La diffusion TV de Persépolis entraîne des émeutes en Tunisie

Posté par vincy, le 14 octobre 2011


Marjane Satrapi fait actuellement la promotion de son nouveau film, Poulet aux prunes, et en Tunisie, son premier film Persépolis sème le trouble dans la rue.

Aujourd'hui la police a balancé des gaz lacrymogènes contre plusieurs centaines de personnes, en grande partie salafistes. Ils manifestaient dans Tunis pour protester contre la diffusion de Persépolis sur la chaîne privée Nessma TV, qui appartient à Tarak Ben Ammar et dont Silvio Berlusconi est actionnaire. Plusieurs manifestants se sont réfugiés dans la mosquée de la Kasbah et la police pourchassaient certains d'entre eux.

Le film ose représenter Dieu (un vieil homme à la barbe blanche), ce qui est contraire à la Loi islamique qui interdit toute représentation divine (ou de son prophète).

Le printemps arabe commence à provoquer les soubresauts que certains craignaient. Qu'un P-DG, celui de Nessma, Nabil Karoui, doive présenter ses excuses au peuple tunisien pour la diffusion de cette scène est en soi inacceptable. "Je considère qu'avoir diffusé cette séquence est une faute", avait-il dit. "Nous n'avons jamais eu l'intention de porter atteinte aux valeurs du sacré". NON! La censure est une atteinte aux libertés, et ça c'est sacré! Personne n'est obligé de regarder les film.

La colère des manifestants n'est pas retombée : les prêches dans les mosquées, aujourd'hui, se concentraient sur ce blasphème. Selon l'AFP, la manifestation a commencé pacifiquement, pour dégénérer par la suite.

Dimanche, déjà, 200 à 300 salafistes avaient tenté d'incendier le siège de Nessma TV, deux jours après la diffusion du film d'animation, prix du jury à Cannes en 2007.  La diffusion en langue tunisienne (et non en arabe) était suivie d'un débat sur l'intégrisme religieux. Tarak Ben Ammar a reçu des menaces de mort et a répliqué en annonçant une rediffusion du film.

Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères français, Bernard Valero, affirme que "La France se félicite que cet acte de violence suscite une large réprobation des mouvements politiques tunisiens et des autorités de transition". Hélas, en regardant de près les réseaux sociaux ou lisant les témoignages anonymes ou les paroles officielles qui nous parviennent, la position majoritaire semble plutôt penchée en faveur des Salafistes. On ne peut pas montrer l'image de Dieu.

Derrière cela, il y a tout un enjeu politique. Les Tunisiens sont appelés aux urnes le 23 octobre pour les premières élections depuis la chute du régime de Ben Ali, et les islamistes d'Ennahda sont les favoris du scrutin. Les Salafistes ont déjà causé des incidents comme l'attaque d'un cinéma à Tunis.

Joyeuses Pâques Monsieur le Pape, signé Nanni Moretti

Posté par vincy, le 25 avril 2011

Dès son premier week-end, Habemus Papam, le nouveau film de Nanni Moretti (voir actualité du 20 décembre 2009), est arrivé 2e du box office italien, juste derrière Rio. 1,3 millions de recettes sur 447 écrans (150 de mois que le dessin animé américain et donc une bien meilleure moyenne par copie).

Habemus Papam, en compétition au prochain Festival de Cannes, avec dans le rôle du pape, Michel Piccoli, ne bat pas le précédent record du réalisateur (Le Caïman, 2 millions d'euros sur 370 écrans). A croire qu'une allégorie de Berlusconi est plus "vendeur" qu'un pape fictif. Ceci-dit le Vatican reste de l'ordre de l'intouchable en Italie, le Pape étant souvent considéré comme le chef d'Etat du pays.

L'idéal aurait été une polémique, un boycott, une tentative de censure. Mais le Vatican a été plus malin, feignant l'indifférence ou la distance. Les JMJ auront le droit à leur manga (avec Mon Pape, ce héros). Cela ne veut pas dire qu'un cinéaste de gauche a le droit de toucher à l'icône.

Dans le film de Moretti, le pape est saisi de panique, et se met à fréquenter un psychanalyste. La comédie est satirique et tendre. "Je voulais raconter ce personnage tellement fragile qui se sent inadapté pour remplir ce rôle, mais à l'intérieur d'une comédie", a expliqué Nanni Moretti, lors de sa conférence de presse italienne. "Je voulais raconter ce sentiment de se sentir inadapté qui saisit tous les cardinaux après être élus".

Benoît XVI ne raconte pas autre chose dans son livre, Lumière du monde, évoquant "un choc" lors de son élection.

