Cannes 2017 : une 56e sélection sexy et très sud-américaine pour la Semaine de Critique

Posté par MpM, le 21 avril 2017

Après avoir vaillamment visionné 1700 courts et 1250 longs métrages, les deux comités de sélection de la Semaine de la Critique ont retenu 11 longs métrages (dont 6 premiers films) et 13 courts qui composeront le programme de cette 56e édition. Une édition qui s'annonce très sud-américaine avec des longs métrages du Vénézuéla, du Brésil et du Chili et un court du Costa Rica, sans compter la traditionnelle invitation faite au festival de Morelia à travers trois courts métrages mexicains.

Elle sera également assez sexy, puisque l'une des séances spéciales s'articule autour du désir. On y découvrira notamment le nouveau court métrage de Yan Gonzales (Les îles), qui avait montré à la Semaine son premier long métrage (Les rencontres d'après-minuit),  du duo Caroline Poggi et Jonathan Vinel (After School night fight), lauréat de l'Ours d'or du meilleur court métrage à Berlin en 2014, et de Carlos Conceição (Coelho mau), passé par la Semaine en 2014.

Côté longs métrages, on retrouve en ouverture les réalisateurs révélés en 2013 pour Salva, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, qui présenteront Sicilian Ghost Story. La réalisatrice de L'été des poissons volants, Marcela Said, est en compétition avec son deuxième long, Los perros. Une séance spéciale est également consacrée au deuxième long métrage de Thierry de Peretti (Les apaches), Une vie violente.

Enfin, il faut noter que, pour la première fois, la Semaine de la Critique propose en compétition un long métrage d'animation, Tehran Taboo d'Ali Soozandeh (Allemagne), et un documentaire, Makala d'Emmanuel Gras (France), le réalisateur de Bovines. Le cinéma français est globalement bien représenté avec une autre entrée en compétition (Ava de Léa Mysius), deux séances spéciales et quatre courts métrages.

C'est le jury présidé par le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, et composé de Diana Bustamante Escobar (productrice et directrice artistique du Festival de Carthagène, Colombie), Eric Kohn (rédacteur en chef de Indiewire, Etats-Unis), Hania Mroué (directrice du Cinéma Metropolis, Liban) et Niels Schneider (comédien, France) qui sera chargé de décerner le Grand Prix Nespresso et le Prix Révélation France 4 à l’un des 7 longs métrages de la compétition ainsi que le Prix Découverte Leica Cine à l’un des 10 courts métrages.

Compétition Longs métrages

Ava de Léa Mysius (France)
La familia de Gustavo Rondón Córdova (Vénézuela)
Gabriel e a montanha de Fellipe Gamarano Barbosa (Brésil)
Makala d'Emmanuel Gras (France)
Oh Lucy ! d'Atsuko Hirayanagi (Japon)
Los perros de Marcela Said (Chili)
Tehran Taboo d'Ali Soozandeh (Allemagne)

Compétition Courts métrages

Los Desheredados de Laura Ferrés (Espagne)
Ela - szkice na pozegnanie d'Oliver Adam Kusio (Allemagne)
Les enfants partent à l'aube de Manon Coubia (France)
Jodilerks dela Cruz, employee of the month de Carlo Francisco Manatad (Philippines)
Möbius de Sam Kuhn (Etats-Unis)
Najpiekniejsze fajerwerki ever d'Aleksandra Terpiska (Pologne)
Real gods require blood de Moin Hussain (Grande Bretagne)
Selva de Sofía Quirós Ubeda (Costa Rica)
Tesla : lumière mondiale de Matthew Rankin (Canada)
Le visage de Salvatore Lista (France)

Séances spéciales

Sicilian Ghost story de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (film d'ouverture, Italie)
Brigsby bear de Dave McCary (film de clôture, Etats-Unis)
Petit paysan de Hubert Charuel (France)
Une vie violente de Thierry de Perretti (France)

Séance spéciale de courts métrages

After School night fight de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (France)
Coelho mau de Carlos Conceição (Portugal)
Les îles de Yann Gonzalez (France)

Invitation au Festival de Morelia

Juan Perros de Rodrigo Imaz (Mexique)
Microcastillo de Alejandra Villalba García (Mexique)
Verde de Alonso Ruizpalacios (Mexique)

Cannes 2017 : la sélection de l’ACID

Posté par MpM, le 21 avril 2017

Pour ses 25 ans, l'ACID proposera une sélection cannoise élargie du 18 au 27 mai prochain. En comptant la carte blanche à l'association de cinéastes serbes Bande à part (ACID TRIP #1) qui avait été annoncée au début du mois, ce sont en effet 12 films dont 7 premiers longs métrages et un programme de courts qui seront présentés pendant la 70e édition du Festival de Cannes. On compte notamment 5 documentaires et une séance spéciale consacrée au premier long métrage en tant que réalisateur de Vincent Macaigne, Pour le réconfort.

« Il nous faut de nouveau nous tenir devant le cinéma comme des enfants, accueillants et intranquilles, ouverts à la surprise et à la stupeur. La programmation 2017 fait la part belle à ces retrouvailles. Le cinéma que nous aimons sait laisser son scénario être débordé par le réel qu'il invite à sa table.

Il sait faire le choix de partager l'énonciation avec ceux qu'il filme, et n'oublie pas qu'avant les partitions consacrées (fiction et documentaire, vérité et artifice), la mise en scène est affaire d'espace, de rythme et de lumière offerts aux corps pour qu'ils s'inventent comme personnages. Pour permettre à d'autres - à nous - de toucher du regard leur humanité. Il n'est pas à nos yeux, nous cinéastes, geste plus artistique. Plus politique. » ont déclaré les cinéastes programmateurs dans le communiqué annonçant de la sélection.

Font partie de ce comité de sélection : Claudine Bories, Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Patrice Chagnard, Wissam Charaf, Patric Chiha, Philippe Fernandez, Marielle Gautier, Jean-Baptiste Germain, Jean-Louis Gonnet, Ioanis Nuguet, Kathy Sebbah et Idir Serghine.

***Sélection***

L'assemblée de Mariana Otero (documentaire)

Avant la fin de l'été de Maryam Goormaghtigh (documentaire)

Belinda de Marie Dumora (documentaire)

Le ciel étoilé au-dessus de ma tête de Ilan Klipper, avec Laurent Poitrenaux, Camille Chamoux, Alma Jodorowsky, François Chattot, Michèle Moretti...

Coby de Christian Sonderegger (documentaire)

Kiss and cry de Lila Pinell et Chloé Mahieu, avec Sarah Bramms, Xavier Dias, Dinara Droukarova, Carla-Marie Santerre, Aurélie Faula, Amanda Pierre, Noémie Carroué, Samuel Brian, Cassandra Perotin, Eve Cornet, Ilana Bramms, Lisa Perestrelo...

