Berlin 2015: Ours d’or pour Jafar Panahi et une grande année pour le cinéma chilien

Posté par vincy, le 14 février 2015

taxi

En remportant l'Ours d'or avec son dernier film, Taxi, le cinéaste iranien Jafar Panahi, filmant clandestinement depuis que la justice iranienne lui a interdit de filmer et de sortir du pays en 2010, démontre que la liberté d'expression est une fois de plus sans frontières. Le jury de Darren Aronofsky provoque ainsi les pays où les cinémas sont censurés, et ce, de la plus belle des manières. Panahi et Berlin c'est une grande histoire. Invité d'honneur en 2010, il n'a pas pu s'y rendre. Membre du jury à titre honorifique en 2011, il est toujours bloqué à Téhéran.

Il y a aussi reçu deux Ours d'argent pour Hors-jeu en 2006 et Pardé en 2013. Avec son Lion d'or à Venise en 2000 pour le Cercle, cet Ours d'or est son plus grand prix international.

Trois autres faits marquants sont à noter dans ce palmarès qui, en récompensant par deux fois deux ex-aequo, montre que le jury a trouvé la compétition exceptionnelle.

Le cinéma chilien, déjà bien récompensé depuis hier (Teddy Award pour Sebastian Silva, deux prix pour Patricio Guzman) a fait une belle razzia ce soir au Berlinale Palast. Un Grand prix du jury pour Pablo Larrain (No) avec son nouveau film El club et un prix du scénario pour le documentariste Patrico Guzman avec Le bouton de nacre (lire aussi nos critiques des deux films chiliens). Si l'on ajoute le prix Alfred Bauer pour Ixcanul de Jayro Bustamante qui nous vient du Guatemala, et les deux prix récoltés par la brésilienne Anna Muylaert dans la section Panorama hier, l'Amérique latine a trusté une grande partie des récompenses berlinois.

Deuxième point, l'Ours d'argent pour le meilleur réalisateur partagé entre la polonaise Malgorzata Szumowska (déjà très remarqué pour Elles et Aime et fais ce que tu veux) et le romain Radu Jude (Papa vient dimanche), en plus des deux prix pour la contribution artistique pour un danois (Sturla Brandth Grøvlen), un russe et un ukrainien travaillant tous deux main dans la main (Evgeniy Privin et Sergey Mikhalchuk), l'esthétique qui a séduit le jury venait d'Europe du nord et de l'Est, loin des images de Terrence Malick, Peter Greenaway ou Benoît Jacquot.

Enfin, saluons le double prix d'interprétation de Charlotte Rampling et Tom Courtenay pour leur incarnation d'un couple dans 45 Years d'Andrew Haigh (déjà remarqué avec Week-end). C'est difficile à croire mais c'est la première fois que Rampling remporte un prix d'interprétation dans un des grands festivals internationaux. Courtenay (deux fois nommé aux Oscars) avait déjà reçu une Coupe Volpi à la Mostra de Venise en 1964 (Pour l'exemple, de Joseph Losey).

Le palmarès intégral

Ours d'or: TAXI de Jafar Panahi
Ours d'argent Grand prix du jury: EL CLUB de Pablo Larrain.
Prix Alfred Bauer: IXCANUL de Jayro Bustamante
Ours d'argent du meilleur réalisateur ex-aequo: Malgorzata Szumowska (BODY) et Radu Jude (AFERIM!)
Ours d'argent de la meilleure actrice: Charlotte Rampling (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur acteur: Tom Courtenay (45 YEARS d'Andrew Haigh)
Ours d'argent du meilleur scénario: Patricio Guzman (LE BOUTON DE NACRE - documentaire)
Ours d'argent pour la meilleure contribution artistique (photographie) ex-aequo : Evgeniy Privin & Sergey Mikhalchuk (UNDER ELECTRIC CLOUDS) et Sturla Brandth Grøvlen (VICTORIA)

Meilleur premier film (toutes sélections confondues): 600 MILLAS (600 Miles) de Gabriel Ripstein (section Panorama)

Ours d'or du meilleur court-métrage: HOSANNA de Na Young-kil
Ours d'argent du meilleur court-métrage: BAD AT DANCING de Joanna Arnow
Prix du jury - Meilleur court-métrage: PLANET ? de Momoko Seto

Jeu concours : 20 places à gagner pour Aime et fais ce que tu veux

Posté par MpM, le 13 décembre 2013

aime et fais ce que tu veuxTout auréolé d'un Teddy Award remporté à Berlin en février dernier, Aime et fais ce que tu veux (In the name of...) de la réalisatrice polonaise Malgorzata Szumowska arrive sur les écrans français le 1er janvier prochain.

