Berlinale 2019 : what we left unfinished de Mariam Ghani convoque les fantômes du cinéma afghan

Posté par MpM, le 12 février 2019

Décidément Berlin est hantée. Après les visiteurs spectraux de Denis Côté, une autre de forme de fantômes est cette année à l’honneur au forum : ceux de films afghans inachevés, tournés entre 1978 et 1991, sous les différents régimes communistes dont ils ont subis les aléas. La documentariste Mariam Ghani exhume ces images inédites (dont la plupart n'avaient originellement ni sons ni dialogues), et en fait la matière principale de son film au titre si joliment évocateur : What we left unfinished (ce qu’on laisse inachevé), présenté dans la section Forum de la Berlinale.

Disons-le tout de suite, la partie purement documentaire, à savoir les témoignages des réalisateurs et comédiens de l’époque, est inégale. Bien sûr, les propos de la comédienne Yasamin Armal, qui a perdu toute sa famille à cause de sa vocation de comédienne, dès l’âge de 14 ans, sont à la fois touchant et passionnants. On sent en filigrane son désir d’émancipation, et la volonté d’offrir par procuration cette liberté aux spectatrices de ses films. Les souvenirs de tournage avec le président Hafizullah Amin en guest star ou sous le feu des balles réelles (celles utilisées sur le plateau, mais aussi celles des Moudjahidins qui attaquent l’équipe) sont également assez savoureux et inattendus. D’autres sont plus anecdotiques, voire un peu répétitifs.

Echos d'un passé à jamais révolu

Mais l’essentiel n’est pas là. Car ce qui compte, ce sont ces pépites présentées sous nos yeux, films clairement à la gloire de la révolution et de l'idéal communiste (comment, sinon, obtenir les moyens de tourner dans un système où l’industrie cinématographique a été nationalisée ?), qui donnent de l’Afghanistan une image particulièrement éloignée des clichés contemporains. Ce sont donc des femmes (trop) maquillées, des hommes en jean et en blouson de cuir, des chemises ouvertes et des robes légères qui se succèdent à l’écran. Toute l’imagerie hollywoodienne du cinéma d’action est aussi présente : explosions, combats, fusillades... L’un des héros, qui vient annoncer les bienfaits de la révolution, semble même tout droit sorti d’un épisode de Starsky et Hutch.

On regrette amèrement de ne pas en voir et en apprendre plus. Plutôt que l’histoire du cinéma en Afghanistan sous le régime communiste, on a envie de découvrir ces films dont on ne voit à l'écran que des bribes, mêlés les uns aux autres au gré du montage. Peut-être Mariam Ghani n'a-t-elle pas totalement pris la mesure du formidable potentiel cinématographique que représentent ces images au-delà de leur valeur historique. De la force qu’elles prennent ensemble, et de ce qu’elles disent certes d’une époque, mais aussi et surtout du cinéma en général.

Elles nous parviennent alors comme des fantômes privés de parole, échos d’un passé à jamais révolu, et riches d’une histoire qui en a totalement transformé la trajectoire et la signification. Elles nous incitent à penser le cinéma comme l'art de préserver le passé et de ressusciter les morts, mais aussi de remonter, et parfois d'arrêter, le temps qui n'en finit plus de filer. Terminés, ces films auraient été oubliés. Inachevés, ils gagnent un goût d'éternité.

Berlinale 2019: Adam McKay et André Téchiné, le vice sans la vertu

Posté par vincy, le 12 février 2019

Deux des rares films de la sélection officielle de la 69e Berlinale signés par des cinéastes connus et récompensés abordent l’Etat islamique.

Vice d’Adam McKay en retrace les origines. Avec son cinéma mashup - reportage, fiction, satire et politique -, ce film d’infotainment suit le parcours de Dick Cheney, étudiant raté et mec médiocre, qui a su et pu grimper les échelons jusqu’à là vice-présidence américaine sous George W. Bush. D’où le titre, Vice.