Last laugh de Zhang Tao, avec Yu Fengyuan, Li Fengyun, Chen Shilan

Sans adieu de Christophe Agou (documentaire)

Scaffolding de Matan Yair, avec Ami Smolarchik, Jacob Cohen, Keren Berger, Asher Lax, Jacob Cohen, Keren Berger

***Séance spéciale***

Pour le réconfort de Vincent Macaigne avec Emmanuel Matte, Pascal Rénéric, Laure Calamy, Pauline Lorillard, Joséphine de Meaux, Laurent Papot

***ACID TRIP #1 : SERBIE***

Requiem pour Madame J. de Bojan Vuletic´
L'humidité de Nikola Ljuca

***Courts métrages***

Dos patrias de Kosta Ristic´
Transition de Milica Tomovic´
Sortie de secours de Vladimir Tagic´
A handful of stones de Stefan Ivancic´
If I had it my way I would never leave de Marko Grba Singh

Clint Eastwood prend le train pour Paris

Posté par vincy, le 21 avril 2017

Clint Eastwood embarque dans le Thalys. Une autre histoire vraie, dramatique, qui fait écho à ces derniers films autour de la figure du héros, l'homme lambda qui accomplit un geste extraordinaire.

The 15:17 to Paris raconte comment des passagers ont arrêté un terroriste en passe de faire un carnage dans le Thalys de Bruxelles vers Paris, le 21 août 2015. L'attaque d'Ayoub El Khazzani, ressortissant marocain ayant grandi à Molenbeek, a été déjouée par plusieurs voyageurs, un employé de banque français, un professeur et artiste américain, deux militaires américains en vacances, un britannique, et un étudiant américain.
Rappelons également que l'acteur français Jean-Hugues Anglade avait été témoin de l'affaire.

Le scénario de Dorothy Blyskal, son premier pour un long métrage, sera adapté d'un livre co-écrit par Anthony Sadler, Alek Skarlatos, Spencer Stone et Jeffrey E. Stern (inédit en français).

Le tournage devrait commencer d'ici la fin de l'année.

Cannes 70 : le lexique du festivalier

Posté par cannes70, le 20 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-28. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Comme tout microcosme qui se respecte, Cannes a ses codes, ses rituels et bien sûr son vocabulaire. Petit recueil des termes incontournables pour avoir l'air d'un vrai festivalier en toutes circonstances.

Accréd'

Cannes est la société la plus hiérarchisée au monde. Y être accrédité n'est pas tout, encore faut-il avoir la bonne accréditation, celle qui permet d'entrer partout, voire d'être prioritaire. À ce petit jeu-là, nombreux sont ceux qui rêvent de l'accréd' juste au-dessus de la leur (donnant accès à une meilleure place ou une file d'attente plus rapide) et tremblent d'être rétrogradés, au point d'en faire des cauchemars.

Chaque festivalier cannois est en effet étiqueté en fonction de ce qu'il a le droit (ou non) de faire, les séances auxquelles il peut assister, les lieux qui lui sont autorisés, et même les files d'attente qu'il doit emprunter. Pour rendre immédiatement identifiable la "caste" de chacun, il existe une signalétique stricte, basée sur un système de couleurs, de pastilles, de lettres et de codes-barre très complexe et joyeusement bigarré. Pendant quinze jours, on voit donc se presser partout, de la plage aux toilettes publiques, une foule éclectique portant autour du cou des badges plastifiés criards comme s'il s'agissait de parures élégantes.

C'est qu'ici, l'accréditation est le bien le plus précieux (une carte blanche se monnaie bien plus qu'un collier Chopard, qu'on se le dise). Car une fois ce sésame perdu, il n'est plus possible d'aller nulle part : ni dans les salles des différentes sélections, ni dans le Palais, ni sur les Plages. C'est à peine si l'on pourra rentrer chez soi... Pour éviter tout risque, certains dorment avec. D'autres vérifient 25 fois par jour qu'elle est toujours là, et se font autant de frayeurs.

On prend d'ailleurs vite l'habitude d'être une "couleur de badge" et de se plier aux règles qui en découlent. Si vite que le retour à la vie normale nécessite parfois une petite réacclimatation, sous peine de présenter fièrement une accréd' périmée au contrôleur du train ou au vigile du centre commercial.

Coupe

Il faut avouer que l'image traditionnelle de festivaliers parlant de films une coupe de champagne à la main n'est pas totalement infondée. "On demande toujours une coupe, à Cannes", confirme un éminent journaliste qui arpente la Croisette pour la 18e année consécutive.

Et de fait, la plupart des événements (remises de prix, conférences, inaugurations, soirées, etc.)  s'accompagnent de bulles. Une légende veut même qu'il soit possible de ne boire que ça pendant toute la quinzaine (à condition de le faire avec modération, bien sûr). Certains ont tenté l'expérience les années précédentes lorsque les bouteilles d'eau et autres boissons étaient systématiquement confisquées à l'entrée des salles. Quand on a soif, on boirait n'importe quoi, et a fortiori du champagne bien frais (si cette excuse ne vous convient pas, on en trouvera une autre). Mais pour la coupe devant le film, en revanche, il faudra encore attendre.

Faire la manche

Vous avez déjà vu des individus en smoking et robes de soirées faire la manche ? Le spectacle vaut le détour, et a lieu chaque jour devant les fameuses marches du Grand Théâtre Lumière. Au Festival de Cannes, en effet, des dizaines de Cendrillon des deux sexes revêtent leurs plus beaux atours pour fouler le tapis rouge avec les stars. Seul obstacle pour réaliser leur rêve : trouver l'un des fameux cartons d'invitation qui permettent d'accéder aux séances.

Pour cela, deux solutions : passer par la voie officielle (extrêmement compliqué en fonction des badges) ou trouver quelqu'un de plus fortuné qui aurait une invitation supplémentaire. D'où ces myriades de "mendiants" en quête d'un ou plusieurs de ces précieux sésames. Certains brandissent une affichette plus ou moins humoristique, d'autres accostent le plus de festivaliers possibles en répétant inlassablement (et avec le sourire) : "vous n'auriez pas une invitation en plus ?" Et le pire (ou au contraire, l'aspect sympa des choses), c'est que ça marche.

