Sami Bouajila (Un fils): « Dès la première lecture, j’ai vu que c’était une perle »

Posté par vincy, le 24 juin 2020

Sami Bouajila, primé à Cannes en 2006 et césarisé en 2008, est à l'affiche de La terre et le sang (sur Netflix) et d'Un fils de Mehdi Barsoui, pour lequel il a reçu le prix du meilleur acteur à Venise dans la section Orrizonti. Un fils ressort en salles cette semaine, après un début de carrière prometteur interrompu par le confinement et la fermeture des cinémas. Film bouleversant, subtil et sensible, Un fils est l'histoire d'une famille tunisienne moderne et privilégiée. Mais lors d'un week-end dans le sud du pays, Farès, Meriem et Aziz sont pris pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé... Il doit subir une greffe en urgence pour être sauvé.

Avec un scénario solide qui vire vers le thriller politique, avec une dose de pardon et de filiation pour lui donner une tonalité plus universelle, ce drame jamais sirupeux mais très maîtrisé, est un premier film plus que prometteur, confirmant la nouvelle vague du cinéma tunisien.

Nous avions rencontré l'acteur lors du festival de Dinard, où il était membre du jury.

Ecran Noir: Comment est arrivé Un fils?

Sami Bouajila : Le cinéaste a écrit en pensant à moi, il m’a envoyé le scénario. Dès la première lecture, j’ai vu que c’était une perle. Et après la rencontre n’a fait que confirmer mon sentiment. J’ai eu à affaire à un cinéaste comme j’aime, surtout pour un premier film : inspiré, une grande acuité, une belle direction, une écriture très épurée. Nos deux personnages sont aussi en perdition dans des espaces de westerns, déserts. C »était super. Le rôle était magnifique, assez emblématique, parce que partagé, traversé par plein de choses. Ce personnage fonctionnait en duo avec ma partenaire (Najla Ben Abdallah, ndlr). C’était passionnant.

Cela change-t-il quelque chose qu'il soit tunisien?

Sa nationalité n’a rien à voir. Il me fait penser à Bentoumi, Kechiche ou Desplechin. Il faut voir l'artiste comme un artiste. Il faut sortir des cloisons. Le cinéma comme la musique sont universels. J’aime les rôles qui me sont proposés. Je voudrais juste faire la même chose avec plus d'ampleur. J'aime rencontrer des cinéastes étrangers, des auteurs français. J'aime les personnages qui ont des choses à dire, des choses à défendre, qui ont un point de vue et un regard qui surprend.

Qu'entendez-vous par "plus d'ampleur"?

Donner de l’ampleur, c’est comme pour un tableau. On commence quelque chose et puis, le tableau   la dimension qu'on veut bien lui donner. Il n’y a pas de fin dans ce métier-là Je me suis inscris sur la longueur. Ça ne peut-être qu’empirique.

Avec une carrière qui a près de trente ans, est-ce que les propositions évoluent?

Ce sont les projets qui me choisissent. Avec le temps, comme vous le dites si bien, il y a une évidence qui se fait. Et du coup j’acquiers une certaine sérénité, et les choses sont encore plus évidentes. J'ai le sentiment de ne faire que commencer, à maîtriser mon instrument. Ce que vous dîtes, je l’ai initié assez tôt. Faire attention de ne pas me retrouver, cantonné, prisonnier dans un seul registre. Après, je n’ai fait que cultiver cette chose-là. Ce que j'essaie de dire, c'est que j'ai l'impression d'atteindre un âge de maturité en tant que personne. Je pense que dans mon travail, je le ressens ainsi.

Mais depuis Indigènes en 2006, et votre prix d'interprétation collectif à Cannes (partagé avec Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Bernard Blancan), on a quand même le sentiment que l'ouverture aux acteurs issus de minorités visibles commence seulement?

Vous venez de le dire… je finis vos phrase : qui commence seulement. Ça rejoint ce que je vous disais sur la sérénité.  L’inconscient collectif, notre inconscient collectif à tous, était mûr pour recevoir ce qui se disait dans ce film-là. Ça a déclenché quelque chose dans ce sens là. J’adore mon parcours maintenant et je pense que Roschdy (Zem) pense la même chose. Je n’envie plus les autres. J'aime mon artisanat. J'aime ma place, mes projets. Je crois qu’on écrit une belle histoire du cinéma français.

Quels sont vos projets?

Je viens de finir le film de Farid Bentoumi qui s’appelle Rouge (avec Zita Hanrot et Céline Sallette, en salles le 20 octobre, en sélection à Cannes 2020, ndlr). C'est un petit clin d'œil, en toute modestie, à Ken Loach. J’ai eu affaire encore une fois à un réalisateur en place en phase avec lui-même, avec des sujets qui lui tiennent très fort à cœur, qui viennent de loin.

Et la réalisation, vous y pensez?

Plusieurs tentatives ont avorté. Mais j’ai une idée qui m’accompagne depuis longtemps et je vais enfin la réaliser. J’ai trouvé l’auteur avec qui l’écrire. Ça aurait mis du temps à s’accoucher mais ça va s’accoucher.

