Berlin 2013 : Bruno Dumont, Volker Schlöndorff, Pia Marais et Emily Atef plaident pour que le cinéma redevienne un art

Posté par kristofy, le 19 février 2013

L’Office Franco-Allemand a accueilli à la Cinémathèque de Berlin une table ronde sur le thème "Tradition et contre-courants", plus précisément les traditions, les ruptures avec les conventions et les contre-courants politiques et sociaux dans le 7ème art.

Ce débat en public, où les festivaliers de la 63e Berlinale ont aussi posé leurs questions, a réuni un panel de quatre cinéastes :

Volker Schlöndorff : arrivé en France en 1956 il a été assistant-réalisateur (de Jean-Pierre Melville, Alain Resnais, Louis Malle…) avant de réaliser son premier film à 26 ans, Les désarrois de l'élève Törless (prix de la Critique internationale à Cannes en 1966) et devenir ensuite une des figures du Nouveau Cinéma Allemand ; son film le plus célèbre Le Tambour a reçu la Palme d’or à Cannes en 1979 et l'Oscar du meilleur film étranger en 1980 ; l’année dernière son film sur la résistance française La Mer à l’aube était au Festival de Berlin.

Bruno Dumont : ses films L’Humanité et Flandres ont été récompensés à Cannes par le Grand prix du jury (un doublé rare) ; il était en compétition officielle cette année à Berlin avec son nouveau film Camille Claudel 1915, avec Juliette Binoche.

Emily Atef : après son premier film Molly’s way, son second film L’Etranger en moi est passé à La Semaine de la Critique à Cannes, et son troisième film Tue-moi est sorti l’année dernière. Elle est la présidente du jury jeune du Prix OFAJ.

Pia Marais : déjà réalisatrice de deux film Trop libre et A l’age d’Ellen, son troisième film Layla Fourie, en compétition officielle à Berlin, a reçu une mention spéciale du jury de Wong Kar-wai.

La discussion qui abordait les liens entre leur travail et celui d’autres cinéastes de différentes générations a pris la tournure de la complexité de faire et de voir des films de cinéma aujourd’hui. Bruno Dumont très en verve a lancé la question très intéressante de l’éducation à l’image…

En voici la synthèse :

-Volker Schlöndorff : La notion de ‘cinéma d’auteur’ de La Nouvelle Vague était d’imprimer sa personnalité dans son film ; avec un cinéaste qui écrit, réalise, produit. Voir même qui parle de lui, ce qui fait du cinéma dit nombriliste. C’était une époque de révolution culturelle, avec la mort du ‘cinéma de papa’. Se posait la question pour des réalisateurs comme Howard Hawks ou Raoul Walsh qui n’était pas à l’origine de la création de leurs films, ni à l’origine de la production ni à l’origine du scénario, qui pouvaient être considérés comme des auteurs.

-Bruno Dumont : Je suis devenu cinéaste en voyant des films, la notion d’auteur n’était pas très claire, elle désigne un peu du cinéma pas commercial. Pour moi un auteur est à l’origine de son film, en écrire le scénario et le réaliser. C’est ce que je fais. Robert Bresson et Maurice Pialat n’ont souvent pas écrit les scénarios, ils sont considérés comme ‘film d’auteur’. ‘Auteur’ signifie surtout que le réalisateur doit être le chef à bord, la personne la plus importante, celui qui s’oppose aussi à l’industrie. Le cinéma est un art avant un divertissement. Beaucoup de films sont des projets industriels plus que de la culture…

-Pia Marais : J’ai réalisé trois films, tous différents les uns des autres, il y a une certaine antipathie de ‘l’école berlinoise’, mes films n’en font pas partie.

-Emily Atef : Les trois films que j’ai réalisés étaient avant tout des souhaits profonds que j’avais. Je n’ai pas l’impression aujourd’hui que les gens veulent voir beaucoup de cinéma d’auteur en Allemagne. Mes films ont eu plus de succès d’estime et ont été mieux accueillis en France qu'en Allemagne. Mon prochain film sera beaucoup plus français que les autres.

-Bruno Dumont : Le public n’a pas l’habitude de voir des films d’auteur. On présente Intouchables aux Oscar, il y a quelque chose de grave, c’est aussi un problème politique. Il n’y a que dans les festivals de cinéma où on voit vraiment une diversité. Aujourd’hui personne ne veut regarder un film de Bergman. Aujourd’hui il est hors de question qu’un comédien se dise tragédien, il n’y a plus que de la comédie. On met des stades de foot en banlieue où le modèle c’est Zidane, donner à la jeunesse des modèles qui ne sont pas culturels c’est une faute politique. En France on a un système pas mal avec le CNC pour le financement où les recettes des gros films peuvent contribuer au budget des petits films. Je fais des films pour environ 2 millions d’euros parce que on ne me donnera pas plus. Pour un film à 15 millions d’euros il faut rendre des comptes aux différents financiers, il n’y a plus de liberté. Alors pour un petit film on se débrouille, on privilégie des décors naturels, on ne loue pas de grue pour des plans en hauteur, des techniciens sont payés 30% en dessous du tarif, tout le monde fait un effort. Moi c’est vrai que j’écris en fonction de mon budget, je n’ai pas de difficulté à écrire en me limitant.

-Volker Schlöndorff : C’est encore pire en Allemagne, il y a moins de cinéphilie, moins de films en version originale, moins d’aides financières. Est-ce qu’on parviendra à redonner sa place au cinéma ? L’âge d’or des années 60-80 quand le cinéma était pris au sérieux est révolu. Maintenant 90% des films sont du divertissement. Il faut éteindre la télé.

