Près d’un milliard d’entrées au box office européen en 2016

Posté par vincy, le 16 mai 2017

Le cinéma en Europe est en forme. C’est moins le cas du cinéma européen. Comme tous les ans avant Cannes, l’Observatoire européen de l’audiovisuel dévoile les chiffres officiels de l’année précédente, soit la fréquentation et les recettes de l’année 2016.

En 2016 dans l’Union européenne (UE), les recettes brutes des salles ont légèrement baissé à 7,04 milliards d’€, alors que la fréquentation a atteint 991 millions de billets vendus, son plus haut niveau depuis 2004. Ce sont les films familiaux (et animés) Comme des bêtes et Le monde de Dory qui ont dominé les classements de l’UE.

Cependant, la part de marché des films européens a légèrement reculé à 26,7 % alors que la production est en hausse avec 1 740 longs métrages.

La fréquentation proche du milliard d’entrées

991 millions de billets de cinéma ont été vendus dans les 28 États membres de l’UE en 2016 selon les estimations de l’OEA, soit 13,3 millions de plus qu’en 2015.
Les marchés en croissance sont la République Slovaque (+22,8%), la Roumanie (+16,7%), la Pologne (+16,6%), la Hongrie (+12,3%), la Slovénie (+11,6%), la Lituanie (+10,1%), la Croatie (+9,1%), l’Estonie (+6,4%), la Lettonie (+6,2%), l’Espagne qui semble avoir inversé sa courbe déclinante depuis la crise financière (+6,1%). Hors UE, la Russie, la Norvège et la Géorgie affichent une insolente santé. Les marchés allemand (-13%) et belge (-8,2%) ont en revanche soufferts, tout comme le marché Suisse (-6,7%)..
Sur les 38 pays européens (y compris hors UE), la France reste leader avec 212,7 millions de spectateurs devant la Russie, le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Turquie et la Pologne. Notons au passage qu’il y a désormais plus d’entrées au cinéma en République Tchèque qu’en Autriche et au Portugal.

Des recettes en baisse mais à un niveau toujours très haut

Malgré cette croissance soutenue, les recettes brutes des salles cumulées ont baissé de 2,3 % par rapport au record de 2015 avec 7,04 milliards d’€. En cause : la baisse du prix moyen du billet dans certains marchés comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique, ainsi que la diminution des recettes brutes des salles en Allemagne et, amplifiée par la dépréciation de la livre sterling, celles au Royaume-Uni.

Cependant, les recettes brutes des salles ont augmenté fortement en France, en Pologne (+17,6 %), en République tchèque (+20,5 %) et en République slovaque (+22,3 %). Ce qui ne compense pas la baisse enregistrée en Allemagne (-12,3 %) ou en Belgique (-10,9 %).

Le prix moyen du billet dans l’UE a ainsi diminué pour la première fois au cours des cinq dernières années, passant de 7,4 € à 7,1 €.

Hors UE, les recettes brutes des salles en Fédération de Russie ont augmenté de 7,4 % à 47,5 milliards de roubles grâce à la reprise de la hausse de la fréquentation des cinémas (194,7 millions de billets vendus), confirmant ainsi sa position de deuxième plus grand marché européen en termes d’entrées, toujours après la France. Malgré une légère diminution de la fréquentation, les recettes brutes des salles ont également continué à augmenter en Turquie pour atteindre leur niveau le plus élevé des dernières décennies (+1,5 %).

Une domination hollywoodienne irrésistible

Les films d’animation familiaux Comme des bêtes et Le monde Dory se sont placés en tête des classements de l’Union européenne en 2016. Assez logiquement ce sont deux films consensuels hollywoodiens qui ont su fédérer tous les publics. L’année 2016 a d’ailleurs permis de redonner un bol d’air aux studios américains (en 2015, trois films avec plus 38 millions de tickets avaient écrasé le marché). Si cette année, aucun film ne franchit les 30 millions de spectateurs, beaucoup plus de titres ont su attirer un vaste public.

Les films d’animation familiaux sont les grands vainqueurs de l’année avec 8 titres parmi les 20 champions du box office : Zootopia (22,3 millions d’entrées), Le livre de la jungle (20,5 millions) et L’âge de glace: les Lois de l'Univers (15,5 millions) en tête. De même on remarque la forte présence des franchises avec 15 films parmi les 20 films les plus populaires dont Les animaux fantastiques (23,4 millions d’entrées), Rogue One, spin off de Star Wars sorti à la fin de l’année (21,7 millions), Deadpool (19,8 millions) et Suicide Squad (16,7 millions). Disney et ses filiales règnent en maître ici comme ailleurs. D’autant que le studio de Mickey classe un Captain America, Star Wars : le réveil de la force (sorti en 2015) et Vaiana, soit un total de 9 films, loin devant Warner Bros qui n’en classe que trois. Un seul film d’auteur sauve la face de cette industrialisation, The Revenant avec 19 millions de spectateurs.

Les films européens à la ramasse

Bridget Jones’s Baby est devenu le plus grand succès cinématographique européen avec 16,3 millions de billets vendus dans l’UE en 2016. C’est d’ailleurs le seul film européen à avoir réellement transcendé les frontières, aidé par un personnage populaire et les succès des épisodes précédents. La comédie italienne Quo vado? (9,5 millions de billets) est le seul autre film européen à se classer parmi les 20 films les plus populaires, profitant de son immense succès dans son pays. Aucun autre film européen n’ayant réussi à vendre plus de 5 millions de billets dans l’UE en 2016. Et ce ne sont pas les deux coproductions américano-européennes (Les animaux fantastiques, Inferno) qui amélioreront ce constat.

Par conséquent, la part de marché des films américains, estimée de 67,4 % en 2016, contre 63,1 % l’année précédente, fait mécaniquement chuté la part de marché des films européens. Et ce, qu’ils soient produits en Europe avec des capitaux américains (de 7,1 % à 3,6 %) ou purement européens (de 27,0 % à environ 26,7 %, soit le deuxième niveau le plus bas des cinq dernières années).

Il y a quelques exceptions pour les parts de marchés des films nationaux : en Turquie (53,4%), France (35,3 %), au Royaume Uni (34,9%), en République tchèque (29,5 %), en Italie (29,1 %) et en Finlande (28,9 %). Et il y a des pays où les films locaux représentent moins de 5% de parts de marché : Autriche, Bulgarie, Croatie, Hongrie, Irlande, Portugal et Roumanie.

7 productions et coproductions françaises

La France reste la championne au niveau européen avec 6 films dans le Top 20 européen (dont un seul qui n’est pas une comédie, Chocolat), en plus d’une coproduction franco-belge. Les quatre films britanniques ont tous été soutenus par des studios ou producteurs américains, preuve de la dépendance du cinéma anglais. L’Allemagne classe trois films, l’Italie deux, la Pologne et une coproduction nordique un chacun et l’Espagne s’offre un Almodovar toujours populaire (2,1 millions de fans) et une coprod US familiale, A Monsters calls.
Il faut constater que le problème provient de la diffusion du cinéma européen. Sur les 9 films ni français ni américano-britanniques, cinq ne sont jamais sortis en France.

Toujours plus de films

Les niveaux de production de l’UE ont de nouveau enregistré une légère hausse, confirmant la tendance à la croissance de ces dernières années. On est passé de 1 663 à 1 740 longs métrages produits en 2016 (+4,7 % par rapport à 2015), soit un nouveau record : sont 65 % de fictions et 35% de documentaires.

