Présenté dans la section Cannes Classic du Festival de Cannes 2013, puis dans le cadre du 6e festival Différent ! , Con la pata quebrada de Diego Galan est un film de montage qui interroge la place de la femme dans la société et le cinéma espagnols des années 30 à nos jours.
A l’origine, il y a un dicton espagnol plutôt imagé : "La mujer casada y honesta, con la pata quebrada y en casa", littéralement : "Femme mariée et honnête a la jambe cassée et reste au foyer." Une vision de la "place" de la femme qui dépasse, de loin, le gentillet "retourne à tes fourneaux" de la langue française.
Partant de ce constat, Diego Galan, critique de cinéma, écrivain, réalisateur, mais aussi ancien directeur du festival de San Sebastian, a eu la facétieuse idée de raconter une histoire de l’Espagne, et de la manière dont on y considère les femmes depuis le premier tiers du XXe siècle, en se basant uniquement sur des extraits de 180 films espagnols.
Si l’on considère qu’un film est toujours, quelle que soit l’histoire qu’il raconte, le reflet de l’époque à laquelle il est tourné, quoi de plus passionnant que se pencher sur la cinématographie d’un pays et d’y trouver des échos de son évolution et de sa mentalité ? Diego Galan réalise ainsi un travail de montage minutieux et pertinent qui brosse chronologiquement et thématiquement le portrait de la femme espagnole telle qu’elle fut fantasmée au cours des quatre-vingt dernières années.
A quoi sert la femme ? A rien
Sans surprise, il s’agit d’une femme rangée, modeste et docile dont l’existence est tout entière consacrée au bien-être de son mari et de ses enfants. Un des extraits du préambule donne immédiatement le ton : en 1957, El batallon de la sombras de Manuel Mur Oti présente un homme bien habillé qui déclame nonchalamment face caméra : "A quoi sert la femme ? A rien. Absolument à rien. Elle coud nos boutons, cuisine, nous déclare absents quand un créancier se présente. Bon, il faut bien se distraire. Ah, elle nous met au monde. Tout à fait ! Tout comme elle nous met des cravates importables." Un cynisme volontairement provocateur, qui en dit long sur le regard porté par l’Espagne franquiste sur sa composante féminine. Car ce sont bien la guerre civile et la victoire de Franco qui vont changer la donne pour la femme espagnole.
Au début des années 30, au moment de la 2e République, les femmes avaient accédé à un vrai statut social en obtenant le droit de vote et celui de travailler sans l’autorisation de leurs époux, tandis que le divorce et même l’avortement (dans certaines régions) étaient légalisés. Les films de l’époque montrent des ouvrières joyeuses et épanouies qui trouvent le bonheur dans leur travail. En même temps, les prémices de la libération sexuelle permettent des scènes relativement osées, comme dans Nuestro culpable de Fernando Mignoni (1937), où des femmes de toutes conditions font des avances explicites à un homme emprisonné. C’est l’avènement de la femme moderne.
Morale irréprochable et mariage en ligne de mire
Mais après la victoire de Franco, un formidable retour de bâton frappe les femmes qui sont "libérées" du travail et renvoyées manu militari dans leurs foyers. Le cinéma s’en fait l’écho à travers des personnages de patriotes entièrement dévouées à leur pays, des héroïnes incarnant la femme espagnole idéale, catholique, modeste, et à la morale irréprochable. Pour elles, le mariage est le seul destin logique. Dans El arte de casarse (un titre qui ne s’invente pas) de Jorge Feliu (1966), la blonde héroïne veut ainsi se marier "avec n’importe qui", à condition "qu’on [l']aime un peu".
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