Le Pape est un roc

Pourtant le Vatican est divisé. Certains trouvent le film génial comme Marco Politi, vaticaniste du journal Il fatto. "C'est une recherche sur le sens du pouvoir, sur la solitude, sur le besoin d'affection" dit-il. "Ce film exprime un très grand respect pour l'Eglise. Je dirais même qu'au fond ce film est le fruit des 27 ans de pontificat de Jean Paul II, qui a réussi à rendre l'Eglise de nouveau intéressante pour des millions de personnes, y compris des non-croyants. "Intéressant" signifie aussi pouvoir discuter, débattre. L'Eglise n'est plus restée à la marge, mais a été ramenée au centre de la scène." Radio Vatican et la revue des Jésuites Civiltà Cattolica ont recommander le film.

Mais dans une lettre publiée par le journal des évêques italiens, Avvenire, Salvatore Izzo appelle les catholiques à boycotter ce film  "Aller le voir revient à récompenser un film qui ennuiera profondément les non-croyants", selon lui. "On ne doit pas toucher au pape, roc sur lequel Jésus a fondé son Eglise", affirme-t-il, tout en s'en prenant aux critiques catholiques, qui absolvent le cinéaste, "au nom de la justification bien étrange que Moretti aurait pu être bien plus méchant". "Pourquoi devrions-nous financer celui qui offense notre religion?" L'obscurantisme n'est pas encore révolu...

Absence de foi

Cependant aucune condamnation officielle n'a été émise. Le boycott est peu suivi. Les voix médianes ont bien compris que la moindre polémique, dénuée de fondements, ferait une publicité incroyable au film. Seule critique religieusement pertinente, celle de Monseigneur Roberto Busti, qui critique "la volonté de Moretti d'introduire au Vatican la psychanalyse, thème qui lui est cher depuis toujours". Il déplore "l'affirmation" du film selon laquelle "la foi ne peut remédier aux faiblesses naturelles". "De la foi, l'histoire ne parle pas", dit-il en regrettant l'opposition entre intimité et foi que postule Moretti.

Le réalisateur s'en amuse en rappelant que son travail repose sur la liberté d'expression. "Si les gens veulent boycotter mon film, qu'ils le fassent, mais seulement après l'avoir vu!" On croirait du Woody Allen...

Un festival de cinéma gay fête son 9e anniversaire en Indonésie

Posté par MpM, le 30 septembre 2010

Depuis huit ans, le festival international de cinéma gay "Q!" s'est imposé en douceur dans la vie culturelle de Jakarta, dans le but avoué de combattre les tabous sans agressivité ni prosélytisme. Cette année, les organisateurs espèrent attirer 15 000 spectateurs à leurs 120 projections, expositions et débats. Le tout grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux, car toute médiatisation d'envergure pourrait attirer les foudres des bastions les plus conservateurs du pays.

Car si l'Indonésie, pays musulman le plus peuplé au monde avec 240 millions d'habitants, autorise l'homosexualité entre adultes consentants, il n'en est pas moins difficile d'y afficher ses préférences sexuelles au grand jour. En effet, certains mouvements islamiques se présentant comme les  "défenseurs des valeurs musulmanes" voient d'un mauvais oeil la tolérance dont fait preuve la loi,  et tentent d'y remédier, parfois par la force.

Ainsi, à Aceh, bastion de l'islam sur l'île de Sumatra, les députés locaux ont été jusqu'à déclarer l'homosexualité punissable de 100 coups de bâton. Heureusement, le gouvernement provincial a refusé d'approuver cette loi locale. En revanche, deux conférences, d'homosexuels et de transsexuels, ont été annulées depuis le début de l'année suite à l'intervention de militants extrémistes. Une polémique a également vu le jour lorsque le ministre de la Communication, élu d'un parti religieux, a fait l'amalgame entre sida et pornographie...

Pour autant, le festival Q! se déroule en toute légalité. "Nous n'avons pas d'objection. Tant que les films ne sont pas trop sexuellement explicites ni trop vulgaires", a précisé le porte-parole du ministère de la Communication. "Je suis sûr que les organisateurs connaissent les limites et ont conscience des particularités éthiques et culturelles en Indonésie".

En gros, l'idée est de ne pas faire de vagues. Et pour mieux asseoir la légitimité de leur manifestation, les organisateurs ont pris soin d'être parrainés par des clubs privés et des centres culturels étrangers, notamment français, néerlandais ou allemand. "Comme les financements proviennent d'organisations étrangères et les films sont projetés dans des centres internationaux, les radicaux n'oseront pas nous attaquer", conclut John Badalu, le directeur du festival.

