Patrice Chéreau vient de succomber d'un cancer du poumon à l'âge de 68 ans. Né le 2 novembre 1944 à Lézigné (Maine-et-Loire), il a réalisé 10 longs métrages de 1974 à 2009. Il était avant tout considéré comme l'un des plus grands metteurs en scène de théâtre et d'opéras, transcendant des actrices comme Dominique Blanc (La douleur de Marguerite Duras) ou révélant Marina Hands (Phèdre). On lui doit de sublimes mises en scène de Marivaux et de Koltès. Il préparait également une mise en scène de Shakespeare.
Homme engagé politiquement (à gauche), assumé sexuellement avant l'heure (ardent défenseur de la lutte contre le SIDA), Chéreau fut un éphémère patron de la Fémis, patron emblématique du Théâtre des Amandiers à Nanterre durant 8 ans (il fit émerger toute une génération de comédiens) et président du jury du Festival de Cannes. Cette homme errait dans sa solitude. Et ne savait que transposer ses doutes existentiels : "Je ne sais raconter les choses qu'à travers moi".
8 ans après avoir commencé sa carrière théâtrale, il passe derrière la caméra, en 1974 avec La Chair de l'orchidée, avec Charlotte Rampling, Bruno Cremer, Edwige Feuillère et Simone Signoret. "J'ai dû le raccourcir car les producteurs me l'avaient demandé. Et à l'époque je pensais qu'en raccourcissant un film long, on le rendait rapide. Alors qu'en fait on fait un film long tronqué !" expliquait-il, comme pour justifier les maladresses de l'oeuvre. Il retrouve Signoret pour son deuxième long-métrage, Judith Therpauve (1978).
Mais c'est en 1983 que Chéreau se révèle comme cinéaste avec L'Homme blessé. Alors que l'homosexualité n'est plus un délit ni une maladie, depuis peu, il filme l'histoire d'un adolescent bourgeois qui croise un homme plus âgé impliqué dans le milieu de la prostitution et qui décide de se prostituer pour gagner son amour. Le film, César du meilleur scénario, forge la carrière du jeune et sensuel Jean-Hugues Anglade.
Pour Hôtel de France, il prend sa troupe des Amandiers, Laurent Grévill, Valeria Bruni Tedeschi, Bruno Todeschini, Agnès Jaoui et Vincent Pérez. Sa mise en scène s'affine, entre esthétisation, tragédie sentimentale et drame humain. Ce style sera porté à son paroxysme avec La Reine Margot en 1994, où Anglade, Auteuil, Lisi, Todeschini croisent la folie d'Adjani, qui joue ici, sans qu'on le sache alors, son dernier grand rôle. Le film est en compétition à Cannes et lui vaut le prix du jury et un prix d'interprétation à Virna Lisi.
Il revient sur la Croisette avec Ceux qui m'aiment prendront le train, épopée chorale qui transporte le cortège à Limoges, entre comédie à l'italienne et mélancolie très française. Il récolte le César du meilleur réalisateur. Mais, après ses deux films, Chéreau décide de changer de registre avec des films plus claustrophobes, plus sexuels aussi. Des films de passion.
Intimité (Intimacy), en 2000, est cru. Ce film londonien expose homosexualité et hétérosexualité en chair et en os. Brillamment mis en scène, sans doute son plus abouti, le film est primé (Ours d'or à Berlin, Prix Louis-Delluc) mais boudé par le public. Prix de la mise en scène à Berlin, Son frère en 2003, à l'origine un téléfilm, est dans la même veine. Inspiré d'un livre de Philippe Besson, cette oeuvre presque mortifère, avec Bruno Todeschini et Eric Caravaca, évoque le combat contre la maladie (le SIDA). Sans doute le plus beau film français sur le sujet. Mais derrière ce thème, Chéreau filme avant tout une superbe relation fraternelle, où l'émotion, palpable, tire les larmes.
Après Gabrielle, huis clos en costumes avec Isabelle Huppert et sa "muse" Pascal Greggory, il flirte avec Visconti mais échoue à séduire public et critiques. Son ultime film, Persécution, en 2009, avec Romain Duris, Charlotte Gainsbourg et Jean-Hugues Anglade, ne parvient pas plus à reconquérir ses aficionados malgré un thème très contemporain, le harcèlement et l'intrusion.
Chéreau était aussi acteur, souvent impeccable et même parfois formidable. On l'a vu chez Andrzej Wajda (Danton), Youssef Chahine (Adieu Bonaparte), Michael Mann (Le dernier des Mohicans), Claude Berri (Lucie Aubrac), Raoul Ruiz (Le temps retrouvé), Ronie Marshall (Au plus près du Paradis) et Michael Haneke (Le temps du loup). Rien que ça.
Audacieux, le metteur en scène avait cet aspect bipolaire qui introduisait de la théâtralité dans le cinéma et du mouvement presque cinétique sur les planches. Amoureux des acteurs, il aimait les voir souffrir sur scène et semblait fasciner par les gros plans sur grand écran. Lyrique, spectaculaire, sa mise en scène était aussi intérieure et intimiste. Désir, folie, mort et liberté étaient les piliers d'une oeuvre où l'homme, aliéné par le conformisme, était prêt à tous les excès pour s'en sortir. Peu importe le risque, l'issue.
A l'image de cet homme qui ne se reposait jamais et qui lançait sans doute à ceux qui acceptaient de s'engager avec lui : "que ceux qui m'aiment me suivent". Peu le pouvaient.