Il était sensible, engagé, écorché, défenseur des marginaux et des mis-à-l'écart, des êtres abimés et des âmes nobles. François Dupeyron a succombé à sa longue maladie, à l'âge de 65 ans. Dès son premier long métrage, il a laissé son empreinte sur le cinéma français. Drôle d'endroit pour une rencontre. Deneuve, Depardieu, une aire d'autoroute, un duo de légende dans un lieu improbable, nocturne. Pour que le film se fasse, Deneuve est exceptionnellement coproductrice. Dupeyron s'attaque à deux monstres, il a 38 ans, et quatre courts métrages derrière lui, dont La Dragonne, Grand Prix à Clermont-Ferrand, La nuit du hibou et Lamento (tous deux César du meilleur court métrage).
Né le 14 août 1950 dans les Landes, cet écrivain et cinéaste a navigué dans des récits où les individus sont cassés par un accident du destin et tentent de se reconstruire. Après Drôle d'endroit pour une rencontre, et 4 nominations aux César à la clé, il signe Un coeur qui bat (1991), triangle amoureux de mal-aimés, La machine (1994), film un peu raté où il revisite le mythe de Dr Jekyll et Mister Hyde, et C'est quoi la vie? (1999), avec la superbe photo de Tetsuo Nagata, filmé dans les Causses. Ce drame social et romantique est sa première collaboration avec Eric Caravaca (César du meilleur espoir masculin) et lui vaut la Coquille d'or du Festival de San Sebastien.
Il retrouve deux ans plus tard Caravaca pour La Chambre des officiers, fresque sublime et bouleversante sur les gueules cassées de la Grande Guerre. Deux fois césarisé (Tetsuo Nagata pour la photo et André Dussolier pour le second-rôle masculin) sur 8 nominations (dont film et réalisateur), le film fait son avant-première mondiale en compétition à Cannes. Il séduit plus de 700000 spectateurs en France, de loin son plus gros succès.
En 2003, il adapte Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, le dernier grand rôle d'Omar Sharif, en épicier turc et philosophe du 9e arrondissement de Paris. L'acteur recevra le César l'année suivante.
De là, le parcours de Dupeyron sort des sentiers battus et prend des chemins de traverse avec Inguélézi (toujours avec Eric Caravaca), Aide-toi le ciel t'aidera et en 2013, Mon âme par toi guérie, distingué par la critique mais boudé par le public.
En 2009, il reprend la mise en scène de Trésor quand Claude Berri décède. Il a également écrit les scénarios du Fils préféré de Nicole Garcia, d'Un pont entre deux rives de Fred Auburtin et Au plus près du soleil d'Yves Angelo. François Dupeyron a aussi été écrivain avec cinq romans parus entre 2002 et 2010. Ironique de la part de celui qui disait au journal Libération il y a douze ans: "Je suis venu au cinéma, gamin, parce que j'étais nul à l'écrit".
Immigrants clandestins, soldats à la chair meurtrie, femme plaquée, banlieusards oubliés, fils endeuillé, motard percutant un gamin, François Dupeyron aimait les esprits assombris par la mélancolie ou la tragédie, mais ne rechignait pas à insuffler de la lumière, de l'érotisme ou de la légèreté dans ses histoires. Mais son pessimisme le gagnait souvent, conscient de voir le monde se fracturer devant ses yeux. Il avait fondé l'association militante d'extrême-gauche Cinélutte dans les années 1970. De cet engagement, il a été remercié par un Prix France Culture Cinéma en 2009.
De cet activisme, il avait gardé une rage qui 'est pleinement exprimée lors de la sortie de Mon âme par toi guérie, où, dans son dossier de presse, le cinéaste accusait le cinéma français et son système de financement (lire La colère de François Dupeyron : un « système totalitaire », des « producteurs incultes »). Il en avait souvent souffert. Projets avortés, sorties massacrées. François Dupeyron, malgré son indéniable talent à adapter des romans pour les transformer en oeuvres singulières, a sans aucun doute était l'un des cinéastes français doués qui a été gâché par un cinéma français qui ne le comprenait sans doute pas.