A de rares occasions, il arrive que des festivaliers ne jouent pas le jeu. Par exemple, lors d'une soirée d'ouverture, un homme à qui on avait refusé la montée des marches (il ne portait pas le smoking réglementaire) a déchiré deux tickets sous l’œil outré de jeunes gens qui, eux, étaient habillés correctement. Une autre fois, quelqu'un a voulu monnayer sa place (rappelons qu'elles sont délivrées gratuitement par le festival). Mais la plupart du temps, ceux qui ont des places supplémentaires sont heureux de faire plaisir, et passent même une meilleure soirée que s'ils n'en avaient pas eu l'occasion.

File d'attente

De l'extérieur, on imagine Cannes comme un monde de rêve, où le champagne coule à flot dans une atmosphère de paillettes et de glamour. Du point de vue de Nicole Kidman, peut-être. Mais pour le festivalier lambda, noyé dans la masse, et privé de gardes du corps, Cannes est surtout une longue succession d'attentes. Pour entrer dans le Palais, sortir du Palais, boire un café au stand nespresso, accéder à la salle de presse... et on ne parle pas des toilettes pour femmes.

Là où l'on attend logiquement le plus , c'est pour assister aux projections. Selon les badges et les séances, cela peut aller de 20 minutes à 2h. Plus si l'hystérie s'en mêle, comme en 2011 pour le 4e Indiana Jones, ou si la salle est trop petite. Ou si le film fait le buzz, s'il met en scène une star, ou montre un caniche nain. En gros, dans la plupart des cas. Le festivalier cannois est en effet le seul à se battre pour voir des films que, quelques mois plus tard, les spectateurs découvriront dans des salles aux 3/4 vides.

Mais on finit par se faire à ces longs temps d'attente, voire à leur trouver une fonction : chance unique de se restaurer au bout du 3e film de la journée, moment de méditation, voire micro-sieste pour les plus efficaces, temps de travail supplémentaire (combien d'articles écrits à deux doigts sur son téléphone portable sous un soleil de plomb ?), pause jeu sur son téléphone portable ou sa tablette (avec des records battus à 2048 en perspective), ou encore occasion rêvée de téléphoner à la terre entière pour se vanter d'être à Cannes (festival de mythomanes en perspective, sur l'air de "je te laisse, y'a Ryan Gosling qui m'apporte une coupe").

Parfois, deux festivaliers présents dans la même file en viennent aux mains, pour de sombres raisons de resquillage ou de bousculade. Ce n'est jamais méchant, ça fait un peu d'animation pour les voisins... et au pire, si les deux s’entre-tuent, c'est toujours deux places de gagnées.

Films

Principale raison d'être de Cannes : les films. En dehors d'eux, rien ne compte. Entre une fête et un film, un dîner et un film, deux heures de sommeil supplémentaires et un film, le festivalier pur et dur choisira toujours le film.

De même, dans les files d'attente, les soirées et même au petit déjeuner, les films sont au cœur de toutes les conversations. Ceux qu'on a aimés, ceux qu'on déteste, ceux qu'on a ratés, ceux qui auraient dû être en compétition (ou pas)...

Avec ses amis ou de parfaits inconnus, dans les soirées ou en attendant dans les salles, les films sont le sujet de conversation par excellence. L'un des sports favoris du festivalier est de refaire la sélection à son goût. Par exemple : "Kore-Eda et Julia Ducournau auraient dû être en compétition à la place de Sean Penn et Nicole Garcia."

L'autre passe-temps préféré est de faire ses pronostics sur le palmarès. On décerne la palme d'or à son chouchou, on mesure les chances des outsiders, on réfléchit à la personnalité des jurés pour deviner ce qui a pu leur plaire... C'est bien simple, à partir du 2e jour de Festival, le palmarès est sur toutes les lèvres (sans compter ceux qui ont déjà une idée sur le lauréat avant même d'avoir vu le premier film...). Le jour de la proclamation, c'est l'hystérie. Chacun y va de son tuyau : George Miller a cligné de l'œil après la projection de tel film, Kirsten Dunst s'est mouchée pendant tel autre, Arnaud Desplechin déteste tel réalisateur...

L'annonce elle-même est suivie d'un étonnant déferlement d'émotions. C'est presque comme si chaque festivalier repartait chez lui avec un petit morceau de palme d'or chaque fois que son favori est récompensé. À contrario, ceux qui sont déçus commentent le palmarès toute la nuit, et poursuivent parfois la conversation au petit déjeuner. Certains en parlent même encore six mois plus tard. La seule solution pour les faire lâcher prise est alors de lancer le 4e sujet de conversation préféré du festivalier : celui des films susceptibles d'être sélectionnés en compétition l'an prochain.

Frustration

Un festival sans frustration n'est pas un vrai festival. Parce qu'il n'est pas logistiquement possible de voir plus de 6 ou 7 films dans une journée, un Festivalier vraiment endurant (et bien accrédité pour ne pas perdre de temps dans les files d'attente, et surtout n'ayant jamais besoin de travailler ni de manger ni de boire) en verra au grand maximum 70 sur toute la durée, ce qui ne représente même pas l'intégralité des films présentés en sélection officielle et dans les deux sections parallèles. Soit la certitude, quoi qu'il arrive, de ne pas voir tous les films et de forcément passer à côté de l'un de ceux dont tout le monde parle. Autant le savoir tout de suite, à Cannes comme ailleurs, voir tous les films (en entier) n'est pas humainement possible.

Une fois ce principe essentiel digéré, il vaut mieux passer tout de suite à l'étape suivante et accepter aussi qu'il y aura de cruels dilemmes. Parfois, les deux films que vous attendiez le plus passent à la même heure. À moins d'être capable de se dédoubler, il faudra donc sacrifier l'un d'entre eux. Sachant qu'une règle tacite veut que le buzz encense toujours celui que vous avez sacrifié.  De manière générale, on vous vantera de toute façon toujours les mérites d'un film que vous avez raté. Rassurez-vous, vous ferez de même de votre côté.

Ça y est, vous êtes prêt à être frustré ? Merveilleux, vous n'êtes pas loin du zen ultime : c'est en acceptant la frustration que l'on s'en affranchit. Ça, ou en quittant Cannes. Car dès que le festival s'achève, les films tant convoités perdent presque tout leur éclat. Le festivalier est inconstant et versatile : ce petit film polonais que l'on était au désespoir de ne pas avoir vu ? Non seulement on l'oublie instantanément, mais en plus, le jour où il sort enfin en salles, on ne se donne même pas le mal d'y aller.

Le 8:30

Les critiques vont rarement voir "un film", mais des réalisateurs. Faites le test et dites à l'un d'entre eux que vous avez été séduit par Ma'Rosa, il vous regardera probablement avec un air absent, jusqu'à ce que vous précisiez "le Brillante Mendoza". Coquetterie ou mémoire courte, le journaliste spécialisé retient rarement le nom des films. Après tout, à quoi bon apprendre des titres qui changent tout le temps quand les cinéastes, eux, s'appellent toujours pareil. Surtout à Cannes.

