Cannes 2013 : lettre à Jafar Panahi – jour 9

Posté par MpM, le 23 mai 2013

Cher Jafar,

Aujourd'hui je voudrais te parler d'un sujet moins grave que d'habitude, mais symptomatique de notre époque. Beaucoup de gens l'ignorent, mais, pendant plus de 30 ans, des jeunes de la France entière ont eu la chance de venir à Cannes et d'y décerner l'un des plus jolis prix qu'on puisse imaginer, celui de la Jeunesse. En parallèle, d'autres jeunes (une quarantaine chaque année) étaient invités pour quelques jours, juste pour profiter des films, des rencontres avec les artistes et de l'ambiance unique du festival.

Peux-tu imaginer ces cinéphiles à peine sortis de l'adolescence qui découvraient à Cannes la fine fleur de la cinématographie mondiale ? Qui voyaient le premier film thaïlandais, roumain ou iranien de leur vie ? Qui avaient une révélation face à un cinéma d'auteur, exigeant, en un mot brillant, dont ils ignoraient peut-être tout auparavant ?

Tu te doutes que ce prix, mis en place par le ministère de la jeunesse, a été à l'origine de nombreuses vocations. On en croise chaque année sur la Croisette, des anciens du Prix de la jeunesse, revenus en tant que journalistes, producteurs, attachés de presse, réalisateurs... Sans compter tout ceux qui ont attrapé le virus pour toujours, sans en faire leur métier, et qui le transmettront à leur tour à leur entourage.

Chaque année, en dix jours, le prix a fait plus pour l'éducation à l'image et l'ouverture des esprits que toutes les campagnes un peu artificielles que peuvent organiser les politiques. Ne serait-ce qu'en aidant les plus jeunes à s'interroger sur le monde à travers des films qui ont changé pour toujours leur perception de l'existence... Lorsque l'intelligence et la curiosité gagnent du terrain, c'est toujours une victoire sur la peur, l'obscurantisme et l'intolérance. À notre époque, on ne devrait pas se permettre de négliger ça.

Pourtant, le prix de la jeunesse n'est plus. Supprimé sans fleurs ni couronnes. Laissant orphelins tous ceux dont il a changé la vie, et frustrant la nouvelle génération qui n'aura pas la chance d'en profiter.

Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – Sarah préfère la course

Posté par MpM, le 23 mai 2013

sarah préfère la courseLe premier long métrage de Chloé Robichaud a pour héroïne une jeune fille atypique, Sarah, qui n'a d'intérêt que pour la course. Dans ce domaine, elle assure. Mais pour ce qui est de sa vie personnelle, c'est plus chaotique.

La jeune réalisatrice québecquoise réalise un portrait sensible et drôle qui capte avec justesse les contradictions de l'être humain. Sarah n'est ni caricaturale, ni fade, et avance dans la vie comme elle peut. Son manque de confiance en elle, son indécision face à ses propres sentiments, son amour de la course à pied composent un personnage complexe et ancré dans le monde. En effet, toutes les femmes ne sont pas des romantiques invétérées (ici, c'est son colocataire qui endosse ce rôle), et oui, une femme peut faire passer sa carrière (et sa passion, sportive par de-ssus le marché) avant toute autre chose, famille et vie sentimentale comprises.

C'est un vrai soulagement de voire une composition trancher autant avec les personnages post-ado tels que le cinéma a tendance à les représenter : fades, évaporés et stéréotypés. Avec Sarah, Chloé Robichaud prouve que l'on peut écrire des rôles féminins qui ne soient ni des femmes au foyer idéales, ni des bimbos décérébrées, ni des "petites amies" ou "femmes" de. Exemple à suivre.

Cannes 2013 : Salvo reçoit deux prix au palmarès de la Semaine de la Critique

Posté par vincy, le 23 mai 2013

salvoLe palmarès de la 52e Semaine de la Critique de Cannes a couronné les réalisateurs italiens Fabio Grassadonia et Antonio Piazza pour leur film Salvo. Le jury présidé par le cinéaste Miguel Gomes l'a gratifié du Grand Prix "Nespresso" ; le film est également reparti avec le prix Révélation France 4 dont la présidente du jury était la réalisatrice française Mia Hansen-Love.

Salvo est un tueur de la mafia sicilienne, solitaire, froid, impitoyable. Lorsqu'il s'introduit dans une maison pour éliminer un homme, il découvre Rita. La jeune fille est aveugle et assiste impuissante à l'assassinat de son frère. Salvo essaie de fermer ses yeux dérangeants, qui le fixent sans le voir. Mais quelque chose d'impossible se produit. Rita voit pour la première fois. Salvo décide alors de lui laisser la vie sauve.