Qu’on peut aussi interpréter autrement : le vice, celui qui lui permet sournoisement et malicieusement de s’imposer sans scrupules comme le président bis. De ses calculs explosera la guerre en Irak, deuxième session, et le désir de revanche de certains au Moyen-Orient. Trop occupé avec Saddam Hussein, proie exutoire, trop concentré à cacher ses mensonges et ses erreurs, trop obsédé à réussir sa propagande anti Al-Qaida, le brillant stratège laissera échapper un monstre. Il a semé les graines bien fertiles de cet Etat Islamique devenu au fil des attentats en Occident la bête noire à abattre, prolongeant sans fin le conflit au Moyen-Orient.

La suite, on la trouve dans le film d’André Téchiné, L’adieu à la nuit. Ou plutôt le bonjour au brouillard. Ce drame reprend les trois axes des films du réalisateur: les liens du sang, la transgression et la faute souvent morale et induisant toujours la notion de responsabilité.

Une grand-mère est coincée dans un dilemme personnel lorsqu’elle découvre que son petit-fils va partir en Syrie combattre aux côtés de l’Etat islamique. Nous sommes plus de dix ans après la fin de l’ère Cheney. Désormais de jeunes occidentaux sont enrôlés, consentants, pour faire la guerre aux sociétés occidentales, « pourries » par la luxure, l’individualisme et le consumérisme. On en revient aux vices.

Il n’y a pas forcément de vertu. Les deux films ne sombrent pas dans la leçon moralisatrice ou le happy end réconciliateur ou salvateur.

Cheney (Christian Bale) survit mais il n’a jamais été président et subit la colère profonde de l’une de ses filles adorées. Muriel (Catherine Deneuve) perd ses repères et semble ne plus sortir de la nuit qui obscurcit ses pensées.

En dialoguant involontairement et sous des formalismes très différents - l’un avec une maitrise très hollywoodienne de la narration par le montage, l’autre avec un savoir-faire à la française qui se repose sur le scénario et les acteurs - Vice et L’adieu à la nuit montre comment la puissance d’un homme (aiguisée par l’ambition de son épouse) peut avoir des répercussions dramatiques sur des familles  à l’autre bout du monde, des années plus tard.

Vice démontre la capacité d’action de la politique. L’adieu à la nuit expose les conséquences de ces mêmes politiques.

Le citoyen lambda peut en effet s’estimer victime.

Berlinale 2019 : Denis Côté fustige la tentation du repli sur soi avec Répertoire des villes disparues

Posté par MpM, le 11 février 2019

Habitué de la Berlinale (Vic+Flo ont vu un ours en 2013, Boris sans Béatrice en 2016), Denis Côté apporte une nouvelle fois sa singularité à la compétition, qui en a particulièrement besoin cette année. Son nouveau film Répertoire des villes disparues est un étrange portrait de groupe inspiré d'un roman de Laurence Olivier. En ouverture, un jeune homme d'Irénée-les-neiges se tue en voiture, d'une manière qui laisse peu de doute sur le caractère volontaire de l'accident. Peu à peu, d'étranges phénomènes se produisent dans la petite commune de 215 habitants, et notamment l'apparition au bord des routes d'étranges silhouettes immobiles.

Construit sur un mode choral, le film pourrait être le pilote particulièrement accrocheur d'une série fantastique. Le rythme est rapide, les scènes courtes, les personnages nombreux. On passe de l'un à l'autre avec une forme de gourmandise romanesque, chaque séquence apportant une nouvelle pierre à l'édifice complexe de l'intrigue, sous forme d'une question ou d'une autre sous-intrigue. L'humour, au départ, côtoie le drame. Puis on observe peu à peu un glissement vers le cinéma de genre, avec une inquiétude sourde qui envahit l'écran. C'est à ce moment-là que Denis Côté montre la maîtrise de son cinéma, en réussissant à nous faire peur avec un simple plan fixe sur des gens debout et immobiles.