-Bruno Dumont : On a le cinéma qu’on mérite. Il faut changer notre culture et notre rapport aux autres, redistribuer les cartes, fermer ça et ouvrir ceci. C’est une décision politique.

-Volker Schlöndorff : C’est un choix de faire du cinéma avec du contenu qui soit aussi divertissant, et parfois ça peut être bien. Mais quand quelqu’un comme Martin Scorsese a fait Shutter Island j’ai été indigné. Faire des films et faire du cinéma ce n’est pas pareil.

-Emily Atef : Un film qui a de bonnes critiques dans un festival quand il est diffusé à la télévision c’est après minuit. Parce que on a peur de perdre l’audience des jeunes.

-Pia Marais : Le cinéma a perdu le contact avec les jeunes générations. Certains ne supportent pas les longs plans, il faut que ça bouge dans tous les sens le plus souvent.

-Bruno Dumont : Les films sont là. Ce sont les médias qui choisissent de ne pas cultiver et d’abrutir le public. Quand Flandres est passé à Cannes mes acteurs n’ont pas été invités à passer à la télévision. A Cannes, Canal+ ne parle pas de cinéma, ils invitent des people comme une femme de footballeur ou un chanteur, pour eux c’est de l’évènementiel. Il m’est arrivé qu’un responsable de France Télévisions me dise que mon film est formidable, mais ils ne l’ont pas produit et il ne le diffuse pas. Il faut diffuser plus de cinéma, il faut éduquer les masses. Il suffit de commencer par Charlie Chaplin, Robert Bresson. Il faut subventionner le cinéma, il ne faut pas viser la rentabilité. Si on veut que le cinéma redevienne un art, il faut le subventionner : gagner de l’argent avec des films c’est de l’industrie. Le poison vient de mélanger l’art et l’argent. Ce qui est grave c’est d’estimer un film en fonction de son nombre d’entrée. Aujourd’hui j’ai réalisé Camille Claudel 1915 avec Juliette Binoche, et là enfin des médias commencent à être excités, beaucoup plus par ce film que par mes films d’avant, mais c’est parce que il y a Juliette Binoche.

-Pia Marais : L’époque de Volker Schlöndorff était révolutionnaire, les gens s’intéressaient au cinéma. J’espère que ça va revenir, j’espère que la prochaine génération sera plus curieuse.

-Bruno Dumont : Il faut accepter la marginalité et accepter les contradictions du système qui fait que des premiers films et des films dits élitistes peuvent avoir une avance avec de l’argent qui vient des tickets vendus par les gros succès commerciaux. Le monde ancien est en mutation, MK2 arrête ses activités de production. Il y a des films qui se font avec 500 000 euros, pour 200 000 euros, pour moins. Il ne faut pas penser à un monde idéal, France Télévisions ne diffusera jamais un film de Jean-Marie Straub à 21 heures. Je pense que aujourd’hui avec le numérique on peut tourner un film pour rien ou pas grand-chose. La jeune génération doit prendre acte des nouvelles technologies, Internet peut diffuser des films sans distributeur de cinéma.

Sophie Dulac devrait distribuer l’Ours d’or début 2014

Posté par vincy, le 18 février 2013

Sous quel titre sortira-t-il? Pozitia Copilului en roumain, Child's Pose en anglais, ... La place de l'enfant ou La position de l'enfant en français?  Sophie Dulac distribuera le film de Calin Peter Netzer, qui a reçu l'Ours d'or à Berlin samedi soir. Le drame roumain ne sortira pourtant que début 2014 selon le distributeur.

Le film était l'un des favoris de la critique internationale, si l'on en croit le tableau de Screen International, qui le plaçait derrière le chilien Gloria.

Avec dans le rôle principal Luminita Gheorghiu (Code inconnu, Le temps du loup, La Mort de Dante Lazarescu, 12h08 à l'est de Bucarest, 4 mois 3 semaines 2 jours, Au-delà des collines), et la réputation du réalisateur, sans compter l'intérêt croissant pour le cinéma roumain, le film devrait trouver son public.

Calin Peter Netzer a déjà remporté plusieurs prix pour son premier long métrage Maria (Grand prix à Bratislava, prix spécial du jury à Locarno, prix Europa) et le suivant Médaille d'honneur (prix du public à turin, prix de la critique internationale à Thessalonique, mention spéciale à Miami).

Le film raconte l'histoire d'une mère de famille aisée ultra-possessive qui cherche à protéger et même exempter (avec son argent et ses réseaux) son fils immature, responsable d'un accident de la route mortel.

Un cinéma roumain adoré dans les Festivals, ignoré dans son pays

C'est la première fois qu'un film roumain gagne l'Ours d'or à Berlin. La Berlinale avait cependant récompensé d'un grand prix du jury If I Want to Whistle, I Whistle en 2010. Le cinéma roumain n'a jamais été récompensé par le prix suprême à Venise (Terminus Paradis avait reçu le Grand prix du jury en 1998). En revanche, Cannes avait décerné la prestigieuse Palme d'or à 4 mois 3 semaines 2 jours en 2007.

Cet Ours d'or arrive à point nommé au moment où les réalisateurs roumains souffrent d’un manque sévère de fonds pour monter leurs projets et pour montrer leurs films (la Roumanie compte environ 240 écrans) face à un gouvernement qui cherche à contrôler de plus en plus la production cinématographique.

