Nul n’est prophète en son pays

Posté par vincy, le 7 décembre 2009

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De quels prophètes accouchent les prisons ? Film de genre en soi, le film « incarcéré » a donné quelques grandes œuvres au cinéma. Huis-clos au destin souvent fatal. Le journaliste russe d’Expert profite de la sortie du film de Jacques Audiard, Un prophète, dans son pays pour tisser un intéressant parallèle entre la prison française, très fictive pourtant, et l’histoire communiste de la Russie, alors territoire enfermé dans ses barbelés. L’éloge de ce Rastignac sans caractère et adaptable à toutes les situations semble avoir séduit le monde entier : Grand prix du jury à Cannes, meilleur film  au Festival de Londres, meilleur film étranger selon le Bureau national des critiques américains, six fois cités aux European Film Awards, nommé aux Independant Spirit Awards dans la catégorie meilleur film étranger, le film fait figure de favori aux prochains César (trois de  ses acteurs sont sélectionnables dans la catégorie meilleur espoir masculin) et de sérieux candidat pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Un an après l’emballement pour la vision désenchantée du collège dans Entre les murs, le cinéma français propose une observation lyrique de la prison. Courrier International, dans son n°996 du 3 décembre, fait un tour du monde des cellules à barreaux. Et si le journaliste se désole que le cinéma russe (dont la production va assez mal ces temps-ci) ne s’y intéresse pas, le cinéma mondial est riche en films, souvent critiques sur les conditions (in)humaines ou historiques, traitant du sujet. On se souvient récemment d’Hunger en Irlande du Nord, de Buenos Aires 1977 ou encore de Leonera en Argentine, de Carandiru au Brésil, ...

Hollywood n’a pas été avare : des films comme The Shawshank redemption (ou du même réalisateur La ligne verte), Papillon, La grande évasion, Midnight Express, L’évadé d ‘Alcatraz… montrent l’étendue des possibilités scénaristiques. Sans compter les séquences « en prison » des thrillers. De Soderbergh à Scorsese, tous les cinéastes y passent.

Du coup, comme le souligne le Changjiang Shangbao, dans le même numéro de Courrier International, ils ne sont pas censurés, car ils reflètent une vérité. Aussi l'article se plaint quand il invoque que le thème est « ignoré par le cinéma chinois ». Le cinéma officiel, en effet, ne veut pas regarder cette face la plus sombre du régime communiste. Pourtant, comme il le mentionne, il y a matière à inspiration avec tous les faits divers chinois qui meublent les colonnes des journaux. Bien sûr le cinéma indépendant a flirté avec. Il suffit de (re)voir Train de nuit, de Diao Yinan, où l’on assiste à des exécutions de femmes condamnées. L’article d’An Ping rappelle quand même qu’une version chinoise de Vol au-dessus d’un nid de coucou a pu être produite cette année. L’internement psychiatrique semble une voie « politiquement acceptable » par le régime pour un film.

Reste que ce genre si particulier, avec ses codes et ses contraintes, empêche parfois de se libérer de quelques clichés ou détours obligatoires. C’est sans doute pour ça que ce Prophète d’Audiard a su plaire : il est davantage du cinéma que du documentaire, bien plus proche du thriller initiatique que du western moraliste.

La prison reste un décor fascinant pour le cinéma, sans doute parce qu’elle révèle toutes les contradictions d’une civilisation qui se dit démocratique, civilisée, tolérante, alors qu’elle garde au fond d‘elle de violents démons et de noirs desseins.