Mais effrayer le spectateur n'est pas forcément le but ultime de Denis Côté, qui préfère de loin le surprendre avec de multiples ruptures de ton, et ménage notamment de vrais moments de comédie pure. Il pose surtout la question du repli sur soi, tentation caressée par les habitants de la commune suite au décès du jeune Simon, et explore les différentes facettes du deuil et de son impact sur les êtres. Il ausculte enfin le microcosme que forment ces villages minuscules où tout le monde se connait tellement que le moindre visiteur inhabituel apparaîtra comme un intrus, voire une menace.

Car ce sont bien les pires travers de ses semblables (méfiance envers ce qui est différent, rejet de ce que l'on ne connaît pas) que croque le cinéaste dans ce conte métaphorique où l'on reproche aux "arrivants" de ne pas être à leur place. Le personnage de la mairesse est à ce titre édifiant, de son discours lors de la veillée funéraire, à sa diatribe envers les inconnus qui envahissent son village, en passant par son propos condescendant face à la psychologue envoyée pour aider les habitants à surmonter le drame de la mort de Simon. Pour elle, Irénée-les-neiges doit rester perpétuellement la même, territoire presque sacré que menacent tout changement et tout nouveau venu. Ici, on règle ses problèmes entre-soi, et on est prêt à tout pour ne pas faire appel à l'extérieur.

Cette attitude de repli en évoque évidemment d'autres, terriblement contemporaines, et tout aussi mortifères. Denis Côté ne cache pas avoir pensé à la situation migratoire actuelle pour écrire le film, et dénonce en filigrane dans ce Répertoire des villes disparues l'idée que l'identité d'un territoire ou d'un peuple puisse être mise en péril par une poignée d'individus venus d'ailleurs. Ce faisant, le cinéaste démontre que si chacun gère comme il le peut son angoisse face au changement, la fraternisation est encore la solution qui conjure le mieux la peur irrationnelle de tout ce qui est autre et différent.

Berlin 2019: le film de Zhang Yimou retiré de la compétition

Posté par vincy, le 11 février 2019

La compétition de la 69e Berlinale est amputée d’un film. Ils ne sont plus 16 en course pour l’Ours d’or, soit l’une des sélections les plus faméliques de l’histoire du festival de Berlin.

Le film chinois Yu miao zhong (One second) de Zhang Yimou a en effet été retiré du programme. Le festival explique ce retrait par des problèmes techniques survenus en post-production. Le film, avec Wei Fan et Zhang Yi se déroule durant la Révolution culturelle au milieu de paysages désertiques. Un prisonnier, dont la passion du cinéma l'a conduit à s'évader des camps de travail et une orpheline vagabonde se rencontrent. Elle vole la précieuse pellicule qu'il convoite et que les villageois attendent pour la projection.

La Berlinale remplacera les séances prévues pour One second par Ying xiong (Hero), du même Zhang Yimou, prix Alfred Bauer à Berlin en 2003.

Zhang Yimou venait pour la 5e fois en compétition. Il a déjà remporté l'Ours d'or en 1988 pour Le sorgho rouge ainsi que le prix du jury œcuménique et le Grand prix du jury en 2000 pour Heimweg.

Berlinale 2019 : trio amoureux à Fukuoka avec Zhang Lu

Posté par MpM, le 11 février 2019

Petit plaisir particulier de cette 69e édition berlinoise, avoir des nouvelles de Zhang Lu, réalisateur chinois que nous avions eu la chance de rencontrer au FICA de Vesoul en 2006. Il y avait d’ailleurs remporté le Cyclo d’or avec son deuxième long métrage, Grain in ear. On le retrouvait un an plus tard en compétition à Berlin avec Désert dream, puis en 2011 avec Dooman river. Ses films suivants ont ensuite eu les honneurs de Locarno (Gyeongju en 2014) et de Busan (A quiet dream en ouverture en 2016).