Cannes 70 : Derrière le rideau de Saint-Saëns avec Thierry Frémaux

Posté par cannes70, le 15 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-3. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Pendant que j’écris cette phrase, j’entends les premières notes du morceau Aquarium, qui fait partie de la suite musicale du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. J’ai l’impression d’être à nouveau assis dans un fauteuil devant l’écran cannois : nous sommes dans un paysage sous-marin et commençons à monter les marches, couvertes d’un tapis rouge. Nous sortons de l’eau pour nous envoler jusqu’à l’espace extérieur, entourés par les étoiles. Une légende sous le dessin d’une palme d’or : Festival de Cannes. Le public commence à applaudir. Le film commence.

La route du film commence ainsi. Cannes est la plus grande vitrine du monde cinématographique et un bon ou un mauvais accueil de la presse peut jouer un rôle essentiel sur la continuation de la vie de ce film : une ovation de plusieurs minutes de la part de la presse pourrait lui ouvrir les portes des pays du monde entier, un prix pourrait le consacrer à jamais, même avant de sortir dans les salles commerciales. C’est ainsi que fonctionne le Festival de Cannes : les critiques et les professionnels du cinéma du monde entier se sont donnés rendez-vous pour dessiner les lignes générales de l’année cinématographique qui va suivre. Tout sera dit à la fin, un portrait-robot de ce qui est censé être le cinéma d’aujourd’hui sera affiché à l’issue du Festival. Est-ce que cela est juste ? Ça, c’est un autre débat.

Les réalisateurs et producteurs du monde entier s’apprêtent à faire de leur mieux afin de pouvoir insérer le si envié logo de la palme, Festival de Cannes, dans le générique de leurs longs métrages. Mille huit-cents soixante-neuf films ont été présentés lors de la 69e édition, en 2016. Seulement une soixantaine figureront dans la sélection officielle, plus de 1800 films seront refusés et au fur et à mesure que le jour de l’annonce de la sélection approche, la pression va augmenter. La passion animée par le désir de réussite coûte que coûte (est-ce plutôt l’inverse ?) monte à son apogée le jour de l’annonce. Quel est le vrai enjeu ? S’agit-il d’une question purement liée à la distribution du film ? Une question financière à un niveau plus vaste ? Politique ? Juste l’étincelle d’une vanité non avouée ?

Pourquoi choisir un film et pas un autre ?

Thierry Frémaux assume la subjectivité du choix. Il évoque ainsi la difficulté de réaliser une sélection de films pour un festival tel que Cannes quand cette logique s’impose : “Une bonne sélection, c’est grâce aux films ; une mauvaise sélection, c’est à cause du sélectionneur”. Comment dire non à tous ceux qui misent toutes leurs espérances de réussite pour leur film dans l’inscription à un festival, LE Festival ?

Deux cas opposés sont évoqués par Frémaux dans son livre, Sélection officielle publié aux éditions Grasset au mois de janvier dernier. D’un côté, The Last Face de Sean Penn (2016) et de l’autre, le nouveau projet, toujours inédit, d’Emir Kusturica. Le film de Sean Penn fut présenté en compétition en 2016 et reçut un accueil désastreux : le film fut hué et moqué lors de la projection presse.

Le délégué général montra ses réserves par rapport à la première version qu’il vit de ce film et rendit visite à Penn à Los Angeles pour lui proposer de faire quelques modifications dans le montage de son film afin qu’il fût prêt pour le Festival. Le réalisateur aurait promis à Frémaux de faire de son mieux en lui assurant qu’il serait remanié avec succès lors de la première du Festival. Frémaux fit confiance à Penn et l’invita directement en compétition.

Ceci est un exemple de comment faire partie de la compétition peut faire du mal à un film qui resterait trop faible face aux regards malveillants. C’est ainsi que Sean Penn monta les marches avec son équipe l’année dernière, ayant déjà pris connaissance des dures critiques contre lui et contre les critères de sélection du Festival. Frémaux se défend des reproches qui lui sont faits en tant que responsable de la programmation de la sélection officielle : “quand vient l’heure du bilan, chacun reconstruit la compétition à posteriori - il est aisé de faire une sélection idéale en fonction d’un accueil connu entre-temps”. C’est ainsi que l’équipe de Frémaux aurait proposé plusieurs fois l’idée de faire en sorte que les séances presse et gala se déroulent simultanément afin que les artistes n’aient plus à monter les marches après avoir lu un éventuel mauvais accueil fait par la critique.

D’un autre côté, quelques semaines avant l’annonce de la sélection officielle, Emir Kusturica aurait invité son ami Thierry Frémaux à voir une ébauche de son nouveau projet, dont il n’avait monté que dix minutes. Ce dernier aurait trouvé l’idée intéressante mais, le film n’étant toujours pas terminé, il ne pouvait pas l’inviter en compétition. Après avoir laissé un message téléphonique à sa productrice pour lui annoncer sa décision, Kusturica aurait répondu avec un texto direct et concis : « You are not my friend anymore ! Emir ».

Quand est-ce que le film est terminé ?

Sélection officielle constitue une sorte de journal d’une intimité rédigée, qui nous permet d’accompagner le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, le long d’une année qui commence pour lui le 25 mai 2015 et s'achève le 22 mai 2016. Du premier jour qui suit le festival 2015 jusqu’au dernier jour de l’édition de 2016, nous suivons le quotidien de Frémaux en tant que délégué général mais aussi en tant que directeur de l’Institut Lumière de Lyon. Il est par ailleurs un des principaux ambassadeurs du patrimoine cinématographique et humain des frères Lumière autour du monde, coïncidence intéressante venant d’un homme qui joue actuellement le rôle de tête visible dans le festival de cinéma le plus important au monde.

D’ailleurs, Frémaux cite de manière très émouvante Henri Langlois, un des fondateurs de la Cinémathèque française, quand il parlait des frères Lumière en disant : « Il fut un temps où le cinéma sortait des arbres, jaillissait de la mer, où l’homme à la caméra magique s’arrêtait sur les places, entrait dans les cafés où tous les écrans offraient une fenêtre sur l’infini. Ce fut le temps des Lumière ».

Chez Lumière, il y avait la sagesse de l’humain qui regarde de manière instinctive dans le temps. La sagesse de l’enfant pour qui tout reste à venir, quand toutes les images sont encore possibles. Pendant que Frémaux se prépare à citer ce beau passage du journal de Jean Cocteau, j’arrive à la fin de mon article : « Il y a un moment de fatigue où les films n’entrent plus en nous. Une sorte de sommeil qui ne fait pas dormir, ressemble à celui des enfants qui n’écoutent plus le conte mais seulement le murmure de la voix de leur mère. Je suivais et je ne suivais pas ». Les images de cinéma défilent sans cesse dans notre cerveau pour hanter nos rêves les plus beaux, ainsi que nos cauchemars. La musique du Carnaval des animaux est terminée.

Miquel Escudero Diéguez de Critique-film

Cannes 2017: Isabelle Huppert et Maysaloun Hamoud, lauréates du 3e Women in Motion

Posté par vincy, le 15 mai 2017

Kering et le Festival de Cannes remettront le 3e Prix Women in Motion 2017 à Isabelle Huppert. L'actrice a choisi d'attribuer le Prix Jeunes Talents à Maysaloun Hamoud.