Berlin 2013 : le jury de l’OFAJ récompense Zwei Mütter

Posté par kristofy, le 16 février 2013

Durant ce 63e Festival de Berlin, un jury composé de 7 jeunes a été invité par l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ) à se rencontrer et à échanger autour des films de la sélection ‘Perspective Deutsches Kino’ qui privilégie les premiers films de jeunes cinéastes allemands. Le Prix OFAJ – Dialogue en Perspective existe depuis 2004, doté de 5 000 euros (et d’une aide au sous-titrage et à sa diffusion), cette année ils ont été choisis parmi plus de 120 candidatures : 3 jeunes originaires de France, 3 jeunes originaires d’Allemagne, et 1 originaire du Portugual (tous billingue français-allemand). Ce jury OFAJ était présidé par la réalisatrice Emily Atef (de culture à la fois française, allemande et iranienne).

L’objectif est de proposer à de jeunes européens un espace de dialogue autour du 7ème art, et à Berlin en particulier avec le jeune cinéma allemand. Durant quelques jours, nous avons rencontré plusieurs fois ces jeunes jurés dans les salles et entre deux projections. Jorge, 23 ans, est celui qui vient de Lisbonne mais il est en ce moment étudiant à Paris pour un master en communication, il aime autant Godard et Fassbinder que Audrey Estourgo et Jan Raiber : "on a des journées où on voit 5 films, dans le jury chacun donne son avis, on s’est réunis plusieurs fois ensemble pour en débattre. On a tous différentes sensibilités mais aussi des références communes. Notre présidente Emily Atef elle nous écoute, elle demande qu’on argumente, elle pose des questions."

Clara, 24 ans, vient de Reims et fait un master d’études cinématographiques, elle s’intéresse à l’enfance dans le cinéma avec Jacques Doillon, Bruno Dumont et Ramon Zürcher : "Emily Atef donne un avis plus appuyé en général que le notre mais elle ne vote pas, les débats sont fructueux, on parle des films de manière large, aussi bien de questions techniques qu'esthétiques".

Un film sur deux femmes amoureuses qui désirent un enfant

Ce prix du jury de l’OFAJ 2013 a donc été remis au film Zwei Mütter (deux mères) : en Allemagne, l'histoire de deux femmes amoureuses (43 et 37 ans) qui pendant plus d'un an vont être confrontées à diverses difficultés dans leur désir d'avoir un enfant (pas de don de sperme aux lesbiennes, inséminations, donneurs à chercher...) et comment tout cela va affecter leur couple. « Le long-métrage d’Anne Zohra Berrached a convaincu le jury tant par son esthétique et son travail sur la forme, que par sa sincérité et la profondeur de son contenu. Le film parvient avec beaucoup de délicatesse à traiter d’un thème politique, sans pour autant chercher à être militant. L’authenticité du jeu des deux actrices principales permet au film de dresser le portrait convaincant d’une relation amoureuse complexe entre deux femmes aspirant à une vie de couple et de famille. En trouvant l’équilibre entre une démarche documentaire et le construction d’une fiction, la réalisatrice parvient de manière très intelligente à ouvrir de nouvelles perspectives où les deux formes trouvent leur place et se conjuguent parfaitement. »

La diversité des films en sélection a été saluée. Florian, 27 ans de Paris, a fait son mémoire sur l’œuvre de Werner Herzog précise en aparté que "le choix du jury n’a aucun rapport avec l’actualité en France sur le mariage pour tous ou la PMA, ce sont les qualités de narration du film qui l’ont emporté" ; et Tatiana, 29 ans de Karishue, étudiante en journalisme et déjà co-fondatrice d’un magazine de cinéma : "il n’y a pas eu unanimité, on a discuté de tous les films, chacun a défendu son préféré, il y a eu un débat animé et constructif avant de choisir le film lauréat".

Théophile, 22 ans originaire de Picardie, étudiant en sciences politiques dans un double cursus franco-allemand, est très impliqué dans un ciné-club : "Je ne vois pas de différence entre les jurés français et allemands, on ne peut pas résumer une culture à 3 jurés, on vient tous d’univers très différent, ce qui compte plus que notre pays d’origine ce sont nos origines universitaires. On expose plusieurs arguments qui ouvrent des champs de perspectives, on part avec un à-priori et puis la discussion peut faire considérer un film sous d’autres angles. Avec Emily Atef on a une grande complicité, elle a une façon d’enrichir la conversation qui permet un dialogue constructif et une certaine qualité de discussion."

L’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse célèbre cette année 2013 les 50 ans du traité de l’amitié franco-allemande.

Le palmarès de Berlin 2013 : le film roumain Child’s Pose remporte l’Ours d’or

Posté par vincy, le 16 février 2013

child's pose ours d'or berlin 2013

Lire aussi : Berlin 2013 : pronostics et favoris ; Une édition dominée par les femmes, le poids de la religion et le spectre de l’enfermement

Child's Pose du roumain a surclassé tous les favoris, y compris Bruno Dumont, ignoré par le jury. A cet Ours d'or, ajoutons les deux prix pour le film de Danis Tanovic, An episode in the Life of an Iron Picker (belle, sensible et réaliste incursion dans une petite communauté rom où la solidarité finit par prédominer) et tout cela confirme que le cinéma d'Europe de l'Est continue de séduire ; sans oublier le Teddy Award remis hier au très beau film polonais In the Name of...!

Child's Pose, "portrait d'une époque et d'un certain milieu social en même temps que celui d'une mère possessive", aborde le conflit de générations et la question de la culpabilité. Ce tableau d'une classe moyenne dominante et arrogante est composé de "scènes étirées, de dialogues brutaux et tout contribue à un sentiment de malaise qui sonne juste" écrivions-nous dans notre bilan.