Dinard 2019: 5 questions à l’absolutly fabulous Jane Horrocks

Posté par vincy, le 28 septembre 2019

Membre du jury de Dinard, Jane Horrocks est aussi adorable qu'on pouvait le penser. Créatrice du personnage de Little Voice, énorme succès sur les planches avant de devenir un de ces bijoux du cinéma britannique des années 1990, éternelle Bubble dans la série Absolutly Fabulous, cette anglaise élégante qui ne semble pas vieillir, a fait quelques incursions au cinéma, chez Nicolas Roeg, Michael Caton-Jones, Mike Leigh, Dexter Fletcher... Comme beaucoup de ses compatriotes, elle se désole du Brexit - "Cela ferme énormément de portes. Nous ne sommes plus la grande famille qu’on était. C’est très triste" - mais la fantaisie et la curiosité l'emportent toujours.

Ecran Noir: Vous retrouvez Michael Caton-Jones, avec qui vous avez tourné Memphis Belle en...

Jane Horrocks: On ne compte pas les années (rire). Mais il est exactement pareil qu'à l'époque. C’est le clown de la classe à Dinard. Tout le monde l’aime. Vous savez parfois, quand on retrouve les gens après une longue absence, on peut-être déçu. Mais là ce n’est pas le cas avec lui ! Et puis je suis très bien entourée avec ce jury. J’aime bien être jurée, on sent un peu spéciale, légèrement importante (sourire).

EN: Justement, en tant qu'anglaise et juré, cette compétition reflète-t-elle la société britannique, le cinéma britannique?

JH: On voit des films très variés, certains plus artistiques, d’autres plus conventionnels. Je pense que ça représente le cinéma britannique de façon transversale. Par exemple, nous avons vu deux films sur la jeunesse, l’un sur celle d’aujourd’hui, qui est très juste, et l’autre sur celle durant la seconde guerre mondiale. C’est intéressant en une journée de voir comment cette jeunesse britannique a pu évoluer et comment ils ont été représentés à quelques décennies d’écart.

EN: Vous tournez peu, à peine un film par an. Qu'est devenue "Little Voice" finalement?

JH: Je continue de chanter, j’adore ça. C’est ma passion. Mais je me suis éloigné du personnage que j’ai personnifié dans Little Voice. J’essaie de créer un nouveau personnage à travers les chansons. Je fais beaucoup de théâtre, j’ai créé un festival à Manchester. Sur scène, je créé des pièces, avec un groupe de musiciens. Et c’est ce qui me plaît le plus car j’aime la création originale, plus que des rôles qui ont déjà été joués encore et encore. Pour le cinéma, j'ai fait quelques films que vous n’avez sans doute pas vus en France.

EN: Mais on vous a entendus: Vous avez prêté votre voix à de nombreux films d'animation comme Chicken Run, Garfield, les noces funèbres, et La Fée clochette...

JH: Oui... Je pense que j’ai une très bonne oreille et que ça me permet de créer différentes voix et d’incarner différents personnages dans un large spectre. C'est une des raisons pourquoi on fait appel à moi pour ma voix.

EN: Vous voyez ici des films de votre pays. mais avez-vous l'occasion de voir des films français?

JH: Je ne regarde pas énormément de films. J’ai vu La vie d’adèle récemment, des années après sa sortie. Et j’ai tellement été bouleversée que j’en parle tout le temps, j’ennuie mas amis avec ça ! C’est si bien fait, si bien joué. Ce film va rester avec moi pendant des années et des années.

4 questions à Brian Selznick, auteur et scénariste du Musée des merveilles

Posté par vincy, le 15 novembre 2017

Présenté en compétition à Cannes, Le Musée des merveilles (Wonderstruck) est l'adaptation du roman jeunesse éponyme de Brian Selznick (paru chez Bayard jeunesse), l'auteur de Hugo Cabret.

Au sommet du Palais, sur la terrasse du Mouton-Cadet Wine Bar, sous un soleil tapant du mois de mai, nous avions rencontré l'auteur et scénariste du film. Car pour la première fois, il a écrit pour le cinéma. L'homme ne fait pas son âge, tout juste quinquagénaire, a le physique californien, la parole aisée, la séduction facile. Professionnel et sympathique, élégant et souriant, l'écrivain et primo-scénariste répond à nos questions.

Ecran Noir: quand avez-vous eu l'idée d'adapter votre roman Le musée des merveilles?
Brian Selznick: Après la cérémonie des Oscars de 2012, quand Hugo Cabret était nommé, Sandy Powell, la costumière de Hugo, est venue à San Diego, chez nous, et m’a fait rencontré le scénariste du film John Logan. Sandy travaille pour Martin Scorsese et pour Todd Haynes, c'est elle qui a fait les costumes de Carol. Ce soir-là, John Logan m'a lancé l'idée d'adapter mon livre, et il m'a d'ailleurs accompagné durant tout le processus. Quand j’ai revu Sandy Powell, elle était avec Todd Haynes. Ils étaient à Chicago, pour une exposition sur David Bowie. Todd y présentait son film Velvet Goldmine. Il a immédiatement connecté avec l'histoire. Ça lui parlait personnellement. Il a du coup annulé et retardé des projets sur lesquels il s’était engagé juste après Carol.

Ecran Noir: En tant qu'auteur et scénariste, avez-vous du faire des choix , des sacrifices?
Brian Selznick: C’est très fidèle au livre mais le producteur m’avait prévenu qu’à cause du budget, il fallait trouver des moyens pour contourner les problèmes. Un scénario doit avancer. Ainsi la semaine au musée, dans le livre, devient un seule nuit dans l’établissement, dans le film. La séquence où Rose donne la lettre à Ben, où elle lui raconte son histoire, aurait du être filmée avec des décors, des acteurs, comme une vraie longue séquence de flashbacks. Pour palier à ça, Todd Haynes a repris l’idée du Diorama, qui fait écho à Babydolls son premier film, avec des marionnettes qui résument les situations. Franchement, je trouve que c’est une idée brillante.