Une manière de bien commencer l'année 2014 avec ce film sensible et pudique qui parle de foi et d'amour sans pathos ni sensationnalisme et brille par une mise en scène exemplaire, des comédiens charismatiques et sensuels, et un scénario particulièrement bien construit.

Synopsis : Adam, jeune prêtre charismatique rejoint une paroisse rurale et s’occupe d’un foyer accueillant de jeunes adultes.
Par son implication, il suscite rapidement l’admiration de tous. Mais peu à peu, son attirance pour l’un des garçons du centre se transforme en véritable chemin de croix.
Habité par une foi véritable mais rongé par la culpabilité, il tente en vain de lutter contre cet amour naissant…

A l'occasion de cette sortie, Ecran Noir vous fait gagner 10 places pour deux personnes. Pour participer au tirage au sort, il suffit de répondre à la question suivante :

Malgorzata Szumowska avait auparavant réalisé un long métrage qui se déroulait en France, avec Juliette Binoche et Anaïs Demoustier dans les rôles principaux. Comment s'appelait ce film ?

Votre réponse et vos coordonnées postales sont à envoyer par courriel avant le 30 décembre 2013. Aucune réponse postée dans les commentaires du site ne sera prise en compte.

Cannes 2013 : quinze projets retenus par l’atelier de la Cinéfondation

Posté par MpM, le 4 mars 2013

Chaque année depuis 2005, l'atelier de la Cinéfondation permet à quinze cinéastes ainsi qu'à leurs producteurs de se rendre au Festival de Cannes pour présenter leurs projets et rencontrer plusieurs centaines de partenaires potentiels. L'idée est d'ouvrir aux participants "les portes des coproductions internationales, leur donnant ainsi les meilleures chances de terminer leurs films". L'Atelier soutient ainsi le cinéma de création et favorise l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes originaires du monde entier.

Et cette année, les projets viennent véritablement de tous les continents, y compris l'Afrique, exceptionnellement bien représentée avec des projets éthiopien, égyptien et sud-africain. Le Moyen-Orient est lui aussi très présent avec deux films israéliens et une coproduction jordano-palestinienne.

Parmi les réalisateurs sélectionnés, certains ont déjà une certaine notoriété, comme le Français Emmanuel Finkiel (Nulle part, terre promise ; Je reste...), le Turc Ozcan Alper (Le temps dure longtemps, en sélection au Festival de Vesoul 2012 et prix FIPRESCI au festival de Kérala, photo) ou le Chilien Niles Attalah (Lucia, primé au Rencontres Cinélatino de Toulouse).

Concrètement, qu'apporte une telle sélection ? Bien sûr, c'est un pas presque décisif dans la réalisation d'un film. En effet, parmi les 126 projets présentés depuis 8 ans, 83 ont été réalisés et 29 sont actuellement en préproduction. Mais dans de nombreux cas, cela va plus loin, avec l'accession rapide à une reconnaissance, voire une consécration, internationale. Sont par exemple passés par l'atelier de la cinéfondation ces cinq dernières années des cinéastes comme la Polonaise Malgoska Szumowska (en compétition cette année à Berlin avec In the name of... où elle a reçu le Teddy Award du meilleur film), la Française Léa Fehner (Qu'un seul tienne et les autres suivront, prix Louis Delluc du premier film en 2009), l'Israélien Nadav Lapid (Le policier, prix spécial du jury au Festival de Locarno en 2011), le Français Nabil Ayouch (Les chevaux de Dieu, sélectionné en section Un certain Regard à Cannes en 2012 et récompensé aux festivals de Montpellier et de Namur) ou encore la Française Alice Winocour (Augustine, présenté à la Semaine de la critique 2012 et nommé au césar du meilleur premier film).

Signe à la fois du tremplin que constitue l'atelier et de l'intuition des sélectionneurs, capables de déceler le talent en germe chez des cinéastes qui en sont souvent à leur premier long métrage. On souhaite donc un beau parcours aux lauréats 2013, que l'on retrouvera peut-être à Cannes en 2014 ou à Berlin en 2015...

