70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.
Aujourd'hui, J-63.
Plus que nulle autre actrice, grâce à ses choix éclectiques et sa curiosité indéfectible qui la pousse à s'intéresser aux cinéastes ambitieux, qu'ils soient déjà établis ou simplement prometteurs, Isabelle Huppert possède un lien très fort avec le Festival de Cannes. Elle apparaît dans plus d'une quarantaine de films passés sur la Croisette, dont près d'une vingtaine en compétition officielle, d'Aloïse de Liliane de Kermadec en 1975 à Elle de Paul Verhoeven en 2016. Et c'est probablement loin d'être fini !
Ça commence avec Toscan
Après des apparitions déjà marquantes dans Les Valseuses de Bertrand Blier et Dupont Lajoie de Yves Boisset, elle devient réellement familière du grand public avec deux films «cannois» : La Dentellière de Claude Goretta et un an plus tard Violette Nozière de Claude Chabrol qui lui a permis de remporter son premier prix d'interprétation mais surtout de débuter une belle amitié cinématographique avec son réalisateur. La shampouineuse et la parricide auxquelles elle prête ses taches de rousseur imposent une présence à part. Ces deux personnages montrent deux facettes bien différentes. De la fragilité dans le premier (un registre plutôt abandonné depuis), une force qui n'appartient qu'à elle dans le deuxième et que l'on retrouvera dans la suite de sa filmographie, avec de multiples variantes et évolutions.
Cette union avec Cannes est la conséquence directe de la première rencontre majeure de son parcours de comédienne, sa double histoire avec le producteur Daniel Toscan du Plantier, professionnelle autant que personnelle, évoquée dans l'ouvrage Toscan ! de Jean-Marc Le Scouarnec, récemment publié aux éditions Séguier, qui revient notamment sur la profondeur de leur lien. «Avant beaucoup d'autres, avant même le tournage de La Dentellière, Toscan a effectivement pressenti quelque chose en moi. […] Il a eu cette confiance dans la jeune actrice que j'étais». Elle prend de l'assurance à son contact. «Ma timidité, on en a longtemps rigolé avec Daniel […] Je n'étais pas très consciente des codes de représentation vestimentaire qu'une jeune actrice devait afficher. Pour autant, ma timidité disparaissait dans la sphère qui m'était la plus familière au fond : comme actrice j'ai été très tôt prête à toutes les audaces».
Gilles Jacob témoigne : «Toscan a beaucoup fait pour la carrière d'Isabelle. […] Les premières années, elle a souvent tourné grâce à lui. Il était le catalyseur : il montait des projets autour d'elle, il cherchait des rôles qui pouvaient lui convenir». Le terme Pygmalion, souvent évoqué pour définir leurs rapports, ne plaît guère, on le comprend aisément, à l'actrice : «Daniel aimait bien dire que c'était autant les producteurs qui faisaient les actrices que les actrices qui faisaient les producteurs. C'est grâce à moi qu'il a rencontré Pialat, que Chabrol est venu chez Gaumont. Le relation ne fonctionnait pas que dans un sens. Il s'est trouvé à la croisée de certains projets parce qu'ils arrivaient par moi. Le terme de Pygmalion est réducteur, et pour moi et pour lui. C'est compréhensible que notre alliance […] ait pu mener à ce genre de cliché facile, obsolète et rétrograde». Lors d'un hommage à la cinémathèque de Toulouse en 2003, elle évoquait ainsi sa mémoire : «Ce qui me manque le plus quand je pense à lui, et j'y pense plusieurs fois par jour, c'est son intelligence profonde et sa compréhension des choses et des êtres».
Une exigence de romanesque
Dans les interviews qu'elle a accordées tout au long de sa carrière, elle s'est surtout exprimée sur l'exercice de son métier, peu sur des sujets personnels. Ce qui ressort notamment est son rejet des rôles trop réalistes et sa méfiance du naturalisme. «Les sujets où je ne vois pas la possibilité d'introduire une dimension un peu mythologique me gênent» disait-elle déjà dans le numéro double de mai 1981 des Cahiers du cinéma. Au Figaro, le 14 mai 2001, elle explique avoir refusé Funny Games pour des motifs similaires : «Il n'y avait aucun romanesque, aucun espace fictionnel où les acteurs puissent s'échapper. Pour moi, l'acteur doit voir une part d'imaginaire où il puisse vivre. La plupart des films ont un scénario qui vous nourrit et vous protège. Funny games, c'était la reproduction brute et brutale de la réalité».