Il n'est d'ailleurs pas rare que même le critique le plus éminent n'ait pas retenu le nom du cinéaste en question, surtout s'il s'agit d'un nouveau venu, ou s'il y a beaucoup de consonnes dans son patronyme. Il utilisera alors une autre périphrase presque toujours basée sur la nationalité du film et sa sélection : on va voir l'Argentin en compétition, on a aimé l'Israélien à la Semaine de la Critique, on déconseille le Syrien en séance spéciale, etc.

Mais il arrive toujours un moment où même le plus aguerri ne sait plus du tout ce qu'il va voir. Au bout de cinq ou six jours de festival intensif, les noms et les pays se mélangent, et on ne parle même pas des titres. On dit alors avec un grand sens pratique qu'on va voir le film de 8:30, ou celui de 14.00. Cela ne renseigne pas forcément notre interlocuteur, mais à défaut, il est toujours très impressionné de savoir qu'on est capable de s'assoir dans une salle de cinéma à 8h du matin après avoir passé une partie de la nuit dans une soirée avec lui.

Marché

Sous les paillettes du célèbre tapis rouge du Festival existe une réalité parallèle prosaïquement nommée "marché". Même dans le microcosme cannois déjà franchement décalé, c'est un monde à part. Un peu mystérieux. Interdit à ceux qui n'ont rien à y faire. Enorme, surtout, puisqu'il accueillait en 2013 plus de 11 700 participants (12000 attendus cette année), dont près de 2000 acheteurs. En gros, plus de 1000 sociétés présentes pour 5364 films représentés.

Vous avez du mal à concevoir qu'on puisse regarder 4 ou 5 films dans une journée ? Imaginez que les festivaliers qui hantent les couloirs du Marché du Film, eux, courent de salle en salle pendant dix jours pour découvrir le plus d’œuvres possibles : scénarios, work in progress, extraits, films non terminés... Les titres (et les affiches) fleurent bon le marketing : Kamasutra 3D, Ask me anything, Goodbye world, The man in the orange jacket... Il y en a clairement pour tous les goûts et surtout pour tous les marchés.

Les acheteurs regardent tout ce qu'ils peuvent (mais rarement en entier) et en redemandent. Ce sont notamment eux qui décident quels films mériteront d'être distribués dans les salles du monde entier. Ils voient ainsi avant tout le monde les grands chefs d’œuvres et succès des mois à venir. Et pas mal de mauvais films, aussi. De grands pouvoirs impliquent une grande responsabilité, et dans leur cas elle est écrasante.

Une mauvaise nouvelle reçue par mail ? Ils passent à côté du plus beau film de tous les temps. Un déjeuner un peu trop arrosé ? Ils inondent leur pays avec 500 copies d'un navet à l'eau de rose. De la même manière qu'un papillon faisant un écart provoque des tempêtes terribles à l'autre bout de la terre, un acheteur qui a la gueule de bois est susceptible de vous faire passer les 2h les plus pénibles de votre vie devant un remake de Camping en version comédie musicale gore.

Les Marches

"Tu as monté les marches ?", me demandaient extatiques mes amis et connaissances les premières années où je suis allée à Cannes (question la plus fréquente avec "tu as vu Brad Pitt ?" et "comment est Gilles Jacob en vrai ?", à moins que cela ne soit l'inverse). "Oui, bien sûr", leur répondais-je, à la fois blasée et embêtée de casser le mythe. Car il y a "Monter Les Marches" (sous entendu en robe de soirée devant les caméras de Canal +) et "monter les marches", en tong et en jean sous le regard indifférent des badauds.

La première formule est réservée aux projections officielles (le soir et parfois l'après-midi), et l'on côtoie des stars sur le tapis rouge. L'autre se fait au pas de course, sans musique entraînante et photographes, et personne n'annonce votre nom au micro. Montée anonyme et banale dont le seul but est d'atteindre la salle du Grand théâtre Lumière, quand l'autre consiste surtout à être vu (combien redescendent ensuite sans assister à la projection ?)

Ce sont les mêmes marches, le même tapis rouge, et la même destination. Mais les marches du soir conduisent dans l'enclave mythique du rêve et du glamour tandis que celles du matin mènent juste à une salle de cinéma. Une promesse de rêve peut-être moins ostentatoire, mais plus tangible.

Tapis rouge

Brisons le mythe tout de suite : le tapis rouge est de la moquette au mètre. Quand on arrive à Cannes en avance, elle n'est même pas encore posée. Après une journée d'allers et venues, elle est sale. Parfois gorgée d'eau de pluie. Pas très glorieuse. Reste que ce tapis est le symbole du Festival, vu et revu sur les télés du monde entier, omniprésent sur les photos, et indissociable de la fameuse "montée des marches" déjà évoquée.

Les plus grandes stars y défilent dans des robes rivalisant d'élégance ou d’excentricité, les photographes hurlent en boucle "Nicole", "Marion" ou "Ryan", et les Cendrillon du jour multiplient les selfies dans leurs robes longues, le tout sous le regard des chasseurs d'autographes, installés au pied des marches, derrière des barrières, depuis plusieurs jours, pour ne rien rater du spectacle.

Pourtant, ce tapis rouge fantasmé n'a pas grand chose à voir avec la réalité du Festival, et n'en est pas vraiment le centre névralgique. Les journalistes, notamment, n'en voient rien : à cette heure-là, ils ont une projection presse dans une autre salle. Au mieux, depuis la file d'attente, ils entendent la musique (trop forte) et les commentaires qui accompagnent le rituel. Les acheteurs sont au marché, en train de regarder leur 17e début de film du jour. Les noctambules se lèvent à peine, prêts à investir les soirées qui ne commenceront pas avant 22h. Les producteurs marchandent. Les organisateurs de festival enchaînent les rendez-vous. Pourtant, le monde entier ne retiendra que cette image, ce tapis gravé au fer rouge dans l'esprit des millions de personnes qui fantasment devant leurs écrans sur cette grand' messe d'un cinéma qu'ils boudent pourtant dans les salles.

Là réside l'un des plus grands paradoxes de Cannes, mais peut-être aussi sa force. Car au fond il fallait un vrai tour de passe-passe pour amener le monde entier à s'intéresser à une activité éminemment aussi peu spectaculaire que le fait d'être assis devant un écran pour regarder un film.

