2018 dans le rétro : nos 15 courts métrages français préférés

Posté par MpM, le 2 janvier 2019

Si depuis fin décembre, les classements des films sortis en 2018 fleurissent un peu partout, le format court n'y est que trop rarement représenté. D'où l'envie de proposer un tour d'horizon forcément hyper subjectif des courts métrages qu’il fallait absolument voir l'année passée. Pour commencer, voici donc les quinze (autres) films français qui ont marqué 2018 !

Le baiser du silure de June Balthazard


Ce documentaire poétique commence comme un épisode d’histoire naturelle autour du silure, un poisson quasi mythique qui vit en profondeur et peut dépasser la taille de l'être humain. Puis les données scientifiques laissent peu à peu place à une réflexion plus philosophique. Le silure, considéré par certains comme nuisible et invasif, apparaît comme le symbole de cet « étrange étranger » qui cristallise les peurs et les fantasmes de l’être humain. Se reflète alors en ce paria des cours d’eau l’histoire ancestrale de notre rapport à l’altérité.

Le bel horizon de Jean-Baptiste Huber


Des moutons, une bergère, des chiens. En fond sonore, des tintements et des échos de voix. Vision bucolique et quasi documentaire des bêtes en route pour les alpages, sagement, en un troupeau bien compact. Puis vient soudainement cette voix-off posée, presque trop calme, qui semble réciter un conte pour enfants. Elle plonge pourtant le film à la fois dans la vision utopique d'un monde où les moutons décideraient de se rebeller contre l'homme, et dans un essai politique ironique et mordant qui dresse un parallèle de plus en plus signifiant entre ces sages moutons qui vont doucement à l'abattoir, et nous, malheureux humains qui ne faisons guère mieux. Si le dispositif est minimaliste, toute la puissance du film est dans son texte coup de poing et dans son geste de cinéma pur.

La chanson de Tiphaine Raffier


En voix-off, la narratrice nous l'explique : elle n'a pas vécu la catastrophe, mais c'est elle qui va nous la raconter. Prévenus, on s'attend désormais à tout. Mais probablement pas à ce qui nous attend réellement. Dans une ville étrange (Val d'Europe, ville artificielle entièrement créée par l'homme, située à quelques encablures de Disneyland), un groupe de copines prépare un concours de sosies. Brutalement, l'une d'entre elles décide d'écrire ses propres chansons, inspirées des objets du quotidien. Leur amitié ne se remettra pas de cet insupportable écart à la ligne qu'elles s'étaient fixées.

Tiphaine Raffier adapte son propre spectacle et propose un film foisonnant d’idées de cinéma, de chemins de traverses et d’absurdités étonnantes. C’est totalement foutraque, parfois maladroit, et sûrement trop long. Mais on se délecte de cette tonalité qui semble toujours « à côté » et dresse ainsi le tableau réjouissant d’une société empesée, contrainte à l’obéissance et à l’imitation, comme elle-même artificiellement conçue à priori par des gens qui n’ont pas à y vivre, et dans laquelle la moindre étincelle créative, la moindre tentative d’essayer quelque chose de nouveau, est considérée comme une provocation.

La chute de Boris Labbé


Ceux qui lisent régulièrement notre site l'auront compris, voilà l'un de nos favoris de l'année, sorte de tourbillon visuel qui emporte le spectateur dans un déchaînement de sensations visuelles comme décuplées par la musique monumentale de Daniele Ghisi. Tout à l’écran semble en perpétuel mouvement : le tourbillon des anges qui fondent sur la terre, l’éternel cycle de la nature, le feu de l’enfer qui engloutit tout sur son passage. Même la caméra s’envole, redescend, nous emmène toujours plus loin dans le panorama sidérant qui prend vie sous nos yeux. Difficile de résumer ou décrire l’ampleur formelle et narrative de ce film-somme qui semble porter en lui toute l’histoire de l’Humanité. Il nous laisse pantelant face à notre propre interprétation, plongés dans un univers de songe et de cauchemar qui s’avère à la fois terrifiant et sublime. Boris Labbé poursuit son travail autour des motifs de la boucle et de la métamorphose avec cette œuvre complexe et unique qui brouille les notions réductrices d’animation, d’art contemporain et de recherche expérimentale pour ne garder que ce qui compte vraiment : le plaisir pur du cinéma.

D'un château l'autre d'Emmanuel Marre


Après le succès de son court métrage précédent, Le film de l’été, notamment couronné du prix Jean Vigo en 2017, Emmanuel Marre change de registre avec une œuvre que l’on jugera plus singulière, et de fait plus subtile. Un jeune homme, Pierre, 25 ans, étudiant (boursier) à Sciences Po, y promène son incertitude entre les deux tours de la présidentielle 2017, du meeting d’Emmanuel Macron à celui de Marine Lepen. Il loge chez Francine, une vieille dame handicapée. Entre eux se tissent des liens ténus, et surtout une forme de dialogue qui vient éclairer les questionnements de Pierre, et ceux de l’époque tout entière.

Avec sa forme hybride (fiction/documentaire, super 8/ téléphone portable) et son personnage principal qui ne se sent jamais vraiment à sa place, D’un château l’autre capte la vulnérabilité cachée des temps. La réalité derrière les certitudes de façades et les grands idéaux péremptoires. Comme si, au milieu du cirque politique de l’entre-deux-tours, Emmanuel Marre filmait un tout petit îlot d’humanité résistante, mais aussi une forme de transmission tacite. Ce n’est pas en regardant le monde tourner que l’on changera les choses, dit en substance Francine qui exporte les jeunes générations à l’action. On dirait bien que les événements actuels essayent de lui donner raison.

Etreintes de Justine Vuylsteker


Ce premier film réalisé en France avec la technique de l'écran d'épingles depuis la disparition de ses créateurs Alexandre Alexeïeff et Claire Parker au début des années 80, est une rêverie mélancolique sublimée par la délicatesse du trait et le romantisme fragile de sa musique (signée Pierre Caillet). Justine Vuylstekeer y revisite dans un jeu intime et sensuel de noirs, de blancs et de gris, le motif universel du désir et des élans amoureux. Avec son personnage principal, on ressent les complexes élans du coeur et le douloureux ballet des remords et des regrets. Etreintes agit alors comme un miroir dans lequel les spectateurs projettent et découvrent leurs propres sentiments magnifiés.

Guaxuma de Nara Normande


Délicat et sincère, Guaxuma est un court métrage intime qui raconte à la première personne les souvenirs d'enfance de la réalisatrice, et surtout la profonde amitié qui la liait à son amie Tayra. Réalisé presque entièrement avec la technique du sable animé (en tout trois techniques différentes sont à l'oeuvre pour donner vie aux personnages et aux décors), il évoque la douceur des paradis perdus, les petits bonheurs de l'enfance et les aléas de l'adolescence, avant de se voiler peu à peu d'une mélancolie contagieuse et profonde.

Je sors acheter des cigarettes d’Osman Cerfon


Dans un graphisme simple qui va droit à l'essentiel, Osman Cerfon met en scène Jonathan, un adolescent de 12 ans qui habite avec sa sœur et sa mère dans un appartement où les placards et les tiroirs dissimulent des hommes qui ont tous le même visage. Le réalisme brut du début laisse ainsi peu à peu place à cette métaphore visuelle pour raconter le sous-texte de l’intrigue, et extérioriser les sentiments qui animent le personnage. Ce mélange d’humour et d’étrangeté est le cocktail idéal pour évoquer l’éternelle recherche d’un père absent, figure à la fois honnie et fantasmée, qui hante au sens propre la vie du jeune garçon. Les détails (le jeu des 7 familles, par exemple) apportent systématiquement un contrepoint doux-amer à ce qui se révèle peu à peu comme un récit intime puissant, aux accents aussi subtils que bouleversants.