Les lauréats de l'atelier de la Cinéfondation 2013

Rey de Niles Attalah (Chili)
Ciao Ciao de Song Chuan (Chine)
Out/In the Streets de Jasmina Metwaly and Philip Rizk (Egypte)
Lamb de Yared Zeleke (Ethiopie)
Je ne suis pas un salaud d'Emmanuel Finkiel (France)
Stage Fright de Yorgos Zois (Grèce)
Chenu de Manjeet Singh (Inde)
Holy Air de Shady Srour (Israël)
The House on Fin Street de Amir Manor (Israël)
Sworn de Virgin Laura Bispuri (Italie)
Me, Myself and Murdoch de Yahya Alabdallah (Jordanie/Palestine)
Days of Cannibalism de Teboho Joscha Edkins (Afrique du Sud)
Memories of the Wind de Ozcan Alper (Turquie)
Road Kill de Yuichi Hibi (Etats-Unis)
The Heirs de Jorge Hernández Aldana (Mexique)

Berlin 2013 : Teddy Awards évidents pour « In the Name of… » et Sébastien Lifshitz

Posté par vincy, le 16 février 2013

C'est un film de la compétition qui a été élu meilleur film par le jury des Teddy Awards (les prix LGBT de la Berlinale). Logiquement, In the Name of (W Imie) de la polonaise Malgoska Szumowska (avec ses deux comédiens principaux sur le photo) a été couronné par le prix le plus convoité par le cinéma LGBT. Il a aussi été récompensé par un prix du public. Nous avions déjà prédit sa victoire dans notre actualité du 8 février...

Logique car le sujet était en soi porteur : un prêtre catholique amoureux d'un de ses protégés, résistant aux tentations alors que son Jésus s'offre à lui. Il doit également géré des adolescents turbulents, mal à l'aise avec leur sexualité, certains ayant des penchants sodomites ou juste une orientation clairement homosexuelle. Mais le film valait bien ce prix tant sa mise en scène sobre et sensible, son image sublime, ses comédiens charismatiques et sensuels, et son scénario très bien construit en font aussi l'un des favoris pour un Ours du jury ce soir à Berlin.

Les Teddy Awards étaient remis hier. Sébastien Lifshitz (Les invisibles) a été sacré par le prix du meilleur documentaire pour Bambi, qui retrace le parcours d'un homme, né en 1935 en Algérie, devenu femme française de 77 ans.

Les autres prix ont été remis à Undress me du suédois Victor Lindgren (meilleur court métrage) et à Concussion de l'américaine Stacie Passon (prix spécial du jury).

Berlin 2013 : pronostics et favoris

Posté par MpM, le 15 février 2013

berlin 2013À quelques heures de la proclamation du palmarès de la 63e Berlinale, le moment est venu de se livrer au grand jeu des pronostics. Exercice cette année particulièrement difficile tant aucun film ne semble réellement faire l'unanimité.

La compétition n'a pas été mauvaise, mais tiède, peu enthousiasmante, avec une majorité de films qui semblent rester en deçà de leur sujet, incapables d'être à la hauteur de leurs ambitions. Sans compter les quelques œuvres dont on se demande ce qu'elles font en compétition (Promised land de Gus van Sant, Layla Fourie de Pia Marais, La mort nécessaire de Charlie Countryman de Frederik Bond, quoi que dans des proportions et pour des raisons différentes), on a été déçu par le manque de mordant du dernier Ulrich Seidl (Paradis : espoir) ou par les intentions un peu ratées du Soderbergh (Side effects).

Même Prince avalanche de David Gordon Green, dont on n'attendait rien, et qui a séduit une partie de la presse, s'avère un remake quasi plan par plan de l'original (Either way de l'Islandais Hafsteinn Gunnar Sigurðsson), avec juste une pointe de surenchère qui le rend peut-être plus "fun" mais lui fait perdre une partie de son charme décalé.

Camille Claudel 1915, Harmony Lessons, Closed curtain, Gold

Le palmarès risque donc d'être lui aussi en demi-teinte. Tout dépendra dans le fond de l'orientation prise par le jury présidé par Wong Kar-wai. Si les jurés penchent pour un cinéma radical et exigeant, leur choix pour un grand prix peut se porter en priorité sur trois films.

