Cannes 2013 : Qui est Amat Escalante ?
Jusqu’à présent, la carrière d’Amat Escalante ressemble à un sans-faute. A moins de 35 ans, le cinéaste mexicain rencontre le succès partout où il passe et contribue largement au dynamisme et au renouveau du cinéma de son pays.
Il faut remonter à 2003 pour retrouver une première trace de son nom dans les registres internationaux. Il n’a pas 25 ans et présente à Berlin son premier court métrage, Amarrados, où un ado sans domicile fixe sniffe de la colle et tombe dans un cercle vicieux d’abus sexuels. Le film est récompensé et lance la carrière du jeune cinéaste.
Deux ans plus tard, il est doublement présent à Cannes. En compétition, à travers Bataille dans le ciel, le deuxième film de Carlos Reygadas dont il est l’ami et l’assistant réalisateur, et à Un certain regard, avec son propre long métrage (Sangre), justement produit par Reygadas.
Les deux films frappent les esprits et le sien repart avec le Prix de la critique internationale. Sa manière de filmer (tout en plans séquences), ses personnages (un couple au bord de l’implosion, perclus de jalousie et d’incompréhension), son regard sans fard (notamment sur les scènes de sexe) suggèrent immédiatement l’émergence d’un cinéaste atypique, dans la lignée de la nouvelle « nouvelle vague » mexicaine portée par Carlos Reygadas et Julián Hernández, soucieuse de montrer le Mexique dans toute sa complexité.
Escalante dit lui–même à propos du film : "Les différences sociales et économiques dans mon pays ont créé un déséquilibre culturel et humain flagrant. Cela engendre le désenchantement et la frustration d'une population désormais incapable de prendre en charge son propre avenir. Ces gens ont perdu toute capacité et tout désir de communiquer rationnellement avec les autres et particulièrement avec leurs proches." Tout le ferment de son cinéma est là.
Trois ans plus tard, après un passage par la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes (dans la même promotion que les Argentins Pablo Aguero et Lucia Puenzo), le réalisateur récidive avec Los bastardos, également sélectionné à Un certain Regard. Le film prend en quelque sorte le contrepied de Sangre en s’intéressant à la misère des immigrés clandestins mexicains aux Etats-Unis. Pour survivre, ses deux personnages n’ont d’autre choix que d’accepter le "travail" qu’on leur propose : exécuter une femme.
"Ce film, explique Amat Escalante, traite de la pire tragédie qui puisse arriver à un être humain ou à un pays, celle de devenir délibérément meurtrier. Je ne crois pas qu’il soit dans la nature humaine de commettre un meurtre de sang froid. Je suis persuadé que seule une dégénérescence de celle-ci peut conduire quelqu’un à cette extrémité. Je tiens absolument à différencier les meurtres de sang froid de l’auto-défense et/ou de la vengeance. Ces deux dernières formes ne sont pas les motivations premières des deux personnages du film..." Le regard qu'il porte sur notre époque, de même que son style sans concession, font une nouvelle fois froid dans le dos. Escalante, lui, creuse son sillon.
Après avoir participé au film collectif Revolucion qui célèbre les 100 ans de la révolution mexicaine, il revient à un projet plus personnel, Heli, qu’il présente comme une synthèse de ses deux premiers longs métrages. Au cœur du récit, une famille prise dans un engrenage de violence…
La sélection du film dans la course pour la Palme d’or 2013 coule plutôt de source : c’est à la fois une manière de saluer la vitalité époustouflante du jeune cinéma mexicain (doublement couronné en 2012 avec le prix de la mise en scène à Post tenebras lux de Carlos Reygadas et celui d’Un certain regard à Después de Lucia de Michel Franco) et une continuation logique pour Escalante, dont la carrière s’est jusqu’à présent jouée essentiellement sur la Croisette. S'il confirme l'essai, il pourrait bien devenir l'un de ces "habitués" de la compétition que les organisateurs du festival affectionnent tant.
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