Ecran Noir: Entre Scorsese et Haynes, ce sont deux styles très opposés. Comment avez-vous perçu cette différence?
Brian Selznick: Martin Scorsese avait changé l’intention du livre Hugo Cabret, qui était un hommage au cinéma à travers un livre. Il en a fait un hommage au livre avec le cinéma. Il a juste utilisé mes dessins pour faire le storyboard. Sur ce film, je n’étais qu’observateur, un observateur privilégié. Tout y était à grande échelle. Un énorme studio réunissait chaque métier, qui disposait chacun de sa propre pièce. Il y avait un accessoiriste pour reproduire une boite d’allumettes française, une équipe de recherche, les costumiers, les décorateurs. Chez Todd Haynes, tout était sur un même étage avec un atelier de costumes qui se replissait chaque jour, les services de la production, le directeur artistique. Et cette fois-ci j’étais sur le tournage. Je pouvais m'impliquer davantage.

Ecran Noir: puisque nous sommes dans les différences, le film repose sur une différence majeure, que certains voient comme un handicap, la surdité. Pourquoi ce sujet?
Brian Selznick: Tout s’est déclenché quand j’ai vu un documentaire sur les malentendants, Through Deaf Eyes, diffusé sur PBS. C'est à partir de là que j'ai trouvé la matière de mon livre. Mais, concernant la surdité, vous avez raison : il faut parler de différence et pas de handicap. En tant qu’homosexuel, je me suis retrouvé dans leur situation. Comme quelqu’un qui veut être peintre dans une famille de médecin ou un Juif se marie avec une goy. Moi j’étais un enfant différent, dans une famille hétérosexuelle. J’ai découvert qu’il y avait d’autres gens comme moi quand je suis arrivé à New York, puis j’ai découvert la culture queer après la fac. Je ne savais pas que Boy George ou Village People étaient gays. J'étais comme un sourd au milieu de personnes entendantes. Chez les malentendants tout est visuel. Tous les messages passent par les yeux, y compris la langue des signes. Mais l’important c’est comment on vit en étant différent. Todd Haynes s’est toujours intéressé à ça. Certes, il est queer, mais ses films ne parlent pas que de ça. Il a cette sensibilité qui se traduit très bien, par exemple, quand il filme la rencontre de Ben et Jaimie. Il y a une connexion. Une amitié immédiate. Ils se reconnaissent. Et il sait filmer ça. Et puis, pour la partie muette, il y avait des acteurs sourds. C’était important de les intégrer à ce film. Au total, on parlait six langues sur le tournage : anglais, espagnole, langue écrite, langue des signes… C'est ce qui le rend universel, à mon avis.

François Cluzet (La mécanique de l’ombre): « il s’agit de faire des bons films avant tout »

Posté par vincy, le 11 janvier 2017

Dans La mécanique de l'ombre, François Cluzet incarne un homme au chômage depuis deux ans, licencié à cause d'un burn out. Le personnage lutte contre l'insomnie. Inscrit aux alcooliques anonymes, il vit seul. Fatigué mais déterminé à retrouver un job. "Je connais ça l'inutilité" explique le comédien après la projection privée du film, juste avant les fêtes. "Il est un peu comme le personnage du Pigeon de Patrick Süskind..."

Charmeur et charmant, l'acteur sait qu'il est populaire (l'an dernier son film Médecin de campagne est l'un des rares drames à avoir dépassé le million de spectateurs, en plus de très bien s'exporter). L'homme est hâbleur, courtois, franc, sincère. Mais il a aussi l'expérience des trous d'air dans une carrière, lui qui a vécu comme une résurrection le carton de Ne le dis à personne il y a dix ans.

"Le cinéma a changé"

Il défend avec ardeur La mécanique de l'ombre, premier film de Thomas Kruithof. "J'ai rarement vu un script - je parle de dramaturgie, de suspens - aussi bien foutu" avoue l'acteur. "Ce qui m'a plu, c'est l'instrumentalisation du personnage." "On n'a pas vu ce genre de films depuis Costa-Gavras" s'enflamme-t-il.

Thomas Kruithof ne cache pas que la toile de fond est inspirée de nombreuses affaires secrètes de la Ve République, de Takieddine à Squarcini en passant par les otages du Liban, influencé par le cinéma de complot des années 1970 et les livres de John Le Carré. Ce qui donne un premier film maîtrisé.

Refusant la notion de risques, Cluzet considère que ses choix de carrière n'ont rien à voir avec une forme de calcul. "Ce qui compte, c'est l'histoire, ce qu'on a à jouer. On se fout du budget du film". Il ajoute: "Ce n'est pas une histoire de rôles, il s'agit de faire des bons films avant tout. Si tu fais trois merdes qui marchent pas, c'est fini." Préférant un petit rôle dans un chef d'œuvre à être tête d'affiche d'un gros budget médiocre, François Cluzet rappelle que "le cinéma a changé". "On ne vient plus voir tel ou tel acteur, mais tel ou tel bon film."

