Cannes 70 : quand les documentaires valent de l’or

Posté par cannes70, le 29 mars 2017, dans Cannes, Cannes 70, Festivals, Films.

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-50. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

On ne peut pas vraiment dire qu'entre Cannes et le documentaire, ce soit une grande histoire d'amour. Le cinéma documentaire est ainsi toujours minoritaire, en sélections officielle ou parallèles, par rapport au cinéma de fiction. Jugez plutôt : en 69 éditions, deux films documentaires seulement ont reçu la Palme d'or. Aujourd'hui, dans le cadre de notre compte à rebours jusqu'au 17 mai, nous allons nous attarder sur ces deux Palmes, sorties à plus de quarante ans d'intervalle.

Le monde du silence : l'avis aquatique

Les images du Monde du silence semblent importantes dans l'imaginaire cinématographique collectif. De par ses images sous-marines par exemple : cela m'a frappé en découvrant il y a peu Opération Tonnerre, sorti 10 ans après le documentaire, mais aux images sous-marines semblables... la présence de James Bond en plus. De par la figure de Cousteau ensuite : le vaillant explorateur des fonds-marins a irrigué La vie aquatique de Wes Anderson, un hommage explicite, et le commandant a même eu droit à son propre biopic, sous les traits de Lambert Wilson, il y a quelques mois (L’Odyssée de Jérôme Salle). Il semble facile de comprendre ce qui a plu au jury à l'époque, tant les images sous-marines capturées par Cousteau et Louis Malle sont encore fascinantes aujourd'hui. Pourtant, de nos jours le film n'aurait sans doute pas reçu le même accueil. Le romancier et cinéaste Gérard Mordillat est d'ailleurs revenu sur le film l'année dernière, le qualifiant de "film naïvement dégueulasse".

En effet, à une époque où nous sommes de plus en plus nombreux à être sensibilisés à la protection environnementale et animalière, difficile de regarder avec autant d'émerveillement qu'en 1956 le film palmé. La flore sous-marine est dynamitée, les requins capturés, les tortues chevauchées. Ce qui est sûr, c'est qu'ici le cinéma, et en particulier le documentaire, dresse un portrait de son temps... Qui sait, peut être qu'un documentaire présenté à Cannes en 2017 soulèvera de vives polémiques en 2077 ! L'autre documentaire palmé, lui, en soulève dès qu'il est récompensé. Mais si avec Le monde du silence on ne critiquait pas la forme mais le propos du film, ce sera le contraire avec Fahrenheit 9/11.

Farenheit 9/11 : Bush Metal Jacket ?

En s'attardant sur la liste des films en compétition, on peut dire que la sélection du Festival de Cannes 2004 avait quelque chose de spécial. En plus de ce Farenheit 9/11, un autre documentaire était à l'affiche, Mondovino, qui jouait apparemment lui aussi sur la provocation, mais on retrouvait aussi deux films d'animations (sur lesquels on reviendra dans quinze jours), Shrek 2 et Ghost in the shell : innocence. Surtout, une ribambelle d'habitués de Cannes, dont certains n'auraient pas démérité une Palme, étaient présents.

A posteriori, la liste semble une réunion d'habitués, ce qui était moins vrai à l'époque. On retrouve deux films français de premier plan (Clean, d'Olivier Assayas et Comme une image d'Agnès Jaoui), un Paolo Sorrentino (les conséquences de l'amour), le Japonais Kore Eda avec Nobody Knows, Wong Kar-Wai avec 2046, un Apichatpong Weerasetakul (Tropical Malady) et un Emir Kusturica (La vie est un miracle). Tant qu'à faire, deux cinéastes coréens devenus phares y étaient (Park Chan-Wook pour Old Boy et Hong Song-Soo pour La femme est l'avenir de l'homme), même les frères Coen - pour leur plus mauvais film, le remake de Ladykillers -, et jusqu'à l'incontournable film-engagé-avec-Gael-Garcia-Bernal (Carnets de voyage). Bref, il y en avait des potentiels films "palmables". Pour autant, cette année-là le jury présidé par Quentin Tarantino a fait le choix du documentaire de Moore. Un choix qui selon le président était avant tout artistique.

Pourtant, difficile de ne pas voir le geste politique accompagnant cette remise de prix. Car le documentaire de Moore est un réquisitoire assumé, et nécessaire dans l'Amérique post-9/11 de Bush. Dans sa forme, le film n'est pas infaillible : on peut ne pas être sensible à la manière qu'a Moore de critiquer la politique de Bush, le ridiculiser était-il le meilleur moyen de le dénoncer ? Idem pour certains raccourcis que le réalisateur n'hésite pas à prendre : il donne par exemple une vision paradisiaque de l'Irak avant l'invasion américaine. Une vision linéaire qu'il a conservée : dans son dernier documentaire, Where to invade next, il dresse les louanges de la politique de pays européens en prenant des exemples loin d'êtres répandus (je n'ai jamais vu de cantines scolaires aussi appétissantes, et encore moins une table entière d'enfants ne connaissant pas le Coca-cola !).

Pour autant, difficile de ne pas saluer le geste de Moore, qui derrière ses actions provocatrices dénonce l'absurdité du comportement de Bush suite aux attentats. On peut aussi se dire que le documentaire permet de toucher un large public grâce à son format. Comme l'explique Youssef Chanine dans les bonus du DVD : "le documentaire avait une valeur essentielle à un moment essentiel".  Mais récompense t-on un film avec la Palme d'Or pour une raison politique, pour son geste ? A la veille de la prochaine édition du Festival, on se rappelle encore de l'octroi de la récompense à Moi, Daniel Blake l'année dernière. Tout comme Farenheit 9/11, c'est plus la dénonciation politique que le cinéma en lui-même qui semble avoir été salué ...

Les deux documentaires à avoir obtenu la Palme d'Or ont donc soulevé des polémiques importantes. D'autres documentaires, et non des moindres, ont été présentés, voire primés, tout au long de l'existence du Festival, ne citons que les moins choquants (sauf rejet inattendu sur leurs sujets) Le Mystère Picasso d'Henri Georges Clouzot, prix spécial du Jury en 1956, la même année que le Cousteau donc, ou encore Woodstock, le documentaire hippie fleuve qui eut droit à sa sélection en 1970. Certains ont suscité, sinon des polémiques, au moins de fortes réactions, ce qui n'est pas si étonnant, un documentaire s'attachant, par essence, à refléter son époque. On ne connaît pas encore les films qui seront présents cette année sur la croisette, mais si un documentaire apparaît lors de l'annonce de la sélection officielle, il s'agira certainement d'une œuvre dont la présence se justifiera par sa capacité à déranger, heurter ou éveiller les consciences de festivaliers parfois éloignés de certaines réalités du monde. L'idée de scandale étant dans l'ADN du Festival, ou au moins de ses commentateurs, que cela passe par le documentaire a quelque chose d'assez réjouissant, non ? Même si depuis Moore, c'est devenu bien rare, le genre étant relégué aux séances hors-compétition.

Nicolas Santal de Critique-Film

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