Tenue de soirée

Les invitations aux projections officielles le précisent : tenue de soirée exigée. Autrement dit, les hommes en smoking (nœud papillon obligatoire, à moins de porter une chemise col Mao) et les femmes en robe longue (la tolérance est plus grande sur ce point-là, et sont acceptées d'autres tenues, à partir du moment où elles sont jugées assez élégantes par les appariteurs. Plus subjectif, tu meurs.).

Cannes est connu pour ça, et croiser des nuées d'hommes en smoking et de femmes en robes vaporeuses le long de la croisette à partir de 17h fait partie du folklore. Plus savoureux, les recroiser à 8h en se rendant à la séance du matin, quand eux rentrent se coucher.

Au bout de quelques jours, cela donne l'impression de vivre au milieu d'un bal des débutantes permanent, ou à la cour de Monaco telle qu'elle apparaissait dans le film d'ouverture. Un vrai conte de fées, en parfait contraste avec les sujets souvent tragiques des films.

Mais à Cannes, tout est à l'avenant : on boit du champagne en parlant de films sur la faim dans le monde, on admire les starlettes à paillettes venues contempler des histoires de pédophilie, et à la moindre anicroche, on s'indigne de la mauvaise organisation du Festival qui nous empêche d'assister à la projection de films sur des gens qui, eux, ont de vrais problèmes.

Marie-Pauline Mollaret pour Ecran Noir

Edito: Cessez-le-feu ou allumez le feu?

Posté par redaction, le 20 avril 2017

On n'en peut plus de cette série de télé-réalité dont la fin de saison approche enfin. La France vote. Quatre demi-finalistes se disputent les deux dernières places. On aimerait qu'on se dispute pour des places de cinéma. Bien sûr, les films américains cartonnent. On prend son siège pour vrombir avec Fast & Furious 8. On s'amuse avec Boss Baby et Les Schtroumpfs, vacances oblige. On se laisse encore emporter par La Belle et la bête. Pour les autres, c'est un peu comme le parcours du candidat socialiste: rase campagne.

Les comédies françaises, trop nombreuses, trop similaires du pitch au marketing, pas assez abouties, ne font pas rire et ne fédèrent pas les masses. Les films d'ailleurs et d'auteurs peinent à trouver leur public. Tout le monde semble en vacances ou la tête dans le remue-méninges politique. Face à l'indécision, le risque, le spectateur choisit le ticket utile. Celui qui assure la promesse d'un divertissement formaté mais rassurant.

Une réforme art et essai utile mais incomplète

Alors que le CNC vient de rendre public une réforme de l'art et essai, afin de soutenir la diffusion de films labellisés comme tels, on s'inquiète. Les exploitants, notamment les plus petits, peuvent y gagner, certainement, stimulés par des avantages financiers. Mais les distributeurs survivront-ils? Il faudra quand même se pose la question de la chronologie des médias pour ces films fragiles, dont la salle de cinéma ne résoudra pas tout de l'équation financière impossible: un public de moins en moins nombreux et une profusion d'œuvres (moins de 500 nouveautés en 2002, plus de 700 aujourd'hui. La diversité est menacée par cette abondance de "contenus" elle-même en concurrence avec les autres écrans.

Et puisque la politique occupe les esprits, parlons d'éducation à l'image et d'accès à la culture. Il est urgent d'initier les jeunes à d'autres cinémas que les films patrimoniaux ou les productions historiques servant de prétexte à appuyer le programme scolaire en Français ou en Histoire. Montrer qu'un "petit" film n'est pas ennuyeux forcément sous prétexte qu'il vient d'un pays qu'on ne situe pas sur la carte. Abattre les préjugés sur le cinéma d'auteur, caricaturé durant plusieurs années par les Guignols quand ils étaient sur la Croisette (un comble quand on connaît le poids de Canal + dans le financement du festival de Cannes et de films sélectionnés).

Des candidats à l'Elysée aux choix nostalgiques

Pas sûr que les candidats à l'Elysée en aient vraiment conscience. Un portail web les a interrogés sur leurs goûts cinéphiliques. Les choix sont parfois surprenants au milieu de résultats plus convenus (La grande vadrouille, Les tontons flingueurs, quelques Francis F. Coppola et Stanley Kubrick) ou étranges (La vie dissolue de Gérard Floque). Wim Wenders (Nicolas Dupont-Aignan), Martin Brest (Marine Le Pen), Federico Fellini (Emmanuel Macron), Arthur Penn (Benoit Hamon), le docu Amy (Nathalie Arthaud), Charlie Chaplin (Philippe Poutou), Akira Kurosawa (Jacques Cheminade), Sergio Leone (Jean Lassalle), Orson Welles (François Fillon) sont cités parmi les films cultes des candidats (hormis Mélenchon qui n'a pas voulu se prêter au jeu). Peu finalement ont défendu un cinéma contemporain, ou même français, ou même européen. Pendant ce temps là Justin Trudeau au Canada fait la promotion du cinéma canadien sur les réseaux sociaux... Cherchez l'erreur.

Mais surtout, la plupart de ces films et de ces cinéastes connaîtraient peut-être aujourd'hui des difficultés à attirer le grand public dans les salles. Certains de ces films récents cités ont d'ailleurs souffert au box office. Où est le devoir de transmission? Comment pensent-ils que les futures générations pourront voir/découvrir/apprécier ces grands films? Le cinéma est une ouverture sur le monde. Mais ce n'est pas qu'une fenêtre parmi d'autres d'où l'on s'évade. C'est aussi un miroir, qui permet de comprendre notre temps et d'interroger nos sentiments et émotions. Comme tout art il est contemplatif, prospectif, introspectif, significatif, subjectif et éducatif.

Le cinéma, art de résistance?

L'an dernier, Cannes présentait des films comme Moi Daniel Blake, Toni Erdmann, Aquarius, Rester vertical, Sierranevada, Baccalauréat qui évoquaient le chômage, la fracture sociale et l'exploitation des individus, le logement, la famille et la ruralité, l'ouverture sur le monde et le repli sur soi, ou encore la corruption. Autant de sujets politiques traités de manière romanesque. Le cinéma en dit bien plus sur notre époque et sur nos problèmes que n'importe quel candidat à l'Elysée. On n'ose croire que la culture et l'art, avec leur vertu démocratique, leur regard critique, soient considérés comme un danger pour ces candidats. Qu'ils aient intérêts à ce que les masses soient abruties par des divertissements écervelés et distraites par des sensations primales. Il est loin le temps des Lumières où l'on voulait éclairer le peuple. Le cinéma est peut-être la dernière lucarne, dont la flamme semble vacillante ces temps-ci.