Un court-métrage Français (La fugue), une grande actrice chilienne, Paulina Garcia, époustouflante Gloria, et un cinéaste québécois, Denis Côté, qui aime les chemins de traverse, au point d'être autant adoré que détesté avec son Vic + Flo ont vu un Ours, sont parmi les primés de ce soir, qui feront oubliés des choix plus discutables dans d'autres catégories.

Jafar Panahi n'hérite ainsi que d'un modeste prix du meilleur scénario pour son film clandestin Closed Curtain. Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin, magistralement filmé, ne revient qu'avec le prix, mérité, de la meilleure contribution technique. Gold et In the Name of Father... ont été snobé, tout comme les films français, pourtant appréciés par la critique. Ne parlons pas du cinéma américain : on trouve Wong Kar-wai bien indulgent d'avoir décerné une mention spéciale à Gus Van Sant pour son Promised Land.

On reste aussi circonspects avec le prix de la mise en scène pour David Gordon Green, dont Prince avalanche a séduit une partie de la presse, et qui s'avère un remake d'Either way de l'Islandais Hafsteinn Gunnar Sigurðsson, dont le charme décalé avait plus d'intérêt.

Palmarès du jury

Ours d'or : Pozitia Copilului (Child's Pose) de Calin Peter Netzer (Roumanie)

Deux mentions spéciales : Layla Fourie de Pia Marais et Promised Land de Gus Van Sant

Grand prix du jury : An episode in the Life of an Iron Picker de Danis Tanovic (Bosnie Herzégovine)

Prix Alfred Baueur (innovation) : Vic+Flo ont vu un Ours de Denis Côté (Canada)

Meilleur réalisateur : David Gordon Green pour Prince Avalanche (USA)

Meilleure actrice : Paulina Garcia dans Gloria de Sebastian Lelio (Chili)

Meilleur acteur : Nazif Mujic dans An episode in the Life of an Iron Picker de Danis Tanovic (Bosnie Herzégovine)

Meilleure contribution technique : le directeur de la photographie Aziz Zhambakiyev pour Harmony Lessons d'Emir Baigazin (Kazakhstan)

Meilleur scénario : Closed Curtain de Jafar Panahi (Iran)

Ours d'or d'honneur : Claude Lanzmann

Prix du premier film (toutes sélections confondues)

Meilleur premier film : The Rocket de Kim Mordaunt (Australie), sélectionné en Generation Kplus

Mention spéciale : A batalha de Tabatô (The Battle of Tabatô) de João Viana (Guinée Bissau/Portugal)

Court-métrages

Ours d'or  : La Fugue de Jean-Bernard Marlin (France)

Ours d'argent : Die Ruhe bleibt (Remains Quiet) de Stefan Kriekhaus (Allemagne)

Berlin 2013 : The Broken Circle Breakdown, coup de coeur du public dans la section Panorama

Posté par vincy, le 16 février 2013

Les prix du public (28 000 votes cette année) pour la section Panorama de la 63e Berlinale ont été révélés cet après-midi. Le public berlinois devait choisir parmi 52 films venus de 33 pays.

Après avoir conquis le jury du prix Europa Cinémas du meilleur film européen hier, The Broken Circle Breakdown, du Belge Felix Van Groeningen, vient d'obtenir les faveurs du public de cette section parallèle. Le film sera distribué en France par Bodega Films. Selon le communiqué de presse, le film s'est installé en favori très tôt durant le Festival, et a gagné de manière très nette.

The Broken Circle Breakdown, histoire passionnelle sous influence américaine tendance musique country, est l'adaptation d'une pièce de Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels. Il s'agit du quatrième long métrage du réalisateur Felix Van Groeningen.

Reaching the Moon, du vétéran brésilien Bruno Barreto, récit auour de la poétesse new yorkaise Elizabeth Bishop lors d'un voyage à Rio de Janeiro, est classé 2e ; Inch'Allah de la canadienne Anaïs Barbeau-Lavalette, jusque là plutôt documentariste, a reçu suffisamment de suffrages pour obtenir la 3e place avec son histoire humaniste où une médecin québécoise est confrontée aux problèmes des femmes palestiniennes.

Côté documentaires, The Act of Killing de l'américain Joshua Oppenheimer, qui revient sur le coup militaire indonésien de 1965, l'a emporté sur Salma de la britannique Kim Longinotto, qui nous emmène dans une minorité musulmane en Inde, et A World Not Ours du citoyen sans frontières Mahdi Fleifel, qui nous immerge dans un camp de réfugiés palestiniens au Liban.

Berlin 2013 : Teddy Awards évidents pour « In the Name of… » et Sébastien Lifshitz

Posté par vincy, le 16 février 2013

C'est un film de la compétition qui a été élu meilleur film par le jury des Teddy Awards (les prix LGBT de la Berlinale). Logiquement, In the Name of (W Imie) de la polonaise Malgoska Szumowska (avec ses deux comédiens principaux sur le photo) a été couronné par le prix le plus convoité par le cinéma LGBT. Il a aussi été récompensé par un prix du public. Nous avions déjà prédit sa victoire dans notre actualité du 8 février...

Logique car le sujet était en soi porteur : un prêtre catholique amoureux d'un de ses protégés, résistant aux tentations alors que son Jésus s'offre à lui. Il doit également géré des adolescents turbulents, mal à l'aise avec leur sexualité, certains ayant des penchants sodomites ou juste une orientation clairement homosexuelle. Mais le film valait bien ce prix tant sa mise en scène sobre et sensible, son image sublime, ses comédiens charismatiques et sensuels, et son scénario très bien construit en font aussi l'un des favoris pour un Ours du jury ce soir à Berlin.