Le voilà donc de retour Pozdamer platz cette année avec Fukuoka, sélectionné au Forum, qui s’avère plus intéressant que la plupart des longs métrages présentés en compétition jusque-là. Même si ça n’est pas tellement difficile, vu la platitude de certains titres en course pour l'Ours d'or, il faut avouer que Zhang Lu nous surprend avec une sorte de conte allégorique qui oscille entre comédie, romance et fantastique.

Une version allégorique du cinéma d'Hong Sang-soo

Au cœur de l’intrigue, Jea-Moon, un libraire dont la vie est au point mort, qui décide sur un coup de tête de partir au Japon avec sa très jeune voisine qu’il connaît à peine. Là-bas, l’insolite duo retrouve son ancien ami et rival de collège, Hae-hyo, qui tient un bar. Tous les trois boivent, marchent dans les rues de Fukuoka, se disputent et tentent, tant bien que mal, de remettre de l’ordre dans leurs vies et leurs pensées.

Le film nous fait penser par moments à une version allégorique du cinéma d'Hong Sang-soo, avec son trio contemporain qui fait écho à l’ancien trio amoureux, et ses scènes de beuverie pleines d’humour qui n’en dévoilent pas moins la complexité des sentiments. À tout cela, Zhang Lu ajoute la tentation du fantastique, jouant avec ambiguïté sur le caractère fantomatique de certains de ses personnages, et sur l’irréalité fantasque de certaines scènes.

Emancipation

La jeune femme, So-dam, sert ainsi de médiateur énigmatique entre les deux protagonistes masculins, son plus grand pouvoir étant de permettre, par sa seule présence, aux êtres humains de se comprendre entre eux. Non seulement en aplanissant la barrière de la langue, mais aussi en rendant possible la communication en général. Cela se manifeste de manière sérieuse et profonde, lorsqu'elle incite Jea-moon et Hae-hyo à renouer le contact, mais aussi de manière plus fantaisiste, avec l'exemple du sourd muet qui met brutalement fin à un voeu de silence qui durait depuis dix années.

Le film est parsemé de jolies idées de scénario (comme celle de cette tour que l'on voit de partout, et qui disparaît pourtant, ou de cette bougie qui refuse de s'éteindre) et de plans simples (souvent fixes) mais élégants, et aux cadres recherchés. Ce n'est par exemple par un hasard si les deux personnages masculins apparaissent tous deux pour la première fois à l'écran comme engoncés dans l'image, prisonniers d'un cadre dans le cadre. Pas de hasard non plus dans l'élévation finale qui est la leur, réelle comme symbolique, et qui, en élargissant leur horizon, les libère d'une forme bien particulière de maléfice.

Zhang Lu réalise ainsi une oeuvre joyeuse, dont la légèreté apparente n'empêche nullement une profondeur plus symbolique, aux questions sans réponses. On ne sait si l'on a envie de (re)tomber amoureux après avoir vu le film, mais il est évident que l'on ne regrettera pas ce détour enchanté par Fukuoka.

Berlinale 2019 : Öndög de Wang Quan’an, love me tender en Mongolie

Posté par MpM, le 9 février 2019

Le cinéaste chinois Wang Quan’an est un habitué de Berlin, où il a remporté l’Ours d’or en 2007 avec Le mariage de Tuya, et présenté notamment Apart together en ouverture en 2010. Son nouveau film, Öndög, s’inspire des vastes espaces de la Mongolie extérieure où il a posé sa caméra pour raconter une histoire d’amour singulière, bercée par l’atmosphère propre au lieu.

La première séquence nous met sur une fausse piste. Une voiture parcourt la steppe de nuit. En vue subjective, on découvre le paysage à peine éclairé par les feux du véhicule. En voix off, deux hommes parlent de choses sans réelle importance, jusqu’à ce qu’ils découvrent sur le sol le corps nu d’une femme sans vie. Nous voilà donc plongés dans une atmosphère de polar, qui se dissipe pourtant quand il devient évident que la résolution du crime ne sera pas le sujet du film.