On pense immédiatement à Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, habité d'un véritable souffle tragique et servi par une mise en scène élégante et posée qui est comme un écrin à la présence douloureuse de Juliette Binoche.

Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin a également ses chances, lui aussi magistralement filmé, avec un sens du cadre qui fait oublier ses quelques longueurs. Le mélange d'humour burlesque et franchement noir ainsi que l'universalité du sujet (la violence, ses manifestations et sa perpétuation) peuvent toucher les jurés soucieux de récompenser une œuvre engagée.

Enfin, Closed curtain de Jafar Panahi peut être un choix évident. Difficile en effet de faire abstraction du contexte dans lequel il à été tourné et des risques pris par tous ceux qui ont participé au projet. D'autant que le film, bien qu'inégal, dépeint avec une rare intensité l'état d'esprit d'un artiste que l'on empêche de créer. Jafar Panahi livre une réflexion avant tout sur lui-même, et sur la manière dont il réagit à l'interdiction qui le frappe, mais aussi plus largement sur la condition de l'artiste en général. Ce faisant, il délivre un message à la fois de résistance et d'espoir à destination de tous ceux qui sont sous le coup de la censure. Lui donner l'ours d'or serait à ce titre un geste extrêmement politique.

En revanche, si le jury décide au contraire d'être plus consensuel, Gold pourrait être un bon choix : bien écrit, bien réalisé, le western de Thomas Ardlan figure parmi ce que l'on a vu de plus maitrisé et abouti pendant le festival. Le personnage de "cowgirl" indestructible interprétée par Nina Hoss ajoute même une touche d'humour et de sensibilité à cette ruée vers l'or qui se transforme en hécatombe

In the name of, Child's pose, An epidode In the Life of an iron picker, Vic+Flo ont vu un ours

Côté outsiders, tout est possible. Il semble notamment que l'Europe de l'Est ait sa carte à jouer avec In the name of de la Polonaise Malgoska Szumowska, Child's pose du Roumain Calin Peter Netzer ou An epidode In the Life of an iron picker de Danis Tanovic (Bosnie).

Le premier bénéficie d'un scénario brillant qui construit intelligemment son intrigue en déjouant sans cesse les attentes du spectateur. Son sujet brûlant, surtout pour un film polonais, (l'homosexualité dans l'Eglise), peut par ailleurs être un atout "politique". Même chose pour le film de Danis Tanovic sur ce père de famille pauvre  qui se démène pour sauver la vie de sa femme et doit se heurter aux persécutions du milieu médical. Au lieu d'être misérabiliste, comme on pourrait s'y attendre, An epidode In the Life of an iron picker est une incursion sensible dans une petite communauté rom où la solidarité finit par prédominer. La mise en scène naturaliste et la banalité des situations présentes à l'écran en font presque un reportage choc. Et pour cause : il s'agit d'une histoire vraie, interprétée à l'écran par ceux-là même qui l'ont vécue.

Plus dur, Child's pose est le portrait d'une époque et d'un childsposecertain milieu social en même temps que celui d'une mère possessive. Le film aborde le conflit de générations et la question de la culpabilité, tout en dressant un tableau peu amène de cette classe moyenne dominante qui se croit tout permis sans que quiconque pense à les contredire. Les scènes étirées,  les dialogues brutaux, tout contribue à un sentiment de malaise qui sonne juste.

Mais la surprise pourrait aussi venir du Québec. Vic+Flo ont vu un ours de Denis Coté est le genre de film qui divise : soit on déteste, soit on adore. Sa mise en scène au cordeau, son étrange mélange des tons et des genres, son casting trois étoiles (Romane Bohringer, Pierrette Robitaille, Marc-André Grondin... ) peuvent lui valoir une récompense, d'autant qu'il y a peu de candidats pour le prix Alfred Bauer de l'innovation cette année...