Les Teddy Awards étaient remis hier. Sébastien Lifshitz (Les invisibles) a été sacré par le prix du meilleur documentaire pour Bambi, qui retrace le parcours d'un homme, né en 1935 en Algérie, devenu femme française de 77 ans.

Les autres prix ont été remis à Undress me du suédois Victor Lindgren (meilleur court métrage) et à Concussion de l'américaine Stacie Passon (prix spécial du jury).

Berlin 2013 : pronostics et favoris

Posté par MpM, le 15 février 2013

berlin 2013À quelques heures de la proclamation du palmarès de la 63e Berlinale, le moment est venu de se livrer au grand jeu des pronostics. Exercice cette année particulièrement difficile tant aucun film ne semble réellement faire l'unanimité.

La compétition n'a pas été mauvaise, mais tiède, peu enthousiasmante, avec une majorité de films qui semblent rester en deçà de leur sujet, incapables d'être à la hauteur de leurs ambitions. Sans compter les quelques œuvres dont on se demande ce qu'elles font en compétition (Promised land de Gus van Sant, Layla Fourie de Pia Marais, La mort nécessaire de Charlie Countryman de Frederik Bond, quoi que dans des proportions et pour des raisons différentes), on a été déçu par le manque de mordant du dernier Ulrich Seidl (Paradis : espoir) ou par les intentions un peu ratées du Soderbergh (Side effects).

Même Prince avalanche de David Gordon Green, dont on n'attendait rien, et qui a séduit une partie de la presse, s'avère un remake quasi plan par plan de l'original (Either way de l'Islandais Hafsteinn Gunnar Sigurðsson), avec juste une pointe de surenchère qui le rend peut-être plus "fun" mais lui fait perdre une partie de son charme décalé.

Camille Claudel 1915, Harmony Lessons, Closed curtain, Gold

Le palmarès risque donc d'être lui aussi en demi-teinte. Tout dépendra dans le fond de l'orientation prise par le jury présidé par Wong Kar-wai. Si les jurés penchent pour un cinéma radical et exigeant, leur choix pour un grand prix peut se porter en priorité sur trois films.

On pense immédiatement à Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, habité d'un véritable souffle tragique et servi par une mise en scène élégante et posée qui est comme un écrin à la présence douloureuse de Juliette Binoche.

Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin a également ses chances, lui aussi magistralement filmé, avec un sens du cadre qui fait oublier ses quelques longueurs. Le mélange d'humour burlesque et franchement noir ainsi que l'universalité du sujet (la violence, ses manifestations et sa perpétuation) peuvent toucher les jurés soucieux de récompenser une œuvre engagée.

Enfin, Closed curtain de Jafar Panahi peut être un choix évident. Difficile en effet de faire abstraction du contexte dans lequel il à été tourné et des risques pris par tous ceux qui ont participé au projet. D'autant que le film, bien qu'inégal, dépeint avec une rare intensité l'état d'esprit d'un artiste que l'on empêche de créer. Jafar Panahi livre une réflexion avant tout sur lui-même, et sur la manière dont il réagit à l'interdiction qui le frappe, mais aussi plus largement sur la condition de l'artiste en général. Ce faisant, il délivre un message à la fois de résistance et d'espoir à destination de tous ceux qui sont sous le coup de la censure. Lui donner l'ours d'or serait à ce titre un geste extrêmement politique.

En revanche, si le jury décide au contraire d'être plus consensuel, Gold pourrait être un bon choix : bien écrit, bien réalisé, le western de Thomas Ardlan figure parmi ce que l'on a vu de plus maitrisé et abouti pendant le festival. Le personnage de "cowgirl" indestructible interprétée par Nina Hoss ajoute même une touche d'humour et de sensibilité à cette ruée vers l'or qui se transforme en hécatombe

In the name of, Child's pose, An epidode In the Life of an iron picker, Vic+Flo ont vu un ours

Côté outsiders, tout est possible. Il semble notamment que l'Europe de l'Est ait sa carte à jouer avec In the name of de la Polonaise Malgoska Szumowska, Child's pose du Roumain Calin Peter Netzer ou An epidode In the Life of an iron picker de Danis Tanovic (Bosnie).

Le premier bénéficie d'un scénario brillant qui construit intelligemment son intrigue en déjouant sans cesse les attentes du spectateur. Son sujet brûlant, surtout pour un film polonais, (l'homosexualité dans l'Eglise), peut par ailleurs être un atout "politique". Même chose pour le film de Danis Tanovic sur ce père de famille pauvre  qui se démène pour sauver la vie de sa femme et doit se heurter aux persécutions du milieu médical. Au lieu d'être misérabiliste, comme on pourrait s'y attendre, An epidode In the Life of an iron picker est une incursion sensible dans une petite communauté rom où la solidarité finit par prédominer. La mise en scène naturaliste et la banalité des situations présentes à l'écran en font presque un reportage choc. Et pour cause : il s'agit d'une histoire vraie, interprétée à l'écran par ceux-là même qui l'ont vécue.

Plus dur, Child's pose est le portrait d'une époque et d'un childsposecertain milieu social en même temps que celui d'une mère possessive. Le film aborde le conflit de générations et la question de la culpabilité, tout en dressant un tableau peu amène de cette classe moyenne dominante qui se croit tout permis sans que quiconque pense à les contredire. Les scènes étirées,  les dialogues brutaux, tout contribue à un sentiment de malaise qui sonne juste.