Moi votre ami de Camille Polet


On est conquis presque malgré soi par ce beau film bienveillant qui évoque avec simplicité et justesse l'amitié, le temps qui passe, les regrets et la mélancolie. Le personnage principal, Fred, est un cinquantenaire un peu fatigué qui fait des chantiers pour vivre, tout en préparant une audition importante. Avec un vieil ami, il se souvient du passé, dans des scènes désarmantes de justesse et d'émotion. Même la séquence des retrouvailles avec le fils échappe à tous les clichés du genre. On s'attache tant au personnage, joliment incarné par le comédien Philippe Polet, qu'on voudrait le suivre au-delà de cette chronique ultra-sensible.

La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel


Peut-être l'une des propositions les plus folles de l'année : un film de genre qui réinvente le motif traditionnel de l'invasion (ici, des sacs plastiques) en jouant habilement sur le contraste entre la situation horrifique (les attaques à proprement parler) et l'interminable logorrhée du personnage féminin principal, obsédée par son désir d'enfant. Le mélange de rotoscopie et d'animation 2D traditionnelle produit un film étonnamment ancré dans la réalité, dont le basculement dans le fantastique et l'horreur est une belle démonstration d'humour noir. Ce qui n'empêche pas un sous-texte écologique plutôt flippant, l'Humanité se retrouvant plus ou moins condamnée à périr par le plastique, ou à fusionner avec lui.

Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet


Et si la meilleure comédie de l’année était un court métrage ? Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas autant ri que devant cette pépite ultra-contemporaine, aux dialogues ciselés comme dans le meilleur de la comédie américaine classique, très librement inspirée des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Anaïs Demoustier, débit de mitraillette et fougue irrésistible, y est époustouflante en jeune femme obnubilée par un texto qui n’arrive pas. Que celui où celle qui n’a jamais connu pareille situation lui décoche la première menace de ghosting.

Retour et Last year when the train passed by de Pang-Chuan Huang


Considérons comme un diptyque les deux films du réalisateur Pang-Chuan Huang, ancien étudiant au Fresnoy. Le premier, couronné à Clermont Ferrand en février dernier, raconte en parallèle un mystérieux voyage en train vers l’Est, censé ramener le narrateur chez lui, et un autre périple, effectué des années plus tôt par un autre jeune homme pris dans la tourmente de l’Histoire. Le second, sélectionné à Locarno, est comme une suite étrange qui vient combler l'impossibilité sur laquelle nous laissait Retour : celle de rallier Taïwan par train depuis la France.

Malgré tout, le réalisateur a pris le train sur l'île, et est revenu, un an plus tard, interroger les habitants dont il avait photographié les maisons : « Que faisiez-vous l’an dernier quand j’ai pris cette photo du train qui passait devant votre maison ? » Le récit intime au coeur du premier film débouche ainsi sur une série de portraits touchants et sensibles qui livrent quelques bribes d'un quotidien on ne peut plus "normal" : en un an, les joies et les peines, la vie et la mort, sont passées dans chacune des maisons photographiées par le réalisateur.

Swatted d'Ismaël Joffroy Chandoutis

Ce documentaire venu du Fresnoy utilise des vidéos youtube et des images vectorielles issues d'un jeu vidéo pour raconter un phénomène de cyber-harcèlement qui touche les joueurs en ligne aux Etats-Unis : le swatting, consistant à usurper l'identité d'un gamer, puis appeler les secours en son nom en inventant l'histoire la plus sanglante (et la plus crédible) possible afin de faire débarquer le Swat (unité d'élite spécialisée dans les assauts) chez lui, armé jusqu'aux dents. Mêlant témoignages des joueurs et images virtuelles, il démontre la porosité des frontières entre la réalité et la fiction. La violence acceptable et apprivoisée du jeu semble en effet déborder brutalement dans le monde réel, le transformant en un lieu hostile et menaçant où la vie des protagonistes est cette fois véritablement en danger.

Le film participe ainsi d'une réflexion ultra-contemporaine sur l'incursion d'une violence, jusque-là cantonnée au périmètre de la fiction et des informations télévisées, dans notre quotidien le plus banal : dans la rue, dans une salle de concert, et jusque dans son salon. Non seulement il n'est plus possible de penser la violence comme on en avait l'habitude, notamment en la tenant à distance, mais surtout, il est devenu impossible de penser les images en termes binaires : d'un côté la réalité et de l'autre la fiction. Cette hybridation finit par envahir Swatted, qui nous propose la vision d'un monde entièrement virtuel, comme si on était soudainement incapable de voir la réalité autrement que sous le prisme de la "matrice", semblable à la trame d'un jeu vidéo.

Le tigre de Tasmanie de Vergine Keaton


Encore un film dont on vous aura parlé tout au long de l'année, dès sa découverte en février dernier à Berlin. Logique pour cette oeuvre fulgurante et radicale dont on n'a toujours pas fini de faire le tour, même après de multiples visions. A l'écran, les images (réelles, mais rotoscopées) d’un thylacine (également connu sous l’appellation Tigre de Tasmanie) alternent avec celles d'un glacier (recomposé à partir de multiples fragments d'images de glaciers) en train de fondre sous nos yeux.

La musique envoûtante et puissante signée Les Marquises résonne, accompagnant avec force ces images hypnotiques de la glace, puis de sa fusion avec la lave, et du déchaînement de la nature, ainsi que les allers et retours du tigre qui semble littéralement danser en rythme dans sa cage, avant de se coucher, comme abattu. On est à la fois bouleversé et sidéré par l’absolue beauté de la nature en action, qui déconstruit tout sur son passage, avant de recombiner ses différents éléments en une autre forme de paysage. La lave en fusion se mue en une nuée d’étoiles, de nouvelles splendeurs apparaissent, et le tigre peut se remettre à danser. Comme s'il avait survécu à sa propre extinction (le dernier représentant de l'espèce a disparu en 1936), l'animal se multiplie même à l'écran, et laisse alors entrevoir un avenir possible à inventer.

Ultra pulpe de Bertrand Mandico


Tourné dans la foulée des Garçons sauvages, auquel il emprunte quelques actrices (Elina Löwensohn, Vimala Pons, Pauline Lorillard), le nouveau court métrage de Bertrand Mandico est comme une orgie d'images et de références cinématographiques qui emportent le spectateur dans un incontrôlable tourbillon de sensations, de situations étranges en répliques fulgurantes, de plans ultra travaillés à des passages presque insoutenables. Sur cette fête de fin de tournage se téléscopent en effet des souvenirs et des fantasmes, des scènes de films et des cauchemars éveillés, qui rendent hommage aux codes de la science fiction et du cinéma de genre, et bien sûr aux actrices. Esthétiquement, Mandico n'en finit plus de confirmer sa place de cinéaste expérimentateur pour qui la forme est forcément apparente, ultra recherchée, presque outrée, qui donne à voir l'envers du décor dans un grand cri d'amour aux artifices magiques du cinéma.

Enfin, à noter que certains films ayant connu une belle carrière en 2018 figuraient dans notre classement 2017 !

Retour sur le 22e festival de courts métrages de Winterthur

Posté par MpM, le 19 décembre 2018

© Eduard Meltzer / IKFTW

La programmation du festival de Winterthur, que nous avions eu la chance de découvrir en 2017, reflète une qualité spécifique du court métrage : sa capacité à être un formidable terrain d'expérimentation pour les réalisateurs. Cela a conduit le festival à opérer pour sa 22e édition, qui s'est tenu en novembre dernier, des choix formels extrêmement audacieux, notamment dans le cadre de la compétition internationale. Des choix parfois radicaux, qui ont été très largement suivis par le jury international. Celui-ci a en effet de son côté privilégié un cinéma qui appelle à la réflexion, à la fois sur la société et sur le cinéma lui-même. La plupart des films qui figurent au palmarès s'offrent ainsi des libertés avec les formes de narration traditionnelle, et avec l'idée que l'on peut se faire généralement du court métrage, ou d'un film de manière générale.