Une mention a été décernée au film argentin Los Duenos d'Agustin Toscano et Ezequiel Radusky.

Le prix de la SACD a récompensé le film canadien Le démantèlement, de Sébastien Pilote.

Côté courts-métrages, le prix Découverte est allé au film Come and play de la Russe Daria Belova et le prix Canal+ a été décerné à Pleasure de la Suédoise Ninja Thyberg.

Cannes 2013 / Un film, une ville : Tanger

Posté par vincy, le 23 mai 2013

tom hiddleston tilda winton jim jarmusch tanger tangiers only lovers left alive

Jim Jarmusch à Tanger (et à Detroit). La vampire Tilda Swinton profite de cette ville mythique de la littérature et de la peinture, sillonnant les ruelles, profitant d'un café, mordant dans les veines de jeunes marocains quand elle n'a pas sa dose d'hémoglobine. De Peter Bowles à Henri Matisse, la lumière de Tanger, ville africaine qui fait face à l'Espagne, a attiré de nombreux grands artistes. Et il était logique que le cinéma s'en empare aussi. Jarmusch filme Tanger essentiellement la nuit dans Only Lovers Left Alive. Il la rend envoûtante et mystérieuse.

Tanger est une ville de tournage qui rassure : comme souvent, le Maroc sert d'alibi à des grosses productions qui cherchent un pays arabe pour des scènes qui ne se passent pas dans ce pays : ce fut le cas d'Inception, d'un James Bond comme Tuer n'est pas jouer, mais aussi de Cloclo (pourtant l'Egypte n'est pas si loin).

Le cinéma français a souvent planté ses caméras dans la ville. Dans quelques mois, Gibraltar va s'y dérouler. Normal, Tanger est face à la colonie anglaise de Gibraltar. C'est le carrefour des drogues et des migrations clandestines. André Téchiné a préféré donner une vision plus romanesque de la ville dans Les temps qui changent, avec Deneuve et Depardieu qui y retombent amoureux, et une vision plus réaliste et sociale dans Loin, avec Stéphane Rideau et Lubna Azabal. Un écrivain anglais, James, rappelle d'ailleurs l'ombre de Peter Bowles.

Pour adapter Bowles justement, Bernardo Bertolucci a servit Un thé au Sahara sur place, avant que ses personnages ne partent dans le désert. Tanger c'est le mythe de l'exotisme avant que la modernité et les voyages de masse ne réduisent le monde à quelques heures d'avion.

Mais la ville n'a jamais été aussi bien filmée que par Paul Greengrass dans le troisième épisode de Jason Bourne, La vengeance dans la peau. Moment crucial du film, Bourne (incarné par Matt Damon) ne flâne pas vraiment, mais on a le temps de profiter des quartiers populaires, des belles places ombragées, du souk et des toits de la ville à travers une périlleuse et très longue course-poursuite, qui se terminera avec une baston brutale dans une salle de bain. On est loin de la vision évaporée et romantique de Jarmusch.

Cannes 2013 : trois questions à Jim Mickle

Posté par MpM, le 23 mai 2013

jim mickleWe are what we are, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, fait sensation comme "le film de cannibales" du Festival de Cannes 2013. Il met en scène une famille renfermée sur elle-même qui, pour survivre, consomme de la viande humaine. Loin de tout sensationnalisme (hormis peut-être la scène de fin), le film est un pur huis clos anxiogène sur l’implosion d’une cellule familiale soumise à des tensions inacceptables

Il s’agit du troisième long métrage du réalisateur américain Jim Mickle, qui s’est fait un nom auprès des amateurs de films de genre avec un film de zombies, Mulberry street, et un autre de vampires, Stake land. Pour We are what we are, il s’est inspiré de Somos lo que hay du Mexicain Jorge Michel Grau, déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2010. Fasciné par le regard intimiste porté par Grau sur cette famille dysfonctionnelle, il s’est réapproprié le récit avec une sobriété glaçante, lui apportant un sous-texte sociétal évident.

Ecran Noir : Pourquoi avoir eu envie de faire le remake d’un film aussi récent que Somos lo que hay de Jorge Michel Grau ?

Jim Mickle : Je n’avais pas envie de faire un remake ! Mais j’ai eu le sentiment que dans le film originel, il y avait un bon concept à partir duquel on pouvait faire quelque chose d’intéressant. Et Jorge Michel Grau nous a fait confiance. Ce qui m’intéressait, c’était ce tabou sombre, ce sujet extrême sur lequel Grau avait porté un regard tout à fait intimiste. Le film original laissait beaucoup d’espace pour l’interprétation. Rien n’était dit de manière frontale. J’ai aimé ce concept extrêmement large avec une manière de le traiter qui passait par quelque chose d’extrêmement spécifique et étroit.

