Le dernier film d’Amos Gitaï, Roses à crédit, qui devait sortir sur les écrans le 15 décembre prochain, ne verra pas le jour au cinéma. Alors que tout était paré pour une sortie en bonne et due forme, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) vient d’y opposer son veto.
L’argument avancé par la commission d’agrément du CNC est très simple : l’adaptation éponyme du roman d’Elsa Triolet produit par Images & Cie pour une chaîne de télévision, France 2 en l’occurrence, fait de Roses à crédit un téléfilm et non une œuvre de cinéma à proprement dite. Peu importe, alors, que les différentes parties se soient mis d’accord sur un projet clairement défini comme cinématographique et destiné à sortir dans les salles de cinéma avant sa diffusion télé.
Il aurait fallu, pour que la commission d’agrément donne son aval, que le film d’Amos Gitaï se décline en deux versions distinctes, l’une pour le cinéma, l’autre pour la télévision. Or la commission a estimé « qu'il n'y a qu'une seule œuvre. Dans ce cas, on ne peut pas accepter qu'un film soit diffusé sur une chaîne non payante seulement trois mois après sa sortie en salles. Si on remet en cause la chronologie des médias, c'est la mort de l'économie du cinéma. ». Ce que conteste Nicole Collet, productrice du film, considérant que « la version cinéma est pourtant plus longue, et donne surtout à la narration un autre éclairage en l’encrant dans un contexte historique différent ».
Insuffisant, semble t-il, pour une commission indépendante ayant comme objectif principal de veiller au respect d’une réglementation encadrant la production des films de cinéma selon des critères définis par le CNC lui-même. Doté d’un pouvoir consultatif, elle obtient donc sans peine l’interdiction d’un film en salles sous prétexte qu’il fut intégralement financé par la télévision. Peu importe que celui-ci possède des qualités artistiques évidentes que de nombreux journalistes ont déjà pu constater.
Confusion des genres
Mais revenons sur cette interdiction qui, outre son caractère incroyablement tardif (elle arrive une dizaine de jours avant la sortie du film), est à géométrie variable. N’est-il pas étrange, qu’en 2008, Plus tard, tu comprendras, téléfilm du même Amos Gitaï financé par Arte, ait été diffusé sur France 2 le 20 janvier 2009 puis le lendemain au cinéma sans que la commission n’y trouve rien à redire. Comment comprendre, par exemple, les différences de traitement entre les films d’Olivier Assayas, Carlos, et de Pascale Ferran, Lady Chatterley. Si le premier, intégralement financé par Canal +, aura été "désélectionné" du festival de Cannes pour des raisons de production (il a finalement été présenté hors compétition), le deuxième aura obtenu, sans contestation aucune, le double agrément de la commission. Nous le voyons, tout ceci est bien flou et discrédite un organe de contrôle se basant essentiellement sur des critères de financement, certes importants, et non vis-à-vis d’enjeux artistiques eux aussi bien réels. D’où l’ambiguïté de certaines situations ou de vrais films de cinéma sont interdits dans les salles de cinéma. Sans parler des incohérences à la marge relevées plus haut, exceptions rares mais ô combien symboliques d’un système ayant montré à plusieurs reprises ses limites.
Une sortie en salles n'est pas garante d'une existence dans les cinémas
Loin de nous l’idée de nier en bloc l’utilité d’un système (les raisons de sa mise en place est toujours d’actualité) qui, bon an mal an, fonctionne correctement. En effet, séparer la production cinématographique de la production en général est nécessaire, les chaînes de TV n’ayant pas à user et abuser d’une position enviable pour financer en sous-main leurs téléfilms. Le système est complexe, imparfait, voire pervers. Dans ce cas, doit-on s’en indigner et constater, incrédule, à la mise au placard d’œuvres cinématographiques parce que produites sur des fonds audiovisuelles alors qu’on nous abreuve toute l’année de films estampillés « cinéma » aux allures de mauvais téléfilms ? Bien sûr que non, mais que faire lorsque Alexandra Henochsberg, directrice de la société Ad Vitam (celle qui devait distribuer Rose à crédit) admet qu’elle n’est pas « certaine qu’il faille la réformer (la commission), moins encore la supprimer, même si nous sommes victimes d’un système qui manifestement ne fonctionne pas ».
Il ne s’agit pas, d’un coup d’un seul, de tout chambouler pour faire plaisir aux contestataires que nous aimons être. Non, ce qu’il faut c’est mettre en place, une bonne fois pour toute, une politique culturelle cohérente à même de garantir la pluralité des cinémas pour que des films comme Rose à crédit puisse exister sur grand écran. Il en va de la sauvegarde d’un cinéma de plus en plus difficile à financer se retrouvant l’otage des moyens de financement qu’on lui accorde. Résultat : au lieu d’aider des cinéastes à monter puis à diffuser leurs films, on les enterre lamentablement comme de vulgaires produits consommables non conformes. Le cinéma et l’art en général valent mieux que cela.