Mais la surprise pourrait aussi venir du Québec. Vic+Flo ont vu un ours de Denis Coté est le genre de film qui divise : soit on déteste, soit on adore. Sa mise en scène au cordeau, son étrange mélange des tons et des genres, son casting trois étoiles (Romane Bohringer, Pierrette Robitaille, Marc-André Grondin... ) peuvent lui valoir une récompense, d'autant qu'il y a peu de candidats pour le prix Alfred Bauer de l'innovation cette année...

Pauline Garcia, Juliette Binoche, Pauline Etienne, Catherine Deneuve

Pour ce qui est des prix d'interprétation, le choix demeure large, mais des tendances se dessinent. Paulina Garcia est donnée favorite pour son rôle de cinquantenaire qui essaie de refaire sa vie dans Gloria de Sebastian Lello. C'est vrai qu'elle y est épatante, drôle, sensible, presque bouleversante. Ce serait sûrement le meilleur moyen de récompenser le film qui est joli, mais n'a pas la carrure pour un grand prix. L'actrice a quand même des concurrentes sérieuses avec Pauline Étienne, très fraîche et spontanée dans La religieuse de Guillaume Nicloux, et Juliette Binoche, qui réalise une composition formidable (bien que ténue et quasi invisible) en Camille Claudel. Mais Catherine Deneuve dans Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot, en sexagénaire à la recherche d'elle-même, pourrait leur voler la vedette in extremis.

Alexander Yatsenko, Andrzej Chyra, Timur Aidarbekov

Chez les hommes, c'est globalement la même configuration : Alexander Yatsenko porte sur ses épaules le tragique A happy and long Life de Boris Khlebnikov qui raconte l'échec d'un mouvement de solidarité contre l'expropriation d'une jeune fermier ; Andrzej Chyra offre une interprétation très sensible en prêtre homosexuel torturé par le désir comme par le remords dans In the name of et Timur Aidarbekov est impressionnant en jeune adolescent évoluant dans un monde de violence qu'il traverse avec un air impassible recouvrant un feu incontrôlable dans Harmony lessons. L'un d'entre eux pourrait donc aisément succéder à Mikkel Boe Folsgaard, récompensé en 2012.

Mais avant même de connaître les lauréats, on peut d'ores et déjà annoncer sans trop se tromper que la Berlinale 2013 ne restera pas dans les annales. S’inscrivant dans la continuité d'une année cinématographique 2012 peu enthousiasmante, elle semble au contraire laisser penser que la période creuse n'est pas encore terminée. Rendez-vous à Cannes pour un sursaut d'énergie ?

Berlin 2013 : une édition dominée par les femmes, le poids de la religion et le spectre de l’enfermement

Posté par MpM, le 14 février 2013

Berlin a depuis longtemps une réputation de festival "politique" qui est rarement usurpée. Chaque année, on semble plus qu'ailleurs prendre ici des nouvelles du monde et de la nature humaine, comme le prouvent ne serait-ce que les derniers prix attribués à Barbara, Cesar doit mourir ou encore Une séparation. 2013 n'y fait pas exception qui voit la majorité des films de la compétition aborder des sujets sociaux, politiques ou économiques, ou au moins interroger les fondements de nos sociétés faussement policées.

Globalement, cinq grandes thématiques ont ainsi hanté les films en compétition, amenant parfois deux ou trois oeuvres à se faire étrangement écho au-delà les frontières géographiques, stylistiques ou historiques.

Le poids de la religion

2013 fut une année faussement mystique mais réellement critique envers une religion catholique sans cesse prise en flagrant délit d'hypocrisie. La démission du pape Benoit 16, en beau milieu de la Berlinale, a d'ailleurs semblé participer du mouvement... Qu'on juge un peu : un prêtre homosexuel amoureux (In the name of de la Polonaise Malgoska Szumowska), une jeune fille cloîtrée contre son gré (La religieuse de Guillaume Nicloux) et une artiste de talent enfermée dans un asile par son frère dévot (Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont)  font partie des figures les plus marquantes croisées pendant le festival.

Dans le premier film, un prêtre tente tant bien que mal de refouler ses penchants homosexuels. Travaillant avec des adolescents difficiles, il est comme soumis à une tentation permanente qui transforme sa vie en cauchemar. Le film rend palpable les contradictions criantes de l'Eglise catholique sur le sujet, montrant à la fois l'hypocrisie du système et les dangers que cela engendre.

Pour ce qui est de La religieuse et de Camille Claudel (voir article du 13 février), leurs héroïnes sont toutes deux victimes à leur manière d'individus se réclamant de la foi catholique. La religion n'est plus seulement un carcan dans lequel il est difficile de s'épanouir, mais bien un instrument de pouvoir utilisé contre ceux (en l'occurrence celles) qu'il entend confiner. Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre les deux films, qui s'inscrivent clairement dans la thématique de l'enfermement arbitraire et dans  l'exercice complexe et délicat du portrait de femme.

Enfermement arbitraire

Il ne fallait en effet pas être claustrophobe cette année pour supporter des oeuvres où l'individu est confiné, empêché, gardé physiquement et mentalement contre son gré. Outre Suzanne Simonin et Camille Claudel, la jeune héroïne de Side Effects (Steven Soderbergh) est emprisonnée dans un asile psychiatrique où elle se transforme lentement en zombie sous l'effet des médicaments. Celle de Paradis : espoir (Ulrich Seidl) est elle dans un "diet camp" d'où elle n'est pas censée sortir, sous peine de brimades et dangers.

Dans Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin, les choses vont plus loin : le jeune héros est carrément en prison, où les méthodes policières ne se distinguent pas tellement de celles (brutales) des racketteurs de son lycée. Il est donc torturé, battu et menacé par des hommes qui ne cherchent pas tant à trouver le vrai coupable du meurtre sur lequel ils enquêtent qu'à se débarrasser au plus vite de l'affaire. Glaçant.