On pense notamment à cet objet étrange qu'est le lauréat du Grand prix, Bigger Than Life d’Adnan Softic, documentaire expérimental qui raconte comment la République de Macédoine a utilisé le projet d’aménagement de sa capitale (Skopje 2014) pour réécrire l'histoire du pays, et notamment faire de la ville le berceau de l’Europe et des plus prestigieuses civilisations antiques. Le film s'ouvre sur un prologue d'environ 6 minutes qui montre en plan fixe un temple romain sur lequel le soleil se lève. Une voix-off déclame théâtralement, en faisant durer chaque syllabe, une citation de Johann Joachim Winckelmann, considéré comme le théoricien du néoclassicisme et le fondateur de l'histoire de l'art. Cette citation dit en substance que si l'on veut devenir grand, en un mot inimitable, il faut imiter les Grecs.

La suite du film est tout aussi déconcertante, avec sa musique et ses chansons grandiloquentes, ses effets kitschs et sa voix-off ironique, plaqués sur des vues de la nouvelle Skopje, pour décortiquer avec humour le processus de création d'une nouvelle identité nationale. Il est non seulement assez rare de voir un tel film remporter une grande compétition internationale, mais encore plus rare qu'il ne soit pas renvoyé dans une compétition purement expérimentale. Il faut reconnaître que Bigger than life n'a pas peur de jouer avec les nerfs du spectateur, accompagnant la portée politique de son propos d'une recherche formelle appuyée qui souligne l'absurdité de ce qu'il dénonce. Alors que se succèdent les vues de monuments boursouflés, on éclate alors de rire en entendant le chanteur dire d'une voix compassée que Sjopje, elle, est réelle. Le tout sur fond de feux d'artifices.

Autre film primé par le grand jury, A Room with a Coconut View de Tulapop Saenjaroen, Prix d’encouragement de la compétition internationale. Là encore le parti pris de départ est relativement radical. Une intelligence artificielle dont c'est la fonction fait visiter virtuellement une petite ville de l'est du pays à un touriste de passage. Elle répond à ses questions de sa voix robotique toujours enjouée, et plonge le spectateur dans une forme de délire visuel où se mêlent vues touristiques stéréotypées et images absurdes comme collées aléatoirement. Le réalisateur nous pousse à une réflexion puissante sur l'image ("que suis-je en train de regarder ?"), son utilisation et ses interprétations. Un film aussi complexe qu'ironique, qui dans la plupart des festivals de courts métrages aurait atterri en section expérimentale, mais illustre parfaitement la propension de Winterthur à penser le cinéma comme un art global couvrant tout le spectre de la narration et des expérimentations formelles.

Le grand jury a également remis deux mentions spéciales afin de distinguer le court métrage rwandais I Got My Things and Left de Philbert Aime Mbabazi Sharangabo et le film d'animation expérimentale canadien Legendary Reality de Jon Rafman. Le premier observe avec pudeur la veillée funéraire qui réunit quelques amis proches d'un jeune homme décédé. Entre moments de recueillements, conversations à bâtons rompus, lectures et même danses, le film essaye de brosser à la fois le portrait du défunt, un être anticonformiste dans une société corsetée, et de ceux qui l'accompagnent pour cette dernière nuit. A mi-chemine entre le documentaire et la fiction, le film ménage de jolis moments d'émotion, mais peine parfois à approfondir son propos, laissant le spectateur comme à l'extérieur du petit groupe.

Le second est un récit d'anticipation à la première personne créé à l'origine pour une exposition consacrée à Leonard Cohen à Montréal. Le réalisateur Jon Rafman recrée un univers futuriste inquiétant dans lequel le narrateur, enfermé dans une sorte de caisson étanche, laisse son esprit vagabonder, en quête d'un sens à la vie et à l'univers. Le texte est un poème puissant et onirique qui épouse le point de vue multi-temporel du personnage, et l'accompagne jusqu'au royaume de la mort et de la désolation. Incontestablement l'un des films les plus envoûtants qui étaient présentés cette année.

L'une des nouveautés de cette 22e édition du festival est d'avoir choisi d'éditorialiser désormais tous les programmes, y compris ceux de la compétition. Cela permet de mettre en lumière les invisibles liens qui relient les films au sein d'une sélection, d'un programme, et même du festival tout entier. Trois des films récompensés (Bigger than life, I Got My Things and Left et Legendary Reality) étaient ainsi présentés ensemble dans le programme intitulé Around the world, avec Mahogany too de Akosua Adoma Owusu, un film ghanéen donnant une nouvelle interprétation de la styliste Tracy Chambers telle qu'elle fut interprétée par Diana Ross en 1975 dans Mahogany de Berry Gordy et Dios nunca muere de Barbara Cigarroa, une fiction naturaliste suivant une famille mexicaine pauvre se prenant soudain à rêver d'une vie meilleure matérialisée par un logement individuel.

Les autres programmes de la compétition nous invitaient tour à tour à découvrir des films gravitant autour des thèmes Human nature, Prisoners, Promote yourself, Mysterious realities ou encore Sinful. Par exemple, la thématique Prisoners nous amenait d'abord à la rencontre d'un taureau dans l'arène (Tourneur de Yalda Afsah), d'une jeune femme transsexuelle enfermée par ses parents en Georgie (Prisoner of society de Rati Tsiteladze), d'une veuve que les traditions entendent empêcher de vivre sa vie au Népal (Tattini de Abinash Bikram Shah), d'une jeune femme anorexique prisonnière de son propre corps (Egg de Martina Scarpelli) et de trois jeunes hommes fauchés qui acceptent de jouer dans un film porno pour arrondir leurs fins de mois (Self destructive boys d'André Santos  et Marco Leao). Autant d'allégories assez passionnantes d'un monde qui semble multiplier les barrières et les méthodes d'enfermement ou de coercition alors même que tout semble pourtant désormais possible à l'être humain.

Le programme sur la nature humaine donnait lui-aussi une vision complexe et métaphorique de notre époque. Outre All these creatures de Charles Williams, palme d'or du court métrage à Cannes cette année, dans lequel un adolescent tente de reconstituer les conditions particulières de l'effondrement de son père, on y retrouvait notamment le captivant documentaire The migrating image de Stefan Kruse, qui explore la manière dont sont perçus et représentés les migrants et réfugiés à partir d’images trouvées sur les réseaux sociaux ou utilisées par des organismes publics. Avec une simple voix off d’une extrême simplicité, Stefan Kruse décortique tour à tour les pages facebook des passeurs qui affichent paquebots de luxe et autres mers caribéennes, les films de propagande institutionnels qui misent sur l’émotion en présentant les gardes côtes comme des super-héros ou les images faites par les médias pour alimenter leurs différents supports, jusqu’à des films en 360 degrés pour la page Facebook du journal ou de la chaîne.

Dans cette profusion d’images, chacune raconte (comme toujours) sa propre histoire,  au service de celui qui les prend ou les diffuse, plus que de celui qu’elle met en scène. C’est d’autant plus saisissant dans le parallèle dressé entre les images prises au Danemark d’un côté par les défenseurs des migrants, et de l’autre par des groupes d’extrême-droite qui les rejettent, chacun pensant détenir une vérité absolue sur les réfugiés. Sous ses airs faussement pédagogiques, le film amène ainsi le spectateur à prendre conscience de ce qui se joue dans chaque image montrée, et à comprendre la stratégie de communication qui accompagne à chaque étape ce que l’on appelle communément la « crise des réfugiés ». Peu importe si l’on donne de la réalité un aperçu parcellaire et orienté du moment que l’on remporte la guerre idéologique, celle des apparences ou tout simplement de l’audimat.

Il faut également citer dans ce programme un film philippin dans la parfaite lignée des courts métrages qui nous parviennent de cette région : décalé, ironique et absurde, et surtout doté d'une mise en scène à l'élégance folle. Manila is full of men named boy de Andrew Stephen Lee (sélectionné à Venise en septembre dernier) raconte, sur fond de retransmission télévisée des funérailles de Michael Jackson, la quête d'un homme à la recherche d'un fils d'adoption pour impressionner son propre père. Se rejoue alors l’éternelle question du sentiment d’appartenance à une famille ou à un groupe, et de son douloureux corollaire : l’exclusion et l’indifférence. Entre humour doux-amer et cruauté faussement policée, le réalisateur dresse un portrait à peine déformé de cet étrange animal que l’on appelle être humain.