Les Prix seront décernés lors du dîner officiel Women in Motion le dimanche 21 mai 2017.

"Libre et audacieuse entre toutes, Isabelle Huppert a multiplié les prises de risque artistique, et joué auprès des plus grands pour imposer son style dans les registres les plus variés, allant du drame à la comédie. Faisant bouger les lignes à travers les rôles forts et loin de tout stéréotype qu’elle interprète depuis ses débuts, qu’elle soit dirigée par des réalisateurs mythiques ou par une nouvelle génération de créatrices et créateurs brillants, Isabelle Huppert est l’une des figures les plus inspirantes du monde du cinéma" explique le communiqué. Par ailleurs, Kering, partenaire officiel du Festival, a choisi un portrait d’Isabelle Huppert pour l’affiche officielle de la 3e édition de Women in Motion.

Et pour conforter l'image de cette comédienne qui multiplie les sélections cannoises années après années (pour cette édition 2017, Huppert est présente deux fois en sélection officielle), il suffit de voir son choix pour le Prix Jeunes Talents. La jeune réalisatrice et scénariste palestinienne Maysaloun Hamoud a réalisé en 2016 Je danserai si je veux (Bar Bahar), à l'affiche en France depuis un mois. Le film avait déjà été récompensé par le Prix NETPAC (Network for the Promotion of Asian Cinema) au 41e Festival International du Film de Toronto et trois récompenses au 64e Festival de San Sebastian : le Prix Sebastiane, le Prix L’Autre Regard et le Prix de la Jeunesse.

Ce premier long-métrage suit le quotidien de trois jeunes femmes palestiniennes vivant à Tel Aviv, partagées entre leur désir d’indépendance et les traditions familiales. "Ce film remarqué dans les Festivals du monde entier a été produit par Shlomi Elkabetz dont la soeur, la grande scénariste, réalisatrice et actrice Ronit Elkabetz, disparue l'année dernière, a marqué de son empreinte le cinéma israélien" rappelle le communiqué.

Le Prix Jeunes Talents, accompagné d’un soutien financier de 50 000 euros, permettra à Maysaloun Hamoud de poursuivre ses projets cinématographiques.

Un partenariat avec Unifrance

Isabelle Huppert et Maysaloun Hamoud rejoignent ainsi les personnalités mises à l’honneur lors des éditions précédentes de Women in Motion. En 2016, Geena Davis et Susan Sarandon, les deux actrices américaines de Thelma et Louise particulièrement engagées dans la défense des droits des femmes, avaient ainsi reçu le Prix Women in Motion, avant de mettre à l’honneur les trois jeunes réalisatrices Leyla Bouzid, Gaya Jiji et Ida Panahandeh. Cinq femmes de talent qui succédaient à l’actrice mythique Jane Fonda et à la productrice Megan Ellison, récipiendaires de la première édition.

Lancé en 2015, Women in Motion continuera cette année à organiser des Talks ouverts aux journalistes et aux professionnels du cinéma permettront de confronter les expériences et les points de vue de grandes personnalités autour de la question de la contribution des femmes au cinéma, et de partager leurs recommandations pour faire avancer leur représentation au sein de ce secteur.

Cette année, Kering et Unifrance se sont associés pour accélérer le déploiement de Women in Motion et assurer sa présence dans les festivals à l’étranger. Un partenariat de deux ans a été signé pour accroître la portée du programme et l’inscrire dans des manifestations cinématographiques internationales.

Cannes 70 : quelle place pour les femmes sur la croisette ?

Posté par cannes70, le 14 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-4. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


C'est un peu la tarte à la crème des polémiques cannoises, la (vaste) question des femmes sur la Croisette. Les éléments, tout le monde les connaît : une seule femme palmée en 69 éditions (mais deux fois, puisque Jane Campion est la seule à avoir réussi le doublé Palme d'or du court et du long métrage), un nombre très faible de réalisatrices sélectionnées en compétition lors de certaines éditions récentes (2 en 2014, 1 en 2013, aucune en 2012), et en gros l'impression que les choses "sérieuses" (la réalisation et l'écriture) sont réservées aux hommes tandis que les femmes sont cantonnées dans le domaine glamour des montées des marches et de la présentation des cérémonies d'ouverture et de clôture.

D'accord, des études le rappellent régulièrement, il est plus difficile pour une femme de vivre de son travail de scénariste et / ou de se voir confier des budgets importants. Moins de films réalisés par des femmes sortent chaque année (moins d'un quart des réalisateurs de longs métrages français sont des femmes, moins de 20% à l'échelle européenne d'après une grande enquête menée en 2014), surtout si on regarde à l'échelle du cinéma mondial. L'offre est donc par définition moins large, et le problème existe en amont de Cannes.

Mauvais bilan


Pourtant, impossible de ne pas remarquer que Cannes est le festival européen d'envergure qui a le plus mauvais "bilan", notamment en terme de reconnaissance des réalisatrices. Rien que ces quinze dernières années, on compte ainsi trois femmes lauréates d'un Ours d'or (Ildikó Enyedi, Claudia Llosa et Jasmila Žbani), deux lauréates d'un lion d'or (Sofia Coppola et Mira Nair), et cinq réalisatrices couronnées d'un Léopard d'or (Ralitza Petrova, Milagros Mumenthaler, Xiaolu Guo, Andrea Staka et Sabiha Sumar). C'est loin d'être parfait, mais c'est toujours mieux que Cannes dont le compteur est bloqué à une dans toute son histoire (et en plus c'était en 1993, soit il y a presque 25 ans).

Malgré tout, on se doit de relativiser : peut-être y-a-t-il tout simplement beaucoup plus de femmes en compétition dans ces autres festivals internationaux ? En fait... pas vraiment. A Berlin, 4 en 2014 (2 à Cannes), 3 en 2015 (2 à Cannes), 2 en 2016 (3 à Cannes), 4 en 2017 (3 à Cannes). A Venise, 2 chaque année depuis 2014. A Locarno, 2 en 2014, 3 en 2015, 6 en 2016. On est très loin d'un début de parité, dans tous les cas. Et on vous passe les plus mauvaises années.

Un palmarès pas folichon


Autre début d'explication: peut-être que la palme d'or est l'arbre trop voyant qui cache la forêt de prix décernés à des femmes ? Après vérification... pas vraiment. Petit calcul rapide. En 69 édition, les réalisatrices en compétition officielle ont récolté :
- trois grands prix :  Journal à mes enfants de Márta Mészáros (1984), La forêt de Mogari de Naomi Kawase (2007), Les merveilles d'Alice Rohrwacher (2014)
- un prix de mise en scène : Récit des années de feu de Yuliya Solntseva (1961)
- un prix du scénario : Agnès Jaoui en 2004 pour Comme une image (avec Jean-Pierre Bacri)
- sept prix du jury : Samira Makhmalbaf en 2000 pour Le tableau noir et en 2003 pour A cinq heures de l'après-midi, Andrea Arnold pour Red road (2006), Fish tank (2009) et American honey (2016), Marjane Satrapi pour Persépolis (avec Vincent Paronnaud) en 2007, Maïwenn en 2011 pour Polisse.
A noter que deux comédiennes ont également obtenu ce fameux prix du jury un peu fourre-tout : Irma P. Hall pour The ladykillers (2004) et Catherine Deneuve pour Conte de Noël et l'ensemble de son oeuvre (tant qu'on y est) en 2008.

