Après avoir reçu la Palme d'Or au dernier Festival de Cannes avec Parasite (qui a attiré 20000 spectateurs depuis sa sortie rien qu'au cinéma Comoedia de Lyon, soit un record hors-Paris), Bong Joon-ho a été l'un des invités d'honneur de cette édition du Festival Lumière. C'est l'occasion de découvrir toute sa filmographie - dont le splendide Memories of Murder, rattrapé par l'actualité le mois dernier - ainsi que les films coréens qu'il nous propose via sa carte blanche.
Et en ce jour pluvieux, rien de mieux que d'aller écouter ce grand monsieur du 7e art, souvent drôle, toujours humble, et même assez modeste. Pour cette masterclass à la Comédie Odéon mister Bong Joon-ho est accompagné de sa traductrice (qui fait ici un excellent travail!), de Didier Allouche et de Bertrand Tavernier qui a tenu à être présent pour "dire publiquement son amour à Bong Joon-ho, car les hommages posthumes c'est pas si bien que ça."
Les screen quotas
"Ce système des screen quota mettait en place le nombre de jours où les cinémas devaient montrer des films coréens. Mais cela a posé des problèmes lors des accords de libre-échange avec les États-Unis. A la fin des années 90, quand je préparais Barking dog, il y avait des mouvements pour protéger ces quotas. Mais aujourd'hui les screen quotas ont disparu et pourtant le cinéma coréen a réussi à trouver sa place. En Corée du sud, je dirai que c'est du 50-50 entre le cinéma national et le cinéma américain."
Et Bertrand Tavernier d'ajouter "qu'aujourd'hui tout film gagne à être coréen!"
L'image des forces de l'ordre
Dans The Host et Memories of murder, les forces de l'ordre ne sont pas à leur avantage. "Oui, ce sont des policiers des années 80 qui travaillaient pendant la dictature militaire. Mais c'est assez réaliste." Le tueur de Memories of murder a d'ailleurs été arrêté il y a un peu moins d'un mois. Bertrand Tavernier demande alors si ça change son rapport au film. "C'était une affaire non classée qui restait entourée de mystères. Le film est sorti en 2003 sur ce fait qui s'est déroulé dans les années 80. Lorsque le tueur a été arrêté, j'avais des sentiments très troubles, complexes. Maintenant les spectateurs verront la scène finale différemment je pense. Mais j'aimerais garder le film tel qu'il est. Ce serait comme une sorte d'archive de l'époque. Concernant l'image du criminel, pendant l'écriture du scénario, j'avais l'impression de devenir fou. J'avais rencontré des policiers, des proches des victimes, des journalistes, mais celui que je voulais rencontrer c'était le meurtrier et je ne pouvais que l'imaginer. Je me suis donc inspiré et appuyé sur certains films pour cela."
Parti-pris visuels très forts
Bertrand Tavernier: "Vous devez avoir rudement confiance en vous pour tenir ces parti-pris (dans Memories of murder notamment) ou alors vous êtes extrêmement audacieux!"
"Merci pour le compliment mais je crois que c'est dû à mon tempérament bizarre. J'ai un comportement qui part dans tous les sens. Quand on regarde les archives des années 80, c'est une vraie comédie noire. Bien sûr les crimes sont terribles, mais quand on prend de la distance et qu'on regarde les policiers, on a de suite l'image d'une comédie noire. Ils veulent absolument capturer ce criminel, mais n'y arrivent pas. Ils en deviennent complètement fous. Ils vont même jusqu'à consulter un chaman. C'est donc à la fois drôle, car ils sont gauches, mais aussi triste car ils sont réellement désespérés. L'horreur, le désespoir et la comédie étaient déjà assemblés."
Chaque film contre le précédent
" Vous avez vu juste. Quand j'écris le scénario, ce n'est pas intentionnel. Pourtant quand je prends un peu de recul; je réalise que j'écris en effet que chaque film est en réaction avec le précédent."
Clivages sociaux
"Je n'ai pas forcément de message politique ou social. Mon obsession c'est l'intérêt que je porte aux gens qui m'entourent. Quand on creuse et qu'on parle d'une société, on parle de toutes façons de la Société et de l'Histoire. Et surtout en Corée où il est impossible de dissocier la Société de l'Individu." Le cas particulier de The Host est très intéressant. Sans forcément vouloir passer de message force est de constater que les membres de la famille sont méprisés car de classe populaire. "Les personnages principaux dirigent un petit snack et font partie du peuple. Ils se demandent s'ils peuvent vraiment être protégés par le pouvoir. C'est à partir de là donc qu'on a à la fois une comédie et des éléments dramatiques."
Cellule familiale
Pourquoi une telle importance de la cellule familiale? "En effet, pourquoi? Je ne m'en rendais pas forcément compte. Mais ce sont toutes des familles qui ont des failles (dans Mother la mère est seule avec son fils, dans The Host la mère n'est plus là). Finalement c'est la première fois dans Parasite que je montre des familles traditionnelles avec un père, une mère et leurs enfants."
Dans tout succès réside une part de mystère
Comment expliquer le triomphe "global" de Parasite? "Pour être honnête, lors de la production, on espérait juste pouvoir rentrer dans nos frais car on trouvait l'histoire bizarre et on était donc assez inquiet. Je n'étais pas du tout sur de moi. Alors c'est moi qui vous retourne la question, comment expliquez-vous ce succès?"