Autre film remarqué, dans le programme Promote yourself cette fois, Le baiser du silure de June Balthazard, un documentaire poétique qui commence comme un épisode d’histoire naturelle autour du silure, un poisson quasi mythique qui vit en profondeur et peut dépasser la taille de l'être humain. Puis les données scientifiques laissent peu à peu place à une réflexion plus philosophique. Le silure, considéré par certains comme nuisible et invasif, apparaît comme le symbole de cet « étrange étranger » qui cristallise les peurs et les fantasmes de l’être humain. Se reflète alors en ce paria des cours d’eau l’histoire ancestrale de notre rapport à l’altérité.

Impossible de faire l'impasse, dans le programme Sinful, sur l'un des films les plus remarqués de l'année, La chute de Boris Labbé, sorte de tourbillon visuel qui emporte le spectateur dans un déchaînement de sensations visuelles comme décuplées par la musique monumentale de Daniele Ghisi. Tout à l’écran semble en perpétuel mouvement : le tourbillon des anges qui fondent sur la terre, l’éternel cycle de la nature, le feu de l’enfer qui engloutit tout sur son passage. Même la caméra s’envole, redescend, nous emmène toujours plus loin dans le panorama sidérant qui prend vie sous nos yeux. Difficile de résumer ou décrire l’ampleur formelle et narrative de ce film-somme qui semble porter en lui toute l’histoire de l’Humanité. Il nous laisse pantelant face à notre propre interprétation, plongés dans un univers de songe et de cauchemar qui s’avère à la fois terrifiant et sublime. Winterthur se devait d’intégrer dans sa sélection cette œuvre complexe et unique qui brouille les notions réductrices d’animation, d’art contemporain et de recherche expérimentale pour ne garder que ce qui compte vraiment : le plaisir pur du cinéma.

A ses côtés, mais dans un genre rigoureusement différent, on a également été séduit par Swatted, un documentaire venu du Fresnoy, qui utilise des vidéos youtube et des images vectorielles issues d'un jeu vidéo pour raconter un phénomène de cyber-harcèlement qui touche les joueurs en ligne aux Etats-Unis : le swatting, consistant à usurper l'identité d'un gamer, puis appeler les secours en son nom en inventant l'histoire la plus sanglante (et la plus crédible) possible afin de faire débarquer le Swat (unité d'élite spécialisée dans les assauts) chez lui, armé jusqu'aux dents.

Ismaël Joffroy Chandoutis mêle témoignages des joueurs et images virtuelles pour mieux montrer la porosité des frontières entre la réalité et la fiction. La violence acceptable et apprivoisée du jeu semble alors déborder brutalement dans le monde réel, le transformant en un lieu hostile et menaçant où la vie des protagonistes est cette fois véritablement en danger. Le film participe ainsi d'une réflexion ultra-contemporaine sur l'incursion d'une violence, jusque-là cantonnée au périmètre de la fiction et des informations télévisées, dans notre quotidien le plus banal : dans la rue, dans une salle de concert, et jusque dans son salon. Non seulement il n'est plus possible de penser la violence comme on en avait l'habitude, notamment en la tenant à distance, mais surtout, il est devenu impossible de penser les images en termes binaires : d'un côté la réalité et de l'autre la fiction. Cette hybridation finit par envahir Swatted, qui nous propose la vision d'un monde entièrement virtuel, comme si on était soudainement incapable de voir la réalité autrement que sous le prisme de la "matrice", semblable à la trame d'un jeu vidéo.

Le programme Reconstructed identities s'ouvrait sur un curieux essai expérimental intitulé Today is 11th june 1993. La réalisatrice Clarisse Thieme y met en scène une traductrice, seule dans sa cabine face à un écran où se déroule un film amateur. Des jeunes gens jouent devant la caméra une forme de fiction fantasmée dans laquelle ils tentent de s'échapper de la ville de Sarajevo assiégée (on est le 11 juin 1993) à l'aide d'une machine à voyager dans le temps. Dans une sorte de boucle temporelle absurde, la scène ne cesse de se rejouer sous nos yeux, les visiteurs du futur finissant immanquablement par rester coincés dans l'époque de la guerre, n'ayant pour seule option que d'envoyer de nouveaux SOS vers le futur. Il s'agit d'un film d'archive conservé dans une collection privée de vidéos amateurs documentant la vie des habitants de Sarajevo pendant la guerre, que la réalisatrice s'est réapproprié dans une démarche d'interrogation du temps présent : nous, spectateurs de cet appel à l'aide venu d'une époque révolue, comment réagirons-nous ?

En clôture de ce même programme, on retrouvait un nom connu, celui d'Apichatpong Weerasethakul. Dans le cadre du programme "3e scène" de l'Opéra de Paris, le cinéaste thaïlandais a réalisé Blue, un énigmatique film dans lequel une femme dort dans la jungle, dans ce qui semble un décor de théâtre. Un ingénieux système de poulie permet à un rideau peint d’alterner deux paysages. Il ne se passe rien si ce n’est cette alternance, et les légers mouvements de la femme qui cherche le sommeil. Jusqu’au moment où l’on croit discerner une flamme s’échapper de son corps.

Cette femme inerte qui se consume sous nos yeux par un habile effet de reflet et de surimpression, qui est-elle ? Quels rêves l'agitent ? Quel fil invisible la relie aux soldats endormis du précédent long métrage du cinéaste, Cimetière des splendeurs ? On ne peut s'empêcher de penser à la Thaïlande, ce pays dans lequel il est interdit de critiquer le roi ou sa famille, impossible de s’exprimer, dangereux de protester. Un pays endormi par la censure, à la beauté de façade, mais qui se consume littéralement de l’intérieur.

Si l'on est véritablement enthousiaste face à cette compétition 2018 de Winterthur, c'est qu'elle répond à l'entêtante question qui nous poursuit de festival en festival : qu'est-ce qu'une bonne sélection ? Il faudrait être naïf pour penser qu'elle réunit simplement les "meilleurs" films (meilleurs selon qui ? selon quoi ?) tant il s'agit en réalité d'une alchimie fragile, de liens invisibles qui se tissent entre les films, d'échos qui se font (ou pas) en nous. Pour sa 22e édition, l'équipe de Winterthur avait atteint cette forme d'état de grâce qui permet à chaque film d'exister par lui-même, de gagner en ampleur au milieu des autres, et d'entrer en résonance avec la vie ou les préoccupations de ceux qui le regardent. Si le regard porté sur notre époque est grave et critique, lourd de questions laissées sans réponses, ce que cette compétition 2018 révèle de l'état du cinéma est en revanche follement enthousiasmant.

Les rencontres animées de l’été (5/6) : Boris Labbé, réalisateur de La chute

Posté par MpM, le 17 août 2018

A l'occasion de cette pause estivale, Ecran Noir part à la rencontre du cinéma d'animation. Six réalisatrices et réalisateurs de courts métrages parlent de leur travail, de leurs influences et du cinéma en général.


Pour ce cinquième épisode, nous avons posé nos questions à Boris Labbé, artiste et réalisateur français révélé en 2012 avec Kyrielle, notamment récompensé par une mention spéciale du jury au festival d'Annecy. Ses oeuvres suivantes (Danse macabre, Rhizome, Orogenesis...) ont fait le tour des festivals internationaux.

En mai dernier, son dernier court métrage La chute était présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, puis à AnimaFest à Zagreb (où il a remporté le Grand Prix), à Annecy (Prix Fipresci) et Vila do Conde (Grand Prix). Le film est une oeuvre foisonnante et singulière qui prolonge le travail du réalisateur autour des motifs de la boucle et de la métamorphose.

