C'est une habituée de la Croisette. Il y a quatorze ans déjà, Valérie Donzelli est révélée à la Quinzaine des réalisateurs avec son rôle dans Martha... Martha de Sandrine Veysset. Elle revient à la Quinzaine sept ans plus tard, en 2008, avec son deuxième court métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde. Mais c'est en 2011 que l'actrice-scénariste-réalisatrice fait l'événement sur la Croisette, du côté de la Semaine de la critique avec La Guerre est déclarée. Inspiré par la vie du couple à l'écran et à la ville qu'elle forme avec Jérémie Elkaïm, le film insuffle son style rafraîchissant et vif à une histoire bouleversante, mais sans pathos. Le film est un succès en salles (plus de 800000 entrées) et récolte de nombreux prix dans les Festivals et six nominations aux César.
Nous voici en 2015 et Valérie Donzelli est en compétition, dans la cour des grands, avec Marguerite et Julien. On est très loin de ses précédentes réalisations puisqu'il s'agit d'un film historique (et romantique).
En plein XVIe siècle, Julien (Jérémie Elkaïm) et Marguerite (Anaïs Demoustier) de Ravalet, progénitures du seigneur de Tourlaville, s’aiment d’un amour tendre depuis leur enfance, qui, avec le temps, se transformer en passion incestueuse dévorante. Scandale. Ils doivent fuir… Mais la société ne l'entend pas ainsi: ils sont jugés pour adultère et inceste, accusations qu'ils nient, et sont condamnés à la décapitation.
Donzelli et Elkaïm ont adapté un scénario écrit dans les années 70 à l’origine par Jean Gruault pour François Truffaut, dont elle est fan. A 42 ans, l'ancienne vendeuse vosgienne de chez Ladurée a réussi à s'imposer avec un style singulier. Dès son premier film en tant que réalisatrice, La Reine des pommes (2009), elle séduit et obtient le prix du public au Festival Premiers Plans d'Angers. En 2012, avec Main dans la main (et Valérie Lemercier en vedette), elle prend quelques risques formels et propose une comédie presque musicale où la danse fait figure d'allégorie. On doit aussi ajouter à sa filmographie le téléfilm Que d'amour!, adaptation du Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux avec les comédiens de la Comédie-Française, pour Arte.
Car s'il y a bien un fil conducteur dans ses films, c'est le couple et sa capacité à résister sur la durée, cette passion romanesque qui peut se confronter aux obstacles du quotidien ou de la société. Burlesque ou tragi-comique, le style allège toujours les drames qui couvent. Donzelli l'avoue régulièrement: le désir est essentiel, et l'amour est fusionnel: "Je ne suis pas très intelligente, pas analytique, je raisonne comme une casserole, je suis foutraque..." Elle est aussi gourmande, "de rencontres, de vie, d’amour". D'Albator à Marilyn, ses héros reflètent sa génération touche-à-tout, insatiable, contradictoire, capable de passer des Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes à King Kong Théorie de Virginie Despentes, de Lolita de Stanley Kubrick à Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock
On retrouve cet éclectisme dans ses choix de comédienne. En tant qu'actrice, Donzelli a surtout été un second-rôle: Cette femme-là de Guillaume Nicloux, Qui a tué Bambi ? de Gilles Marchand, Le plus beau jour de ma vie de Julie Lipinski, Voici venu le temps d'Alain Guiraudie, L'Intouchable de Benoît Jacquot, Pourquoi tu pleures ? de Katia Lewkowicz, Les Grandes Ondes (à l'ouest) de Lionel Baier, Opium d'Arielle Dombasle, Saint Laurent de Bertrand Bonello, Les Chevaliers blancs de Joachim Lafosse...
La seule chose qui pourrait nous inquiéter c'est son rapport au jeu. En lice pour la Palme d'or, cette mauvaise joueuse acceptera-t-elle de perdre? "Je suis même prête à tout pour gagner" avoue-t-elle... Elle a la carte dans le cinéma français, mais pour le coup, à Cannes, ce n'est pas elle qui a les cartes en mains.