Si on s'autorise un peu de mauvais esprit, on constate qu'il y a eu plus de prix du jury attribués à des femmes que tous les autres prix confondus (hors prix d'interprétation, évidemment). Mais c'est bien sûr une coïncidence s'il s'agit du prix le moins prestigieux, pensé comme une sorte "d'encouragement" (entre parenthèse, Andrea Arnold doit commencer à se sentir assez encouragée, là, merci).

Et les jurys, dans tout ça ?


Mais si elles sont si mal récompensées, serait-ce parce que les femmes figurent peu dans les jurys ? Oui et non. Par exemple, la première présidente du jury fut Olivia de Havilland en 1965, suivie de Sophia Loren en 1966. À l'époque les femmes réalisatrices ne sont pas pléthores. La première à prendre la tête du jury officiel est Liv Ulllan en 2001. Et encore porte-t-elle les deux casquettes, cinéaste et actrice. Devinez qui fut la première réalisatrice non comédienne appelée à cette haute fonction ? Jane Campion, aka l'éternelle caution féministe de Cannes. En 1979, l'écrivaine Francoise Sagan occupe le poste prestigieux... mais ce sera la seule. Finalement, sur les 69 édition, on en est à... 11 présidentes. En revanche, depuis plusieurs années, le Festival fait attention à choisir des jurys paritaires. Ont été membres du jury (outre de nombreuses comédiennes) les cinéastes Sofia Coppola (2014), Naomi Kawase et Lynne Ramsay (2013), Andrea Arnold (2012), Marjane Satrapi (2008), Lucrecia Martel (2006), Agnès Varda (2005), Moufida Tlati (2001), Nicole Garcia (2000), Doris Dorrie (1999), Nana Djordjadze (1992)... Plus on remonte dans le temps, moins on en trouve. Mais il faut néanmoins mentionner la présence de quelques écrivaines, journalistes et productrices, tout de même.

Par contre, si on regarde du côté des autres jurys, rien que dans les années 2010, on trouve six présidentes cinéastes : Naomi Kawase (Cinéfondation et courts métrages, en 2016), Catherine Corsini (Caméra d'or, 2016), Nicole Garcia (Caméra d'or, 2014), Agnès Varda (Caméra d'or, 2013), Jane Campion (Cinéfondation et courts métrages, 2013), Claire Denis (Un Certain regard, 2010) et neuf "simples membres" cinéastes : Jessica Hausner (Un Certain regard, 2016), Delphine Gleize (Caméra d'or, 2015), Héléna Klotz (Caméra d'or, 2014), Noémie Lvovsky (Cinéfondation et courts métrages, 2014), Daniela Thomas (Cinéfondation et courts métrages, 2014), Isabel Coixet (Caméra d'or, 2013), Maji Da-Abdi (Cinéfondation et courts métrages, 2013), Tonie Marshall (Un Certain regard, 2012), Jessica Hausner (Cinéfondation et courts métrages, 2011). D'accord, certains noms reviennent. Mais on est déjà beaucoup plus près d'une véritable parité. Le constat pourrait donc être que lorsqu'on cherche les femmes à Cannes, il vaut mieux regarder ailleurs qu'en compétition.

Quoi que. Même dans les sections parallèles, tout reste lent. S'il y a 5 films réalisés par des femmes à Un Certain regard cette année, il n'y en avait que 3 en 2016, 3 en 2015, 6 en 2014. A la Semaine de la Critique, on compte 3 réalisatrices pour 4 réalisateurs cette année, mais 1 seule en 2016 et aucune l'année précédente. A la Quinzaine des réalisateurs, 7 sur 20 cette année, 5 en 2016, 3 en 2015. Il faudra encore quelques années pour voir si ce sont les "bonnes" années qui sont exceptionnelles ou si les "mauvaises" se raréfient.

Attention, futures cinéastes en vue


Le pire, c'est que la première sélection d'une réalisatrice en compétition à Cannes remonte à... 1947 (Paris 1900 de Nicole Vedrès). On ne peut pas dire que les choses évoluent très rapidement. Dans la compétition cannoise, en tout cas. Parce qu'ailleurs, heureusement, la situation est plus contrastée. Par exemple, les écoles de cinéma sont aujourd'hui pleines de jeunes femmes qui font jeu égal avec leurs collègues masculins. L'industrie du court métrage (bon indicateur des talents à venir) fait elle aussi la part belle aux réalisatrices. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il y a plus de femmes lauréates de la Palme d'or du court métrage que du long (six films récompensés entre 1986 et aujourd'hui, aucun auparavant) ou si la parité est mieux respectée dans les sélections de courts : cette année, 4 réalisatrices pour 6 réalisateurs à la Semaine de la Critique, égalité parfaite à la Quinzaine des Réalisateurs (5 de chaque), 7 réalisatrices (sur 16) à la Cinéfondation et 3 (sur 9) en sélection officielle.

Cela signifie qu'il existe déjà un vivier de jeunes réalisatrices que l'on devrait voir rapidement prendre position dans la prestigieuse compétition cannoise. On attend maintenant sur le tapis rouge des talents révélés à Cannes les années précédentes comme Julia Ducournau, Deniz Gamze Ergüven, Or Sinaï, Houda Benyamina, Ida Panahandeh, Atsuko Hirayanagi,  Claire Burger et Marie Amachoukeli, Clio Barnard, Sandra Hirtt... Et on tient à disposition des différents comités de sélection une liste fournie de jeunes réalisatrices prometteuses à suivre. Si les choses ne changent toujours pas à court terme, on sera en droit de commencer à y voir un système volontairement excluant. Car pour le moment, on a plutôt le sentiment que Cannes est surtout le reflet d'une société où la sous-représentation des femmes à des postes-clef est si intégrée que plus personne n'y fait réellement attention. C'est lorsqu'on commence à y réfléchir avec une once de volontarisme que le problème apparaît.

Femmes sur grand écran


Toutefois, si l'on prend un peu de recul, on constate au fond que l'endroit le plus important où les femmes ont toute leur place, ce sont les films. Ces dernières années, on a rencontré régulièrement de beaux personnages féminins qui, à eux seuls, font plus pour la progression de l'égalité hommes-femmes que bien des discours ou des lois paritaires. Dans l'histoire récente de Cannes, les film, ont même souvent eu des femmes pour personnages principaux. Et pas n'importe quelles femmes !

Impossible de les mentionner toutes, mais citons la résistante inflexible face à des promoteurs immobiliers sans scrupule dans Aquarius (Kleber Mendoça Filho, 2016), les guerrières manipulatrices de Mademoiselle (Park Chan-wook, 2016), la ninja mélancolique de The assassin (Hou Hsiao-hsien, 2015), le couple lesbien de Carol de Todd Haynes (2015) et celui de La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche (2013), les mères étonnement fortes et volontaires de Leonera de Pablo Trapero, d'une Famille brésilienne de Walter Salles et Daniela Thomas et de The exchange de Clint Eastwood (2008)...