Vesoul : la religion au centre des préoccupations

Posté par MpM, le 14 février 2009

gulabi talkiesLes deux premiers films présentés en compétition au Festival de Vesoul (Gulabi talkies de Girish Kasaravalli et Pesantren de Nurman Hakim) ont en commun d'aborder la question de la tolérance religieuse sans en faire le point central de l'intrigue. Dans les deux cas, le contexte est propre au pays où se situe l'histoire (les tensions entre hindous et musulmans en Inde, le milieu des écoles privées "pesantren" religieuses en Indonésie) tout en bénéficiant d'un traitement qui lui donne une portée universelle.

Dans Gulabi talkies, on suit Gulabi, une sage femme de confession musulmane confrontée à la méfiance et au rejet de ses voisins hindous. En filigrane, le film aborde les pratiques du commerce mondialisé qui ruine les petits pêcheurs et dévaste les fonds marins. On s'aperçoit rapidement que ces problèmes économiques accentuent très largement les tensions ethniques entre deux communautés qui avaient pris l'habitude de cohabiter. Dans le même temps, la télévision couleur installée chez l'héroïne sert à la fois de vecteur de rapprochement et de révélateur de dissensions. Finalement, on est bien plus dans une sorte de parabole sur la construction des identités que dans une dénonciation manichéenne de ce prétendu choc identitaire.pesantren nurman hakim

Dans Pesantren, on assiste à deux interprétations d'un même verset du Coran sur les relations que les Musulmans doivent entretenir avec les autres religions. Dans un cas, c'est un appel au rapprochement et à la fraternité. Dans l'autre, c'est un cri de guerre et l'assurance qu'il est légal aux yeux de Dieu de répandre le sang des "infidèles". On comprend pourquoi il a été si difficile à Nurman Hakim de trouver des financement indonésiens pour faire son film : aborder frontalement la religion reste là-bas éminemment tabou. Pourtant, les héros du film sont des ados comme les autres qui fument en cachette et font le mur de leur internat religieux dès qu'ils en ont l'occasion... Tout en servant intelligemment de toile de fond au récit, les questions liturgiques passent au second plan de leurs préoccupations, et cette insouciance suffit pour mettre en garde contre toute chasse aux sorcières systématique dès lors qu'il s'agit de religion.

Secret défense : hymne à l’insécurité

Posté par MpM, le 8 décembre 2008

secret defense film
"Un agent n’est pas un être humain, c’est une arme."

L’histoire : Les destins parallèles d’une étudiante (Vahina Giocante) recrutée par les services secrets français et d’un dealer qui se laisse prendre aux sirènes du terrorisme.

Ce que l'on en pense : Sur l’air d’"On vous cache tout, on ne vous dit rien", Philippe Haïm s’essaye au film d’espionnage à l’américaine, c’est-à-dire nerveux, haletant et spectaculaire. Hélas, la succession de scènes ultra-courtes et le morcellement artificiel de l’intrigue ne permettent pas au récit de s’installer. La musique tonitruante et répétitive tente de palier l’absence de rythme mais parvient surtout à casser les oreilles du spectateur. Clinquant, moderne… et surtout sans aucune personnalité.

Ce n’est guère mieux du côté du propos qui, sous couvert de dénoncer les méthodes détestables des terroristes et des services secrets (en vrac, car le film assimile les deux), distille angoisse et paranoïa, théorie du complot et insécurité latente. Non seulement les autorités ne font rien pour lutter contre l’attentat chimique fomenté par une poignée d’extrémistes religieux, mais en plus la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) est constituée d’une bande d’incapables et de salauds. Du coup, on ne comprend pas bien par quel miracle les méchants poseurs de bombe échouent… mais il faut reconnaître que les retournements de situation de rigueur achèvent de tout embrouiller.

Enfin, on reste circonspect devant le traitement des relations entre religion et terrorisme. L’intolérance du personnage interprété par Gérard Lanvin place le spectateur face à lui-même et crée une certaine ambivalence : on est choqué par le comportement de son personnage de directeur du contre-terrorisme de la DGSE (qui persécute l’un de ses agents car il est musulman pratiquant) mais on est également gêné d'assister à une manifestation religieuse ostentatoire dans une administration d’état laïque. Du coup, on est gêné d’être gêné. Cela semble d’ailleurs être également le cas du réalisateur, qui se dédouane en organisant un dialogue édifiant de didactisme entre un croyant fanatique et un musulman modéré. Bilan de la conversation : il y a moins de point commun entre ces deux hommes qu’entre un Musulman et un Athée. Réaffirmer ce genre de principe essentiel semble partir d’un bon sentiment, mais la question est de savoir si l’on en avait vraiment besoin…