"Wo bleibt Jafar Panahi ?" (où est Jafar Panahi ?) interrogeait désespérément un panneau installé devant le Palais lors de la Berlinale 2012. Cette année, même si le réalisateur iranien n'est pas présent physiquement à Berlin, ce que déplore le comité Friedensfilmpreis dans un nouveau happening, on a enfin de ses nouvelles par l'intermédiaire de son nouveau film, Pardé (Closed curtain), coréalisé avec le réalisateur Kambuzia Partovi.
Le long métrage, qui mêle documentaire et fiction, a été entièrement tourné avec une équipe réduite dans une villa aux rideaux presque perpétuellement tirés. Jafar Panahi est en effet toujours sous le coup d'une interdiction de travailler à la suite des événements de 2009 (voir notre actualité du 17 octobre 2011). Officiellement, toute transgression pourrait lui valoir un emprisonnement d'une durée de six ans.
"Nous ne savons pas quelles seront les conséquences [de cette transgression]", a confirmé Kambuzia Partovi, qui a lui reçu l'autorisation de venir présenter le film à Berlin. "Nous ne pouvons pas prévoir ce qui va arriver. Nous sommes dans l'attente."
Pardé emmène le spectateur directement dans la tête de Jafar Panahi, tiraillé entre son désir de continuer à travailler et l'angoisse que tout cela soit vain. Son dilemme insoluble (travailler ou mourir) est matérialisé à l'écran par deux personnages aux réactions antinomiques qui se disputent sur la manière dont ils voient l'avenir du cinéaste.
A sa manière, avec beaucoup d'humour, un brin de folie, et surtout une grande tristesse latente, Jafar Panahi nous fait sentir ce que c'est, pour un artiste, que de ne plus pouvoir créer, et réalise un hymne poignant à la liberté. Sur la forme, le cinéaste a visiblement travaillé avec les moyens du bord, dans un huis clos étouffant qui peut parfois accentuer la langueur des situations et des dialogues.
"Jafar Panahi a toujours essayé de réaliser des projets dans les limites de ce que permettent les circonstances" a rappelé Kambuzia Partovi. "Les conditions qui vous limitent peuvent également vous inspirer." Il a également rappelé à quel point il est difficile, pour un réalisateur, de ne pas être en mesure de poursuivre son oeuvre. Toutefois, il a tenu à rassurer les spectateurs du monde entier : "Jafar Panahi ne pense pas sans cesse à se suicider, sinon il n'aurait pas fait le film. Mais moi, si j'étais confiné et interdit de travailler, ce genre d'idées noires me passeraient parfois par la tête, inconsciemment. On finit par être déprimé et c'est je crois ce que montre le film."
Il le montre en effet, et avec une épure de moyens qui finit par s'avérer tout simplement bouleversante. On oublie l'austérité du procédé et les temps morts qui jalonnent le récit pour ne plus voir que l'ingéniosité cinématographique et la force dramatique du propos. Car si certains tournent pour le plaisir ou pour l'argent, Jafar Panahi, lui, tourne indéniablement pour demeurer vivant.
Photos : Happening organisé par le comité du Friedensfilmpreis 2013 / Kambuzia Partovi et l'actrice Maryam Moghadam lors de la conférence de presse
Crédit : MpM