Plus généralement, l'air de rien, on a croisé des femmes médecins (La fille inconnue des frères Dardenne, 2016), des cheffes d'entreprise (Elle de Paul Verhoeven, 2016), des juges (La tête haute d'Emmanuelle Bercot, 2015), des réalisatrices (Mia madre de Nanni Moretti, 2015), des photographes de guerre (Louder than bombs de Joachim Trier, 2015), des pianistes virtuoses (Amour de Michael Haneke, 2012), des policières (Polisse de Maïwen, 2011)... Et cette année, on verra même une astro-physicienne dans Les fantômes d’Ismaël d'Arnaud Desplechin. On a tout de même fait un peu de progrès depuis le personnage typique de "petite amie" ou de "mère" du héros.

D'autres beaux personnages féminins ont évidemment marqué l'histoire de Cannes depuis ses origines. Gilda dans le film éponyme de George Cukor (1948), femme libre à la sensualité exacerbée que ses amants ne parviennent pas à dompter  ; La cucaracha, pasionaria de la révolution mexicaine interprétée par Maria Felix, comédienne habituée aux rôles hauts en couleurs, dans le film d'Ismael Rodriguez (La cucaracha, 1959) ; la funambule Elvira Madigan, elle aussi éprise de liberté et d'absolu, sous les traits de Pia Degermark (Elvira Madigan de Bo Widerberg, 1967) ; la danseuse Isadora Duncan (Vanessa Redgrave) à l'impressionnante liberté de caractère est saisie devant la caméra de Karel Reisz qui capture l'audace de ses compositions chorégraphiques (Isadora, 1969) ; Alice, emblème des revendications et aspirations féminines dans Alice n'est plus ici de Martin Scorsese (1974) ; la soixantenaire amoureuse et peu soucieuse du qu'en dira-t-on dans Tous les autres s'appellent Ali de de Rainer Werner Fassbinder (1974) ; Yang Huizhen, la valeureuse guerrière prête à tout pour venger la mort de son père dans A touch of zen de King Hu (1975) ; la révolutionnaire, journaliste et théoricienne Rosa Luxemburg chez Margarethe von Trotta (Rosa Luxemburg, 1986) ; Rosetta, la jeune ouvrière en lutte pour retrouver un emploi à tout prix (Rosetta des frères Dardenne, 1999)...

Et au fond, puisqu'il faut bien commencer quelque part, reconnaissons que la présence de ces personnages féminins loin des sentiers battus est un excellent début pour parler de parité. On ne juge jamais un film sur le genre de son auteur, et ce serait un contre-sens de penser qu'une jurée a des goûts diamétralement opposés à ceux d'un juré. En art, il n'y a que des sensibilités variées, diverses et multiples, propres à chaque individu et non standardisées en fonction d'un genre ou d'une origine.

En revanche, ce qui reste d'un festival comme Cannes, ce que le grand public en voit et ce que l'Histoire en retient, ce sont les films, les sujets qu'ils abordent et les personnages qu'ils mettent en avant. C'est donc le point essentiel pour faire évoluer les mentalités. Et à force de voir ces personnages féminins forts, volontaires, brillants et tout simplement dignes d'intérêt sur grand écran, cela contamine naturellement les représentations sociales et les stéréotypes de genre. Jusqu'à rendre possible, demain, la présence de dix réalisatrices en compétition pour la Palme d'or. Chiche ?

Marie-Pauline Mollaret pour Ecran Noir

Cannes 2017: les jurys d’Un certain regard, des Courts métrages et de la Cinéfondation et de la Caméra d’or enfin révélés

Posté par vincy, le 14 mai 2017

On s'inquiétait un peu. A trois jours du lancement du 70e Festival de Cannes, il manquait les membres de trois jurys majeurs. C'est chose faite en ce dimanche présidentiel.

"Après le Jury des films en compétition, présidé par Pedro Almodóvar et dont la composition a été révélée le 25 avril dernier", voici ceux qui seront aux côtés des présidents Uma Thurman (Un Certain Regard), Sandrine Kiberlain (Caméra d’Or) et Cristian Mungiu (Courts métrages et Cinéfondation).

Jury d'Un certain regard

Uma Thurman (présidente), actrice américaine ; Mohamed Diab, réalisateur égyptien ; Reda Kateb, acteur français ; Joachim Lafosse, réalisateur belge ; Karel Och, directeur artistique du Festival International de Karlovy Vary.

Jury des Courts métrages et de la Cinéfondation

Cristian Mungiu (président), réalisateur, scénariste et producteur roumain ; Clotilde Hesme, actrice française ; Barry Jenkins, réalisateur et scénariste américain (oscarisé avec Moonlight) ; Eric Khoo, réalisateur, scénariste, producteur singapourien ; Athina Rachel Tsangari, réalisatrice, scénariste et productrice grecque.

Jury de la Caméra d'or

Sandrine Kiberlain (présidente), actrice et chanteuse française : Patrick Blossier, chef opérateur français ; Elodie Bouchez, actrice française ; Guillaume Brac, réalisateur et producteur français ; Thibault Carterot, président de M141, société de Post-Production ; Fabien Gaffez, écrivain et critique de cinéma ; Michel Merkt, président suisse.

Jackie Chan et Sylvester Stallone font équipe

Posté par redaction, le 14 mai 2017

Jackie Chan et Sylvester Stallone, c'est un peu la rencontre entre les gros muscles hollywoodiens et le champion de kung-fu chinois. Un duo inédit et, dans le genre, unique. Ils partageront l'affiche de Ex-Baghdad, un thriller d'action qui sera réalisé par l'ancien cascadeur Scott Waugh (et réalisateur de Need for Speed). Ce gros budget (80M$ selon Variety) destiné à cartonner à l'international plus qu'aux USA sera l'une des plus grosses productions américano-chinoises.

L'arrivée de Stallone survient alors que l'acteur a décidé récemment de quitter la franchise The Expendables.

Le script a été écrit par Arash Amel (Grace de Monaco).
L'histoire de Ex-Baghdad prend place autour d'une raffinerie chinoise à Mossoul en Irak. Jackie Chan incarne un entrepreneur d'une agence de sécuirté privée, appelé à la rescousse pour sauver les employés. Il apprend entre temps que les preneurs d'otage veulent en fait voler le pétrole et décide alors de faire équipe avec un ancien Marine américain, logiquement interprété par Sylvester Stallone.

La sortie du film est planifiée pour 2019.

Sylvester Stallone est actuellement à l'affiche des Gardiens de la galaxie 2, un an après le succès de Creed: L'héritage de Rocky Balboa, le dernier épisode de la franchise Rocky. Jackie Chan a connu un gros succès en Chine cet hiver avec Kung Fu Yoga où il a récolté 254M$. Son réalisateur, Stanley Tong, était venu présenté le film au dernier Festival du film fantastique de Bruxelles (lire notre rencontre avec le cinéaste).

Cannes 70 : Histoires d’A, une projection avortée

Posté par MpM, le 13 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-5. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


C'est une lutte de longue haleine qui fut menée pour accorder aux femmes le droit de disposer de leur corps en toute liberté. Au sein du combat pour le droit à l'avortement libre et gratuit, le film Histoires d'A tient une place majeure.

Au départ il existe un court-métrage Pathé réunissant les rushes d'un sujet d'actualité sur un avortement par aspiration pratiqué par Pierre Jouannet - l'un des fondateurs du Groupe Information Santé (GIS) - monté par Marielle Issartel. Il devient rapidement inexploitable car trop endommagé.

