Cannes 2015 : Lettre à César Agusto Acevedo

Posté par MpM, le 21 mai 2015

Cher César Agusto Acevedo,

Félicitations, vous venez de remporter avec La terra y la sombra les prix SACD et Révélation France 4 de la semaine de la critique. Votre film raconte les retrouvailles d'un homme avec sa famille après des années d'absence, alors que les conditions d'existence sont devenues très difficiles.

On comprend tout de suite ce qui a pu séduire le jury dans ce film basé sur la dualité. Dans cette région pauvre de Colombie, la culture de cannes à sucre a tout envahi, provoquant des nuages permanents de poussière et de cendres à cause du brûlage nécessaire à sa récolte.  L'univers domestique (confiné, et dans lequel ne doit rien laisser pénétrer de l'extérieur) s'oppose ainsi aux vastes paysages accablés de soleil. De même, vous alternez l'intime de la cellule familiale avec le social du monde du travail et vous répartissez vos personnages de manière antagoniste : hommes cantonnés au foyer, femmes travaillant dans les champs.

Cette construction vous permet d'osciller entre la chronique familiale et le drame social pour faire le constat d'une situation bouchée de tous côtés. Avec subtilité et simplicité, vous montrez le délitement annoncé d'un monde où l'être humain n'a plus sa place. Malgré un contexte rude et douloureux, La terra y la sombra cultive un certain espoir en montrant la complicité entre les individus (notamment dans les scènes familiales joyeuses autour d'une mangeoire ou d'un cerf-volant) et la solidarité entre les travailleurs. Vous témoignez ainsi sans manichéisme d'une réalité forte et saisissante, tout en prouvant que le drame le plus sombre n'empêche pas une véritable humanité.

Cannes 2015 : Lettre à Brillante Mendoza

Posté par MpM, le 19 mai 2015

Cher Brillante Mendoza,

Taklub signifie "piège". C'est le titre de votre dernier film présenté à Cannes 2015 dans la section Un certain regard, qui raconte les suites du passage du typhon Haiyan aux Philippines en 2013, et notamment les conditions de survie de plusieurs habitants de la ville de Tacloban dévastée par la catastrophe.

Sous une forme très proche du documentaire, en mouvement et au plus près de vos personnages, vous filmez les conditions précaires, voire périlleuses, des réfugiés, leurs difficultés pour obtenir de l'aide, leur combat pour retrouver le corps de leurs proches disparus. Vous montrez les stratagèmes de chacun pour continuer à avancer et se reconstruire, ainsi que la peur d'une nouvelle catastrophe qui sourd.

On croirait presque un état des lieux exhaustif, et à la portée universelle, du statut de victime. Certaines images nous sont familières pour occuper les journaux télévisés à chaque nouveau drame humain : campements de fortune, maisons en ruine, rescapés démunis... Comme c'est souvent le cas dans votre cinéma, rien ne nous est épargné de la misère et de l'horreur, de la douleur et du sordide. Au début du film, le plan qui s'attarde sur le corps calciné d'une mère serrant encore un enfant dans ses bras est ainsi purement insupportable.

Il faut témoigner, inlassablement et sans fard, des injustices et des horreurs du monde. Faut-il pour autant le faire à n'importe quel prix ? Talklub répond à la question à sa manière, plutôt démonstrative. Mais votre acharnement à donner film après film une voix à ceux qui en sont privés va bien au-delà d'une question de morale cinématographique. C'est une nécessité vitale.

Cannes 2015 : lettre à Tarzan et Arab Nasser

Posté par MpM, le 18 mai 2015

dégradé

Chers Tarzan & Arab Nasser,

Dans Dégradé, sélectionné à la Semaine de la Critique, vous avez choisi de raconter Gaza à travers le huis clos d'un salon de beauté où une douzaine de femmes se retrouvent prisonnières malgré elles. Plutôt que l'horreur et le sang, vous faites le portraits de femmes diverses, de tous âges, milieux sociaux et origines, qui essayent simplement de continuer à avancer dans une ville en proie aux luttes intestines (le film se situe avant la nouvelle guerre avec Israël entamée en 2014).

