Festival Lumière 2017.
14-22 octobre 2017.
Institut Lumière et Grand Lyon.
C'est désormais un incontournable. A la mi-octobre, on s'enthousiasme pour des vieux films et des maîtres du cinéma d'auteur. Grâce à Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux, Lumière a pris ses marques. Cette année, le festival assumera ses lunettes noires et ses nuits blanches. Kar-wai, Godard, Melville...
Wong Kar-wai, justement, est le Prix Lumière. Le cinéaste hong-kongais, dont le style et l'esthétisme ont imprimé le 7e art comme peu de filmographies en sont capables, sera la star de cette édition.
Mais il y aura aussi d'autres stars: Tilda Swinton, icône, Guillermo del Toro, culte, Diane Kurys... Il y a également des rétrospectives. Tout Godard, première partie, les Westerns, et surtout le mystère Clouzot. On découvrira huit épisodes inédits du Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier et on célèbrera le centenaire de Jean-Pierre Melville. En musique, ce sont les sons électroniques et discos de Giorgio Moroder qui rythmeront l'événement. Et comme chaque année, le cinéma muet reprendra vie avec Harold Lloyd et Buster Keaton. The Kid Brother, avec Harold Lloyd, sera un des ciné-concerts le mercredi 18 octobre, accompagné par l’Orchestre national de Lyon dirigé par Carl Davis.
Et puisque nous sommes à Lyon, le Roi Lion s'offrira aussi une séance spéciale pour les enfants à la Halle Tony Garnier. A cela s'ajoutent la CinéBrocante et le Marché international du film classique. Hormis Cannes, il n'y a aucun autre Festival qui offre un tel tapis rouge et une telle diversité en France.
La 22ème cérémonie des Lumières de la presse internationale a eu lieu lundi soir au même moment que la soirée du Syndicat français de la critique cinéma. En soi, c'est une drôle d'idée. Imagine-t-on, les Golden Globes en même temps que la soirée du National Board of Review?
En tout cas, les deux cérémonies se sont accordées à choisir Elle comme meilleur film français de l'année.
L'unanimité autour de ce thriller sadomasochiste présenté à Cannes en compétition l'an dernier pourrait conduire à un grand chelem avec les César, où il est nommé 11 fois.
Elle a donc été couronné le titre suprême mais aussi le prix du meilleur réalisateur pour Paul Verhoeven et le prix de la meilleure actrice pour Isabelle Huppert.
Trois autres films ont été à la fête lors de la soirée. Ma Vie de Courgette de Claude Barras a remporté logiquement le prix du meilleur film d'animation, mais il a également été couronné pour le scénario de Céline Sciamma. La mort de Louis XIV repart avec le prix du meilleur acteur pour Jean-Pierre Léaud et le prix de la meilleure image pour Jonathan Ricquebourg. Enfin, Divines a aussi été doublement récompensé avec le prix du premier film et le prix de la Révélation féminine pour ses deux actrices Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena.
Damien Bonnard a, de son côté, été distingué comme meilleure révélation masculine pour son rôle dans Rester vertical. Le film tunisien de Mohamed Ben Attia, Hedi, un vent de liberté, a reçu le prix du meilleur film francophone tandis que celui du meilleur documentaire est revenu Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier. Enfin c'est Ibrahim Maalouf qui a gagné le prix de la musique pour Dans les forêts de Sibérie.
Deux hommages ont été rendus: à Marion Cotillard et à Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. Il y avait bien un air cannois qui soufflait à Paris puisque six des huit films récompensés lundi 30 janvier étaient sur la Croisette en mai.
Puisque, pour la première fois, une femme va recevoir le prestigieux Prix Lumière du festival du même nom qui se déroule à Lyon en ce moment, mettons-les à l'honneur. Car la femme n'est pas forcément gâtée par le cinéma. On le voit d'ailleurs très bien dans le documentaire de Bertrand Tavernier, président de l'Institut Lumière, Voyage à travers le cinéma français. Arletty ou Jeanne Moreau en filles légères mais délaissées; Brigitte Bardot en diablesse allumeuse; Blanchette Brunoy étranglée; Simone Signoret l'honneur bafoué; Emmanuelle Riva frustrée; Romy Schneider désœuvrée; Martine Carol qui se prend une claque... Franchement, qu'ont-elles fait pour mériter ça?