L'idée de tourner un autre court-métrage à ambition pédagogique et militante est lancée, toujours avec Marielle Issartel et avec son mari Charles Belmont, liés aux médecins militants de Secours Rouge depuis le tournage de Rak, une fiction sur le cancer avec Sami Frey et Lila Kedrova. Le court devient finalement un long-métrage dont le but premier est direct : montrer, sans détour, que «l'avortement est un acte simple et sans danger lorsqu'il est pratiqué dans de bonnes conditions».

Le 22 novembre 1973, Maurice Druon, alors ministre des Affaires Culturelles, en prononçait l'interdiction totale car il «comporte […] des images enregistrées d'un délit réellement commis et, en l'état de droit, sa diffusion constituerait une atteinte à l'ordre public». Hélène Fleckinger revient dans la revue Documentaires (édition 22-23, publiée en 2010) sur la genèse du film, ses déboires légaux et sa dimension désormais historique.

Ce documentaire engagé est également une œuvre de cinéma ambitieuse au niveau artistique – une rareté dans le cinéma militant – avec des images signées Philippe Rousselot, alors à ses débuts et devenu depuis l'un des plus grands directeurs de la photo de sa génération. Le film est tourné en noir et blanc, pour dédramatiser l'avortement et «introduire de la distance avec le sang».

Histoires d'A n'a pas été officiellement sélectionné à Cannes mais a néanmoins fait parler sur la Croisette, comme nous le raconte Marielle Issartel.


Comment Histoires d'A s'est retrouvé à Cannes ?

À Cannes, comme dans de nombreuses villes, il y avait ce qu'on appelait des MLAC, des groupements de personnes ayant adhéré à la charte du Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception. C'est une association qui avait été créée en avril 1973 à la suite de l'action du GIS qui pratiquait des avortements selon la méthode Karman et avait voulu faire une action de désobéissance civile très spectaculaire, en affirmant «nous faisons des avortements selon une méthode facile, non dangereuse, et nous le faisons gratuitement», forçant le pouvoir en place face à un choix clair : sévir ou céder, c'est à dire être bafoué.

Pour ce Groupe Information Santé, nous avions tourné, Charles Belmont et moi, un film qui devait être au départ pédagogique avant de se développer et d'être interdit. Le MLAC regroupait un certain nombre d'organisations dont le Planning familial, central dans cette histoire parce qu'ils avaient eux déjà travaillé tout le pays, depuis une dizaine à une vingtaine d'années, sur les questions de maternité, de choix et de contraception et aidaient même lorsque c'était interdit.

Des MLAC, sur la base de cette action pro-avortement et contraception, se sont créées dans toute la France, notamment à Cannes. Le MLAC de Cannes a voulu organiser une projection pendant le Festival de Cannes 1974. Charles et moi, avec une autre amie du MLAC et la présidente du MLAC, Monique Antoine, nous avons trouvé un petit appartement à la Bocca, afin de participer à cette projection.


La projection a eu lieu où exactement ?

Elle n'a pas eu lieu ! Il ne faut pas oublier que ce film était totalement interdit, dans les salles, dans des projections privées, à l'exportation… complètement interdit… La seule façon de le voir qui n'aurait pas été interdite était de se réunir à 19 personnes dans ton salon pour dire «on se fait une projection familiale».

Donc, toutes les projections du MLAC étaient interdites et donnaient l'occasion de créer une situation de force – toujours dans la même idée de désobéissance civile – en prolongeant l'action de l'avortement. Soit la projection se passe bien et le pouvoir (au sens large) est bafoué, soit ils interviennent et ça relance encore plus le mouvement parce que la presse était pleine, tous les jours, d'actions du MLAC.

Nous, on prenait une bonne place avec Histoires d'A dans cette action parce que les MLAC imposaient une projection et ce film interdit, son sujet suscitaient beaucoup d'intérêt. Il y avait une véritable interaction entre le film et les militants au sens large qui devenaient véritablement militants de choses interdites. Ce qui est quand même un autre stade de militantisme.

La projection devait avoir lieu un soir, je crois, dans une salle de la ville, pas dans le palais du festival. Or, on apprend l'après-midi, quelques heures avant cette projection – qui n'était pas du tout liée au festival de Cannes - que des flics qui voulant interdire cette projection sont entrés dans une salle et ont commencé à taper sur les gens alors qu'ils étaient en train de regarder «benoîtement» un film sur le Vietnam [NDLR, Femmes au Vietnam] !

Des gens ont été blessés, quelqu'un a eu un bras cassé, et ça a ému quand même un peu les gens de Cannes officielle, forcément !. À ce moment-là, la SRF (Société des Réalisateurs de Films) qui n'avait pas levé un cil ou plutôt avait refusé de lever un cil quand le film avait été interdit en novembre 1973 au motif, selon le président d'alors Costa-Gavras, qu'il ne fallait pas soutenir Claude Nedjar, lequel était notre distributeur. Sans lui, rien n'aurait été possible, par l'argent qu'il a injecté et son soutien dans la lutte qui suivait l'interdiction du film. Je précise qu'avant on a fait le film sans lui, il était juste le distributeur commercial, pas le distributeur pour les projections privées ou militantes. Mais s'il n'avait pas été là, on n'aurait jamais pu faire tout ce qu'on a fait parce qu'il a injecté beaucoup d'argent, beaucoup d'énergie et s'est beaucoup, beaucoup amusé avec nous pour faire des coups pendables comme sortir à deux reprises un film interdit en salles. Il fallait le faire, parce qu'il risquait beaucoup, les gens de la salle aussi, nous aussi, on risquait beaucoup.

La SRF n'avait pas pipé mot puisque le patron Costa-Gavras – je le répète – avait dit on ne va pas soutenir Nedjar, faisant preuve là d'un vrai sens politique, d'un vrai sens des priorités, d'une vraie réflexion sur les forces en présence (je rigole)… La SRF a commencé à dire «il y a ce film qui doit passer et est interdit», alors ils sont venus nous voir, on leur a dit « : «vous faites ce que vous voulez». Ils ont fait une requête pour passer le film dans le palais des festivals. Ce qui était très amusant, c'est que nous n'étions pas invités à ces discussions, on n'était jamais que les réalisateurs-producteurs !


Ils vous ont dit pourquoi ils vous ont exclu de leurs actions ?

Ah non, ils faisaient leur truc dans leur coin et Charles n'a jamais eu envie d'être dans ce concours social, mondain… Il avait ses amis, ses militants, faisait beaucoup d'actions mais pas avec ce type de gens, tous à vouloir hausser le col et souvent d'ailleurs, pas très actifs. Ils se réunissaient entre eux et Jean-Daniel Simon [réalisateur en 1967 de La Fille d'en face, sur un scénario de Roman Polanski et Gérard Brach] était le seul à venir nous dire ce qu'ils avaient décidé. Nous on trouvait ça très amusant finalement.

Du coup l'idée qu'un film était interdit et qu'il fallait exiger de le passer, ça fait toujours plaisir, donc ça a plu à un certain nombre de personnes qui ont manifesté sur la Croisette, dont Michel Piccoli qui était là, à Cannes, et a activement soutenu le mouvement, il le dit très nettement et très simplement dans le reportage de l'INA. Je me souviens que Francis Girod était là aussi, mais plus des autres participants. C'était rigolo car personne n'est venu nous dire de venir en tête et nous on n'a jamais dit qu'on voulait y être non plus mais cela aurait été normal que les réalisateurs du film soient dans la brochette tout de même. Nous on était assez content de ne pas y être finalement, c'était notre côté rebelles.