Pauline Garcia, Juliette Binoche, Pauline Etienne, Catherine Deneuve

Pour ce qui est des prix d'interprétation, le choix demeure large, mais des tendances se dessinent. Paulina Garcia est donnée favorite pour son rôle de cinquantenaire qui essaie de refaire sa vie dans Gloria de Sebastian Lello. C'est vrai qu'elle y est épatante, drôle, sensible, presque bouleversante. Ce serait sûrement le meilleur moyen de récompenser le film qui est joli, mais n'a pas la carrure pour un grand prix. L'actrice a quand même des concurrentes sérieuses avec Pauline Étienne, très fraîche et spontanée dans La religieuse de Guillaume Nicloux, et Juliette Binoche, qui réalise une composition formidable (bien que ténue et quasi invisible) en Camille Claudel. Mais Catherine Deneuve dans Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot, en sexagénaire à la recherche d'elle-même, pourrait leur voler la vedette in extremis.

Alexander Yatsenko, Andrzej Chyra, Timur Aidarbekov

Chez les hommes, c'est globalement la même configuration : Alexander Yatsenko porte sur ses épaules le tragique A happy and long Life de Boris Khlebnikov qui raconte l'échec d'un mouvement de solidarité contre l'expropriation d'une jeune fermier ; Andrzej Chyra offre une interprétation très sensible en prêtre homosexuel torturé par le désir comme par le remords dans In the name of et Timur Aidarbekov est impressionnant en jeune adolescent évoluant dans un monde de violence qu'il traverse avec un air impassible recouvrant un feu incontrôlable dans Harmony lessons. L'un d'entre eux pourrait donc aisément succéder à Mikkel Boe Folsgaard, récompensé en 2012.

Mais avant même de connaître les lauréats, on peut d'ores et déjà annoncer sans trop se tromper que la Berlinale 2013 ne restera pas dans les annales. S’inscrivant dans la continuité d'une année cinématographique 2012 peu enthousiasmante, elle semble au contraire laisser penser que la période creuse n'est pas encore terminée. Rendez-vous à Cannes pour un sursaut d'énergie ?

Berlin 2013 : une édition dominée par les femmes, le poids de la religion et le spectre de l’enfermement

Posté par MpM, le 14 février 2013

Berlin a depuis longtemps une réputation de festival "politique" qui est rarement usurpée. Chaque année, on semble plus qu'ailleurs prendre ici des nouvelles du monde et de la nature humaine, comme le prouvent ne serait-ce que les derniers prix attribués à Barbara, Cesar doit mourir ou encore Une séparation. 2013 n'y fait pas exception qui voit la majorité des films de la compétition aborder des sujets sociaux, politiques ou économiques, ou au moins interroger les fondements de nos sociétés faussement policées.

Globalement, cinq grandes thématiques ont ainsi hanté les films en compétition, amenant parfois deux ou trois oeuvres à se faire étrangement écho au-delà les frontières géographiques, stylistiques ou historiques.

Le poids de la religion

2013 fut une année faussement mystique mais réellement critique envers une religion catholique sans cesse prise en flagrant délit d'hypocrisie. La démission du pape Benoit 16, en beau milieu de la Berlinale, a d'ailleurs semblé participer du mouvement... Qu'on juge un peu : un prêtre homosexuel amoureux (In the name of de la Polonaise Malgoska Szumowska), une jeune fille cloîtrée contre son gré (La religieuse de Guillaume Nicloux) et une artiste de talent enfermée dans un asile par son frère dévot (Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont)  font partie des figures les plus marquantes croisées pendant le festival.

Dans le premier film, un prêtre tente tant bien que mal de refouler ses penchants homosexuels. Travaillant avec des adolescents difficiles, il est comme soumis à une tentation permanente qui transforme sa vie en cauchemar. Le film rend palpable les contradictions criantes de l'Eglise catholique sur le sujet, montrant à la fois l'hypocrisie du système et les dangers que cela engendre.

Pour ce qui est de La religieuse et de Camille Claudel (voir article du 13 février), leurs héroïnes sont toutes deux victimes à leur manière d'individus se réclamant de la foi catholique. La religion n'est plus seulement un carcan dans lequel il est difficile de s'épanouir, mais bien un instrument de pouvoir utilisé contre ceux (en l'occurrence celles) qu'il entend confiner. Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre les deux films, qui s'inscrivent clairement dans la thématique de l'enfermement arbitraire et dans  l'exercice complexe et délicat du portrait de femme.