Bien sûr, avec le temps, l'émancipation des femmes, mais aussi la plus forte proportion de femmes dans la réalisation, le scénario et la production, les rôles ont évolué. On peut toujours caricaturer Adjani en folle ou Huppert en névrosée, les personnages sont bien plus variés et plus nuancés. Les femmes héritent même de rôles traditionnellement donnés à un mec y compris dans des blockbusters. Mais le phénomène est assez récent. On peut constater que la femme, aujourd'hui, a un statut social plus égalitaire (La fille inconnue, Aquarius, Toni Erdmann, Victoria, Bridget Jones) même si elle doit encore lutter contre le machisme ou la phallocratie. On peut observer qu'elle se défend bien toute seule (Divines, La taularde, Miss Peregrine ou Polina). La pute n'est plus le rôle à statuette comme l'était le boxeur du côté mâle.
Les femmes ne sont plus des potiches, des belles de jour, des belle-maman ou des Sirènes du Mississipi ou d'ailleurs. En 60 ans de carrière, Catherine Deneuve a d'ailleurs été toutes les femmes: la chieuse comme la fatale, la soumise comme la vampire, la dure comme la vulnérable, la maîtresse comme l'impératrice. Une partenaire de jeu qui a su rendre fragiles ses partenaires masculins. Une femme qui a toujours eu la parole assez cash. Un symbole d'un cinéma éclectique, des comédies aux drames, du film intimiste d'auteur aux productions à gros budgets. On l'a vue vieillir, passant de la douce demoiselle des Parapluies de Cherbourg à la grand-mère libre d'Elle s'en va. Retraitée ou royale, s'amourachant d'un gorille ou marié à un homme "enceint", elle a été capable de toutes les audaces. Deneuve a accompagné la libération de la femme, à sa façon, et pas seulement en signant le manifeste des 343.
La beauté de Deneuve fut à son sommet dans Le dernier métro, à la fin de sa trentaine, et dans Indochine, douze plus tard. Qu'y a-t-il de surprenant finalement? Dans ces deux rôles emblématiques d'une filmographie interminable et impressionnante, elle est farouchement indépendante, patronne dans un milieu d'hommes, résistante au chaos du monde, indifférente en apparence aux sentiments, capable de passions périlleuses. Elle est une femme comme on les aimera toujours, régnante et romantique, affirmant sa supériorité avec un charisme irrésistible et une séduction éclatante. Attirant ainsi toute la lumière...
A priori un documentaire de trois heures et dix minutes, cela peut faire peur. Pourtant ce Voyage à travers le cinéma français que propose Bertrand Tavernier est époustouflant et mérite qu'on s'y attarde.
Leçons érudites
En tout premier lieu parce qu'il s'agit de véritables leçons de cinéma. Un décryptage érudit de la mise en scène (il faut voir comment on nous explique la manière dont Melville faisait ses champs contre-champs), de l'écriture, du jeu d'acteur (Gabin, sa lenteur et sa maîtrise) mais aussi de la manière dont se fabrique ce 7e art si collectif et si égomaniaque. Et ce jusqu'au défuntes salles de cinéma de quartier qui ressuscitent en citant Luc Moullet. Tavernier nous explique pourquoi telle scène est réussie et comment telle séquence a été concoctée. Le réalisateur joue le rôle d'un professeur qui veut divertir son auditoire, avec des anecdotes (comment est née la gueule d'atmosphère d'Arletty, comment un décorateur transforme Un jour se lève) ou des courriers lus en voix off (Aragon louant l'esthétique de Godard).
Le tout est illustré par des dizaines d'extraits plus ou moins longs, de films classiques ou méconnus. Une odyssée inestimable ponctuée d'interviews et d'archives (dont cette engueulade mémorable entre Belmondo et Melville). "Imaginez que vous êtes au cinéma" annonce Bertrand Tavernier en préambule. Et en effet c'est un film sur le cinéma qui se déroule devant nos yeux. Mais pas seulement.