EN : Bien sûr, le film parle de cannibales. Mais il met surtout en scène une famille qui implose. Le père de famille exerce une autorité si forte sur ses enfants qu’il provoque cette implosion.

JM : Et plus encore, je crois que c’est une famille où on voit un père qui perd le contrôle. Il essaye de maintenir la cohésion dans sa famille après un drame. Mais il n’est pas équipé pour cela et il va arriver à un résultat contraire. Et c’est vraiment dans ce sens que l’on a dirigé l’acteur principal Bill Sage. A aucun moment le personnage du père n’a la volonté de mal faire, ou de briser la vie de ses enfants. Il essaye au contraire de faire tout ce qu’il peut, mais ça ne fonctionne pas.

EN : Les films de genre ont souvent une intention cachée, une volonté de parler de notre époque et d’en dénoncer les contradictions ou les erreurs. Peut-on voir cela dans cette manière qu’a le film de montrer un père s’escrimant à faire le bien de ses enfants et qui, au final, atteint exactement le résultat inverse ?

JM : C’est tout à fait vrai ! Je crois qu’il y a un message politique mais aussi religieux. Bill Sage est un acteur très intelligent, il a compris ça immédiatement quand il a lu le scénario. Pour moi et mon coscénariste [Nick Damici, avec lequel il a déjà cosigné ses deux premiers longs métrages], ce film était une manière de montrer comment les hommes voient les femmes. Mais aussi la politique américaine : comment les hommes essayent de contrôler les femmes, de les réguler. C’est aussi une manière de revenir sur le fait que beaucoup, dans la politique américaine, est le résultat d’un mélange entre la politique et la religion. Il semblerait qu’aujourd’hui, ce mélange dicte la plupart des actions politiques. C’était tout à fait intéressant pour nous de voir à quel point un petit drame avec trois personnes peut se faire le reflet de cette réalité politique et sociale.

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Cannes 2013 : les télex du marché (7) : Bruce Willis, Gael Garcia Bernal, Miguel Gomes, Todd Haynes, Peter Webber, Winnie l’Ourson

Posté par vincy, le 23 mai 2013

Ouf. Le budget d'Expiration, avec Bruce Willis en tête d'affiche, a été bouclé. 60 millions de $ seront dépensés pour ce thriller qui se focalise sur un tueur à gages empoisonné et dont la mort est proche s'il ne trouve pas une solution. Le film sera réalisé par Brian Tucker. Tournage au printemps 2014.

Evita again? Cette fois-ci le mythe argentin ne sera pas un drame musical. Réalisé par Pablo Aguero, Evita s'intéresse à la dépouille de la femme du dictateur Peron, morte en 1952. Mais, au coeur d'enjeux politiques, elle ne sera enterrée qu'en 1975. Gael Garcia Bernal incarnera l'amiral Emilio Eduardo Massera ; Evita sera interprétée par Mia Maestro.

Il était une fois. Tandis qu'il préside le jury de la Semaine de la critique, le réalisateur du très remarqué Tabou, Miguel Gomes, a annoncé son prochain projet. Les 1001 nuits sera un long tournage de huit mois, à partir de septembre. Gomes explique que son film est une transposition moderne et réaliste du célèbre conte. Le film ne sortira pas avant fin 2014-début 2015.

Women. Il n'a rien tourné pour le cinéma depuis 2006 (I'm not there), même s'il a marqué les esprits avec sa version TV de Mildred Pierce il y a deux ans. Todd Haynes reviendra dans les salles avec Carol, qui réunira Cate Blanchett et Mia Wasikowska. Carol est l'adaptation d'un roman de Patricia Highsmith, Les Eaux dérobées. L'histoire, qui se déroule dans les années 50, est celle de deux femmes, une jeune ambitieuse qui travaille dans un grand magasin et d'une épouse piégée dans un mariage sans amour.

De l'or. Après La jeune fille et la perle, Peter Webber adaptera le roman historique de Rose Tremain, The Colour. L'auteure signera elle-même le scénario de ce film qui se tournera l'an prochain. Webber posera ses caméras en Nouvelle-Zélande. Il s'agit de l'histoire d'un jeune couple qui cherche à faire fortune en profitant d'une ruée vers l'or dans les années 1860.