Dinard / PIFFF 2016 : Rencontre avec la réalisatrice de « Prevenge » Alice Lowe

Posté par kristofy, le 6 décembre 2016

Le film Prevenge a été présenté en compétition durant le 27e édition du Festival de Dinard en octobre. Ce premier long métrage avec un humour noir particulièrement féroce montre une femme enceinte qui suit les conseils de son fœtus pour aller tuer différentes personnes sont elle veut se venger...
On croise les doigts pour une sortie du film prochainement en France, mais déjà pour les parisiens une bonne nouvelle : Prevenge est en compétition au PIFFF, le Paris International Fantastic Film Festival qui commence aujourd'hui (pour s'achever le 11 décembre) septembre au Max Linder Panorama : rendez-vous à la projection samedi 10 décembre à 19h30.

En attendant, nous avions rencontré sa réalisatrice et actrice Alice Lowe à Dinard avec son bébé dans les bras :

Ecran Noir : Après le film Touristes ou vous étiez à la fois scénariste et actrice, pour Prevenge vous êtes à la fois scénariste actrice et aussi la réalisatrice, qu’est ce qui vous a inciter à passer derrière la caméra cette fois ?
Alice Lowe : Après la belle expérience qu'a été Touristes j'ai eu envie de réaliser moi-même un film, mettre en scène c’est en fait un désir que j’avais au fond de moi depuis longtemps. Après Touristes j’avais un projet de film que je voulais faire mais ça prenait beaucoup trop de temps à se mettre en place niveau production, c’était un gros projet et donc ce n'était pas facile de trouver le budget vu que je n’avais pas vraiment d’expérience significative comme réalisatrice, à part un court-métrage. Alors il y a eu un autre projet plus simple et moins risqué au niveau du financement où j’ai pu disposer d’un petit budget avec lequel je pouvais faire ce que je voulais : et c’est devenu Prevenge. J’ai voulu proposer le scénario à un autre réalisateur qui m’a répondu que c’était trop sombre pour lui qui faisait plutôt des comédies romantiques. Il a adoré le script mais il m’a dit qu’il ne saurait pas le mettre en image et qu’il fallait que ça soit moi qui le réalise, que j’étais la meilleure personne pour en faire un bon film. A ce moment-là ce n’était pas mon projet de le réaliser parce que j’étais enceinte, j’avais beaucoup de choses à gérer et je pensais que c’était idiot de me rajouter ça en plus. C’était pourtant évident que le réaliser était la bonne décision. J’étais tellement prête depuis longtemps à réaliser un film que je pouvais faire n’importe quel film, et surtout celui-là vu le contenu de l’histoire. Comme c’était un petit budget on pouvait éventuellement se permettre de stopper le tournage une journée si j’étais malade, ou on pouvait reporter si mon bébé arrivait plus tôt que prévu. Finalement le tournage a été prévu au moment vers mon septième mois de grossesse, j’ai tourné le film en 11 jours et tout c’est très bien passé.

"Il va y avoir du sang!"

EN : Il y a plusieurs scènes de violence graphique dans le film : comment trouver l’équilibre entre montrer un peu de sang, beaucoup de sang, vraiment beaucoup de sang, est-ce que vous vous êtes fixé des limites pour les images violentes ?
Alice Lowe : Comme c’était un petit budget j’avais une complète liberté, et donc aucune limite au niveau de la violence. J’aurais voulu encore plus de scènes sanglantes d’une certaines manière mais on n’avait pas le temps. Préparer le sang et les blessures ça prend environ 2 heures, tout a été fait pour de vrai devant la caméra avec quelques pompes de faux sang et du maquillage, bref les effets spéciaux sanglants on les a fait en direct. Pour certains plans j’ai trouvé que ça ne faisait pas assez et pour que ça fasse plus il y a eu après un petit peu de post-production avec des effets numériques, mais très peu. Je ne me suis fixée aucune limite, d’ailleurs être enceinte c’est aussi à propos de ça : il va y avoir du sang! Souvent au cinéma un accouchement c’est quelqu’un qui attend dans une autre pièce et on entend des cris mais on ne voit rien, je voulais qu’on voit du sang pour ce moment. Le film se devait presque de montrer du sang pour les différentes victimes, il s’agit d’exprimer qu’une grossesse est quelque chose de dangereux. Une grossesse ce n’est pas quelque chose de doux et mignon avec des fleurs, c’est quelque chose qui transforme le corps. La grossesse c’est la destruction d’une identité et en même temps la création d’une nouvelle identité, et c'est ça que je voulais montrer de manière drôle et à la fois effrayante.

EN : Prevenge a été sélectionné à Dinard parmi les films en compétition, alors que ce type de film est souvent catalogué en séance spéciale ou en séance de minuit ?
Alice Lowe : C’est un formidable honneur d’être en compétition à Dinard, c’est valorisant d’être pris au sérieux. J'adore les films de genre comme l'horreur ou le fantastique et ça ne me dérange pas d’être programmée en séance nocturne, mais c'est bien aussi d'être en compétition avec des films qui n'ont rien à voir. Déjà Prevenge avait été choisi par la Semaine de la Critique à Venise. Nous étions ravis. Je crois que le festival de Dinard est très ouvert à promouvoir autant des comédies que des nouveau auteurs. Dinard semble très en avant-garde d’une certaine manière. Je suis très surprise des réactions des festivaliers : ici le public est très curieux et avide de nouvelles expériences cinématographiques. Quand j'ai appris que j'étais dans la compétition, ça a été: 'ouah vraiment ? oh, c'est fabuleux'. Vous savez c’est un premier film fait en onze jours avec un petit budget, alors on n’imagine pas être en compétition avec d’autres projets qui ont eu des budgets bien plus gros et des acteurs plus connus. C’est très flatteur pour ma première réalisation, une belle surprise.

"Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma."

EN : Si quelqu’un vous dit que Prevenge est un des films favoris pour une récompense ?
Alice Lowe : C’est très gentil ça. On a une expression en Angleterre qui dit 'don't count your chickens before they're hatch' (ndr équivalent chez nous de 'ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué'). Tout ce qui se passe depuis que ce film est terminé est une surprise, chaque fois que l’on reçoit une bonne nouvelle de ce genre on est étonné. C’est un film qui m’est très personnel à propos de ma grossesse. Comment l’esprit d’une femme vit cette expérience, et je ne m’attend pas à ce que quelqu’un comprenne ça. Que beaucoup de gens apprécie et aime mon film c’est vraiment une agréable surprise. Tout ce qui arrive au film c’est comme avoir du sucre glace en plus sur le gâteau, si on gagnait un prix ça serait une cerise sur le gâteau mais on est déjà très content avec le gâteau.

EN : Quelque chose est prévu pour une distribution en France ?
Alice Lowe : Pas encore, on est toujours en discussion avancées avec des distributeurs anglais et des distributeurs américains qui sont très intéressés, on va voir pour la France et d’autres pays aussi. Quand le festival de Venise a annoncé avoir sélectionné notre film pour septembre, il était tout juste terminé. En fait il n’y a pas encore grand-monde qui a vu le film pour le moment, les gens du business en Angleterre ne l’ont pas encore vu ni même d'ailleurs certaines personnes de l’équipe (le film sortira le 10 février 2017 au Royaume Uni, ndlr). On est plutôt optimiste pour qu’il y ait une sortie en France. Ce que je veux dire c’est qu’on a vraiment fait ce film pour qu’il soit vu dans une salle de cinéma, en post-production avec le montage on a apporté un grand soin au sound-design pour un public de cinéma. Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma. En tant que cinéaste la salle de cinéma c’est le but, on se souvient toujours de certaines expériences ou émotions ou rires lors dune projection dans une salle avec du public.

EN : Au Festival Britannique de Dinard on peut vous voir participer à deux autres films comme comme actrice : Chubby funny et Adult life skills qui sont aussi des premiers longs-métrages ?
Alice Lowe : Après avoir joué dans Touristes il y a beaucoup de gens dans l’industrie du cinéma qui ont vu et adoré ce film, et qui ont su que j’étais ouverte à participer à d’autres projets équivalents. J'étais amie avec Rachel Tunnard, je savais qu’elle était talentueuse, et quand elle a réalisé donc Adult life skills j’y ai fait un petit rôle dedans avec plaisir. Pour Chubby funny je connaissais un peu le producteur avant, le cinéma indépendant anglais est un petit monde. C’est un peu une coïncidence que je sois dans ses deux films et qu’ils soient là à Dinard en même temps que mon film Prevenge. Je me sens chanceuse que le public de Dinard puisse les voir en même temps, mais pour ce qui me concerne c’est des petits rôles où on ne me reconnait pas forcément.

Amy Berg: « Janis Joplin est devenue autant un symbole féministe qu’une légende musicale. »

Posté par kristofy, le 5 janvier 2016

Janis, documentaire d'Amy Berg, est le portrait de l’une des artistes les plus impressionnantes et une des plus mythiques chanteuses de rock et de blues du XXe siècle. Mais elle était bien plus que cela : au-delà de son personnage de rock-star, de sa voix extraordinaire et de la légende, c'était une femme sensible, vulnérable et puissante. Le documentaire est l’histoire d’une vie courte, mouvementée et passionnante qui changea la musique.

Ecran Noir : Une des premières question du film à Janis Joplin est ‘pourquoi est-ce que tu chantes’, de la même façon pourquoi ce documentaire à propos de Janis Joplin ?
Amy Berg : En fait, je voulais faire ce documentaire depuis longtemps, depuis 8 ans environ. Je pense que Janis Joplin est l’une des femmes les plus inspirantes de notre temps. Je me sens profondément connectée à sa musique, elle chante d’une façon très particulière qui semble unique. J’ai toujours pensé que l’histoire de sa vie et des ses luttes serait un film très intéressant à faire au regard de la Femme d’aujourd’hui. Il y a aussi cette sorte de mythologie du ’club des 27’ avec ces musiciens morts à 27 ans comme Jim Morrison, Jimi Hendrix, Kurt Cobain, Amy Winehouse… Je crois qu'il y a un héritage différent selon les chanteurs ou chanteuses. On se souvient de ces chanteurs davantage pour leur talents de musiciens, pour leur groupe, pour ce qu’ils ont apporté de nouveaux ou de différents à la musique. Pour ces chanteuses je crois qu’on a d'abord en tête la cause de leur mort par overdose dans une chambre. Une autre raison de faire ce film était justement de ne pas relier Janis Joplin à l’usage de drogue. Janis a eu des expériences très fortes avec le fait d’être sur scène, avec le fait d’être célèbre et d’avoir des fans. Janis a eu beaucoup d’expériences heureuses dans sa vie autant en amour qu'en musique, et il faut que ça soit tout ça dont les gens doivent se souvenir.

EN : On découvre les débuts de Janis qui va s’imposer comme la leader de son groupe de musique composé d’hommes…
Amy Berg : Janis a voulu évoluer aussi vite que possible dans l’industrie musicale, qui est un univers dominé par les hommes et qui l’était encore plus durant les années 60. Très vite Janis a su attirer et captiver un public qui venait que pour elle, de fait les autres musiciens se sont retrouvés relégués à un second plan : le groupe disparaissait presque derrière ses performances à elle. Janis chantait avec son cœur de telle manière qu’il n’y ait plus de barrière entre elle et le public, il y avait presque communion. Elle est devenue quasiment la première femme star du rock.