Le slogan de la manif c'était «ah ah ah, on veut voir Histoires d'A » ! Ils ont obtenu dans les murs du palais d'avoir cette projection qui, au sens strict, aurait dû être interdite. Je ne me souviens même pas si on y est allé, parce que, comment dire, il y avait quelque chose de terriblement décalé dans tout ça.

Depuis 1971, les femmes du MLF menaient une action par rapport à l'avortement, avec notamment le manifeste des 343 femmes, qui prenaient des risques mais elles étaient célèbres pour la plupart, et donc il ne s'est rien passé. Après, c'était un manifeste. Il n'y avait pas de moyens faciles pour pouvoir passer à l'acte, c'était des moyens dangereux : c'était des sondes, elles y ont pensé, elles ont renoncé, elles ont bien fait.

Un ami, avec qui on avait milité dans un groupe issu du Secours Rouge, a vu un avortement selon la méthode de Karman, chez Delphine Seyrig, je crois. Il est venu à la maison et nous a dit «c'est extraordinaire cette méthode, si je pouvais faire un manifeste à partir des médecins du groupe, il y aurait une quinzaine de médecins qui signeraient ça, ce serait très fort !». Je me souviens, je le vois nous disant ça dans notre studio du XVe… et en fait, première vague, il y en a eu 330 qui ont signé ! Et jusqu'à 600 dans la deuxième vague de signataires ! Donc cette action est devenue une action de désobéissance civile qui avait besoin d'un support. Le support, ça a été le film qui, au départ, a été fait simplement pour démontrer ce qu'était un avortement Karman. Toute cette activité politique, humaine avec toutes ces femmes, leurs difficultés à résoudre ces peurs... tout ce qui était notre quotidien commun n'avait rien à voir avec ce qui se passait à Cannes.

Donc le MLAC de Cannes se servait du film, à très bon escient, pour montrer ce qui est dans le film, plein d'interrogations, d'enseignements, de contradictions, de vie… Ce film servait à alerter et à mobiliser, très loin de ce petit cénacle de sous-préfecture de la SRF quoi. Ce n'est même pas le souvenir de projection le plus éblouissant qu'on ait eu. Je ne sais même pas si on y était, je le répète ! C'est très très loin ! Je me souviens surtout qu'on était là, avec Charles, et qu'on rigolait de cette intervention de la SRF.

Dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma (numéro 251-252, pages 48-55), Charles Belmont précisait lui-même en 1974 : «Deux ou trois personnes de la SRF sont venues en disant «Dites que la SRF est avec vous» (c'était plutôt comique, car depuis six mois, ils ne s'étaient jamais manifestés)». L'interdiction du film est levée le 7 octobre 1974 et l'avortement sera légalisé quelques mois plus tard le 17 janvier 1975, une loi préparée par Simone Veil, alors ministre de la Santé. Depuis, Histoires d'A est devenu une référence esthétique dans le cinéma documentaire et sa portée politique reste encore aujourd'hui une évidence.

Pascal Le Duff pour Critique-Film

Dernière fugue pour Manuel Pradal (1964-2017)

Posté par redaction, le 13 mai 2017

Le cinéaste français Manuel Pradal est mort samedi 13 mai à Paris, à l’âge de 53 ans, des suites d’une longue maladie a-t-on appris par l'AFP.

Né le 22 mars 1964 à Aubenas, Manuel Pradal, admirateur de Pier Paolo Pasolini et diplômé de la première promotion de la Femis, "était un cinéaste exigeant, sensible, poète", a déclaré sa soeur Laure Pradal à l'agence de presse.

Il avait écrit et réalisé Canti, son premier film, avec Agnès Jaoui (1991), Marie, baie des Anges, qui révéla Vahina Giocante, le polar US Ginostra avec Harvey Keitel et Andie MacDowell, La Blonde aux seins nus, avec Giocante et Nicolas Duvauchelle, Tom le Cancre, diffusé essentiellement dans des lieux alternatifs, et dernièrement l'adaptation de Benoît Brisefer: les taxis rouges (un flop financier magistral) et La Petite Inconnue (2016).

On lui doit aussi le film franco-américain présenté à Deauville, Un crime, polar coécrit avec Tonino Benacquista où Emmanuelle Béart croisait Harvey Keitel. Il passait ainsi du film pour enfants à des drames sombres, de productions avec des bénévoles à des castings de stars, militant délibérément pour "un cinéma buissonnier".

Manuel Pradal voulait "montrer que le cinéma amateur peut redonner du jus, de l’espace à un septième art de plus en plus étouffé par son hypermarchandisation". Même si, lucide il confiait à L'humanité il y a deux ans: "Entre deux films où l’on gagne sa vie, je ne renonce pas à faire des films où '?la vie vous gagne'".

Après une tentative ratée, Benedict Cumberbatch et Jake Gyllenhaal se lancent dans un autre projet

Posté par vincy, le 13 mai 2017

jake gyllenhaal benedict cumberbatch

Benedict Cumberbatch et Jake Gyllenhaal sont en discussions avancées pour être les deux vedettes de la production Studiocanal, Rio. Le film sera réalisé par le cinéaste italien Luca Guadagnino (A Bigger Splash) à partir d'un scénario de Steven Knight (Les promesses de l'ombre, Les recettes du bonheur, Alliés).

Rio raconte l'histoire de xu amis. L'un est journaliste financier (Gyllenhaal), l'autre un ami riche vivant à Rio de Janeiro (Cumberbatch). Leurs retrouvailles dans la ville brésilienne va entraîner le premier dans une spirale infernale où il est aspiré dans un complot pour simuler l'a mort de son ami.

Les deux acteurs seront également coproducteurs de ce thriller.

Jake Gyllenhaal, à l'affiche de Life et attendu à Cannes pour Okja, sera au générique de Stronger cet automne, et sa fini de tourner Wildlife, le premier film de Paul Dano. Il tournera cet été dans The Sisters Brothers de Jacques Audiard.
Benedict Cumberbatch sera à l'affiche de The Current war, en plus d'apparaître en Doctor Strange dans différentes déclinaisons des films Marvel.

Ironiquement, les deux acteurs devaient se donner la réplique dans The Current War, avant que Gyllenhaal ne lâche le projet, remplacé par Michael Shannon (lire notre article du 3 octobre 2016).

Cannes 70 : Viridiana et une couronne d’épines dans une valise

Posté par cannes70, le 12 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-6. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Viridiana se présenta au monde le 17 mai 1961 au Festival de Cannes. Déjouant tout pronostic, Jean Giono, président du jury cette année-là, lui attribua la Palme d’Or, ex-aequo avec Une aussi longue absence d’Henri Colpi. Luis Buñuel n’était pas présent lors de la cérémonie de remise de prix et les producteurs crédités du film, Juan Antonio Bardem (même si celui qui y travailla vraiment fut Ricardo Muñoz Suay) et Pere Portabella, proposèrent à Muñoz Fontán, directeur général de la Cinématographie et du Théâtre de l’Espagne, de recueillir la Palme d’Or.