Au fil des conversations, on découvre la personnalité de chacune ainsi que des détails sur la vie quotidienne : électricité un jour sur deux, pénurie d'essence, absurdités liées à la rivalité entre Hamas et Fatah, affrontements armés... Vous utilisez un ton souvent léger ainsi que le prétexte de bavardages sans conséquence pour ne pas transformer prématurément le film en tragédie. Pourtant, on sent la lassitude des protagonistes ainsi que leur résignation.

Immaquablement, Dégradé évoque deux films qui, comme lui, utilisaient le lieu confiné d'un salon de beauté pour décortiquer la réalité des rapports sociaux et de la condition féminine en France (Vénus beauté (Institut) de Tonie Marschall) et au Liban (Caramel de Nadine Labaki). A la différence près que votre premier long métrage est forcément plus grave et plus désespéré. Il va plus loin dans l'analyse sans fard d'une situation rendue absurde par les privations et les luttes internes de pouvoir. On comprend entre les lignes que pour la plupart des clientes du salon de beauté gazaoui, venir se faire coiffer, maquiller ou épiler n'a pas la même signification qu'en Europe.

Pour ces femmes, c'est avant tout un défi au monde qui les entoure : monde masculin qui leur intime de se cacher, monde religieux où la futilité n'est pas de mise, monde social avec son cortège de misère... Pour elles, le salon de beauté devient comme le seul havre de paix qui leur soit accessible, et s'y faire coiffer revient alors à résister à l"oppression et à la peur. Quand tout semble insurmontable, chacun lutte avec les armes à sa disposition. Se "faire belle" est aussi une manière de cultiver un certain espoir en la vie et de continuer à croire qu'il reste malgré tout de belles choses à vivre. C'est d'ailleurs ce qui émeut peut-être le plus dans Dégradé : constater qu'en des temps aussi troublés, il est encore possible d'être amoureux.

Cannes 2015 : lettre à Samuel Benchétrit

Posté par MpM, le 17 mai 2015

asphalteCher Samuel Benchetrit,

En adaptant pour le grand écran vos Chroniques de l'asphalte, vous offrez à ce 68e festival de Cannes un petit grain de folie qui fait un bien fou. Drôle, précis, attachant, Asphalte nous fait découvrir une poignée de solitaires qui habitent dans le même immeuble triste de banlieu.

Chacun va vivre, le temps du film, une rencontre inattendue aux accents tour à tour romantiques, absurdes ou poétiques. Il y a l'actrice des années 80 qui sympathise avec son voisin adolescent ; la mère de famille qui accueille un cosmonaute littéralement tombé du ciel et le voisin grincheux du premier qui, suite à un accident, se retrouve contraint d'utiliser l'ascensceur en cachette.

Reléguant les dialogues un peu au second plan, vous faites un remarquable travail visuel, générant parfois le fou-rire en trois plans juxtaposés, ou l'émotion à travers une ellipse. Mais ce qui touche le plus, c'est l'importance que vous donnez au facteur humain. Vous filmez des individus ordinaires, parfois même un peu cabossés par la vie, qui se rencontrent, se découvrent, tissent quelque chose de ténu qui n'est pas vraiment de l'amitié, mais du partage et de la complicité, voire une relation quasi filiale comme dans le cas d'Aziza et du cosmonaute américain.

Véritable hymne à l'échange et au vivre ensemble, Asphalte s'oppose à l'individualisme forcené pour prôner un lacher-prise qui ouvre la porte aux autres. Il montre que ce n'est ni le lieu, ni le décor qui font la qualité des relations humaines, et que dans ces conditions, le plus gros danger est le repli sur soi. Une vision du monde esquissée de manière généreuse et jamais didactique... c'est toujours bon à prendre !

Cannes 2015 : lettre à Nathan Nicholovitch

Posté par MpM, le 16 mai 2015

Cher Nathan Nicholovitch,

Votre film De l'ombre il y a, présenté à l'ACID, apporte pèle-mêle sur la Croisette le génocide cambodgien, la prostitution enfantine, la transsexualité. Et c'est vrai, ça fait beaucoup pour un seul film. Trop, sans doute. Par moments, vous nous perdez.