Cannes 2017: la sélection de la Quinzaine des réalisateurs

Posté par vincy, le 20 avril 2017

Abel Ferrara, Bruno Dumont, Claire Denis (avec Juliette Binoche et Gérard Depardieu pour l'ouverture), Sharunas Batas, Philippe Garrel (again), Amos Gitai sont parmi les véétérans choisis pour faire briller la Quinzaine des réalisateurs, qui fait aussi la part belle aux premiers films ou aux cinéastes prometteurs comme Jonas Carpignano, Sean Baker (Tangerine) ou Carine Tardieu (Du vent dans mes mollets).

D'Indonésie à l'Europe méditerranéenne en passant par la Chine et quelques films venus de Sundance, Edouard Wainthrop a misé sur l'éclectisme. Au toal 19 longs métrages ont été retenus (un de plus que l'an dernier) pour cette 49e Quinzaine sur la Croisette.

Longs métrages

Film d'ouverture
Un beau soleil intérieur de Claire Denis

Film de clôture
Patti cake$ de Geremy Jasper - 1er film

Sélection
A Ciambra de Jonas Carpignano
Alive in France d'Abel Ferrara
Bushwick de Cary Murnion et Jonathan Milott
Cuori puri de Roberto De Paolis - 1er film
Frost de Sharunas Bartas
I Am Not a Witch de Nyoni Rungano - 1er film
Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont
L’amant d’un jour de Philippe Garrel
L’intrusa de Leonardo Di Costanzo
La defensa del dragón de Natalia Santa - 1er film
Nothingwood de Sonia Kronlund - 1er film
Marlina the Murderer in Four Acts de Surya Mouly
Mobile Homes de Vladimir de Fontenay
Ôtez-moi d’un doute de Carine Tardieu
The Florida Project de Sean Baker
The Rider de Chloé Zhao
West of the Jordan River (Field Diary Revisited) d'Amos Gitai

Courts métrages
Água mole de Laura Goncalves et Alexandra Ramires
Copa-loca de Christos Massalas
Crème de menthe de Philippe David Gagné & Jean-Marc E. Roy
Farpões, baldios de Marta Mateus
La bouche de Camilo Restrepo
Min börda de Niki Lindroth Von Bahr
Nada de Gabriel Martins
Retour à Genoa city de Benoît Grimalt
Tangente de Julie Jouve et Rida Belghiat
Tijuana tales de Jean-Charles Hue
Trešnje de Turi?  Dubravka

Cannes 70 : Kill Bille !

Posté par cannes70, le 19 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-29. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


À la fin, c'est Bille August qui gagne...

Le Festival de Cannes se résume à une simple équation : une vingtaine de films s'affrontent dans une compétition et, à la fin, c'est Bille August qui gagne. C'est en tous les cas le scénario, si improbable soit-il, qui s'est déroulé à deux reprises, dans deux éditions restées dans les annales : 1988 et 1992. Le cinéaste danois peut en effet se targuer d'avoir la carte au très chic cercle des "double palmés", en compagnie de Francis Ford Coppola, d'Emir Kusturica, de Ken Loach, de Michael Haneke, de Shohei Imamura, des frères Dardenne et de Jane Campion si l'on compte le doublé Palme du long et du court. Autant dire des cadors - ah, on oubliait le Suédois Alf Sjöberg -, avec un univers propre, une patte personnelle - et ce, qu'on soit sensible ou pas à leurs œuvres respectives.

Mais tout club qui se respecte doit, pour sa légende, avoir un membre un peu embarrassant, dont on se demande ce qu'il fait là - à part peut-être faire le ménage et ramasser les ordures. Et, là, naturellement, il convient de se tourner vers Bille August. En quoi celui-ci a-t-il marqué l'histoire du septième art ? Quelle est sa marque de fabrique ? Comment reconnaît-on un plan ou une scène ? Près de trente ans après les faits, rien à faire, cette double récompense semble relever du phénomène paranormal - surtout au vu du reste de la filmo du compatriote de Lars Von Trier...

À vrai dire, des Palmes attribuées à des cinéastes très mineurs, il y en a eu depuis les années 70 - citons entre autres La Méprise d'Alan Bridges, Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, Yol de Yilmaz Güney ou Mission du tâcheron Roland Joffé (face au Sacrifice de Tarkovski, After hours de Scorsese, Down by law de Jarmusch et Thérèse d'Alain Cavalier !) -  qui doit sûrement son trophée à la musique-culte d'Ennio Morricone. Au-delà de la valeur des films primés, leurs metteurs en scène, sans leur faire offense, n'ont pas été retenus par l'Histoire comme des créateurs de premier plan dont les générations qui ont suivi se sont naturellement inspirées. Après tout, les jurys sont humains, l'air du temps compte dans les délibérations aussi sûrement que l'émotion immédiate, les goûts des uns et des autres ou le désir que tout le monde reparte content. Et voilà comment on en arrive à Bille en roi du monde…

Bille le Conquérant

Notre ami danois n’était certes pas un novice cannois, avant de recevoir sa première distinction sur la Croisette. Il s’était (vaguement) fait remarquer avec une jolie chronique d’adolescence, Zappa, sélectionnée en 1983 à Un Certain regard. L’année suivante, il avait connu un autre petit succès d’estime grâce à la suite, Twist and shout - qui, pour le coup, n’avait pas eu les honneurs de la Riviera. Le C.V. n’a certes rien de déshonorant, mais il n’y avait pas de grand enthousiasme en voyant le nom de Bille August en sélection pour Pelle le conquérant.

Au vu du seul titre, certains imaginaient probablement une fresque d’heroïc fantasy à la Conan le barbare. Raté. Il s’agissait là de porter à l’écran une œuvre littéraire de Martin Andersen Nexo (1869-1954), très populaire dans les pays scandinaves, dont les quatre tomes sont même devenus au fil des ans des classiques scolaires. Dans la présente adaptation, August - qui s’est entouré pour le scénario des romanciers Bjarn Reteur et Per Olov Enqvist - s’est concentré sur la jeunesse, au XIXe siècle, de Pelle, garçonnet émigrant avec son père, très âgé, de Suède (où la famine sévissait) vers le Danemark.  Tous deux se retrouvent dans la ferme des Kongstrup, qui semble frappée d’une malédiction condamnant au malheur tous ceux qui s’y fourvoient, pour une raison ou une autre. Largement produit par les chaînes de TV scandinaves - comme certains Bergman -, Pelle le conquérant n’enthousiasme alors pas vraiment les cinéphiles pointus, mais son souffle, si académique soit-il, séduit les festivaliers moins « pointus ».

