Nuit de Chien: Insurrection grotesque

Posté par geoffroy, le 4 janvier 2009

pascal greggory nuit de chien- « J’arrive pas à ouvrir la bouteille de jus d’orange ».

L'histoire : Ossorio descend du train de Santamaria à la recherche de celle qu’il aime dans une ville pourtant assiégée, encerclée, aussi dangereuse dehors que dedans. La folie traîne ses guêtres, l’anarchie n’a plus de nom et le pays imaginaire semblable à beaucoup d’autres est en proie à la guerre civile. Le périple d’une nuit commence alors pour Ossorio, le calvaire pour le spectateur aussi.

Notre avis : Filmer la décomposition d’un ordre social circonscrit à la géographie d’une cité inhospitalière où chacun cherche à sauver sa peau peut s’avérer l’endroit idéal pour une mise en abîme des comportements devenus extrêmes, absurdes et désespérés. En somme, le cinéaste allemand Werner Schroeter nous offre une Nuit de chien où comment filmer mal, très mal la nature humaine à l’agonie. Car Nuit de chien cherche, dans les méandres glauques d’une ville fantôme, à savoir comment l’Homme (avec son grand H) réagi lorsque l’ordre des choses – ici elles sont multiples, vagues, incertaines, brouillonnent, faciles, pompeuses – n’a plus de sens, perd sa raison et son utilité. Or, dans le roman de Juan Carlos Onetti (source d’inspiration du film), Ossorio est prisonnier d’une ville qu’il cherche à fuir. Son état ressemble à celui de la ville et non à cette quête artificiellement plaquée pour romancer une histoire qui n’en a pas besoin. D’ailleurs nous oublions par intermittence le pourquoi de son retour à Santamaria (bien qu’il demande sans arrêt où se trouve Clara), Ossorio (Pascal Greggory, sobre malgré tout) devenant assez vite un pantin observateur du chaos ambiant. L’ennui se pare alors de ses plus beaux atours, la mise en scène sautant de rue en rue, de taxi en taxi, de pièce en pièce sans une once de dramatisation humaine (car pour ce qui est de la dramatisation opératique boursouflée et inepte nous sommes gâtés).

Dans ce gentil bordel ambulant désincarné, froid et à l’esthétique douteuse, les situations risibles (mention spéciale pour la scène de cul entre Pascal Greggory et Elsa Zylberstein dont le dénouement est consternant d’ineptie) succèdent à celles, répétitives et lassantes, d’un Ossorio courant à sa perte sans que la notion de paranoïa, ni de danger ne nous submerge (et ce n’est pas avec deux ou trois scènes aussi chocs que cheep que le cinéaste s’en sort). Le pompon de la classe ultime revient sans doute à un Samy Frey vieillissant se faisant « péter la tronche » à coup de dynamite ; mortel !

Un dernier mot, un seul, au sujet de la comparaison soulevée par Schroeter lui-même : il assimile son Nuit de chien à un mixte entre la Soif du mal de Welles et Le Procès de Kafka. Un brin mégalo tant la complexité narrative du premier (dialogue, mise en scène subjective au possible, tragique de chaque personnage…) et la paranoïa absurde et vraiment flippant du deuxième semblent totalement absente du long métrage de Schroeter. En effet, le retour du colonel / médecin (Ossorio) aurait pu, à travers ses recherches, offrir un point de vue décalé, extérieur et donc parasitaire au conflit en marche. Au lieu de cela nous assistons, consterné, à un naufrage dont la prétention n’a d’égal que la vacuité du propos. Et dire qu’il a reçu le prix spécial du Jury lors de la dernière Mostra de Venise. Affligeant !

Cinéma français à Venise : entre incompréhension et sensibilité

Posté par MpM, le 5 septembre 2008

L’image que donnent les différentes sélections vénitiennes du cinéma français depuis le début du festival est plutôt contrasté et pas forcément reluisant. Par moments, les intrigues sont réduites à la portion congrue et certaines mises en scène, pour le moins déroutantes. A croire que les organisateurs ont eu du mal à trouver des films à la fois disponibles, ambitieux et réussis…

En plus d’Inju, la bête dans l’ombre de Barbet Schroeder (dont on a déjà dit tout le mal qu’on en pense), deux films concourent pour le Lion d’or : Nuit de chien de Werner Schroeter et L’autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Tridivic. Le premier met en scène une flopée de célébrités (Pascal Gréggory, Amira Casar, Elsa Zylberstein, Eric Caravaca…) dans une mascarade théâtrale et outrée sur une ville en état de siège. Le temps d’une nuit, les alliances politiques vont se faire et se défaire, chaque leader potentiel choisissant la voie (soumission ou résistance) que lui dicte sa conscience (ou son sens de la real politique). Tout est si surjoué que l’on se croirait dans une parodie de pièce de boulevard où les personnages sont des caricatures dénués de psychologie et de profondeur. Agrémenté d’une once de philosophie de bazar (sur l’inévitabilité de la mort), d’une pincée de sadisme sexuel (pauvre Amira Casar) et d’une bonne dose de pédanterie, le film a beaucoup fait rire (involontairement, et presque injustement) les rares spectateurs qui n’avaient pas quitté la salle.


L’autre

Heureusement, dans un genre très différent mais bien mieux maîtrisé, L’autre aborde avec beaucoup de subtilité la jalousie amoureuse et le basculement dans la folie. Reposant presqu’entièrement sur les épaules de la toujours plus impeccable Dominique Blanc, cette adaptation d’un roman d’Annie Ernaux ("L’occupation") nous emporte avec sensibilité et retenue sur les voies mystérieuses où l’esprit se perd. Les jeux de miroirs (dans lesquels le personnage principal croit voir un double qui n’est pas elle) rendent palpables l’inextinguible angoisse qui habite le personnage. L’autre n’est plus sa rivale réelle et déclarée (la nouvelle compagne de son ex-amant) mais cette réplique d’elle-même susceptible de "sortir du miroir" et de prendre sa place. Car quoi de plus effrayant que de perdre le contrôle de nous-mêmes ? Avec ce film, le duo Tridivic et Bernard continue d’explorer le sillon débuté avec Dancing, où un homme isolé se découvrait un double. Un prétendant sérieux au palmarès.

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