Festival du cinéma nordique : un événement trans-genres
La compétition officielle du 22e festival nordique mérite bien, au même titre que le reste de sa programmation, son label « éclectique ». Naviguant constamment entre plusieurs genres – drame, comédie loufoque, film d’auteur, grosse production, portrait intimiste ou encore reconstitution historique – sans jamais se départir d’une certaine singularité, ce cinéma venu du nord perpétue une tradition cinématographique complexe oscillant depuis des décennies entre un pessimisme lucide, un rejet des conventions morales (surtout dans le cinéma danois et suédois) ou bien une approche existentielle – qu’elle soit décalée ou pas – propre aux cultures nordiques.
Un peu, d’ailleurs, comme ce Mariage à l’islandaise, premier long-métrage de la monteuse Valdis Oskarsdottir. Fausse comédie légère qui bascule par intermittence dans un road-movie au départ improbable, tout est situation à dégommer les conventions. Un mariage dans un petit village, deux autocars pour emmener séparément les mariés, un témoin qui disparaît, une attente dans les bus et des vérités pas toujours bonnes à dire. Les personnages vont interagir les uns vis-à-vis des autres en distillant non sans humour ni gravité une tension sous-jacente. La narration, savoureuse, provoque des effets boule de neige jusqu’au dénouement final, certes un brin convenu, mais somme toute logique. A découvrir dans les salles françaises le 03 juin prochain.
Sous la peau se positionne en opposition. Drame humain sans concession autour d’une femme agressée dans sa chair, le film nous interpelle sur la difficulté de vivre avec le souvenir d’une épreuve traumatisante qui vous hante nuit et jour. Réfugiée dans une maison de campagne délabrée ou tout reste à faire, Marieke a fuit Amsterdam pour essayer de se reconstruire. Parabole, dirons nous immersive, dans l’univers déstructuré de la jeune femme, Sous la peau délivre une tension par à coups aussi mentale que physique. Les deux sont liés intimement, sans distanciation ni contrôle. L’intrusion de flashs, de visions, de crises ou de spleen total dans la nouvelle vie de Marieke exacerbent cette souffrance sourde car intime. Prenant, minimaliste et magistralement interprété, Sous la peau demeure un essai fort et sincère sur une thématique sociale contemporaine.
Objet Filmique Non Identifié
Soit le contraire de Pause déjeuner, sorte d’OFNI (Objet Filmique Non Identifié) réalisée par la réalisatrice Eva Sorhaug (signalons tout de même qu’après Mariage à l’islandaise et Sous la peau, il s’agit du troisième film réalisé par une femme, soit près de 30% de la sélection officielle). Choral et découpé narrativement en fonction des personnages développés, le lien entre l’incident déclencheur et les autres protagonistes reste faible en terme d’enjeux – excepté pour Léni, directement «frappée » par la mort de son père). Un poil trop lent par moment, décalé juste ce qu’il faut, grave mais sans plus, parfois redondant ou bien tournant autour du pot, le film se positionne entre deux eaux. Mais le plus étrange reste sans aucun doute son côté impersonnel et peu communicatif, malgré deux ou trois séquences réussies (landau sur le balcon, scène de sodomie, dispute dans la voiture, sandwichs uniformes de Léni). Trop peu, sans doute, pour affirmer un univers comme cette apparition de milliers d’oiseaux façon Magnolia (en référence à la pluie de grenouilles vers la fin du film de Paul Thomas Anderson).
Ce qui n’est pas le cas de Terriblement heureux, troisième film du danois Henrik Ruben Genz. Ce polar glauque, un peu crasseux et scénarisé à la façon d’un western moderne tout à fait amoral va vers l’essentiel en distillant son atmosphère étouffante d’une ville fantomatique entourée par des marais métaphoriquement liés à l’embourbement et à la mort. L’histoire, assez classique tout de même, d’un jeune flic au passé troublant muté contre son gré dans la petite ville de Skarrild, permet au cinéaste de développer des thématiques propres tout en redéfinissant les codes du genre. En vrac il nous gratifie d’un montage parallèle du plus bel effet entre les « gardiens » de la ville jouant aux cartes et l’arrivée du flic ; d’une mise en ambiance réussie dans cette ville en quasi autarcie où les gens ont l’habitude de laver leurs linges sales entre eux ; d’un mano à mano psychologique retord et non d’une enquête policière ; d’un ton sec, froid, abrupte, oppressant – comme cette jeune fille qui circule dans les rues de la ville en poussant un landau crissant – avec une fin aussi tragique qu’amorale ; d’une caractérisation très éloignée de l’anti-héros venu bousculer l’ordre établit ; d’effets de mise en scène percutants.
Au final, Terriblement heureux est un « petit » polar nerveux qui se savoure avec délectation. Parfois un peu facile, son excès maîtrisé emporte néanmoins l’adhésion. Juste jouissif !
Adhésion, hélas, en demi-teinte pour les Soldats de l’ombre. Copenhague. 1944. Deux amis appelés Flamme et Citron (interprété par Mads Mikkelsen, le méchant du bondien Casino Royal) sont chargés de liquider des informateurs danois à la solde des nazis. Tiré de faits réels, les Soldats de l’ombre affiche sans complexe son statut de grosse production locale avec sa belle reconstitution et son lot de fusillades, d’explosion, de complot et de trahison. La mise en scène, fluide, peine néanmoins à nous immerger au côté de ce double destin, faute à un scénario trop scolaire. Alors oui, le style est sobre, mais que le ton est ampoulé ! Et puis l’énonciation demeure démonstrative au possible entre une voix off introductive appuyée et une conclusion boursouflée inutilement. Le résultat résiste malgré tout à toute tentation sensationnaliste, le cinéaste danois à la bonne idée de rendre humain ces deux figures héroïques en action tout en différenciant leur comportement et leur engagement. Pas désagréable, le film de Ole Christian Madsen ressemble à un téléfilm luxueux qui tourne autour de personnages remarquablement bien campés suscitant l’empathie du spectateur.
Savoureux mélange, donc, d'une sélection attractive (n'oublions pas le Jan Troell, Instants éternels, et Au coeur du paradis de Simon Staho sélectionné en 2008 dans la section Spéciale du festival de Berlin) qui nous réserve sans doute un palmarès surprenant.
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