Le jury, présidé par Ettore Scola (dans lequel on trouvait aussi George Miller, spécialiste des palmarès disons « controversés»…), choisit ainsi de lui donner sa récompense suprême, ainsi qu’une mention toute particulière « officieuse » à Max von Sydow, certes génial dans le rôle de ce père aimant. Parmi les primés de ce cru, on notera deux prix pour le film anti-Apartheid du chef op’ Chris Menges (qui n’a pas confirmé comme cinéaste…), Un Monde à part et des accessits à Bird de Clint Eastwood et à Tu ne tueras point de Krzysztof Kieslowski. Si, aujourd’hui, la hiérarchie peut sembler disons très contestable, Pelle le conquérant connut toutefois une ascension assez inouïe puisque, sur sa lancée, le cinéaste reçut bien d’autres récompenses, parmi lesquelles l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film étranger. Tant mieux pour lui.

Les meilleures intentions de Bille

On pensait alors en avoir fini avec lui. Raté. Rebelote, donc, en 1992. Blockbuster de la télé scandinave - dans un autre montage -, Les Meilleures intentions (le titre, déjà…) trouve naturellement place dans la compétition cannoise. Non seulement en raison du come-back du palmé, mais aussi au vu du sujet : les jeunes années des parents d’Ingmar Bergman. Un cinéaste qui n’a vu aucune de ses œuvres saluées par les lauriers attribués au camarade Bille (N.B. : le Festival se rattrapera en 1997 en offrant au maestro de Fanny et Alexandre une Palme des palmes…). Serait-ce pour cette raison que Gérard Depardieu et ses comparses ont choisi de distinguer Les Meilleures intentions (avec, en plus, un prix d’interprétation pour Pernilla August - l’épouse du winner) ?

Les observateurs se sont alors montrés plus circonspects : deux Palmes en cinq ans pour August, ça fait, beaucoup, beaucoup trop pour un artiste considéré un honnête artisan (par ailleurs très honorable directeur photo), mais sans grande personnalité et qui n’apporte pas grand chose à la grammaire du septième art… Le petit jeu des longs-métrages moins appréciés par le jury fait d’ailleurs particulièrement mal, pour la cuvée 1992 : Basic instinct de Paul Verhoeven (bredouille), Twin Peaks - Fire walk with me de David Lynch (idem), The Long Day Closes de Terence Davies (pareil), The Player de Robert Altman (Prix de la mise en scène et d’interprétation masculine), Le Songe de la lumière de Victor Erice (un modeste Prix du jury), Retour à Howards End de James Ivory (Prix du 45ème anniversaire - cinéaste moins académique qu’on ne le dit souvent…). Ah, sinon, qui se souvient de la « Palme d’argent » (comprenez « Grand prix du jury ») attribué, de manière tout aussi contestable, au Voleur d’enfants du tâcheron Gianni Amelio ?

L’Histoire a eu sa vengeance ou, tout du moins, remis les choses en place car, depuis ce doublé, la carrière de Bille August n’a pas connu l’envol qu’on aurait pu imaginer. En 1993, sa platounette adaptation hollywoodienne de La Maison aux esprits d’Isabelle Allende, avec son casting all-stars (Meryl Streep, Jeremy Irons, Glenn Close, Winona Ryder, Antonio Banderas, Vanessa Redgrave) n’emballe pas grand monde. Cinq ans plus tard, sa version barbante des Misérables ne convainc pas non plus, en particulier le public français - Liam Neeson en Jean Valjean, aïe…

On aurait pu encore parler du mauvais thriller Smilla, du kouglof Jerusalem ou du très politiquement correct Goodbye Bafana. On aurait également pu évoquer ses épisodes tournés pour la série Young Indiana Jones (tiens, Bille a un point commun avec notre nanardeur national René Manzor…) ou d’autres longs-métrages jamais sortis en France. Peut-être intéressants, si ça se trouve. Toujours est-il que le cas Bille August nous rappelle que, s’il vaut mieux ne pas être à la mode pour devenir classique, l’inverse n’a toutefois rien d’automatique… Et les larmes post-projections cannoises n’y changeront rien !

Baptiste Liger de Lire

Le Canada a 150 ans: beaucoup de cinéma, un peu d’Europe et Justin Trudeau

Posté par vincy, le 19 avril 2017

Le 19 avril, à l'occasion des 150 ans du Canada, 1700 événements sont organisés dans le pays, mais aussi en France, au Royaume Uni, aux USA, en Scandinavie. 150 films canadiens, en français, en anglais ou en inuktitut, formeront ainsi le plus grand festival du monde, dans les cinémas, bibliothèques, à la télévision, dans les avions, et sur le web, le tout à l'initiative de REEL Canada.

Il s'agit "d’une collection de films qui reflètent l’étendue de nos histoires, et ce, dans tous les genres possibles" et "d’une liste rassemblant des œuvres cinématographiques venues de toutes les provinces du Canada. Nos films ne sont pas uniquement réalisés à Vancouver, Toronto ou Montréal" comme l'indique le dossier de presse. De Angry Inuk (2016) à Why Shoot the Teacher? (1977) en passant par Crash, Dead Ringers et Videodrome, De beaux lendemains, Starbuck, La grande séduction la version québécoise et son remake anglophone), Le violon rouge, Room, Mommy et Laurence Anyways, Jésus de Montréal, Le déclin de l'empire américain, et Les invasions barbares, Le démantèlement, CRAZY, etc.

Pour vanter cette journée, Justin Trudeau, premier ministre du pays, a joué les promoteurs sur les réseaux. "Célébrer le cinéma, c'est célébrer le Canada et notre identité" rappelle-t-il.

Depuis un mois, le cinéma canadien peut aussi s'enorgueillir d'être le premier pays à l’extérieur de l’Europe à se joindre à Eurimages, le fonds de soutien au cinéma européen. Ce qui signifie que les films coproduits par les Canadiens et leurs partenaires européens pourront s'appuyer sur les aides d'Eurimages, augmentant mécaniquement le nombre de coproductions audiovisuelles entre le Canada et les pays européens.

En 2015, selon Telefilm Canada, 55 coproductions ont été produites dont 20 avec la France (le Canada et la France sont déjà liés par un mini traité) et 15 avec le Royaume Uni.

Romain Duris se mue en icône virile dans « Cessez-le-feu »

Posté par wyzman, le 19 avril 2017

Au fil des années, Romain Duris est devenu une "icône". Mais de quoi au juste ? Nous pourrions dire de la masculinité mais ce serait sans doute trop subjectif. Évoluant habilement entre comédies populaires et films d'auteur, il fait aujourd'hui partie de ces rares acteurs français à ne pas s'être brûlé les ailes à un moment donné et que l'on retrouve à chaque fois avec un plaisir loin d'être coupable. Depuis le début de cette décennie, Romain Duris est ainsi de tous les bons films, grands ou petits.