Les souvenirs personnels de Tavernier et ses choix sélectifs
Et c'est là tout le risque de ce documentaire, présenté en avant-première mondiale au dernier festival de Cannes. Car il faut expliquer sur quel axe le film, presque trop riche, tient en équilibre: d'un côté les souvenirs personnels de Tavernier, qui servent de fil conducteur. L'enfance au sanatorium (dépucelage cinématographique), l'adolescence au pensionnat (frénésie cinématographique), jeunesse active, d'attaché de presse à assistant réalisateur en passant par la défense de Henri Langlois (prise de conscience où cinéma et politique s'entremêlent). De ce point de vue, on pourrait être frustrés. Tavernier ne se dévoile pas tant que ça, et à quelques exceptions, il ne partage que des faits assez neutres qui ne sont que les étapes de sa vie.
De l'autre côté, ce voyage dans le temps n'a rien d'exhaustif, ce qui peut également être frustrant. Si la liste des cinéastes cités est longue, le film se concentre sur quelques personnalités et un certain style de cinéma. On peut imaginer plusieurs "voyages", similairement thématiques. Il le faudrait tant on reste parfois sur sa faim quand il fait d'abondantes références à Bresson, quand il flirte avec Autant-Lara, quand il éclipse des Clouzot, Verneuil ou Clément.
Fantômes et légendes
Une fois le cadre et le scénario posés, et le parti-pris assumé, le documentaire enchaîne les chapitres. Chacun est suffisamment long pour ne pas être superficiels: Jacques Becker, Jean Renoir, Jean Gabin, la musique de film (Jaubert, Kosma), Eddie Constantine, les productions de Beauregard, la bande Truffaut-Chabrol-Godard-Varda, Edmond Gréville, Jean-Pierre Melville, et Claude Sautet. Tavernier ne masque pas ses émotions: il admire sans pudeur et avec sincérité. Il est tombé dedans quand il était petit. Le cinéma qu'il fait renaître a un air de famille, avec Belmondo, Ventura, Piccoli... Il y a quelques femmes: Bardot, Moreau, Schneider, qui achève ce marathon cinéphile en s'en allant vers un hiver incertain.
Il réunit ainsi les fantômes et les légendes. Convoque les génies (qui peuvent aussi être indignes). Car il ne cache pas les zones d'ombres, ceux qui ont eut des comportements dégueulasses, les sales caractères d'êtres jamais mythiques, égratigne le scénariste Melville et le lâche Renoir. Voyage à travers le cinéma français est une aventure aussi humaine qu'humaniste. Tavernier propose un panorama d'un certain cinéma français, classique, même si toujours moderne, et assez masculin, mais il s'agit avant tout d'une série de portraits de ceux qui ont marqué le 7e art mondial, ces ambassadeurs de l'exception française.
Point de vue et images d'un monde
Car, finalement, ce que l'on retient est ailleurs. A l'image, par les films et les cinéastes/comédiens choisis, Bertrand Tavernier nous "enferme" dans une période, des années 1930 aux années 1970. Le noir et blanc domine. C'est Hôtel du nord, La grande illusion, Casque d'or, Le doulos, La bête humaine, Le jour se lève, Les 400 coups, Cléo de 5 à 7, Classe tous risques... Ça n'est ni une compilation, ni une anthologie, c'est un point de vue subjectif, amoureux, enthousiasmant d'un passionné de l'art cinématographique dans toute sa "variété", que ce soit des combats à mains nues de Constantine ou du regard de Signoret.
Or, ce voyage étourdissant est avant tout un voyage dans le temps. Un tableau de la France, celle du Front populaire, de l'Occupation, de l'après-guerre, des trente glorieuses. On voit évoluer, de Becker à Sautet, un pays, sa société, son peuple et ses métiers. Pas surprenant alors de constater que ce sont des films éminemment français qui ont été sélectionnés dans ce portfolio de prestige. On y parle de camembert, on y chante la Marseillaise, les putes sont belles et romantiques, ... Un voyage romanesque, plus balzacien que flaubertien. On y plonge comme dans un feuilleton social mais jamais vraiment dramatique..
Finalement, à l'instar des films de Melville, tout semble irréel et atemporel. Une déclaration d'amour teintée de nostalgie. Un cinéma français qui est capable de mettre "les larmes aux yeux".