Inspiré de Dante, dont il est une évocation hypnotique et puissante, il montre un ordre du monde bouleversé par la rencontre entre les habitants du ciel et ceux de la terre. Se mêlent alors des images en perpétuel mouvement et une musique envoûtante et intense qui transforment le film en expérience sensorielle unique.

Ecran Noir : Comment est né le film ?

Boris Labbé : L'idée du film est née pendant que je travaillais sur mon précédent projet Rhizome, alors que je me décidais à plonger pour la première fois dans la lecture de Dante. Cette lecture a vraiment été révélatrice pour moi, c'est évidemment un texte majeur, mais d'un point de vue plus personnel je sentais que mon travail d’animation pouvait avoir quelque chose à faire avec cette oeuvre. L'obsession de faire quelque chose sur L'Enfer est née. Après mûre réflexion, je décidais de ne pas en faire une adaptation directe, il me fallait faire comme un "pas de côté" nécessaire à sa digestion. Cette attitude m'a permis de me libérer de la référence.

EN : Il y a dans le film de nombreuses références picturales et artistiques qui semblent convoquer toute l'histoire de l'Humanité. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

BL : Si je reprends le texte de Dante, son périple se déroule dans une sorte de "structure topographique" renfermant les âmes des hommes ayant vécus dans le passé, classées en fonction de leurs actions sur terre. Chez Dante, toute l'histoire de l’Humanité est convoquée grâce à sa rencontre avec de nombreux personnages célèbres. Dans mon film, je ne m’intéresse pas à l'individu mais plutôt aux mouvements de masse, parsemés de détails évocateurs qui viennent frapper notre mémoire. On n'est pas loin de l'art de la mémoire, cette discipline inventée par les Grecs puis reprise et transformée jusqu'à la Renaissance, fondée sur des "images" et des "lieux".
Pour construire mon film j'ai en effet utilisé de nombreuses références venant de l'histoire de l'art européen. Parmi les artistes clairement cités, je peux nommer Bosch, Bruegel, Botticelli, Goya et Henry Darger.

EN : Pouvez-vous nous parler également de vos choix esthétiques ? Comment se sont-ils faits ?

BL : J'ai choisi de travailler à l'encre de Chine sur papier. Cette technique me permet un travail de matière unique, que l'ordinateur ne pourrait rendre. Mes images sont principalement en noir et blanc avec des niveaux de gris subtils sur fond noir. Je cherchais un rendu lumineux pour les personnages et les décors, pour les rendre électriques et vivants. Le fond noir évoque le vide, la nuit et il donne une sensation proche du cauchemar. Des touches de couleurs vives parsèment l'écran. La couleur sur fond de noir et blanc attire le regard et ponctue l'espace visuel. L’utilisation du rouge vif évoque la vie, les organes, le sang, et donc aussi la mort.
Le style d'animation développé dans le film est assez particulier : à la fois en métamorphose perpétuelle tout en conservant un ordre par répétition. Cela évoque la création, la vie et engage un rapport hypnotique aux images. Le chaos se glisse parfois dans ces paysages animés, créant différentes ruptures dans le film. Ce film est probablement plus cinématographique que mes précédents, pour son travail du rythme, des cadrages, bien qu'on soit loin d'un montage "classique". Pour la musique, j'ai laissé mon ami compositeur Daniele Ghisi donner le meilleur de lui-même. Il a travaillé sa composition musicale à partir d'une base de données existante d’enregistrements de quatuors à cordes, transformés et agencés électroniquement. Le parti pris est fort et rebute parfois certaines personnes, mais nous assumons nos choix, le spectateur n'est pas pris avec des pincettes.

EN : Quel a été le principal challenge au moment de la réalisation ?

BL : Pendant la presque totalité du processus de fabrication du projet, je n'étais pas sûr d'aimer mon film, c'était les montagnes russes émotionnelles. J'ai souvent cru que j'étais en train de rater quelque chose, de passer à côté du projet... C'était difficile de travailler et donner 100% de mon énergie dans quelque chose d'inconnu, je partais vers une exploration qui était nouvelle pour moi et pour laquelle il n'y avait pas vraiment de précédent.
Ensuite, il y avait évidemment des challenges techniques, le travail manuel, le travail d'ordinateur, la gestion de l'équipe, les deadlines... mais heureusement j'étais très bien entouré, l'équipe de production, mes animateurs, stagiaires et techniciens étaient tous supers !

EN : Quel genre de cinéphile êtes-vous ?

BL : Je pense que j'ai une culture du cinéma en général assez moyenne. Il y a beaucoup de classiques que je n'ai pas encore vus, mais je rattrape cette lacune quand je peux. En fait, je ne suis pas un grand "consommateur" de films. Aujourd’hui, le cinéma est lié à la consommation de masse et même si je ne fais pas exception, je prends un peu de distance avec cette tendance. Par contre, lors de moments de recherches personnelles, je peux passer des jours à chercher des petites pépites filmiques que je n'aurais pas encore découvertes. Mes recherches m'amènent souvent vers le cinéma d'avant-garde, cinéma expérimental, art vidéo, mais bien sûr des courts et longs métrages plus "classiques". Donc ma culture cinématographique est assez incomplète et très ciblée je pense. Et malheureusement, je vois beaucoup de choses sur internet en mauvaise qualité... Là où je me rattrape, c'est lors de mes voyages en festivals, je vois beaucoup de films produits chaque année, surtout des courts métrages et surtout de l’animation.

EN : De quel réalisateur, qu’il soit ou non une référence pour votre travail, admirez-vous les films ?

BL : Il y a beaucoup de réalisateurs que j’admire, alors c'est difficile de faire un choix. Mais je vais profiter de la question pour donner un nom presque inconnu en France : José Val del Omar. C'est un réalisateur d'avant-garde espagnol (1904-1992), aussi inventeur de dispositifs radio, dispositifs de projection, de son, et de techniques de filmage. Il a été oublié pendant presque 20 ans. Les jeunes cinéastes espagnols ainsi que de grandes institutions telles que le Musée Reina Sofia de Madrid ont participé à sa redécouverte récemment. Il s’intéressait au cinéma comme forme poétique, proche du documentaire, du film d'avant-garde et des tentatives du "cinéma augmenté". Son travail cinématographique le plus abouti est le "Tríptico Elemental de España", mais il a aussi anticipé les dispositifs d'installation vidéo alors qu'à l’époque peu d'artistes travaillaient dans ce sens. Malheureusement, beaucoup de ses travaux sont inachevés, voire détruits, mais j'admire la démarche de l'artiste pour ces films, pour son rapport complexe au médium cinéma et pour la générosité de sa recherche.

EN : Quel film (d’animation ou non) auriez-vous aimé réaliser ?

BL : J'ai beaucoup de mal à répondre à cette question, car je suis impressionné par beaucoup de films que j'admire mais que je ne me verrais pas réaliser moi-même ! Mais peut-être que je peux citer Canon de Norman McLaren. Il comprend tout ce que j'aime chez ce réalisateur, une certaine simplicité, une vraie sensibilité et un travail théorique sous-jacent. C'est un travail certainement fondateur pour ma pratique.

EN : Comment vous êtes-vous tourné vers le cinéma d’animation ?

BL : A la base, je viens du dessin et des arts plastiques, grâce à une formation aux Beaux Arts. A cette époque, le cinéma ne m’intéressait pas spécialement, en tout cas ça n'était pas une obsession comme aujourd'hui.
Encore aux Beaux Arts, je sentais le besoin d'aller chercher dans de nouvelles directions et je pensais que mon travail pouvait avoir quelque chose à faire avec l'animation. Mon idée était de devenir plutôt vidéaste, je visais plus la salle d’exposition et les installations que la salle de cinéma.
Je suis finalement entré dans une école de cinéma d'animation, dans laquelle j'ai développé des projets hybrides, entre cinéma expérimental et installation.
Ensuite c'est le succès d'un de mes films étudiant en festival qui m'a poussé vers le cinéma : ce film (Kyrielle) m'a permis de rencontrer mon producteur chez Sacrebleu.
Le chemin de mon travail vers le cinéma a donc pris plusieurs années. Aujourd'hui, je me sens plus cinéaste que plasticien, mais l'envie de revenir vers des explorations plus liées à l'espace d'exposition revient régulièrement.