Wannabe caméléon

Si la plupart d'entre nous pense à Cédric Klapisch dès lors qu'il est question de Romain Duris, n'oublions pas que si l'on enlève son doublage pour Raiponce c'est L'Arnacœur de Pascal Chaumeil qui lui a offert son plus gros carton au box-office français : 3,7 millions d'entrées. Un score qui fait rêver d'autant plus en 2017. Sensuel et versatile, il semble aujourd'hui tout à fait normal de dire que Romain Duris peut tout jouer (et même danser).

Bourreau des cœurs donc dans L'Arnacoeur puis avocat frustré - "homo occidentalus" - dans L'Homme qui voulait vivre sa vie, il se mue en assureur obsédé par la compétition dans Populaire avant de finir en amant maudit dans l'adaptation de L’Écume des jours. Un chapitre final avec le fameux Cédric Klapisch (Casse-tête chinois) et Romain fait sensation chez François Ozon. Dans Une nouvelle amie, l'acteur de 42 ans incarne en effet David, jeune père veuf qui tombe en dépression avant de retrouver une forme de liberté dans le travestissement. Transgression de la masculinité, qui se confond ainsi avec la maternité. Avec Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz et François Ozon himself au casting, Une nouvelle amie ne manque pas de faire du bruit à sa sortie et permet à Romain Duris de décrocher une nomination aux César, la cinquième.

Que ce soit dans le téléfilm Démons, la comédie Un petit boulot - en prolo qui franchit la ligne rouge avec un certain humour noir pour survivre - ou le drame La Confession, dans les pas de Bébel, il continue de faire ce qu'il fait le mieux : retenir l'attention du spectateur avec un personnage central, fort, singulier. Une présence, un sourire, un regard. Il en faut parfois peu pour que son jeu élève le projet en question. Même lorsque ce dernier s'avère un peu bancal, comme le thriller Iris de Jalil Lespert.

Icône virile

Cette semaine, Romain Duris récidive dans le très bon Cessez-le-feu d'Emmanuel Courcol, un drame historique centré sur Georges, un soldat rongé par ses mauvais souvenirs de la Première Guerre mondiale qui se réfugie en Afrique. Si le film dispose d'un casting plus qu'impressionnant (Grégory Gadebois, Céline Sallette, Maryvonne Schiltz, Julie-Marie Parmentier), c'est encore une fois Romain Duris qui fascine. Très attiré par la masculinité de son personnage, Romain Duris reconnaît avoir effectué un travail similaire à celui d'Une nouvelle amie pour entrer dans la peau du personnage. Avec la même coach, il a ainsi tenté de "trouver la manière d'être imposant et d'exprimer le vécu de Georges sans mots." Ça tombe bien, c'est amplement réussi.

A l'image de son personnage dans Cessez-le-feu, Romain Duris semble constamment en mouvement, toujours prêt à apprendre de ses erreurs. Et si le film d'Emmanuel Courcol n'en connaît pas, c'est un pur hasard car Georges l'anti-héros est loin d'être un personnage facile dans ce scénario casse-gueule. Mais Cessez-le-feu traite avec brio des traumatismes de soldats revenus du front. Le film passionne et trouble. Georges finira-t-il sa vie là où il peut fuir ses problèmes ? Combien de temps dureront encore ses cauchemars ? Ses souvenirs cesseront-ils un jour de le hanter ? Le cinéma a souvent traité de la Première Guerre mondiale, de l'horreur du conflit, du désastre humain qu'elle a causé, mais rarement de ces traumatismes qui ont balafré physiquement une génération (La chambre des officiers) ou psychologiquement (comme ici, à la fois remuant et tendre).

Au Burkina Faso, au Sénégal et à Nantes, la caméra d'Emmanuel Courcol capture parfaitement l'aura d'un Romain Duris complètement habité par son personnage. Il impose une certaine puissance, une détermination qui fait de ce soldat paumé, de ce "revenant", un homme entre deux mondes, absent des présents et à cause d'une guerre encore trop présente. Démarche alourdie, voix plus grave, plus profonde et gestes précis pour celui qui a débuté dans Le Péril jeune et qui se transforme cette semaine en véritable icône virile de 2017. Outre le fait d'incarner un homme, un "vrai", Romain Duris prouve à ceux qui en doutaient encore qu'il peut être tous les hommes de notre vie et de notre imaginaire.

On l'attend en survivant pour Dans la brume, le prochain film fantastique d'Erick Zonca, Fleuve noir, et face à Isabelle Huppert dans Madame Hyde.

Sacré quatuor hollywoodien pour le prochain film de Jacques Audiard

Posté par vincy, le 19 avril 2017

Pour The Sisters Brothers, le premier film en langue anglaise de Jacques Audiard, c'est un carré d'as que s'offre le cinéaste français. Joaquin Phoenix, que l'on verra à Cannes dans le film de Lynne Ramsey, Jake Gyllenhaal, à l'affiche aujourd'hui avec Life, John C. Reilly, par ailleurs producteur du film, et Riz Ahmed (la série "The Night Of", "The OA", Rogue One, Jason Bourne) seront les héros de cette coproduction franco-américaine (Why Not, Page 114).

Le scénario est adapté du roman de Patrick deWitt, dont Reilly avait acquis les droits. Annoncé il y a deux ans, avec Reilly comme seul acteur à l'époque et après qu'Audiard ait reçu sa Palme d'or pour Dheepan, le projet s'est étoffé ces dernières semaines en vue d'un tournage dans les prochains mois en vue d'une sortie calée pour 2018. On imagine le beau tapis rouge à Cannes avec les quatre comédiens.

Le récit se déroule principalement en Oregon, en 1851. Eli et Charlie Sisters, redoutable tandem de tueurs professionnels aux tempéraments radicalement opposés mais d’égale (et sinistre) réputation, chevauchent vers Sacramento, en Californie, dans le but de mettre fin, sur ordre du “Commodore”, leur employeur, aux jours d’un chercheur d’or du nom de Hermann Kermit Warm. Tandis que Charlie galope sans états d’âme – mais non sans eau-de-vie – vers le crime, Eli ne cesse de s’interroger sur les inconvénients de la fraternité et sur la pertinence de la funeste activité à laquelle lui et Charlie s’adonnent au fil de rencontres aussi insolites que belliqueuses avec toutes sortes d’individus patibulaires et de visionnaires qui hantent l’Amérique de la Ruée vers l’or. Deux frères moins liés par le sang et la violence que par l’indéfectible amour qu’en silence ils se portent.