Le marathon d’écriture du court métrage est traditionnellement l’un des temps fort du festival de Bourges. Cette année, les participants devaient plancher sur le sujet relativement ouvert proposé par Gilles Marchand :
“Bom bom bom… Sonia ouvre un œil. Il fait nuit noire. Elle a entendu frapper des coups contre une porte. Elle allume et tend l’oreille. Bom bom bom… C’est à sa porte qu’on frappe au milieu de la nuit. Elle enfile comme elle peut un pantalon qui traîne et va dans l’entrée. Bom bom bom… Sonia regarde par le judas.
Le palier est plongé dans l’ombre, mais elle distingue debout devant sa porte un petit garçon. Sonia se demande un instant si elle est bien réveillée. Elle regarde à nouveau par l’œilleton. Le petit garçon est là. Il jette des coups d’œil inquiets derrière lui.
Sonia entrouvre la porte. L’enfant vient se serrer contre elle, le regard suppliant. Il pointe un doigt tremblant vers la porte grande ouverte de l’appartement d’en face. Il n’y a aucune lumière mais Sonia aperçoit… “.
Jeudi, peu avant 12h à Michel de Bourges, quelques marathoniens sortis en avance attendent devant le bâtiment. Par les fenêtres on peut encore voir leurs camarades rédiger les dernières lignes de leurs scénarios. Des tables d’école, de jeunes participants exténués... la notion de concours se fait très vite ressentir.
Bruno Oré, un des 26 marathoniens de cette 14e édition, discute avec deux autres participants. Marqué par la fatigue, il ne peut pourtant pas s’empêcher d'expliquer à quel point l’expérience du marathon lui a plu.
Que représente pour toi le festival de Bourges ?
Bruno Oré : Le festival est une occasion rêvée pour un jeune scénariste de rencontrer des professionnels. C’est vrai qu’on n’a pas forcément l’habitude dans ce cadre là de sortir en dehors du bureau donc tout ça s’organise plus comme un forum. Les gens sont vraiment là pour nous écouter, nous consacrer du temps. Ce qui est intéressant justement, c’est cette rencontre entre la jeune génération (qui n’a pas encore vraiment ses bases) et les professionnels qui sont à l’écoute, avides de nouvelles idées. Tout le monde est ici pour accorder de l’importance à cette passion qu’est l’écriture, ce qui est très revitalisant.
C’est tout l’intérêt de ce festival: tout le monde ici est là pour débattre sur des projets pas encore aboutis, qui sont en train de se faire, et c’est ça qui est excitant. Tout se joue là. C’est un accompagnement. Les gens sont très ouverts et sont là pour ça.
Que penses-tu du marathon de scénario ?
BO : A la base, je trouve que c’est une idée formidable. C’est quand même 48 heures sur un sujet imposé. Mais en dehors de ça, c’est un très bon exercice. Ce n’est pas forcément évident avec l’horloge qui tourne, d’ailleurs je ne te cache pas que ça fait 36 heures que je n’ai pas dormi (rires). Je reste très content du travail qui a été fait, un travail très prenant, très fatiguant, mais qui demeure passionnant. C’est tout l’intérêt de ce marathon : le dépassement de soi.
C’est une expérience assez intense tout de même?
BO : En effet. C’est un marathon avec des prix à la clé, et ce qui reste fascinant, c’est que les marathoniens vont très vite nouer une certaine amitié. Nous sommes tous confrontés au même problème. Et ce qui reste intéressant dans le marathon, c’est cette idée de communion autour d’une passion commune. Et dans la difficulté de l’épreuve on a plutôt tendance à se rapprocher plutôt qu’à être compétitifs.
C’est surprenant car lorsqu’on vous voit dans cette classe comme à un exame , on a plutôt l’impression qu’il y a une certaine tension qui règne entre vous.
BO : Ca a l’air très scolaire en effet. Après on s’accorde quelques pauses, on prend le temps de discuter avec les autres, on s’échange des idées. Il y a une certaine solidarité entre les marathoniens, qui est vraiment forte. Mais ce qui est fascinant, c’est que sur un même sujet commun, tout le monde va partir dans des directions différentes, selon les univers de chacun.
Des réactions à la lecture du sujet?
BO : Tout de suite on se retrouve immergé dans la notion de genre, qui est cette année le thème du festival, et caractéristique de la carrière du président du Grand Jury, Gilles Marchand. On nous a délibérément poussés à exploiter nos propre univers, d’essayer de construire quelque chose qui nous appartienne. Même si le sujet semble nous amener d’emblée vers un thriller, au final il y a eu un peu de tout, et surtout, contrairement à ce qu’on croit, beaucoup de comédies.
Un sujet difficile ou passionnant?
BO : La première journée a été très dure dans le sens ou j’ai essayé de me détacher assez vite de la notion d’horreur. Une histoire qui se déroule dans la nuit, un enfant apeuré....se détacher de ça pour aller vers un genre qui me correspondait plus, c’était là toute la difficulté. Et l’intérêt de ce marathon c’est que tout va vite: ce qu’on fait habituellement en un mois, là on doit le faire en 48 heures. On a des retour de professionnels, des avis très critiques, et des parrains qui nous permettent de bien faire avancer le projet. En soi, j’ai trouvé que c’était une bonne expérience.
Lorsque tu écris, quelle étape du scénario trouves-tu la plus difficile?
BO : Ca dépend des personnes, mais pour ma part, j’ai beaucoup de difficulté avec la continuité dialoguée alors que le synopsis et la structure reflètent l’idée de départ et se construisent rapidement, surtout pour moi qui accorde énormément d’importance au visuel, à créer des scènes et faire jouer mes personnages dans des situations clés.
Et la plus intéressante?
BO : La structure, sans aucun doute, surtout au sein d’un court métrage où la chute doit pimenter toute l’histoire. On a quand même un nombre de pages imposé, à savoir 10 pages, donc on doit rester concis. Mais je trouve aussi intéressant de trouver l’idée. Celle qui va faire naître l’intrigue. C’est vraiment cette étape qui m’excite. On ne sait pas encore où on va, mais on sent qu’il y a quelque chose à exploiter. On se dit toujours qu’il y a des idées autour de nous, et si on arrive à bien les capturer, ça donnera quelque chose de magnifique.
Tu parle beaucoup de la notion de "chute". Ce que tu aimes avant tout, c’est donc surprendre ton lecteur?
BO : J’adore ça. C’est peut-être dû au fait que j’ai grandi avec des séries comme la 4e dimension, où les chutes sont très impressionnantes, et c’est quelque chose d’assez viscéral. Mais c’est vrai qu’en court métrage la chute est plus difficile que sur un long.
Tu préfère alors l’écriture d’un court métrage ou d’un long métrage?
BO : J’ai déjà fait les deux. Mais je garde une préférence pour le long métrage. Dans le court métrage, il faut introduire les choses vite. Moi qui aime bien creuser mes personnages, pour le coup, j’ai plus l’occasion de le faire sur un long métrage. On a dès lors plus de champ d’action, plus de temps.
Yanne Yager