Un pas de deux dans les steppes

Dans des plans larges d’une grande beauté plastique, semblant souvent observer les personnages de loin, le cinéaste alterne l’humour et la poésie, faisant se succéder autour de cette femme morte des policiers maladroits, une jeune recrue zélée, une mère louve affamée, et une bergère à dos de chameau qui vit seule à 100km de son plus proche voisin. C’est elle qui se révèle peu à peu la véritable héroïne du film, femme à poigne qui manie habilement le fusil et le couteau, même si elle ne manque pas une occasion de faire appel à un berger qui ne pince pour elle lorsqu'elle a besoin d'aide avec son bétail.

Ce qui se joue entre ces deux-là est entre séduction et rejet, complicité et ironie. Dans cette steppe aux ciels flamboyants, ils se sentent comme deux dinosaures en voie d’extinction, tentés de conjurer leurs efforts pour ne pas disparaître.

Le rythme lent et contemplatif du film n’empêche pas le réalisateur de jouer sur les cadres et les mouvements à l’intérieur de l’image pour créer une forme de fantaisie burlesque qui tient à la fois de la magie et de l’ultra-quotidien. On retient notamment le soleil couchant sur la steppe qui baigne le paysage d'une lumière irréelle, et les chorégraphies joyeuses du jeune policier autour de la dépouille de la défunte, sur fond de Love me tender susurré par Elvis.

Célébrer la vie

Ce réalisme magique, à l’unisson de la mystérieuse steppe mongole, dépositaire de tant de secrets et de traditions, apporte un charme indéniable à Öndög, qui excelle à jouer sur son ambiance épurée pour laisser le spectateur aux prises avec ses uniques sensations, sans cesse surpris par le vent de liberté qui flotte sur cette steppe bienveillante où tout semble délicieusement permis, et par le tour inattendu que prend le récit.

Plus que la mort qui rôde dans la première séquence, c'est bien la vie, sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, qui est ainsi célébrée au coin du feu, à la lumière des lampes frontales, en partageant une bouteille ou l'expérience d'aider un agneau à naître. Etincelle vitale contre pulsion destructrice, remède classique mais ô combien efficace pour conjurer le mauvais sort, et remettre l'extinction à plus tard.

Berlinale 2019 : Grâce à Dieu de François Ozon, reconstitution sensible rattrapée par l’actualité

Posté par MpM, le 8 février 2019

Première entrée française de cette 69e Berlinale, Grâce à Dieu, le nouveau film de François Ozon aborde la question de la pédophilie dans l'Eglise en relatant l'histoire des victimes du prêtre Bernard Preynat accusé d'attouchements sexuels sur de jeunes scouts dans la région de Lyon. Le film, qui s'est fait en secret, arrive au moment-même où le cardinal Barbarin et Régine Maire, psychologue au service du diocèse, attendent le verdict du procès dans lequel ils sont accusés d'avoir couvert les agissements du prêtre, et avant même que le principal accusé n'ait été jugé. Un recours a d'ailleurs été déposé pour reporter la sortie du film, prévue le 20 février, afin qu'il ne soit pas sur les écrans avant la fin de la procédure judiciaire.

Et le film, dans tout ça ? On comprend que les accusés (qui bénéficient jusqu'au verdict de la présomption d'innocence) ne soient pas particulièrement ravis d'y apparaître sous leur véritable nom, sans le voile pudique de la fiction pure (d'autant que les victimes, elles, n'apparaissent pas sous leur véritable identité). La narration est en effet un mélange de reconstitution quasi documentaire et d'enquête minutieuse racontant comment le premier plaignant a porté plainte contre le prêtre Preynat après avoir tenté une conciliation avortée avec l'Eglise, puis comment d'autres victimes se sont jointes à son combat en montant l'association "la parole libérée".

