Angelina Jolie veut réaliser un film. Elle l'a annoncé à la fin de l'été, créant la surprise. Elle le co-produit sur ses propres deniers, avec GK Films. Ce ne sera pas la première star à le faire. Il s'agit d'une histoire d'amour entre un militaire serbe et une jeune Musulmane, sur fond de guerre en Bosnie (dans les années 90). Le film a déjà commencé ses prises de vue en Hongrie. Le tournage des séquences en Bosnie doit commencer le 10 novembre pour environ deux semaines. Et c'est là que l'incertitude menace sur la production.
Mais depuis deux semaines, les communiqués s'enchaînent : tantôt on lui retire sa permission de tournage, tantôt, on lui redonne. Un véritable pataquès.
Le coproducteur bosnien, Edin Sarkic (Scout film), aurait finalement obtenu l'autorisation, une semaine après l'annulation par les autorités locales. Selon Sardik, le tournage pourra avoir lieu dans les délais prévus et les endroits choisis.
Le ministère de la Culture de la Fédération croato-musulmane (l'une des deux entités de Bosnie) avait pourtant annulé la permission suite à la demande d'une association locale, "les Femmes victimes de la guerre", agacée par une interprétation du scénario faite par la presse locale. Le ministère avait demandé au coproducteur bosnien de lui remettre le scénario du film, avant de lui délivrer une nouvelle permission de tournage. Le ministère avait pourtant donné sa permission en septembre dernier, sur la simple lecture du synopsis.
Car pour les professionnels du cinéma en Bosnie, c'est un coup de massue : il attendaient beaucoup de ce tournage, tant pour l'impact économique et artistique que pour la reconnaissance de leur valeur. Le film n'est interprété que par des acteurs serbes et bosniaques et d'autres pays issus de l'ex-Yougoslavie.
La réalisatrice bosnienne Jasmila Zbanic, dont le film Grbavica a remporté l'Ours d'Or à la Berlinale de 2006, avait parlé d'un acte "primitif et totalitaire" des autorités.
Angelina Jolie, en bonne communicante américaine a adressé un message à l'association des femmes victimes de viols pendant la guerre et demandé à rencontrer ses membres pour "clarifier les malentendus". L'actrice a un lien réel avec le pays : elle est ambassadrice de bonne volonté du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) depuis 2001 et intervient, dans ce rôle, dans plusieurs pays dont la Bosnie-Herzégovine. Elle s'y est déplacée deux fois ces derniers mois, rencontrant à la fois des populations victimes et des ministres.
"J'éprouve un grand respect pour le travail qu'accomplit l'association "Femmes victimes de la guerre" et qu'elle a accompli par le passé et je voudrais avoir l'occasion de leur parler en personne pour clarifier tout malentendu autour de ce projet", a communiqué l'actrice. "Le choix de faire un film sur cette région et de le placer dans l'Histoire a pour objectif de rappeler aux gens ce qui s'est passé (en Bosnie) il n'y pas très longtemps et d'accorder une attention aux survivants de la guerre", écrit la star dans son message.
"Mon espoir est que les gens s'abstiendront de tout jugement avant d'avoir vu le film".
Ce qui est en cause, c'est une rumeur sur le scénario : la jeune Musulmane serait en fait amoureuse de son violeur, le militaire Serbe. La présidente de l'association, Bakira Hasecic, a déclaré à l'AFP qu'elle accepterait "volontiers" de rencontrer Angelina Jolie: "Nous voudrions qu'elle nous montre le scénario pour voir s'il contient des éléments qui fausseraient l'Histoire et la vérité".
Outre le fait que cette Asssociation met en péril l'avenir d'une industrie cinématographique fragile dans ce pays, on s'interroge sur deux points :
1) peu importe le sujet, un artiste est censé être libre de donner sa vision sur tous les aspects de l'histoire et de l'existence. Cette forme de censure reste inacceptable, même au nom d'une intention respectueuse. Le cinéma doit pouvoir évoquer aussi bien la monstruosité humaine que les passions les plus ambivalentes. La morale n'a pas sa place dans le processus de création.
2) on ne juge un film - et ses motifs, ses intentions, son point de vue, y compris politique - qu'après l'avoir vu. Qu'on parle d'euthanasie, de sexualité, de génocide, de guerre, ou de meurtres, c'est la manière dont on ressent les émotions, dont on ressort de la projection qui compte. Et tant pis ou tant mieux, si ça dérange, si ça pousse à une réflexion.
"C'est une histoire basée sur un mensonge. Parmi les milliers de témoignages de femmes violées pendant la guerre, il n'en existe pas un seul qui raconte une histoire d'amour entre la victime et son bourreau", a déclaré à l'AFP Bakira Hasecic. Tandis qu'Edin Sarkic a démenti fermement un tel scénario. "Tout le monde juge des choses sans même savoir de quoi il s'agit, car personne n'a lu le scénario", a-t-il fait valoir. C'est ce que confirme Variety, le magazine professionnel américain : il s'agit d'une simple histoire d'amour, influencée par le conflit en cours.
La presse bosniaque a préféré se focaliser sur le risque de ne pas avoir la star sur leur territoire et sur l'image que cela donnerait du pays.
Angelina Jolie continue, de son côté, de demander l'accélération de la dernière phase de retour des réfugiés de la guerre intercommunautaire. Et si au fond, c'était son point de vue personnel et politique qui dérangeait?