Les reprises de l’été: Memories of Murder de Bong Joon-ho

Posté par kristofy, le 5 juillet 2017

Au moment où le dernier Bong Joon-ho Okja, l'un des films les plus intéressants du Festival de Cannes, est visible exclusivement sur Netflix voilà une opportunité de (re)découvrir l'immense talent du cinéaste sud-coréen avec son premier grand succès Memories of Murder. Il s'agit en fait d'une nouvelle copie "upgradée" en 4k dont la qualité a donc été améliorée pour obtenir plus de finesse dans les détails des contrastes.

Le pitch: Dans une petite ville près de Séoul, un tueur en série assassine deux personnes sans laisser le moindre indice. Dès le début de l'enquête, la police locale est dépassée par les évènements. Fabrication de preuves, bavures, aveux forcés, recours au chamanisme, tous les moyens sont bons pour arrêter le coupable. Alors que les investigations s'enfoncent dans une logique absurde, le sanglant parcours du meurtrier continue...

Un style affirmé: Memories of Murder date (déjà) de 2004, une époque où la vitalité du cinéma coréen était telle que la plupart des films venant de Corée du Sud figurait dans tous les festivals avant de sortir en salles et d'être disponibles en dvd dans de belles éditions collector (pour ce film il y avait d'ailleurs eu un coffret double dvd avec 3h de bonus). La même année on découvrait Deux Sœurs de Kim Jee-woon et Old Boy de Park Chan-wook. C'est toutefois ce Memories of Murder qui va fixer les nouvelles composantes du polar made in Korea : une série de crimes, la pluie, la nuit, un tueur insaisissable, des policiers pas vraiment compétents... Avec ce second long-métrage, à 35 ans, Bong Joon-ho s'est imposé comme le nouveau maître à suivre et comme une référence dans le genre. Ici, l'incertitude l'emporte sur l'élucidation, la dynamique (avec les ruptures de ton) sert d'essence à un récit lui même à plusieurs vitesses. Et comme souvent, le tout est inspiré d'un fait divers réel. Surtout vous serez surpris d'être impliqué aussi bien dans une course poursuite que dans une enquête qui s'enlise. Ici pas point final, pas de résolution hollywoodien ou d'épilogue glorifiant. C'est un polar sur les gens d'en bas, qui critique vertement l'autorité et le pouvoir.

Une école coréenne: Bong Joon-ho est l'un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. Il est l'un des rares à savoir manier une grosse dose de spectaculaire avec une petite dose d'humour pour développer des univers très personnels en direction du public le plus large possible. Bien entendu d'autres cinéastes coréens ont contribué à élever le film de genre vers des hauteurs vertigineuses - Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Ryu Seung-wan, Na Hong-jin, Yeon Sang-ho et même Kim Ki-duk, même si leurs films  étaient parfois plus 'segmentants'. Parmi eux c'est bien Bong Joon-ho qui fédère le plus de spectateurs autant en Asie qu'en Europe et aux Etats-Unis (oui, Bong Joon-ho est une sorte de Steven Spielberg...). Après Memories of Murder, Bong Joon-ho a signé The Host (5ème plus gros record au box-office coréen), Mother, Snowpiercer, le Transperceneige, Okja, et il a aussi écrit et produit Sea Fog-Les Clandestins : une succession de chefs-d'oeuvre....

Une nouvelle affiche pour cette ressortie synthétise tout ceci en quelques mots : "le 1er chef d'oeuvre de Bong Joon-ho, le film qui a renouvelé le polar". Sur le dvd on pouvait lire "une mise en scène au scalpel, une oeuvre riche et déroutante, un film haletant, un sommet...".  Autant de compliments qui s'avèrent encore plus en adéquation avec les films suivants du réalisateur. C'est le moment de profiter des grands écrans des salles de cinéma pour se souvenir ou redécouvrir comment tout ça a commencé...

Annette Bening, la présidente anti-Trump du Festival de Venise

Posté par vincy, le 5 juillet 2017

Le choix est audacieux, pour ne pas dire gonflé. Et réjouissant par la même occasion. Une femme. Une actrice respectée et même admirée. Une militante engagée. Bref une Américaine qui symbolise à elle-seule la lutte anti-Trump. Annette Bening sera la présidente du jury du 74e Festival de Venise (30 août-9 septembre). La dernière fois qu'une femme avait été à ce poste c'était en 2006 (Catherine Deneuve). Berlin avait quand même réussi à convaincre Meryl Streep d'être à la tête de son jury en 2016. On ne peut que se féliciter d'avoir été cherché une comédienne qui n'est pas dans la catégorie A des stars bankables, mais dont les choix de films révèlent une exigence que son talent enrichit largement. C'est l'une des plus brillantes actrices américaines, assumant ses rides, et capable de jouer avec naturel tout en nous bouleversant sans effets.

Bafta de la meilleure actrice pour American Beauty de Sam Mendes, deux fois récompensée par les Golden Globes en tant que meilleure actrice dans une comédie (Adorable Julia de Istvan Szabo et Tout va bien ! The Kids are All Right de Lisa Cholodenko), nommée aux Oscars pour Les Arnaqueurs, de Stephen Frears, American Beauty, Adorable Julia et Tout va bien ! The Kids are All Right, Annette Bening va célébrer ses 30 ans de carrière au cinéma l'an prochain.