EN : Comment vous situez-vous par rapport au long métrage ? Est-ce un format qui vous fait envie ou qui vous semble accessible ?

BL : Le long métrage n'est clairement pas ma priorité. Mais c'est aussi vrai que cela m’intéresserait de chercher une idée pour faire un film expérimental qui tiendrait sur la longueur, un jour. D'un autre côté, je ne pense pas que cela soit inaccessible. Dans mon cas, il faudrait savoir travailler avec des budgets restreints, ce qui permettrait de garder une liberté artistique et ne pas basculer vers la course aux remboursements du film. Cela dit, je pense que ce genre de projet reste très périlleux et difficile à tenir.

EN : Comment voyez-vous l’avenir du cinéma d’animation ?

BL : Le cinéma d'animation est de plus en plus reconnu, la production et l'industrie augmentant chaque année, ça parait un bon espoir pour l'avenir. Il est clair que nous n'avons pas la même reconnaissance que la prise de vue réelle et je pense que cela va durer encore longtemps malheureusement. De mon côté, je n'aime pas trop faire de pronostics, mon économie personnelle ne me projetant pas plus loin qu'à un an ou deux dans l'avenir... Je suis aussi loin d'être clairvoyant sur l'état de l'industrie du cinéma d'animation pour pouvoir me prononcer. J'espère juste que la production de film d’animation continuera à être florissante, et surtout j'espère qu'il restera encore des libertés aux cinéastes du futur. Parfois, le travers d'une industrie trop productive et trop bien réglée, c'est qu'elle risque de se tourner vers la facilité et le stéréotype. Selon moi, il faudrait ne pas oublier que tout art a besoin de laboratoires et d'espaces de liberté nécessaires au renouvellement. De la formation en école d'art jusqu'à la vie professionnelle, laissons des espaces aux artistes pour la recherche et l'innovation dans leurs domaines respectifs, autant du point de vue technique et conceptuel qu'esthétique.

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Annecy 2018 : retour sur la sélection courts métrages qui fait une escale au Forum des Images

Posté par MpM, le 26 juin 2018

Comme chaque année, le Forum des images accueille à Paris (mercredi 27 et jeudi 28 juin) une reprise du Festival d'Annecy à travers deux séances réunissant les courts métrages primés, toutes sections confondues, ainsi qu'une sélection opérée par l'agence du court métrage, une carte blanche autour des 80 ans de films d'animation de Disney et la projection en avant-première du Cristal 2018, Funan de Denis Do. L'occasion de revenir sur la sélection 2018 de courts qui demeure, pour certains festivaliers, le véritable clou de la manifestation.

C'est en effet au travers des différentes compétitions de courts métrages (internationale, off-limit, perspectives, films d'école et jeune public), pensées comme un instantané de la création mondiale, que l'on peut se faire une idée précise de l'état de l'animation contemporaine, de ses courants, de ses thèmes et techniques de prédilection, de ses expériences et de ses réussites. Le moins qu'on puisse dire, au retour d'Annecy, est que l'on peut se réjouir de l'inventivité, de l'audace et de la maîtrise dont font preuve aujourd'hui les réalisateurs de courts métrages d'animation. Qu'ils passent ensuite au long, ou non, ne pourrait pas moins importer tant le talent, lui, est d'ores et déjà au rendez-vous.

La large sélection (130 courts) permet une approche à la fois riche et éclectique qui laisse toutes les facettes de l'animation s'exprimer, des techniques les plus "artisanales" aux plus technologiques, des effets visuels les plus sophistiqués à la simplicité la plus épurée. On a notamment croisé des films réalisés en sable ou en poudre, à l'aquarelle, à l'encre de chine, en peinture sur verre, sur un écran d'épingles, avec des figurines duveteuses ou en pâte à modeler, avec des marionnettes, avec des photos, en papiers découpés, en rotoscopie, en prise de vues réelles, en 2D, en 3D...  Cette édition 2018 était d'ailleurs un savant mélange de valeurs sûres et de découvertes réunissant des propositions formelles fortes, parfois philosophiques, des œuvres narratives légères, sensibles ou drôles, et des films plus personnels à la portée universelle.

Contrairement au long métrage, qui cette année se voulait porté sur le réel, engagé et même politique, le format court s'est le plus souvent montré intimiste, pour ne pas dire intime, mettant en scène des expériences individuelles ou abordant des sujets ayant trait au quotidien et aux relations familiales ou amoureuses. Dans cette veine ténue, on retrouve notamment le très beau Week-end de Trevor Jimenez (récompensé par le prix du public et celui du jury, et dont nous vous parlions au moment de Clermont Ferrand), qui évoque avec poésie la "garde alternée" qui conduit un enfant à passer du domicile de sa mère à celui de son père, mais aussi le lauréat du Cristal, Bloeistraat 11 de Nienke Deutz qui montre le délitement sourd de l'indéfectible amitié entre deux fillettes en train de muer en jeunes filles.

On peut aussi citer Vibrato de Sébastien Laudenbach qui, bien qu'il fasse partie d'une carte blanche donnée par l'Opéra de Paris à différents réalisateurs, illustre le monologue sensuel et coquin de la veuve de Charles Garnier, se rappelant avec émotion leurs ébats sexuels dans les moindres recoins du Palais ; Etreintes de Justine Vuylsteker qui revisite avec une infinie délicatesse le trio amoureux femme-mari-amant ou encore Telefonul d'Anca Damian, évocation poétique et surréaliste des parents du narrateur.

Certains films étaient encore plus intimement liés au vécu de leur réalisateur, à l'image de Between us two dans lequel Wei Keong Tan évoque à la fois sa mère disparue et son homosexualité ; Travelogue Tel Aviv, sorte de carnet de voyage du réalisateur Samuel Patthey sur son séjour en Israël ; Guaxuma de Nara Normande dans laquelle la réalisatrice parle de son enfance à la plage, et de sa meilleure amie Tayra ; Tightly wound de Shelby Hadden qui souffre de vaginisme et raconte le parcours du combattant que cela a représenté pour elle ; Egg de Martina Scarpelli, sur un épisode particulier dans la période d'anorexie qu'a vécu la réalisatrice ; Mariposas de Mauricio LeivaCock, Andrés Gomez Isaza, qui aborde le cancer qui a touché la mère de l'un des réalisateurs...

L'autre grand courant de cette sélection 2018 est ancré résolument (et assez classiquement) dans la fiction, et va vers une forme de divertissement plus ou moins assumé, qui parfois n'empêche pas une certaine profondeur. On pense à des films comme La mort père et fils de Denis Walgenwitz et Vincent Paronnaud (dit Winshluss), comédie noire dans laquelle le fils de La Mort se rêve en ange gardien ;  Raymonde ou l'évasion verticale de Sarah van den Boom et son pendant estonien Maria ja 7 pöialpoissi de Riho Unt, qui présentent tous deux une figure féminine (une chouette qui a été chaste toute sa vie dans le premier et une religieuse dans le second) attirée, si ce n'est obsédée, par les plaisirs charnels) ou encore Le chat qui pleure de Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol : puni, un petit garçon est contraint de passer l'après-midi avec un homme inquiétant qui lui propose un étrange marché.

Citons encore Animal behavior de Alison Snowden et David Fine (une thérapie de groupe à destination d'animaux aux travers encombrants) ; Mang-ja-ui-sum (Island of the deceased) de Kim Ji Hyeon, dans lequel un homme solitaire prend les yeux des morts pour redonner vie aux cadavres qui l'entourent ; Creature from the lake de Renata Antunez, Alexis Bédué, Léa Bresciani, Amandine Canville, Maria Castro Rodriguez, Logan Cluber, Nicolas Grangeaud, Capucine Rahmoun-Swierczynski, Victor Rouxel, Orianne Siccardi et Mallaury Simoes, une parodie de film d'aventure féministe et délirant ou encore L'homme aux oiseaux de Quentin Marcault, une fable sur le passage du temps et la transmission.