La première partie du film consiste ainsi notamment en un échange épistolaire (lu en voix-off) entre Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) et Régine Maire d'une part, et le cardinal Barbarin d'autre part. Les enjeux y sont clairement posés, entre le besoin qu'éprouve la victime de voir le responsable sanctionné et la volonté de la hiérarchie religieuse d'amener l'affaire sur le terrain du pardon et de la repentance. Ces allers et retours entre les deux "camps", par le biais des lettres et des rencontres, se font sans temps mort, dans une forme de sécheresse narrative qui laisse très peu de place pour la fiction. Du personnage principal, on ne saura que ce qui a rapport à l'affaire, toute digression étant bannie, ou laissée hors champ.

François Ozon dresse ainsi en creux le portrait de l'accusé (pas vraiment à son avantage) mais aussi de Barbarin et de son équipe, présentés comme les gardiens d'une énorme machine rigide et froide qui ne pense qu'à sa propre sauvegarde. Le film décortique alors la stratégie d'évitement du cardinal, ainsi que l'incompréhension agacée, dénuée du moindre tact, de ceux qui l'entourent : "Pourquoi toujours remuer ces vieilles histoires ?" s'exclame l'un des responsables du diocèse.

On suit ensuite successivement deux autres personnages (interprétés par Denis Ménochet et Swann Arlaud) ayant été abusés par le prêtre, qui poursuivent le travail commencé par Alexandre Gérin. Le premier se met en quête d'autres victimes, en créant l'association "la parole libérée", et le second s'engage dans le mouvement, y trouvant un moyen de reconstruire sa vie. Le film bascule plus clairement dans le format de l'enquête, sans céder pour autant aux sirènes du sensationnalisme. L'aspect très clinique de la première partie laisse place à une fiction plus classique, avec quelques scènes qui permettent d'en savoir plus sur les personnages, et notamment d'appréhender les traces laissées, dans leur vie d'adulte, par les abus subis dans leur enfance.

François Ozon propose ainsi un récit sensible et pudique (malgré des flashbacks répétitifs qui n'apportent pas grand chose au récit) sur une tragédie humaine qui est celle des victimes de Lyon, mais qui pourrait être plus largement celle de toutes les victimes d'abus sexuels. Toutefois, difficile de nier que le film se fait plus précisément à charge contre l'Eglise en tant qu'institution toute-puissante qui n'a pas été capable de prendre la mesure de ce qui se passait dans ses rangs, et contre tous ceux qui ont été, volontairement ou non, les complices des agissements du prélat.

Quitte, parfois, à flirter avec un certain didactisme dans son propos. D'autant que les témoignages proposés par le film, ainsi que le récit qui est fait des agissements du cardinal Barbarin ou de ses proches, n'amènent pas vraiment le spectateur à douter de leur culpabilité, ce qui pose un vrai problème éthique. Car si on ne peut reprocher au réalisateur d'avoir voulu raconter "sa" vérité, qui est celle des victimes, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de laisser le verdict de fiction s'exprimer avant celui de la justice.

Berlinale 2019 : la compétition courts métrages

Posté par MpM, le 6 février 2019

Lors de cette 69e Berlinale, 24 courts métrages venus de 17 pays seront en course pour l'Ours d'or. Deux films seront également présentés hors compétition : Al Mahatta du réalisateur confirmé Eltayeb Mahdi (1989, Soudan) et Crvene gumene cizme de Jasmila Zbanic (2000, Bosnie Herzégovine), qui avait remporté l'Ours d'or en 2006 avec Sarajevo mon amour.

Trois films français seront du voyage : le court métrage d'animation Mr Mare (coproduit avec la Hongrie) de la réalisatrice Luca Toth, qui avait été révélée en 2016 à la Semaine de la Critique de Cannes avec le très réussi Superbia ; le documentaire Omarska de Varun Sasindran, étudiant au Fresnoy, qui avait déjà réalisé La chambre en 2017, et la fiction Prendre feu de Michaël Soyez, à qui l'on doit Knockdown en 2016.