Qui aurait dit à Muñoz Fontán que ce moment de bonheur allait lui coûter son poste ? Il fut licencié immédiatement suite à la parution d’un article dans L’Osservatore Romano, qui dénonçait le caractère blasphématoire et offensant du film. Viridiana fut totalement interdit en Espagne par le ministre de l’Information et du Tourisme. Buñuel avait réussi à choquer ses spectateurs. Une fois de plus. Il paraît qu’après la projection à Cannes, Vittorio De Sicca, demanda à Jeanne, la femme de Buñuel, s’il la frappait ! Quant à André Breton, ce film l’avait fait pleurer.

Buñuel se servait à nouveau d’un roman de Benito Pérez Galdós pour plonger dans son propre univers, Viridiana étant conçu comme la continuation de Nazarín (1959). Viridiana (Silvia Pinal), une religieuse habitant dans un couvent, arrive chez son oncle, Don Jaime (Fernando Rey), pour passer trois jours avec lui. Don Jaime est malade et il ne lui reste que quelques jours de vie. Les employés de l’oncle fouillent dans la valise de Viridiana et trouvent une couronne d’épines et un crucifix.

Don Jaime tombera amoureux de sa nièce, troublé par son incroyable ressemblance avec sa défunte femme. Il essaiera de lui faire la cour, arrivant jusqu’à l’empoisonner, pour réussir à la faire rester. Finalement, Don Jaime terminera par se pendre avec la corde à sauter de Rita (Teresa Rabal), la fille de sa bonne Ramona. C’est alors que Viridiana décidera de renoncer à l'enfermement au couvent et se préparera à accueillir une quinzaine de mendiants dans la maison de son oncle défunt.

La misère qui hante les personnages de Buñuel

Buñuel adorait filmer ceux qui étaient dépossédés de toute richesse matérielle, ceux qui étaient délaissés par la société et leur entourage. Son cinéma allait ainsi vers le plus «primitif» de ses personnages afin de saisir la profondeur de leur humanité. Conchita Buñuel raconte dans le livre Mi último suspiro (Mon dernier soupir, Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière, 1982) que les habits des mendiants étaient authentiques. L’équipe de production du film avait parcouru d’innombrables endroits sous les ponts afin de trouver des vêtements ayant été portés par des sans-abris. Ces affaires furent désinfectées mais pas lavées, faisant en sorte que les acteurs purent sentir la misère avant de l’interpréter devant la caméra de Don Luis.

Juan García Tienda, un vrai vagabond qui était à moitié fou, faisait semblant d’avoir la lèpre dans le film. En échange, il avait le droit de dormir dans le patio du studio de tournage. Lorsque Buñuel apprend que García Tienda n’était pas payé, il s’indigna terriblement. Pour le calmer, les producteurs lui dirent qu’une collecte allait être organisée en fin de tournage afin de rémunérer García Tienda. Buñuel s’énerva encore plus et exigea qu’il soit payé toutes les semaines, de la même manière que le reste de l’équipe.

Buñuel trouvait que le jeu de García Tienda était merveilleux. Cependant, il échappait à la direction des acteurs et il jouait selon son envie du moment. À ce qu’il paraît, quelques temps après, deux touristes français auraient reconnu García Tienda, alors assis sur un banc à Burgos (Castille-et-Léon) et l’auraient félicité pour sa remarquable interprétation. Fou de joie, il aurait pris son balluchon et se serait exclamé : “Je pars à Paris. Je suis connu là-bas !”. Malheureusement, García Tienda décéda pendant son trajet.

Viridiana et la censure franquiste

Silvia Pinal voulait jouer dans un film de Buñuel produit par son mari, Gustavo Alatriste. En principe, il aurait dû être tourné au Mexique mais, pour des raisons financières, Pinal et Alatriste proposèrent finalement à Buñuel de tourner en Espagne. C’est ainsi que Portabella et Muñoz Suay allaient rejoindre le projet. Ce fut le retour du grand maître dans son pays natal après ses exils en France et au Mexique. Retour qui sera d’ailleurs controversé, tant chez les franquistes que chez les républicains exilés, puisque Buñuel accepta de tourner son film à El Pardo, tout près du palais dans lequel Franco passait ses jours.

Mais comment un film comme Viridiana aurait pu éviter la censure franquiste ? Les censeurs chargés de le juger invitèrent Fernando Rey, un homme bien considéré auprès du régime franquiste, pour leur expliquer certains passages du film. Les producteurs du film avaient enlevé du métrage deux séquences compromettantes : le moment dans lequel la mendiante Enedina, brillamment interprétée par Lola Gaos, lève sa jupe quand elle fait semblant de prendre en photo la célébrissime image des pauvres en train de dîner, en évidente référence à La Cène, de Léonard de Vinci. La deuxième séquence enlevée était celle du crucifix qui se transforme en couteau.

Rey raconta ensuite à l’équipe certains commentaires que la censure avait fait à propos de Viridiana : “Le film ressemble à rien du tout. Buñuel a perdu la tête”. “Buñuel est complètement démodé. Qu’est-ce qu’il a bien voulu faire avec tout ce qu’on attend de lui ?”. Mais le meilleur commentaire reste celui du censeur qui considérait que Viridiana était un film mignon : “C’est un petit roman d’amour”. C’est cette même censure franquiste, qui empêchera La caza (La chasse, 1966), le film de Carlos Saura, de s’appeler La caza del conejo (La chasse du lapin) car ils considéraient qu’il s’agissait d’une référence sexuelle explicite au sexe féminin (“lapin” est une manière cocasse d’évoquer le vagin en espagnol).

Malgré le silence de la presse officielle espagnole, le succès du film à Cannes provoqua tant de bruit que Franco demanda à voir ce film dont tout le monde parlait. À ce qu’il paraît, le caudillo aurait vu le film deux fois d’affilé sans rien trouver de gênant. Il aurait considéré que le film était plutôt naïf ! Cependant, il ne révoqua pas la décision du ministre de l’Information et du Tourisme : Muñoz Fontán ne recouvra jamais son poste à la direction générale de la Cinématographie et du Théâtre et le film resta interdit en Espagne

De tout ce film, ce qui reste le plus ironique, c’est peut-être bien la fin du film. Buñuel songea à la possibilité de montrer Viridiana en train de frapper à la porte de la chambre de Jorge, son cousin, fils de Don Jaime, interprété par l’excellent Paco Rabal. Les censeurs se seraient montrés extrêmement choqués : c’était inconcevable qu’une religieuse fasse l’amour avec son cousin ! Buñuel proposa donc une fin alternative. Viridiana rejoint une partie de cartes qui se déroulait dans la chambre de Jorge, en présence de Ramona, la bonne de Don Jaime et la maîtresse alors de Jorge. L’allusion d’un ménage à trois était évidente. José Arturo Méndez Palacio, un des censeurs, fit l’éloge de l’hommage à The Apartment (La Garçonnière, Billy Wilder, 1960) à la fin du film.

“¿Sabe usted jugar a las cartas, primita? (A Ramona) No me lo vas a creer, pero la primera vez que la vi me dije: “No sé por qué, pero mi prima Viridiana acabará jugando al tute conmigo
(Savez-vous jouer aux cartes, cousine ? (À Ramona, la bonne de Don Jaime) Tu vas pas me croire mais la première fois que je l’ai vu, je me suis dit : “Je ne sais pas pourquoi, mais je crois bien que ma cousine Viridiana terminera par jouer aux cartes avec moi”).

Miquel Escudero Diéguez de Critique-film