EN : Le film semble progresser à la façon de chapitres rythmés par la lecture d’extraits de lettres de Janis Joplin, d’où viennent ces lettres ?
Amy Berg : Janis avaient écrit beaucoup de lettres à sa famille, surtout aux débuts de sa carrière. En préparant ce film j’ai pu voir ces lettres, Janis y raconte beaucoup de choses sur elle-même que personne ne savait. C’était important pour moi de montrer qu’elle avait aussi une personnalité douce et vulnérable en dehors de la scène, alors qu’elle s’impose puissante sur scène. J’ai retenu en particulier de ses lettres le rapport de Janis avec la célébrité. J’ai demandé à la chanteuse Cat Power de lire des extraits de lettres en voix-off, la tonalité de sa voix à elle correspondait la vulnérabilité des écrits de Janis. Les lettres qu’elle a écrites à ses copais Peter puis David ont d’ailleurs une part importante dans le montage. Elle avait rencontré Peter lors de son premier voyage à San Francisco, il était devenu son fournisseur de drogue puis il y a eu leur projet de mariage, mais il n’est jamais venu à la cérémonie. Ce genre d’évènement qui fait un cœur brisé a aussi fait de Janis une chanteuse de blues, sa vie personnelle est liée sa vie de chanteuse. Il y a en particulier l’histoire de ce télégramme de David qu’elle n’a pas reçu et qui je crois aurait pu éviter sa mort prématurée.

EN : Pourquoi avoir choisi de réaliser ce film avec la forme d’un documentaire plutôt qu’une fiction façon biopic ?
Amy Berg : La problématique du documentaire est de se baser sur des archives, quelle qu’en soit la qualité ou la quantité, d’ailleurs pour une certaine partie de l’histoire à raconter c’était un challenge car on n’avait pas de représentation visuelle de ces moments. Par exemple la rupture qu’on vient d’évoquer entre Janis et Peter, il n'y a que une seule image de lui que j’utilise d’ailleurs à un deuxième moment. J’ai contacté la fille de ce Peter qui m’a dit qu’elle n’avait pas plus d'images à cause d’un incendie. On doit faire face à ce genre de chose, à un certain manque de ressources pour raconter un moment de l’histoire en y étant tout de même le plus fidèle possible. Quand on fait un biopic il est bien entendu possible de tout recréer avec des décors et des acteurs. La chose impossible avec un biopic c’est de remplacer la vraie Janis par quelqu’un d’autre, une actrice aurait pu l’imiter un peu mais pas sa voix et ça n’aurait pas du tout été la Janis Joplin. Il y a par exemple ce projet de film sur Nina Simone et c’est pareil : il fallait montrer des images de la vraie chanteuse et pas une actrice (ndr : What Happened, Miss Simone? au festival de Berlin 2015, visible sur Netflix). Janis Joplin était une telle nature et une telle voix unique qu’il était impossible pour moi d’envisager une actrice.

EN : En quoi la vie de Janis des années 60 est-elle exemplaire pour le spectateur d’aujourd’hui ?
Amy Berg : Il y a eu des comparaisons entre mon film et le documentaire sur Amy Winehouse (ndr : Amy au festival de Cannes 2015, en salles le 8 juillet dernier, favori pour l'Oscar du meilleur documentaire) parce qu’il s’agit de deux femmes chanteuses très populaires et mortes à peu près de la même façon au même âge. C’est très différent pour Amy Winehouse qui a eu un rapport terrible avec la célébrité, elle détestait la façon d’être traquée par les médias, et elle a foiré plein de concerts. Pour Janis Joplin c’est très différent, elle aimait vraiment chanter en concert, la scène c’était communiquer avec ses fans, elle appréciait les choses bénéfiques de la célébrité. Janis c’était une tout autre génération où ce qui était souhaitable pour une femme à cette époque était par exemple de devenir une institutrice, une femme au foyer, fonder une famille, mais pas du tout chanteuse. En fait la célébrité et devenir une star était un moyen de faire accepter ce choix de vie dans la musique. A l’époque de Janis la célébrité était presque une nécessité, comme pour obtenir confirmation de son talent. A notre époque une célébrité surexposée comme Amy c’est plutôt un fardeau. Depuis les années 60 c’est Janis Joplin qui a planté un drapeau dans le monde de la musique pour les femmes. Elle a ouvert la porte pour d’autres chanteuses fortes et indépendantes qui allaient arriver après : Pink, Courtney Love, Linda Perry, Juliette Lewis, Amy Winehouse, Lana Del Rey… Janis Joplin est devenue autant un symbole féministe qu’une légende musicale.

Lenny Abrahamson (Frank): « Il faut que certains aient conscience de ce qu’ils disent »

Posté par vincy, le 4 février 2015

Lenny Abrahamson

Lors de son entretien avec Ecran Noir, Lenny Abrahamson, réalisateur de Frank, film très décalé primé aux Festival des Arcs, de Dinard, de Dublin et prix du meilleur scénario aux British Independent Film Awards, est revenu sur l'attentat de janvier perpétré contre Charlie Hebdo quelques jours avant la rencontre.

