Cinéma français à Venise : entre incompréhension et sensibilité
L’image que donnent les différentes sélections vénitiennes du cinéma français depuis le début du festival est plutôt contrasté et pas forcément reluisant. Par moments, les intrigues sont réduites à la portion congrue et certaines mises en scène, pour le moins déroutantes. A croire que les organisateurs ont eu du mal à trouver des films à la fois disponibles, ambitieux et réussis…
En plus d’Inju, la bête dans l’ombre de Barbet Schroeder (dont on a déjà dit tout le mal qu’on en pense), deux films concourent pour le Lion d’or : Nuit de chien de Werner Schroeter et L’autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Tridivic. Le premier met en scène une flopée de célébrités (Pascal Gréggory, Amira Casar, Elsa Zylberstein, Eric Caravaca…) dans une mascarade théâtrale et outrée sur une ville en état de siège. Le temps d’une nuit, les alliances politiques vont se faire et se défaire, chaque leader potentiel choisissant la voie (soumission ou résistance) que lui dicte sa conscience (ou son sens de la real politique). Tout est si surjoué que l’on se croirait dans une parodie de pièce de boulevard où les personnages sont des caricatures dénués de psychologie et de profondeur. Agrémenté d’une once de philosophie de bazar (sur l’inévitabilité de la mort), d’une pincée de sadisme sexuel (pauvre Amira Casar) et d’une bonne dose de pédanterie, le film a beaucoup fait rire (involontairement, et presque injustement) les rares spectateurs qui n’avaient pas quitté la salle.
Heureusement, dans un genre très différent mais bien mieux maîtrisé, L’autre aborde avec beaucoup de subtilité la jalousie amoureuse et le basculement dans la folie. Reposant presqu’entièrement sur les épaules de la toujours plus impeccable Dominique Blanc, cette adaptation d’un roman d’Annie Ernaux ("L’occupation") nous emporte avec sensibilité et retenue sur les voies mystérieuses où l’esprit se perd. Les jeux de miroirs (dans lesquels le personnage principal croit voir un double qui n’est pas elle) rendent palpables l’inextinguible angoisse qui habite le personnage. L’autre n’est plus sa rivale réelle et déclarée (la nouvelle compagne de son ex-amant) mais cette réplique d’elle-même susceptible de "sortir du miroir" et de prendre sa place. Car quoi de plus effrayant que de perdre le contrôle de nous-mêmes ? Avec ce film, le duo Tridivic et Bernard continue d’explorer le sillon débuté avec Dancing, où un homme isolé se découvrait un double. Un prétendant sérieux au palmarès.
Hors compétition officielle, le bilan est lui-aussi mitigé. On s’est notamment étranglé (de rire ou d’énervement, c’est selon) devant le nouveau long métrage d’Arnaud des Pallières, Parc (section Horizon). Il faut reconnaître qu’avec sa temporalité explosée, ses intrigues entremêlées et ses digressions impromptues, le film n’est pas d’un abord facile. Ce mode de narration particulièrement ambitieux, inspiré du style originel du roman dont est adapté Parc ("Bullet park" de John Cheever), mise presque tout sur l’intelligence du spectateur. Un pari sans doute trop risqué, car on a au final beaucoup de mal à s’intéresser à ces pièces de puzzle qui ne s’emboîtent jamais et à ces personnages stéréotypés élevés aux rangs d’allégories.
En terme de radicalité, Un lac de Philippe Grandrieux (section horizon) n'est pas mal non plus. Tourné uniquement en lumière naturelle (ce qui induit de nombreuses scènes presqu'entièrement noires), avec très peu de dialogues et un choix de cadrages peu conventionnel (très gros plans sur des points de détails ou des morceaux de corps, plans généraux sur une nature envoutante), il suit le quotidien d'une famille vivant retranchée sur une ile.
Plus facile à appréhender, 35 rhums de Claire Denis (hors compétition) raconte par petites touches la vie d’une famille décomposée - recomposée de banlieue parisienne. L’intrigue est très ténue, systématiquement connectée au quotidien le plus trivial (trajet en transports en communs, repas, tâches ménagère…), avec comme fil conducteur la douleur que peut provoquer la solitude et le sentiment d’inutilité, mais aussi une très jolie relation père-fille. Joli, mais en-deçà de ce à quoi la réalisatrice a pu nous habituer.
Autre film sélectionné hors compétition, bien que l’on ne comprenne pas pourquoi il n’y figurer pas, Les plages d’Agnès, par Agnès Varda, est un petit bijou. Ce portrait à la première personne, mi-flânerie, mi-rêverie, nous fait revivre plus de cinquante ans du cinéma français avec une légèreté, une bonne humeur et une auto-dérision désarmantes. On prend un réel plaisir à suivre la réalisatrice sur les traces de sa jeunesse à réparer des filets en Corse ou à photographier les jeunes premiers d’Avignon. Même l’inévitable séquence émotion, celle où elle évoque Jacques Demy, est pleine d’une dignité touchante. Peut-être est-ce pour cela que le film fonctionne aussi bien : avec sa simplicité spontanée, Agnès Varda se met à la portée du spectateur, le renvoyant comme un miroir à sa propre image, ses propres drames, sa propre existence.
Enfin, la vraie (bonne) surprise de ce festival vient de la section "Journée des auteurs" où était présenté Stella de Sylvie Verheyde, le portrait intime et émouvant d’une adolescente de onze ans confrontée aux aléas de la vie : nouveau collège bourgeois, parents absents, difficultés scolaires… Avec un ton très personnel (le film est autobiographique), la réalisatrice capte les petits riens de la vie, de ceux qui capables de faire basculer un destin, mais en douceur, sans retournement spectaculaire ni miracle grandiose : une rencontre, la découverte d’une passion, la compréhension d’une toute petite parcelle de connaissances… Ne basculant jamais dans le convenu (pas de grand drame, pas de réussite fulgurante), le film impose sa propre petite musique intérieure (celle de Ti amo ?) au spectateur. Lequel en ressort à la fois revigoré, enthousiaste et joyeux.
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