Sami Bouajila, primé à Cannes en 2006 et césarisé en 2008, est à l'affiche de La terre et le sang (sur Netflix) et d'Un fils de Mehdi Barsoui, pour lequel il a reçu le prix du meilleur acteur à Venise dans la section Orrizonti. Un fils ressort en salles cette semaine, après un début de carrière prometteur interrompu par le confinement et la fermeture des cinémas. Film bouleversant, subtil et sensible, Un fils est l'histoire d'une famille tunisienne moderne et privilégiée. Mais lors d'un week-end dans le sud du pays, Farès, Meriem et Aziz sont pris pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé... Il doit subir une greffe en urgence pour être sauvé.
Avec un scénario solide qui vire vers le thriller politique, avec une dose de pardon et de filiation pour lui donner une tonalité plus universelle, ce drame jamais sirupeux mais très maîtrisé, est un premier film plus que prometteur, confirmant la nouvelle vague du cinéma tunisien.
Nous avions rencontré l'acteur lors du festival de Dinard, où il était membre du jury.
Ecran Noir: Comment est arrivé Un fils?
Sami Bouajila : Le cinéaste a écrit en pensant à moi, il m’a envoyé le scénario. Dès la première lecture, j’ai vu que c’était une perle. Et après la rencontre n’a fait que confirmer mon sentiment. J’ai eu à affaire à un cinéaste comme j’aime, surtout pour un premier film : inspiré, une grande acuité, une belle direction, une écriture très épurée. Nos deux personnages sont aussi en perdition dans des espaces de westerns, déserts. C »était super. Le rôle était magnifique, assez emblématique, parce que partagé, traversé par plein de choses. Ce personnage fonctionnait en duo avec ma partenaire (Najla Ben Abdallah, ndlr). C’était passionnant.
Cela change-t-il quelque chose qu'il soit tunisien?
Sa nationalité n’a rien à voir. Il me fait penser à Bentoumi, Kechiche ou Desplechin. Il faut voir l'artiste comme un artiste. Il faut sortir des cloisons. Le cinéma comme la musique sont universels. J’aime les rôles qui me sont proposés. Je voudrais juste faire la même chose avec plus d'ampleur. J'aime rencontrer des cinéastes étrangers, des auteurs français. J'aime les personnages qui ont des choses à dire, des choses à défendre, qui ont un point de vue et un regard qui surprend.
Qu'entendez-vous par "plus d'ampleur"?
Donner de l’ampleur, c’est comme pour un tableau. On commence quelque chose et puis, le tableau la dimension qu'on veut bien lui donner. Il n’y a pas de fin dans ce métier-là Je me suis inscris sur la longueur. Ça ne peut-être qu’empirique.
Avec une carrière qui a près de trente ans, est-ce que les propositions évoluent?
Ce sont les projets qui me choisissent. Avec le temps, comme vous le dites si bien, il y a une évidence qui se fait. Et du coup j’acquiers une certaine sérénité, et les choses sont encore plus évidentes. J'ai le sentiment de ne faire que commencer, à maîtriser mon instrument. Ce que vous dîtes, je l’ai initié assez tôt. Faire attention de ne pas me retrouver, cantonné, prisonnier dans un seul registre. Après, je n’ai fait que cultiver cette chose-là. Ce que j'essaie de dire, c'est que j'ai l'impression d'atteindre un âge de maturité en tant que personne. Je pense que dans mon travail, je le ressens ainsi.
Mais depuis Indigènes en 2006, et votre prix d'interprétation collectif à Cannes (partagé avec Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Bernard Blancan), on a quand même le sentiment que l'ouverture aux acteurs issus de minorités visibles commence seulement?
Vous venez de le dire… je finis vos phrase : qui commence seulement. Ça rejoint ce que je vous disais sur la sérénité. L’inconscient collectif, notre inconscient collectif à tous, était mûr pour recevoir ce qui se disait dans ce film-là. Ça a déclenché quelque chose dans ce sens là. J’adore mon parcours maintenant et je pense que Roschdy (Zem) pense la même chose. Je n’envie plus les autres. J'aime mon artisanat. J'aime ma place, mes projets. Je crois qu’on écrit une belle histoire du cinéma français.
Quels sont vos projets?
Je viens de finir le film de Farid Bentoumi qui s’appelle Rouge (avec Zita Hanrot et Céline Sallette, en salles le 20 octobre, en sélection à Cannes 2020, ndlr). C'est un petit clin d'œil, en toute modestie, à Ken Loach. J’ai eu affaire encore une fois à un réalisateur en place en phase avec lui-même, avec des sujets qui lui tiennent très fort à cœur, qui viennent de loin.
Et la réalisation, vous y pensez?
Plusieurs tentatives ont avorté. Mais j’ai une idée qui m’accompagne depuis longtemps et je vais enfin la réaliser. J’ai trouvé l’auteur avec qui l’écrire. Ça aurait mis du temps à s’accoucher mais ça va s’accoucher.