Ecran Noir: En tant qu'artiste, que pensez-vous des atteintes à la liberté d'expression qu'a connues récemment la France et plus généralement dans le monde ?

Lenny Abrahamson: Je pense que ce qui s'est passé à Paris récemment est absolument épouvantable. C'était barbare, brutal et écœurant. Je pense que le débat sur la liberté d'expression est une autre chose, un autre débat. J'ai surtout peur que le principal effet d'attaques terroristes comme celles-ci soit que le gouvernement réduise cette liberté. Quand on lit des Unes de journaux comme "La France en guerre" ou "La France a changé", je pense que c'est juste des conneries. C'est de l'exagération pure, de la surenchère et ça va simplement accentuer des tensions déjà existantes.

Ecran Noir: Comme Fox News avec ses "no go zones" dans Paris ?
Lenny Abrahamson: Exactement ! C'est normal qu'il y ait des limites à la liberté de parole ou que l'on ne tolère pas l'incitation à la haine raciale. Donc dans le cas où la maire de Paris poursuivrait la chaîne, je pense qu'elle a raison. Pour réussir à vivre dans une société tolérante, et plus généralement un monde tolérant, il faut un minimum de respect et que certains aient conscience de ce qu'il disent, des responsabilités qu'ils ont et qu'ils fassent attention à leur politique étrangère.

Mike Leigh: « Je pense que la révolution digitale rend possible l’arrivée des jeunes réalisateurs »

Posté par cynthia, le 7 décembre 2014

mike leigh sur le tournage de Turner

Mr. Turner réalise un joli succès en salles en France depuis sa sortie mercredi dernier. Au Royaume Uni, le film de Mike Leigh est déjà le plus grand succès public du cinéaste en son pays, entrant dans le Top 40 de l'année. C'est même son premier film à franchir le cap des 10M$ de recettes.

La renommée du cinéaste, la popularité du peintre Turner, l'excellence de l'acteur Timothy Spall, prix d'interprétation à Cannes, et la qualité de l'oeuvre ont produit l'alchimie toujours imprévisible qui conduit une longue fresque à rencontrer son public.

Dans son entretien avec Ecran Noir, le cinéaste a, notamment, évoqué la fascination de Turner pour la photographie, nouveauté technologique de l'époque, ce qui conduit inévitablement à la question du rapport entre un réalisateur et l'outil numérique, mutation des temps modernes.

Écran Noir: Turner était inquiet mais fasciné par l'arrivée de la photographie, êtres-vous inquiet par le numérique, la 3D...?
Mike Leigh: Non pas du tout. D'ailleurs j'ai fait ce film avec une caméra numérique. Et c'était vraiment super. Je pense que la révolution digitale rend possible l'arrivée des jeunes réalisateurs dans le septième art. Je pense même que c'est le futur du cinéma. Tout cela est très positif.
Concernant Turner et la photographie, oui, il en était fasciné et je pense que dans un certain sens, il considérait cela comme un nouvel art. D'ailleurs, comme nous tournions avec une caméra numérique, à chaque prise on se demandait ce que Turner aurait pu dire. Je pense que c'est une excellente dédicace pour lui, il aurait aimé.

Écran Noir: Est-ce que c'est la caméra numérique qui transpose si fidèlement la magnifique lumière de ses tableaux?
Mike Leigh: Et bien nous avons passé beaucoup beaucoup de temps à regarder le travail de Turner. Je voulais que l'on ressente Turner, qu'on regarde Turner. Parfois on a vraiment l'impression de regarder sa peinture avec les couleurs. C'est en quelque sorte une expérience visuelle.

L'intégralité de l'entretien avec Mike Leigh

6 questions à Danis Tanovic (La femme du ferrailleur)

Posté par cynthia, le 14 mars 2014

danis tanovic berlinale 2013

N'ayant pas pu venir dans notre capitale parisienne dû aux conflits que connait en ce moment sa Bosnie natale, Danis Tanovic réalisateur de No man's Land (Oscar du meilleur film en langue étrangère) et de La femme du ferrailleur, actuellement en salles, s'est prêté au jeu du questions/réponses par mail. La femme du ferrailleur, Grand prix du jury à la Berlinale 2013, est le récit d'un homme qui doit trouver une somme considérable pour que son épouse puisse se faire soigner à l'hôpital.

Ecran Noir: Votre film est littéralement un fait réel, comment avez-vous connu cette triste histoire?

Danis Tanovic: J'ai lu un article dans un journal local sur ce qui leur était arrivé, et ça m’a révolté. Je suis donc allé à leur rencontre, sans savoir d’idées précises en tête. Tout ce que je savais, c’est que je voulais faire un film de leur histoire, mais j’ignorais encore quel genre de film. Leur histoire m'a ému parce que, au delà de l'aspect tragique, il y a une immense tendresse et beaucoup d'amour entre-eux, et finalement c'est ce qui reste à la fin, l'amour et l'amitié.

EN: L'équipe du film est novice, cela a-t-il été difficile de diriger des apprentis acteurs?

Danis Tanovic: Il y a des amateurs qui sont très naturels et d'autres non. Je ne saurais pas dire si c'est plus difficile ou si je préfère diriger des amateurs ou des professionnels, c'est juste très différent. Je ne peux pas faire certaines choses avec des amateurs que j'aurais fait avec des professionnels, ça c'est sûr.

EN:  Sur un plan technique, pourquoi avez-vous choisi de filmer votre film avec une Canon 5D Mark? Pourquoi en si peu de temps? Neuf jours de tournage je crois...

