Alors que la Berlinale se lance dans sa 68e édition, et avec elle le marché du film européen et des coproductions, l'Observatoire européen de l'audiovisuel rend ses premiers bilans pour 2017. 985 millions de billets ont été vendus l'an dernier, soit 6,6 millions de moins qu'en 2016, année record. C'est une bonne nouvelle en soi. D'autant qu'aux Etats-Unis, la tendance est toujours à la baisse. Aujourd'hui, si on prend en compte l'ensemble du continent (incluant la Russie et la Turquie), l'Europe fait jeu égal avec les Etats-Unis. Malgré la concurrence du petit écran, des réseaux sociaux, du jeu vidéo, le cinéma reste un bien culturel et social attractif.
A l'Est, la croissance
Bien sûr, pays par pays, tout ne vas bien. Le marché italien s'effondre (-12,9%), passant sous les 100M de spectateurs, et derrière le marché espagnol, tandis que les spectateurs sont plus nombreux en République Slovaque (+18,1%), en Roumanie (+11,3%), Russie (+9,7%), Pologne (+8,7%) et aux Pays-bas (+5,3%). Hors Union européenne, les entrées en Turquie ont bondit de 22,1% (ce qui profite aux films turcs qui représentent 56,5% des entrées!). La Russie consolide sa position de leader européen en nombre d'entrées (213,6M) devant la France qui en comptabilise 209,2M)
Parts de marché nationales
Car cette bonne fréquentation profite surtout aux productions américaines (qui ont bien compris leur intérêt à cibler l'international pour compenser la baisse de fréquentation sur leur territoire), et principalement aux blockbusters, qui semblent les films les plus fédérateurs, peu importe la langue, la culture, etc... La part de marché des films nationaux a diminué dans 13 pays et augmenté dans 11. La France et le Royaume Uni (qui comprend des productions soutenues par des sociétés américaines) peuvent s'enorgueillir d'une part de marché nationale de 37,4%. Les Finlandais, les Allemands, les Russes, les Polonais et les Tchèques résistent aussi très bien à l'invasion américaine avec plus d'un spectateur sur cinq, voire un spectateur sur quatre qui va voir un film "local".
Une production en surchauffe
Dans le même temps, l'Observatoire européen de l'audiovisuel a rendu public une autre étude sur la production cinématographique au cours des 10 dernières années. On constate une hausse de 47% du nombre de films produits en 10 ans! En 2007 on produisait en Europe 1 444 longs métrages. En 2016, ce chiffre s'élève à 2 124. Le plus surprenant est le doublement du nombre de films documentaires (un tiers des films produits désormais).
Plus d'un film sur deux est produits par le Royaume-Uni (en baisse), la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Mais les plus fortes sont enregistrées dans des pays comme la Russie (+40%), ou la Turquie (+180%).
La France championne des coprods
Un film sur cinq est une coproduction. Et l'étude montre bien l'intérêt de ce mécanisme financier. L'industrie française l'a bien compris. La France est championne des coprods avec 566 films coproduits en 10 ans, devant l'Espagne, l'Allemagne, et la Suisse. Mais il y a encore du chemin à faire pour parler de cinéma européen. 40% des interactions sont faites avec des pays non-européens, principalement avec les Etats-Unis. Sinon ce sont les coproductions France/Belgique , puis Royaume-Uni/États-Unis, Italie/France, France/Allemagne et Belgique/France qui sont les plus fréquents.
Des coprods bien plus performantes que les films nationaux
Si les indicateurs sont à la hausse, on constate au final qu'entre 2010 et 2015, les coproductions ont représenté 24,2% de l’ensemble de la production de films en Europe, attirant 1,6 milliard d’entrées, soit 50,3% des entrées totales des films européens sur la période, soit trois fois plus que le nombre d’entrées récoltées par les films européens uniquement nationaux. On résume: un quart des films sont des coprods et ils génèrent un billet vendu sur deux. C'est plutôt rentable, en tout cas largement plus qu'un film 100% national.
Cela tient à un fait très simple: une coprod a plus de chance d'être diffusée dans un autre pays: 69% des coprods majoritaires sont sorties dans un autre pays que celui d'origine. Seuls 39,5% des films nationaux ont eu cette possibilité. En moyenne, avec 6,4 territoires où elles sont distribuées, les coproductions européennes circulent près de deux fois plus que les productions seulement nationales.
Des succès nationaux peu exportés
C'est désormais tout l'enjeu véritable du cinéma européen: la coproduction, les financements transnationaux sont acquis. Hormis des comédies (l'humour reste très chauvin), tous les autres genres profitent de ces apports financiers extra-nationaux. Mais tant qu'un grand plan pour la diffusion des films européens, qui comprendrait le doublage et le sous-titrage, une aide à la distribution (y compris sur les plateformes streaming), des aides pour les exploitants et les festivals qui valoriseraient les films européens, on restera enfermés dans nos frontières. Qui a vu, en dehors de leur pays d'origine, Fuck You Goethe 3, 2e plus gros succès allemand en 2017 ou Come un gatto in tangenziale, plus gros hit italien de l'année, ou Perfectos desconocidos, film le plus populaire en Espagne (et 4e du box office annuel)? Là encore, le modèle français fait exception puisque les films hexagonaux sont plutôt bien exportés, grâce aux coprods et à l'action d'Unifrance, entre autres.
Alors que la politique européenne et son versant économique font douter de nombreux citoyens, le cinéma, de par son impact culturel, pourrait être un formidable moyen de mieux partager nos valeurs et de mieux connaître nos voisins.