On remarquera enfin la présence de plusieurs réalisateurs remarqués ces dernières années dans le milieu du court métrage, comme Jorge Jacome (Past Perfect) dont on avait tant aimé Flores en 2017 et Tan Wei Keong (Kingdom) dont le précédent court, Between us two, figurait dans nos courts métrages préférés de 2018,  ou encore Clarissa Thieme (Can’t you see them? – Repeat, qui figure également parmi les installation du Forum expanded) à qui l'on doit également Today is 11th June 1993 , Manuel Abramovich (Blue Boy) qui a déjà réalisé plusieurs longs métrages documentaires, dont un portrait de Lucrecia Martel sur le tournage de Zama (Light years), présenté à Venise en 2017, et Pham Ngoc Lan (Mot Khu Dat Tot) qui avait déjà été sélectionné en 2016 avec Another city.

La liste des films sélectionnés

All on a Mardi Gras Day, Michal Pietrzyk, USA
Blue Boy, Manuel Abramovich, Argentine, Allemagne
Can't You See Them? - Repeat., Clarissa Thieme, Allemagne, Bosnie Herzégovine
Entropia, Flóra Anna Buda, Hongrie
Flexible Bodies, Louis Fried, Allemagne
Héctor, Victoria Giesen Carvajal, Chili
How to Breathe in Kern County, Chris Filippone, USA
It has to be lived once and dreamed twice, Rainer Kohlberger, Allemagne, Autriche
Kingdom, Tan Wei Keong, Singapour
Leyenda dorada, Chema García Ibarra, Ion de Sosa, Espagne
Lidérc úr, Luca Tóth, Hongrie, France
Mot Khu Dat Tot, Pham Ngoc Lan, Vietnam
Në Mes, Samir Karahoda, Kosovo
Omarska, Varun Sasindran, France
Past Perfect, Jorge Jácome, Portugal
Prendre feu, Michaël Soyez, France
Rang Mahal, Prantik Basu, Inde
Rise, Bárbara Wagner, Benjamin de Burca, Brésil, Canada, USA
Shakti, Martín Rejtman, Argentine, Chili
The Spirit Keepers of Makuta'ay, Yen-Chao Lin, Canada
Splash, Shen Jie, Chine
Suc de síndria, Irene Moray, Espagne
Umbra, Florian Fischer, Johannes Krell, Allemagne
Welt an Bord, Eva Könnemann, Allemagne

Hors compétition
Al Mahatta, Eltayeb Mahdi, Soudan, 1989
Crvene gumene cizme, Jasmila Zbanic, Bosnie Herzégovine, 2000

Berlinale 2019: 45 films en sélection Panorama

Posté par vincy, le 4 février 2019

La prolifique section Panorama de la Berlinale affiche une fois de plus un programme chargé de 45 films (dont 116 documentaires) en provenance de 38 pays. 19 premiers films seront projetés.