L'ours. On connaissait les dessins animés (et même le film d'animation en 2011) avec Winnie l'ourson. Voici le biopic (un de plus) sur son créateur, Alan Alexander Milne. Goodbye Christopher Robin se concentrera plus particulièrement sur la relation compliquée entre le créateur et son fils. Le film se tournera durant l'été 2014 sur l'Ile de Man.

Cannes 2013 : Qui est Juno Temple ?

Posté par vincy, le 23 mai 2013

juno templeJuno Temple a des airs d'Ellen Page, le même côté femme-enfant. Britannique de naissance, elle a déménagé aux USA dès l'âge de 4 ans, avant que sa famille ne retourne en Angleterre. Mais pour elle, à 4 ans, ce fut un autre voyage qu'elle commença : une vocation d'actrice, en regardant La belle et la bête de Jean Cocteau. Adorant s'habiller avec des vêtements colorés et ethniques, elle n'a pas besoin de convaincre son père, Julien Temple, réalisateur de comédies musicales, documentaires rock et vidéos clips, qu'elle peut jouer. La gamine débute à 9 ans avec Vigo, histoire d'une passion sous la direction de son père. Elle tournera également pour lui dans Pandemonium.

Etudiante moyenne, elle se lance dans le métier, sérieusement, à 15 ans. Pour son premier rôle important, elle joue la fille, pétulante et tourmentée, de Cate Blanchett (Chronique d'un scandale). Mais c'est Joe Wright qui lui propose sa première transformation en la teignant en rousse dans Reviens-moi. Elle impressionne. Dans les deux volets des comédies déjantées St. Trinian's, elle fait mouche en jouant sur l'excentricité. Manquant un rôle dans Harry Potter, après quelques films anglais oubliés, sentant que sa carrière commence à frémir, elle s'envole pour Los Angeles rejoindre son fiancé et convaincue que le "business" est en Californie.

Mais Juno Temple est curieuse, avide d'expériences singulières et ne se contente pas d'attendre un projet de studio. Elle fait ainsi le grand écart entre la comédie américaine Year One, avec Jack Black et Michael Cera, et l'oeuvre fantastique et sensible de Jaco Van Dormael, Mr. Nobody. Deux flops.

Elle n'hésite pas à se mettre en danger, et sortir ainsi des critères hollywoodiens ; par exemple, en réalisant un sketch parodique ou en s'invitant dans le casting du délirant Kaboom de Gregg Araki, Queer Palm à Cannes. Elle allume Eva Green dans Cracks, donne la réplique à Ben Stiller dans le drame léger Greenberg, joue les Lolitas "gay friendly" dans Dirty Girl, n'a pas de pudeur pour être une lesbienne (un brin schizophrénique) dans Jack & Diane (à l'origine le personnage était pour une certaine Ellen Page) et file à l'anglaise pour suivre des skateboarders dans Little Birds... Insaisissable, elle incarne Anne d'Autriche dans Les trois mousquetaires de Paul W.S. Anderson.

Premier rôle de films indépendants, second rôle de grosses productions : elle avance. Et parfois épate comme dans Killer Joe de William Friedkin, où elle interprète la soeur pas très nette d'un tueur minable et machiavélique (Matthew McConaughey). On l'aperçoit aussi dans The Dark Knight Rises de Christopher Nolan, qui voulait, à l'origine retrouver Ellen Page pour ce personnage de Jen.

Mais c'est bien cette année, que Temple commence à intriguer les festivaliers. A Sundance, elle présente Afternoon Delight, comédie dramatique de Jill Soloway, qui reçoit le prix de la mise en scène. A Berlin, elle accompagne Lovelace, biopic sur l'actrice porno. Temple y est la meilleure (et sincère) amie de Linda Lovelace. A Cannes, elle vient présenter à la Quinzaine des réalisateurs Magic Magic du chilien Sebastián Silva. Pas étonnant qu'elle reçoive en février le prix BAFTA du talent de demain, choisie par le public. Mélancolique ou rieuse, se complaisant dans les déguisements, fragile et déterminée, elle est tout cela à la fois : de la pâte à modeler pour les réalisateurs.

Peu connue, ayant pourtant joué avec les stars du moment, Juno Temple a un agenda rempli. On la verra dans Horns d'Alexandre Aja, Sin City 2 de Robert Rodriguez et Frank Miller, en fée dans Maléfique avec Angelina Jolie, Truck Stop... "Je veux juste travailler. Je n'ai pas peur d'essayer quoi que ce soit. Si ça ne marche pas, je ne le referai plus... J'ai juste 23 ans, je donne ma chance à tout" explique-t-elle en guise de profession de foi.