Difficile de tirer autre chose que des tendances générales sur une sélection de 130 films, mais on peut malgré tout relever également quelques films avec une portée plus sociale ou engagée, à l'image de (Fool) time job de Gilles Cuvelier (fable clinique et désespérée sur un homme contraint d'accepter un travail terrifiant pour nourrir sa famille, dont nous parlions déjà ici) ; Happiness de Steve Cutts (satire sur le capitalisme, la surconsommation et le monde du travail), Simbiosis carnal de Rocio Alvarez (une vaste fresque qui relate l’histoire de l'Humanité du point de vue des femmes), Mr Deer de Mojtaba Mousavi (une réflexion désenchantée sur l'absence d'empathie et de solidarité de l'être humain), An Excavation of Us de Shirley Bruno qui raconte l'histoire vraie d'une femme soldat s'étant battue pendant la révolution haïtienne, ou encore Afterwork de Luis Usón et Andrès Aguilar (une parabole sur l'absurdité du travail et de l'existence). D'autres s'intéressaient à la vie d'artistes célèbres, de Charles Bukowski dans Love he said d'Inès Sedan à James Brown et Solomon Burke dans Make it soul de Jean-Charles Mbotti Malolo, ou encore Oskar Kokoschka dans I'm OK d'Elizabeth Hobbs.

Il faut enfin mentionner des œuvres franchement singulières qui se distinguaient avant tout par leur ambition esthétique ou leur portée existentielle, à l'image de la série de 6 films réalisés par John Morena (sur les 52 qu'il revendique en 2017), à la durée très courte, et qui exploitent à chaque fois un concept visuel particulier pour parler d'un sujet "d'actualité" comme la guerre ou le droit des femmes ;  La chute de Boris Labbé (œuvre-somme hypnotique qui convoque à la fois l’histoire de l’art et celle de l’Humanité) ; III de Marta Pajek (une drôle de plongée dans le tourbillon de la séduction et de l'amour véritablement charnel) ; le moyen métrage Ce magnifique gâteau ! de Emma de Swaef et Marc Roels (44 minutes), mélange de cinéma absurde, de satire cruelle sur la colonisation et de poésie décalée ; Garoto transcodificado a partir de fosfeno de Rodrigo Faustini (des images abstraites réalisées à partir de phosphènes - un phénomène qui se traduit par la sensation de voir une lumière ou des taches dans le champ visuel - dévoilent fugacement l'image qu'elle dissimule) ou encore, aussi symbolique qu'introspectif, Le Sujet de Patrick Bouchard, dans lequel un personnage dissèque le corps d'une marionnette à taille humaine qui se révélera être son double.

Autant dire que cette sélection ne manquait ni d'ambition, ni de sensibilité, ni encore de panache, et offre de l'animation un visage que l'on peut juger suffisamment contrasté et éclectique pour être représentatif de la vitalité du genre. Les films programmés donnaient ainsi une vision relativement mature d'une forme de cinéma qui n'a définitivement pas à choisir entre la fiction "grand public" et le reste, faisant joyeusement le grand écart entre les représentations du monde, les styles de récit et les explorations formelles.

Cannes 2018 : quelle place pour l’animation sur la Croisette ?

Posté par MpM, le 8 mai 2018

C’est souvent le parent pauvre du festival, et cette année n’y fait pas complètement exception. Certes il y a de l’animation sur la Croisette. Mais trop souvent, on a l’impression que la sélection des films d'animation répond à une concession faite au genre et à ses défenseurs plus qu'à un véritable choix de programmation.

N’incriminons pas la Semaine de la Critique, qui pour la 2e fois consécutive propose un long métrage d’animation en compétition : Chris the swiss d'Anja Kofmel (1 sur 7, c’est un bon ratio s’il faut penser en termes purement numériques). On se réjouit de cette nouvelle "tradition" instaurée par la Semaine, et qui est un exemple à suivre pour l'ensemble du festival. Incriminons encore moins la Quinzaine des réalisateurs qui a elle sélectionné deux longs métrages en compétition : Mirai de Mamoru Hosoda et Samouni Road, un documentaire de Stefano Savona en partie animé par Simone Massi.

En revanche, on a le droit d’être un poil déçu par la place réservée par l’officielle à Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow, son seul long métrage d’animation : une simple séance spéciale. Difficile de ne pas y voir une manière de reléguer l’animation à un créneau pas trop voyant, sans grand enjeu, tout en neutralisant les éventuelles critiques sur l’absence d’animation. Ceci dit, on se réjouit sincèrement de la présence de ces quatre longs métrages sur la Croisette.

D'autant qu'il faut aussi souligner la belle place réservée à l’animation par les sections courts métrages, à savoir 8 films répartis entre la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs, la compétition officielle de courts métrages et la Cinéfondation, la compétition des films d'école.

Enfin, plusieurs événements consacrés à l'animation se tiennent en parallèle du Festival. Au Marché du Film, les plus chanceux pourront par exemple découvrir certains des projets les plus attendus de l'année. Une "journée de l'animation" est également organisée, comme chaque année. Enfin, pour la troisième année consécutive,  l'opération "Annecy goes to Cannes" se tiendra le 11 mai, avec la présentation de cinq projets de longs métrages en work in progress.

Petit guide en 12 étapes pour voir la vie cannoise en version animée.

Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow (Espagne / Pologne)

Long métrage d’animation parmi les plus attendus de l'année, A,other day of life est l’adaptation dans une forme hybride (animation, images d’archives, témoignages) du livre de Ryszard Kapuscinski, reporter de guerre pris dans la guerre civile en Angola. Lorsque commence le film, l’Angola vient de recouvrir son indépendance et deux factions se font face (MPLA et UNITA). Kapuscinski implore les autorités de le laisser rejoindre la ligne de front, et finira par être exaucé. On le suit dans ce périple périlleux et fou, tandis qu'en parallèle, des témoignages ou des images d'époque viennent compléter le récit, ou lui apporter un contrepoint. Une oeuvre historique et politique comme le festival en raffole, sur un conflit du XXe siècle souvent méconnu.

Chris the swiss d'Anja Kofmel (Suisse)

Tourné dans un somptueux noir et blanc ultra-contrasté, Chris the Swiss mêle film documentaire et images d'archives pour raconter l'histoire vraie de Chris, un reporter de guerre suisse retrouvé mort en Croatie en janvier 1992, après avoir rejoint une milice internationale d'extrême droite impliquée à la fois dans la guerre en Yougoslavie et dans des trafics de toutes sortes.

Anja Kofmel, qui est la cousine de Chris,  propose à travers le film une plongée brutale dans le contexte de cette guerre sanglante en même temps qu'une enquête intime et personnelle pour comprendre ce qui est, réellement, arrivé au jeune homme. Ainsi, elle se met en scène, ainsi que certains membres de sa famille, afin de dresser le portrait le plus juste de Chris. En parallèle, on suit le jeune homme en Yougoslavie, au contact de ceux qui l'entraîneront dans les rangs du "First International Platoon of Volunteers".

Mirai de Mamoru Hosoda (Japon)

Kun est un petit garçon à l’enfance heureuse jusqu'à l’arrivée de Miraï, sa petite sœur. Jaloux de ce bébé qui monopolise l’attention de ses parents, il se replie peu à peu sur lui-même, jusqu'au jour où il découvre un univers fantastique où se mêlent le passé et le présent. Le nouvel opus de Mamoru Hosoda, à qui l'on doit notamment Le garçon et la bête, Les enfants loups ou encore Summer wars, s'annonce comme une oeuvre familiale aux thèmes universels et aux graphismes chaleureux et doux. A retrouver également en compétition à Annecy.