Et puis, bien sûr, il y Closed curtain de Jafar Panahi, parfait symbole de l'oppression et de l'arbitraire, entièrement tourné dans une villa dont les rideaux restent clos pendant presque tout le film. Le contexte de création du film (l'assignation à résidence du réalisateur et son interdiction de tourner) renforce le climat anxiogène de ce huis clos psychologique. D'autant que Jafar Panahi est également sous le coup d'une interdiction de voyager, et donc de quitter son pays. L'enfermement est ici à tous les niveaux, y compris mental.

Ce qui évoque une thématique sous-jacente : celle de l'artiste empêché, dans impossibilité de laisser libre cours à son art, et qui meurt à petit feu de ne pouvoir travailler.  Jafar Panahi est dans cette situation intenable qui le contraint métaphoriquement à choisir entre tourner illégalement (avec les risques que cela suppose) ou mourir. Camille Claudel 1915 aborde la question sous un angle légèrement différent, mais on retrouve également cette inextinguible soif de création, qui ne peut être satisfaite, et conduit l'artiste sinon à la mort, du moins à la déchéance.

Portraits de femmes

Les femmes étaient par ailleurs au coeur de nombreux films présentés. Non pas en tant que compagnes ou petites amies potentielles, mais bien en tant qu'héroïnes à part entières. D'ailleurs, plusieurs films sont nommés d'après leur personnage féminin principal : Gloria du Chilien Sebastian Lelio, Layla Fourie de Pia Marais, Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, La religieuse de Guillaume Nicloux ou encore Vic+Flo ont vu un ours de Denis Coté. Toutes ont en commun de savoir ce qu'elles veulent et d'être prêtes à tout pour parvenir à leurs fins.

La chercheuse d'or de Gold (de Thomas Arslan) n'est pas en reste dans le genre superwoman indestructible qui vient à bout de tous les obstacles et tient la dragée haute aux hommes. Même chose pour la mère (certes horripilante, mais dotée d'une vraie force de caractère) de Child's pose (de Calin Peter Netzer). Loin du cliché sur les femmes fragiles, féminines, maternelles, ou autres, tous ces personnages mènent leur vie comme elles l'entendent ou, si on les en empêche, n'ont pas peur de se rebeller pour gagner leur liberté. Et lorsqu'elles sont confrontées à des hommes, c'est plus dans une relation de collaboration, voire de domination, que de séduction ou de soumission.

Probablement pour cette raison, leurs relations familiales demeurent relativement conflictuelles. L'héroïne de Child's pose est ainsi une mère envahissante excessive et odieuse, qui se désespère de ne pouvoir contrôler entièrement l'existence de son fils devenu adulte.  Elle est l'archétype de cette mère terrible qui conçoit la vie comme une incessante lutte de pouvoir et a tant investi son fils qu'elle est incapable de le laisser voler de ses propres ailes. A l'inverse, la mère du héros dans La mort nécessaire de Charlie Countryman reconnaît lucidement qu'elle n'a pas été très bonne dans ce rôle, et qu'elle est incapable de conseiller son fils en pleine crise existentielle. Elle se dédouane et répond à ses questions par des pirouettes. Quant à Gloria, elle aimerait avoir une relation conviviale avec ses enfants mais souffre en silence d'une immense solitude. Elle est pile dans cette période de la vie où les femmes se retrouvent seules parce que leurs enfants sont grands et que leur mari est parti avec une plus jeune. Un long parcours d'obstacles les attend avant qu'elles soient en mesure de refaire véritablement leur vie.

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Berlin 2013 : la France envoie Huppert, Binoche, Deneuve… et des films sur l’enfermement

Posté par MpM, le 13 février 2013

binocheTrio gagnant pour le cinéma français : en l'espace d'une semaine, trois de ses plus grandes ambassadrices auront foulé le tapis rouge berlinois pour le plus grand bonheur de la presse internationale et du grand public. Réunir dans une même édition Isabelle Huppert (La religieuse de Guillaume Nicloux), Juliette Binoche (Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont) et Catherine Deneuve (On my way d'Emmanuelle Bercot), même le Festival de Cannes aurait de quoi être un peu jaloux. D'ailleurs, nos trois comédiennes éclipseraient presque les (rares) Américaines à avoir fait le déplacement.

Curieusement, le hasard de la sélection et du planning font que les deux films français présentés jusqu'à présent en compétition ont beaucoup en commun. D'abord, tous deux s'inscrivent presque malgré eux dans l'histoire du cinéma français. La religieuse de Guillaume Nicloux arrive en effet après celle, magistrale, de Jacques Rivette. Pauline Étienne marche donc dans les pas d'Anna Karina, inoubliable Suzanne Simonin, à laquelle on ne peut cesser de penser. La jeune actrice est convaincante, apportant à la jeune religieuse une vitalité et une modernité très spontanées. Elle n'efface pas Anna Karina et son masque de douleur muette, martyr opprimée dans sa chair comme dans les tréfonds de son âme, mais offre une relecture sensible du personnage.

Bruno Dumont, lui, situe son film après celui de Bruno Nuytten dont il est en quelque sorte la suite et la conclusion. Juliette Binoche reprend quasiment le rôle là où Isabelle Adjani l'avait laissé, interprétant une Camille Claudel mature et presque apaisée dont le visage est le théâtre de toutes les émotions humaines. Sa composition est aussi habitée que la précédente, mais dans un registre totalement différent, incomparable. Le scénario exige d'elle une immense retenue corporelle, voire une douceur qui se mâtine parfois d'angoisse ou de douleur. Son regard semble alors le dernier siège du feu intérieur qui la brûlait. Ce regard qu'elle porte sur le monde et sur ceux qui l'entourent, observatrice insatiable de la réalité et des merveilles qu'elle peut engendrer.