Des studios aux films indépendants, Annette Bening a aussi brillé chez Milos Forman (Valmont), Mike Nichols (Bons baisers d'Hollywood, A propos d'Henry>), Barry Levinson (Bugsy, où elle a rencontré son mari, Warren Beatty), Rob Reiner (Le Président et Muss Wade), Tim Burton (Mars Attacks!), Neil Jordan (Prémonitions), Rodrigo Garcia (Mother and Child), Sally Potter (Ginger and Rosa), Michel Hazanavicius (The Search)...

Politiquement engagée

A l'affiche de 20th century Women qui lui valu sa 8e nomination aux Golden Globes (et qui fut une des polémiques de cet hiver quand on découvrit son absence aux nominations des Oscars), elle a trois films à venir: La mouette de Michael Mayer, avec Saoirse Ronan, Film Stars Don’t Die in Liverpool de Paul McGuigan, avec Jamie Bell, Life, Itself de Dan Fogelman, avec Olivia Wilde, Oscar Isaac, Samuel L. Jackson et Antonio Banderas.

Soucieuse de son indépendance, elle sait attaquer, y compris politiquement. Elle veut défendre le système de sécurité sociale américain et l'IVG, est soucieuse des plus fragiles, des minorités ou des familles monoparentales. "C’est un moment historique dans la vie de notre pays. La plupart d’entre nous a honte de ce qui est train de se passer. Cette politique est honteuse, elle est anti-américaine" expliquait-elle cet hiver. Mais elle profite de ses interviews pour marteler sa façon de penser et sur le féminisme. "S'il est plus facile d'être une femme en 2017 qu'il y a quarante ans, grâce aux progrès de l'éducation, il existe aujourd'hui une autre pression : on attend de nous que nous réussissions nos études, que nous ayons un bon travail, mais aussi que nous soyons de bonnes mères, de bonnes épouses, sexy et tout le temps heureuses. C'est trop !" affirmait-elle cet hiver dans Télérama.

Ce qu’il faut savoir sur « I am not Madame Bovary » de Feng Xiaogang

Posté par MpM, le 5 juillet 2017

Flaubert en Chine

Le titre international est un peu abusif car dans le roman original de Liu Zhenyun (Je ne suis pas une garce, 2015), il est fait référence à Pan Jinlian qui est un personnage mythologique ayant conspiré avec son amant pour assassiner son mari. Son nom est désormais utilisé en Chine pour désigner une femme indigne, infidèle ou débauchée. L’utilisation du nom d’Emma Bovary est plutôt abusif, dans la mesure où l’héroïne de Flaubert tient plus de la femme fantasque empêtrée dans une vie monotone que de la dévergondée assoiffée de sang.

Fresque ironique

Le film se passe sur plus d'une dizaine d'années et met en scène l'héroïne Li Xuelian qui multiplie les procès pour recouvrer son honneur perdu. A l'origine de l'histoire, il y a un divorce blanc contracté par l'héroïne et son mari dans le but d'obtenir un deuxième logement. Mais l'homme volage en profite pour se remarier avec une autre. Bafouée et meurtrie, Li Xuelian se porte alors en justice pour faire reconnaître qu'il s'agissait d'un faux divorce. Son idée est de se remarier avec son ex-mari puis de divorcer à nouveau, cette fois-ci sans ambiguïté. Son combat est évidemment dérisoire, destiné à plonger le spectateur dans l'étonnant labyrinthe judiciaire chinois.

Satire sociale

Le film accompagne Li Xuelian dans des tribulations judiciaires qui oscillent entre l’absurdité et la farce. La jeune femme remonte en effet la hiérarchie locale (du juge au préfet) pour faire entendre ses doléances, et multiplie les procès et les recours. Ces rouages un peu grippés dévoilent le portrait d'une Chine en pleine mutation judiciaire dans laquelle les responsables sont terrorisés par une simple femme en quête de justice. Le film balance ainsi entre un registre volontairement comique (le harcèlement insidieux de l’héroïne envers les officiels devient une sorte de running gag, et son indéfectible ténacité en est presque comique) et une touche nettement plus sombre quand son acharnement la conduit en prison, et gâche toute son existence.

Cadre rond

En plus d’une esthétique très soignée qui évoque la peinture traditionnelle chinoise, Feng Xiaogang recourt à un cadre circulaire pendant presque la totalité du film. Ce procédé empêche évidemment tout gros plan sur les personnages, et donne le sentiment au spectateur d’être un voyeur observant chaque scène à travers un télescope. Comme l’héroïne, il n'a pas une bonne vision d’ensemble, puisque tout ce qui est hors du cercle lui échappe. C’est uniquement lorsqu’elle parvient à Pékin que son horizon s’élargit (momentanément), et avec lui le cadre.

Fan BingBing

C’est Fan BingBing, aperçue auparavant dans des superproductions chinoises comme Bodyguards and assassins ou Shaolin ainsi que dans l’univers des XMen (Days of future past) qui incarne avec justesse et vitalité le cette Antigone des temps modernes. Le drame qu’elle traverse, et dont on connaîtra seulement à la fin toutes les facettes, atteint physiquement le personnage qui n'est plus que l'ombre d'elle-même à la fin du film.

Récompenses

I am not Madame Bovary a reçu le prix de la critique internationale au Festival de Toronto et le Coquillage d'or du meilleur film ainsi que le coquillage d'argent de la meilleure actrice à San Sebastian. Il a également été distingué par trois Asian Awards dont meilleur film et meilleure actrice et par le Golden horse de la meilleure actrice.