Danis Tanovic: Nous n'avions que 17 000 euros de budget, impossible de faire autrement. J'utilise cet appareil pour faire des photos et par chance, mon directeur de la photographie et le directeur de production avaient le même. Entre avoir une caméra beaucoup plus précieuse qui demande plus d'investissement et trois appareils photos déjà disponibles, nous n’avons pas hésité longtemps. Ce dispositif permettait également de les intervertir facilement à cause des conditions de tournage, et notamment le froid. Elles ne sont pas parfaites mais quand vous tournez à moins 13 ou moins 15 degrés, il ne faut pas être trop difficile!

EN : Quel souvenir vous garder de ce tournage ?

C'était un moment très fort pour moi. J'ai aimé ce sentiment d'amitié sur le tournage, avec l'équipe, Nazif et Senada. J'ai dû demander à beaucoup de techniciens de travailler sans être payés et ils ont participé à l'aventure parce qu'ils pensaient que c'était la chose à faire, beaucoup de gens se sont mobilisés autour du film pour nous aider, juste par conviction.

EN: La discrimination qui touche vos personnages est-elle fréquente dans le domaine médical en Bosnie ?

Danis Tanovic: Il y a une semaine, j'ai lu la même histoire, une femme à qui on a refusé des soins et qui a failli mourir. C'est une des raisons pour lesquelles ce film a tellement voyagé, c'est une histoire universelle. Je viens de rentrer des États-Unis (du MoMA où il a présenté son oeuvre) où le film a été aussi très bien accueilli. C'est malheureusement une histoire qui n'est pas cantonnée à la Bosnie, et que l'on peut retrouver partout.

EN:  Quel message voulez-vous véhiculer à travers La femme du ferrailleur ?

Danis Tanovic: Il n'y a pas de message, je ne veux pas imposer ma vision messianique. Je cherche plutôt à poser des questions, je ne donne pas de message, c'est plutôt ça que j'aime faire, poser des questions : à vous de trouver les réponses !

Fruitvale Station : rencontre avec le réalisateur Ryan Coogler

Posté par kristofy, le 2 janvier 2014

ryan coogler fruitvale station cannes 2013Fruitvale Station est un film dont on connaît d’avance la fin mais dont on ignore le début, et c’est cette histoire qui est racontée. Dès le début il y a les images d’un fait divers tragique enregistrées avec un téléphone portable. Sur le quai de cette gare à Oakland en Californie le 1er janvier 2009 à 2h15 du matin, un contrôle de police dégénère : le jeune Oscar Grant de 22 ans reçoit une balle dans le dos tirée par un policier. Bavure banale? Oui mais la victime est noire, le policier est blanc. Et le premier ne menaçait pas le second.

Le film nous fait le portrait de qui était Oscar Grant durant les 24 heures qui ont précédées ce drame. Il sort en France le jour de la date anniversaire du 1er janvier. Le film avait déjà été récompensé au Festival de Sundance, à Cannes et au dernier Festival américain de Deauville où nous y avions rencontré son réalisateur Ryan Coogler :

Ecran Noir : Fruitvale Station montre à différents moments de la journée des instants de la vie de Oscar Grant devant nos yeux…
Ryan Coogler : Je voulais trouver le moyen que les acteurs se surprennent entre eux, et qu’il y ait une fraîcheur de jeu. On avait un planning de tournage très serré, je me suis basé avant tout sur le scénario pour les plans prévus dans le planning de tournage, et après ça on pouvait respirer et essayer des choses. Pour moi il s’agissait d’abord de rendre compte des faits en s’attachant à l’humanité des personnes impliquées. L’histoire du film est avant tout celle de ces gens.

EN : Qu’est ce qui était le plus difficile à recréer comme scène de vie : la tension entre policiers et jeunes dans le train où l’intimité familiale entre Oscar, sa femme et sa fille ?
Ryan Coogler : Ce sont deux choses qui ont été difficiles à tourner pour différentes raisons. En premier lieu c’est  la contrainte du planning, très serré. Pour ce qui des séquences avec les policiers, on avait le quai de la gare à disposition seulement pour 4 heures de tournage ! Pour les scènes domestiques avec la famille, il y avait beaucoup d’émotions différentes à capturer à travers les disputes ou les coups de téléphones. Et là aussi il a fallu composer avec le facteur temps en ce qui concerne la jeune actrice qui joue leur petite fille : puisque c’est une enfant il y a des limitations spécifiques du nombre d’heures consécutives de tournage. Par exemple on ne pouvait pas la faire tourner après minuit. C’est la gestion du temps de tournage qui était la principale difficulté.

EN : Pensez-vous qu'une fiction réaliste est un témoignage plus puissant qu’un reportage aux informations de la télévision ?
Ryan Coogler : Oui je pense que cela peut être le cas. Je pense qu’un film peut rendre le public beaucoup plus proche des personnages. Pour ce qui de la télévision, cela dépend comment le reportage est monté. Pour le cas d’Oscar, le drame a été enregistré par des téléphones. Voir ce genre d’enregistrement des faits nous fait devenir témoin de ce qui c’est passé, mais d’autres incidents arrivent sans qu’on puisse en voir des images. Ils ne sont que racontés. Un film apporte beaucoup de proximité, voir même de l’intimité, et peut apporter d’autres éléments à mettre en perspective. Fruitvale Station a eu une certaine répercussion dans le milieu de la police, à propos des procédures de certains agents. J’espère que ce genre d’incident ne se reproduira plus.