Enfermement arbitraire

Il ne fallait en effet pas être claustrophobe cette année pour supporter des oeuvres où l'individu est confiné, empêché, gardé physiquement et mentalement contre son gré. Outre Suzanne Simonin et Camille Claudel, la jeune héroïne de Side Effects (Steven Soderbergh) est emprisonnée dans un asile psychiatrique où elle se transforme lentement en zombie sous l'effet des médicaments. Celle de Paradis : espoir (Ulrich Seidl) est elle dans un "diet camp" d'où elle n'est pas censée sortir, sous peine de brimades et dangers.

Dans Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin, les choses vont plus loin : le jeune héros est carrément en prison, où les méthodes policières ne se distinguent pas tellement de celles (brutales) des racketteurs de son lycée. Il est donc torturé, battu et menacé par des hommes qui ne cherchent pas tant à trouver le vrai coupable du meurtre sur lequel ils enquêtent qu'à se débarrasser au plus vite de l'affaire. Glaçant.

Et puis, bien sûr, il y Closed curtain de Jafar Panahi, parfait symbole de l'oppression et de l'arbitraire, entièrement tourné dans une villa dont les rideaux restent clos pendant presque tout le film. Le contexte de création du film (l'assignation à résidence du réalisateur et son interdiction de tourner) renforce le climat anxiogène de ce huis clos psychologique. D'autant que Jafar Panahi est également sous le coup d'une interdiction de voyager, et donc de quitter son pays. L'enfermement est ici à tous les niveaux, y compris mental.

Ce qui évoque une thématique sous-jacente : celle de l'artiste empêché, dans impossibilité de laisser libre cours à son art, et qui meurt à petit feu de ne pouvoir travailler.  Jafar Panahi est dans cette situation intenable qui le contraint métaphoriquement à choisir entre tourner illégalement (avec les risques que cela suppose) ou mourir. Camille Claudel 1915 aborde la question sous un angle légèrement différent, mais on retrouve également cette inextinguible soif de création, qui ne peut être satisfaite, et conduit l'artiste sinon à la mort, du moins à la déchéance.

Portraits de femmes

Les femmes étaient par ailleurs au coeur de nombreux films présentés. Non pas en tant que compagnes ou petites amies potentielles, mais bien en tant qu'héroïnes à part entières. D'ailleurs, plusieurs films sont nommés d'après leur personnage féminin principal : Gloria du Chilien Sebastian Lelio, Layla Fourie de Pia Marais, Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, La religieuse de Guillaume Nicloux ou encore Vic+Flo ont vu un ours de Denis Coté. Toutes ont en commun de savoir ce qu'elles veulent et d'être prêtes à tout pour parvenir à leurs fins.

La chercheuse d'or de Gold (de Thomas Arslan) n'est pas en reste dans le genre superwoman indestructible qui vient à bout de tous les obstacles et tient la dragée haute aux hommes. Même chose pour la mère (certes horripilante, mais dotée d'une vraie force de caractère) de Child's pose (de Calin Peter Netzer). Loin du cliché sur les femmes fragiles, féminines, maternelles, ou autres, tous ces personnages mènent leur vie comme elles l'entendent ou, si on les en empêche, n'ont pas peur de se rebeller pour gagner leur liberté. Et lorsqu'elles sont confrontées à des hommes, c'est plus dans une relation de collaboration, voire de domination, que de séduction ou de soumission.

Probablement pour cette raison, leurs relations familiales demeurent relativement conflictuelles. L'héroïne de Child's pose est ainsi une mère envahissante excessive et odieuse, qui se désespère de ne pouvoir contrôler entièrement l'existence de son fils devenu adulte.  Elle est l'archétype de cette mère terrible qui conçoit la vie comme une incessante lutte de pouvoir et a tant investi son fils qu'elle est incapable de le laisser voler de ses propres ailes. A l'inverse, la mère du héros dans La mort nécessaire de Charlie Countryman reconnaît lucidement qu'elle n'a pas été très bonne dans ce rôle, et qu'elle est incapable de conseiller son fils en pleine crise existentielle. Elle se dédouane et répond à ses questions par des pirouettes. Quant à Gloria, elle aimerait avoir une relation conviviale avec ses enfants mais souffre en silence d'une immense solitude. Elle est pile dans cette période de la vie où les femmes se retrouvent seules parce que leurs enfants sont grands et que leur mari est parti avec une plus jeune. Un long parcours d'obstacles les attend avant qu'elles soient en mesure de refaire véritablement leur vie.

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