Samouni Road de Stefano Savona (Italie)

Ce documentaire de Stefano Savona, en partie animé par Simone Massi, a été tourné dans la périphérie rurale de la ville de Gaza City. La route du titre tire son nom de la famille élargie Samouni, une communauté de paysans miraculeusement épargnée par soixante ans d’occupations et de guerres jusqu’en janvier 2009. Le film suit les survivants de la famille lors d'une fête qui est la première depuis la dernière guerre. Les séquences animées permettent de donner vie aux souvenirs des protagonistes qui tentent de se reconstruire.

III de Marta Pajek (Pologne)

D'abord, il faut savoir qu'il existe un II (Impossible figures and other stories II) mais pas (encore ?) de I. Le comité court de la sélection officielle a été bien avisée de sélectionner le nouveau film de cette réalisatrice surdouée qui propose des films métaphysiques épurés et minimalistes. Après avoir invité le spectateur à sonder les méandres de son propre labyrinthe intime, elle propose cette fois une drôle de plongée dans le tourbillon de la séduction et de l'amour véritablement charnel.

La chute de Boris Labbé (France)

Un seul court métrage d'animation à la Semaine, mais très attendu puisqu’il s’agit du nouveau film de Boris Labbé ! Après Orogenesis dont on vous a souvent parlé, le réalisateur revient avec une œuvre-somme qui lui a été inspirée par la lecture de Dante, et qui convoque à la fois l’histoire de l’art (de Jérôme Bosch à Henry Darger) et celle de l’Humanité. Hypnotique et hallucinatoire, porté par la musique envoûtante et complexe de Daniele Ghisi, le film s'annonce comme un prolongement du travail du réalisateur autour des motifs de la boucle, la prolifération, la multiplication, la contamination, la métamorphose...

Inanimate de Lucia Bulgheroni (Royaume-Uni)

Katrine a une vie normale, un travail normal, un petit-ami normal et un appartement normal dans une ville normale. C’est ce qu’elle pense en tout cas, jusqu’au jour où tout tombe en morceaux, au sens propre du terme. Un film de fin d'études en stop-motion, sur un sujet intime et sensible.

Inny de Marta Magnuska (Pologne)

En attendant l’arrivée d’un mystérieux nouveau venu, les gens essayent de deviner qui il est. L’image floue de l’étranger prend forme, de façon à rendre sa présence presque réelle. Mais l'excitation initiale de la foule tourne à l’angoisse. L'animation (minimaliste et glacée) est à la hauteur de la tension anxiogène que dégage peu à peu le récit, entre étude des foules galvanisées par le seul sentiment du collectif et dénonciation des préjugés les plus sombres.

Ce magnifique gâteau de Emma de Swaef et Marc Roels (Belgique)

Six ans après leur acclamé court métrage Oh Willy, Emma de Swaef et Marc Roels sont de retour avec un moyen métrage de 44 minutes qui fera nécessairement figure d'OVNI sur la Croisette. D'autant que ce film en stop-motion qui met en scène des figurines duveteuses et minimalistes parle avec cynisme et humour noir de la colonisation en Afrique. Vraisemblablement l'un des films-événements de l'année dans le monde de l'animation. Heureusement, pour ceux qui le rateraient à Cannes, il sera présenté en séance spéciale à Annecy.

La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel (France)

Agathe, bientôt 40 ans, va retrouver son ex, Marc-Antoine, avec la ferme intention de le séduire à nouveau, afin d'avoir un enfant avec lui. Mais dans l'ombre, les sacs plastiques attendent leur heure... Un film de genre, en animation 2D sur fond de prises de vues réelles, qui se moque à la fois de la notion de couple et du cinéma bis, tout en proposant une nouvelle genèse aussi loufoque qu'irrévérencieuse. Le tout par gabriel Harel, réalisateur de l'acclamé Yul et le serpent.

Sailor's delight de Louise Aubertin, Éloïse Girard, Marine Meneyrol, Jonas Ritter, Loucas Rongeart, Amandine Thomoux (France)

Une sirène essaye de séduire deux marins et se retrouve prise à son propre piège. Un film d'étudiants en 3D qui détourne les codes du genre pour une démonstration technique et visuelle classique mais prometteuse.

Le Sujet de Patrick Bouchard (Canada)

Un corps inanimé sur une table de dissection, une structure métallique, du sang. Patrick Bouchard découpe et sonde le moulage de son propre corps pour une introspection intime sidérante. Réalisé en volume et en pixilation, Le sujet est une expérience cinématographique intense et complexe qui emmènera chacun aux plus profond de lui-même.

Cannes 2018 : une 57e sélection européenne et prometteuse pour la Semaine de la critique

Posté par MpM, le 16 avril 2018

Les deux comités de sélection de la Semaine de la Critique, sous la houlette du délégué général Charles Tesson, ont retenu cette année 13 courts métrages (sur 1500 visionnés) et 11 premiers et deuxièmes longs métrages (sur 1100) qui composeront le programme de cette 57e édition. Une édition qui s'annonce particulièrement tournée vers l'Europe, avec 10 longs métrages et 10 courts produits ou co-produits par un pays européen, dont la Grèce, la Finlande, le Portugal, l'Islande, la Pologne, la Suisse ou encore la Hongrie.

En compétition, on retrouve 5 premiers films, dont le très attendu documentaire animé Chris the Swiss dont nous vous parlions à l'occasion du dernier Cartoon Movie. La réalisatrice Anja Kofmel y explore les circonstances (obscures) dans lesquelles son cousin journaliste est mort pendant la guerre en Yougoslavie. On est également curieux de découvrir le premier film de Gabriel Abrantes (co-réalisé avec Daniel Schmidt), que l'on avait remarqué avec ses courts métrages, et notamment le programme sorti en salles sous le titre Pan pleure pas. En compétition, deux autres réalisateurs sont particulièrement attendus : Benedikt Erlingsson, dont on avait tant aimé Of horses and men, et Agnieszka Smoczynska, qui avait impressionné avec The lure.

Côté séances spéciales, on retrouve le premier film de Paul Dano en ouverture et le deuxième d'Alex Lutz en clôture, mais aussi le deuxième long métrage de Guillaume Senez (Keeper) et une séance de courts métrages qui réunit des auteurs déjà très remarqués puisqu'on y retrouve Bertrand Mandico (quelques semaines seulement après son premier long Les garçons sauvages), Yorgos Zois (Casus Belli, Interruption) et Boris Labbé dont le précédent film Orogenesis figurait dans nos dix courts métrages français ayant marqué l'année.

En compétition courts métrages, on peut noter la présence de la réalisatrice grecque Jacqueline Lentzou (sélectionnée à Berlin en 2017 avec Hiwa, dont nous vous parlions ici), de Mikko Myllylahti, scénariste d'Olli Mäki, récompensé à Cannes en 2016, ou encore de l'actrice Anaïs Demoustier, à l'affiche de Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet.

Compétition longs métrages
Chris the Swiss d'Anja Kofmel
Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt
Egy Nap (Un jour) de Zsófia Szilágyi
Fuga (Fugue) de Agnieszka Smoczynska
Woman at War de Benedikt Erlingsson
Sauvage de Camille Vidal-Naquet
Sir de Rohena Gera

Compétition courts métrages
Amor, Avenidas Novas de Duarte Coimbra
Hector Malot - The Last Day Of The Year de Jacqueline Lentzou
Exemplary citizen de Kim Cheol-Hwi
Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet
La Persistente de Camille Lugan
Rapaz de Felipe Gálvez
Schächer de Flurin Giger
Tiikeri de Mikko Myllylahti
Un jour de mariage de Elias Belkeddar
Ya normalniy de Michael Borodin

Film d’Ouverture
Wildlife de Paul Dano

Séances spéciales longs métrages
Nos Batailles de Guillaume Senez
Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin

Séance spéciale courts métrages
La Chute de Boris Labbé
Third Kind de Yorgos Zois
Ultra Pulpe de Bertrand Mandico

Film de Clôture
Guy de Alex Lutz