Toutefois, au-delà du clin d'œil cinématographique, La religieuse et Camille Claudel 1915 sont surtout deux histoires de femmes empêchées, deux destins contrariés, contraints à l'enfermement, et aspirant à la liberté. Dans les deux cas, la foi catholique sert de caution morale, si ce n'est de prétexte, au confinement dans lequel on les tient. Une foi bafouée par ceux-là mêmes qui prétendent la défendre : d'un côté la mère supérieure du couvent qui veut inculquer vocation et amour de Dieu par la force et la violence, de l'autre l'écrivain Paul Claudel tout infatué de sa foi profonde et mystique, mais incapable de faire preuve envers sa sœur de la plus élémentaire charité chrétienne.

La folie dont on accuse les deux femmes trouve systématiquement son reflet hideux et déformé dans le comportement de ceux qui les dénoncent. La cruauté vengeresse de la première mère supérieure, la passion échevelée de la deuxième, l'exaltation mystique de "l'illuminé" Paul Claudel sont autant de manifestations d'une instabilité mentale bien plus dangereuse et néfaste que celle d'une religieuse cloîtrée contre son gré ou d'une grande artiste que l'on enferme arbitrairement avec des malades mentaux. L'atteinte impardonnable que l'on fait à leur liberté, et donc à leur existence, le climat d'oppression dans lequel on les maintient, l'injustice criante qui les frappe les condamnent donc à mourir à petit feu, ne serait-ce que de désespoir.

Curieux, comme deux films aux ambitions esthétiques, stylistiques et même cinématographiques aussi dissemblables en arrivent au final à créer le même climat anxiogène et presque claustrophobe. Peut-être est-ce là la grande universalité du cinéma. Car bien que les époques et les circonstances soient différentes, bien que le rapprochement entre les deux histoires ne soit dû qu'au hasard, les destins de Suzanne Simonin et de Camille Claudel demeureront désormais intimement et inextricablement liés.

Berlin 2013 : Jafar Panahi, filmer pour rester en vie

Posté par MpM, le 12 février 2013

"Wo bleibt Jafar Panahi ?" (où est Jafar Panahi ?) interrogeait désespérément un panneau installé devant le Palais lors de la Berlinale 2012. Cette année, même si le réalisateur iranien n'est pas présent physiquement à Berlin, ce que déplore le comité Friedensfilmpreis dans un nouveau happening, on a enfin de ses nouvelles par l'intermédiaire de son nouveau film, Pardé (Closed curtain), coréalisé avec le réalisateur Kambuzia Partovi.

Le long métrage, qui mêle documentaire et fiction, a été entièrement tourné avec une équipe réduite dans une villa aux rideaux presque perpétuellement tirés. Jafar Panahi est en effet toujours sous le coup d'une interdiction de travailler à la suite des événements de 2009 (voir notre actualité du 17 octobre 2011). Officiellement, toute transgression pourrait lui valoir un emprisonnement d'une durée de six ans.

"Nous ne savons pas quelles seront les conséquences [de cette transgression]", a confirmé Kambuzia Partovi, qui a lui reçu l'autorisation de venir présenter le film à Berlin. "Nous ne pouvons pas prévoir ce qui va arriver. Nous sommes dans l'attente."

Pardé emmène le spectateur directement dans la tête de Jafar Panahi, tiraillé entre son désir de continuer à travailler et l'angoisse que tout cela soit vain. Son dilemme insoluble (travailler ou mourir) est matérialisé à l'écran par deux personnages aux réactions antinomiques qui se disputent sur la manière dont ils voient l'avenir du cinéaste.

A sa manière, avec beaucoup d'humour, un brin de folie, et surtout une grande tristesse latente, Jafar Panahi nous fait sentir ce que c'est, pour un artiste, que de ne plus pouvoir créer, et réalise un hymne poignant à la liberté. Sur la forme, le cinéaste a visiblement travaillé avec les moyens du bord, dans un huis clos étouffant qui peut parfois accentuer la langueur des situations et des dialogues.

"Jafar Panahi a toujours essayé de réaliser des projets dans les limites de ce que permettent les circonstances" a rappelé Kambuzia Partovi. "Les conditions qui vous limitent peuvent également vous inspirer." Il a également rappelé à quel point il est difficile, pour un réalisateur, de ne pas être en mesure de poursuivre son oeuvre. Toutefois, il a tenu à rassurer les spectateurs du monde entier : "Jafar Panahi ne pense pas sans cesse à se suicider, sinon il n'aurait pas fait le film. Mais moi, si j'étais confiné et interdit de travailler, ce genre d'idées noires me passeraient parfois par la tête, inconsciemment. On finit par être déprimé et c'est je crois ce que montre le film."

Il le montre en effet, et avec une épure de moyens qui finit par s'avérer tout simplement bouleversante. On oublie l'austérité du procédé et les temps morts qui jalonnent le récit pour ne plus voir que l'ingéniosité cinématographique et la force dramatique du propos. Car si certains tournent pour le plaisir ou pour l'argent, Jafar Panahi, lui, tourne indéniablement pour demeurer vivant.

Photos : Happening organisé par le comité du Friedensfilmpreis 2013 / Kambuzia Partovi et l'actrice Maryam Moghadam lors de la conférence de presse

Crédit : MpM