy Pan pour pallier l'absence d'images). Les temps heureux avant l'arrivée des khmers rouges, puis l'exil, les camps de rééducation, la faim, la misère, la mort... On est comme emporté dans ce tourbillon d'événements, de règles, de slogans, d'injustices et d'horreur.

Au hasard, une mère dénoncée par son fils de neuf ans et exécutée froidement, des cadavres qui s'entrechoquent dans une fosse commune, une petite fille qui meurt de faim sous le regard d'autres enfants... Un monde où presque tout est interdit et d'où l'humanité disparaît peu à peu.

On est tout simplement bouleversé par ce document unique qui raconte des événements insoutenables et trouve malgré tout la force de redonner espoir en l'être humain. Parce que nombreux furent ceux qui ont résisté, même avec leurs pauvres moyens. Que les survivants de la terreur khmer ont gardé leur part d'humanité. Qu'au final, c'est Pol Pot qui a perdu.

Et en regardant ce document inestimable qui se double d'une véritable proposition cinématographique, on se dit que c'est exactement à ça que sert le cinéma, et que tous les Rithy Pan du monde doivent continuer à tourner, coûte que coûte. Toi y compris.

Cannes 2013 : lettre à Jafar Panahi – jour 4

Posté par MpM, le 18 mai 2013

Cher Jafar,

De quoi parlait-on aujourd'hui sur la Croisette ? De cinéma ? Des réalisateurs soumis à la censure ? De l'exception culturelle ?

Pas vraiment. Aujourd'hui, tout le monde n'en avait que pour la pluie... Au moins, c'est politiquement correct, ça n'engage à rien, et personnellement je n'ai rencontré aucun festivalier qui émette un avis divergent sur la question

Je te sens désemparé... Rassure-toi, deux autres infos ont fait le buzz, et elles avaient même un rapport direct avec le festival : d'un côté le vol de 775 000 euros de bijoux Chopard (fournisseur officiel de la Palme d'or) et de l'autre les coups de feu tirés pendant le grand journal vendredi. Certains journaux ont supprimé de vrais articles cinéma  pour parler de ces deux affaires.

Peut-être pas si anodin que ça en a l'air... Vois-tu, c'est même assez représentatif d'un certain état d'esprit régnant sur la Croisette.

Parfois, on peut avoir l'impression que la France, réputée dans le monde entier pour tant aimer le cinéma, a généré une sorte de monstre médiatique qui le dépasse, à l'affût de tout ce qui brille, ce qui flatte l'égo ou fait appel aux bas instincts du citoyen. Un festival du fait divers people ou sensationnaliste où la créativité, l'intelligence, en un mot, l'art, sont juste bons à faire une brève en bas de page, entre le spectaculaire et l'anecdotique.