37 Seconds de HIKARI, premier film (Japon)
All My Loving d'Edward Berger (Allemagne)
La Arrancada (On the Starting Line) d'Aldemar Matias, premier film - documentaire (Brésil)
Der Atem (The Breath) d'Uli M Schueppel (Allemagne)
Breve historia del planeta verde (Brief Story from the Green Planet) de Santiago Loza (Argentine)
Buoyancy de Rodd Rathjen, premier film (Australie)
Dafne de Federico Bondi (Italie)
The Day After I'm Gone de Nimrod Eldar, premier film (Israël)
Divino Amor (Divine Love) de Gabriel Mascaro (Brésil)
A Dog Barking at the Moon de Xiang Zi, premier film (Chine)
A Dog Called Money de Seamus Murphy, premier film - documentaire (Irlande)
Estou Me Guardando Para Quando O Carnaval Chegar (Waiting for the Carnival) de Marcelo Gomes - documentaire (Brésil)
Eynayim Sheli (Chained)de  Yaron Shani (Israël)
La fiera y la fiesta (Holy Beasts) de Laura Amelia Guzmán et Israel Cárdenas (République dominicaine)
Flatland de Jenna Bass with Faith Baloyi, Nicole Fortuin, Izel Bezuidenhout (Afrique du sud)
Flesh Out de Michela Occhipinti , premier film (Italie)
Greta de Armando Praça, premier film (Brésil)
Hellhole de Bas Devos (Belgique)
Jessica Forever de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, premier film (France)
Kislota (Acid) d'Alexander Gorchilin, premier film (Russie)
Lemebel de Joanna Reposi Garibaldi - documentaire (Chili)
Light of My Life de Casey Affleck, premier film (USA)
Mid90s de Jonah Hill, premier film (USA)
Midnight Traveler de Hassan Fazili et Emelie Mahdavian, premier film - documentaire (USA)
Los miembros de la familia (Family Members) de Mateo Bendesky (Argentine)
Monos de Alejandro Landes (Colombie)
Normal d'Adele Tulli, premier film - documentaire (Italie)
O Beautiful Night de Xaver Böhm, premier film (Allemagne)
Savovi (Stitches) de  Miroslav Terzica (Serbie)
Schönheit & Vergänglichkeit (Beauty and Decay) d'Annekatrin Hendel - documentaire (Allemagne)
Searching Eva de Pia Hellenthal, premier film - documentaire (Allemagne)
Selfie d'Agostino Ferrente - documentaire (France)
Serendipity de Prune Nourry, premier film - documentaire (USA)
The Shadow Play de Lou Ye (Chine)
Shooting the Mafia de Kim Longinotto - documentaire (Irlande)
Skin de Guy Nattiv (USA)
The Souvenir de Joanna Hogg (Royaume Uni)
Staff Only de Neus Ballús (Espagne)
Système K (System K) de Renaud Barret - documentaire (France)
Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari, premier film - documentaire (Soudan)
Temblores (Tremors) de Jayro Bustamante (Guatemala)
To thávma tis thálassas ton Sargassón (The Miracle of the Sargasso Sea) de Syllas Tzoumerkas (Grèce)
Western Arabs d'Omar Shargawi - documentaire (Danemark)
What She Said: The Art of Pauline Kael de Rob Garver, premier film - documentaire (USA)
Woo Sang (Idol) de Lee Su-jin (Corée du sud)

Berlin 2019: les jurys et les quatre hommages de la « Berlinale Camera »

Posté par vincy, le 29 janvier 2019

La Berlinale approche et quasiment tout est désormais révélé. Il restait les jurys et les hommages.

Pour la compétition, la présidente du jury Juliette Binoche (lire notre actualité du 11 décembre) sera entourée du critique américain Justin Chang, de l'actrice allemande Sandra Hüller (Toni Erdmann), du réalisateur chilien Sebastian Lelio (Une femme fantastique), du conservateur au MoMA à New York Rajendra Roy, de l'acteur britannique Trudie Styler (Maniac).

Le jury pour élire le meilleur premier film parmi les 16 proposés par les sélections berlinoises sera composé de l'auteure et journaliste allemande Katja Eichinger, du réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis et de la cinéaste chinoise Vivian Qu.

Pour le prix du meilleur documentaire, qui concerne 17 films des différentes sélections, le jury comprendra la réalisatrice italienne Maria Bonsanti, le réalisateur américain Gregory Nava, et la cinéaste brésilien Maria Ramos.

Par ailleurs, le Festival de Berlin décernera quatre prix hommages avec sa Berlinale Camera: la fondatrice de Independent Filmmaker Project Sandra Schulberg, l'ancien patron de la section Panorama Wieland Speck, la cinéaste française Agnès Varda et le réalisateur allemand Herrman Zschoche. On sait déjà qu'un Ours d'or d'honneur sera attribué à Charlotte Rampling.

Par ces choix, on voit bien que Dieter Kosslick, pour sa dernière année à la tête de la Berlinale a fait le choix d'un festival moins glamour et presque radical, privilégiant ceux qui défendent un cinéma d'auteur parfois pointu. Il sera intéressant de voir si Berlin suit cette voix, comme l'a fait Locarno il y a quelques années, ou décide de revenir dans une compétition plus frontale avec Cannes et Venise.