Vous expliquez que vous avez voulu élaguer dans le récit comme pour ne garder que des moments, des flashs non reliés entre eux. Cela adoucit la crudité du propos et son aspect didactique, comme pour ne garder que l'essentiel du parcours des personnages. Au risque, parfois, de rendre la compréhension malaisée.

Toutefois, De l'ombre il y a aurait pu être un mélo appuyé, plein de bons sentiments, et vous en faites au contraire un objet cinématographique certes déconcertant et inégal, mais exigeant et retors. Naturellement, on préfère cela. Cette recherche formelle, presque expérimentale. Cette singularité fulgurante. Cette prise de risque dans l'âpreté pour rendre compte de l'indicible, plutôt qu'une œuvre bien foutue et stéréotypée. A sa manière, votre film respire (et transmet) la nécessité impérieuse de raconter coûte que coûte cette histoire. Il emporte nos réticences parce qu'il est une voix faible mais tenace et primordiale dans le vaste silence international sur la question de la prostitution enfantine en Asie et ailleurs.

Il est aussi la tentative inaboutie de réinventer une forme de cinéma qui ne soit ni didactique, ni spectaculaire mais au contraire personnel et intime. Comme un carnet d'impressions ouvert à tous, dans lequel chacun puise au fond ce qu'il veut, et qui devient un outil de partage, d'échanges, voire d'action. Un premier pas sur le long chemin de la construction d'un monde meilleur ?

Cannes 2015 : lettre à Naomi Kawase

Posté par MpM, le 14 mai 2015

Chère Naomi Kawase,

Vous voilà à nouveau de retour à Cannes. Après le très beau Still the water, vous nous proposez AN, une œuvre presque grand public, qui raconte l'amitié entre trois êtres solitaires : un cuisinier malheureux, une vieille dame au lourd passé et une jeune fille mal dans sa peau. Cette fois, et c'est la première, vous adaptez (à sa demande) un roman de Tetsuya Akikawa. Pourtant, ce sont bien vos thèmes et votre style que l'on retrouve à l'écran.

Avec le savoir-faire qu'on vous connaît, vous nous faites d'abord partager le quotidien de vos personnages. Image délavée, gestes banals, plans précis et quasi documentaires. Puis, peu à peu, vous laissez entrer des émotions, des couleurs et des sensations. Aux côtés de Tokue, charmante mammy de 76 ans, nous apprenons à admirer la nature et à apprécier tout ce qui est beau : la jeunesse, la liberté, l'amitié. Comme le personnage central Sentaro, nous nous laissons apprivoiser par cette femme étonnante qui parle aux haricots et se réjouit d'un rien.

Et puis, juste quand on commençait à trouver An un peu trop gentillet et simpliste, vous introduisez le sujet fort du film, celui des lois d'exclusion des lépreux votées en 1907 et seulement abrogées en 1996. A votre manière, bien sûr,  comme en passant. Et l'on est saisi par votre constance à vous intéresser presque en filigrane aux laissés pour compte du Japon.

Alors, avec un beau mélange de subtilité et d'intransigeance, vous racontez l'exclusion forcée de la société, le confinement, l'interdiction d'avoir des enfants, le rejet systématique... Pourtant votre film n'est ni un documentaire, ni un réquisitoire. Il demeure avant tout l'histoire de trois solitudes aux causes bien distinctes mais aux conséquences identiques, et non un prétexte pour faire de la pédagogie. On sent vos trois personnages exister solidement sous nos yeux, avec leurs failles et leurs faiblesses. Non seulement ils donnent corps au pan d'Histoire qu'ils incarnent, mais en plus ils sont comme un hommage aux véritables malades de la lèpre ayant subi injustices et ostracisme presque toute leur vie, ainsi qu'à toutes les victimes de discrimination, quelles qu'elles soient. En toute modestie, et à son niveau, votre film restaure ainsi une partie de leur dignité bafouée.

Cannes 2015 : lettre à Ingrid Bergman

Posté par MpM, le 13 mai 2015

Chère Ingrid,

Il y a dans l'air ces jours-ci l'un de ces faux débat que nous semblons condamnés à subir jour après jour, semaine après semaine. Le sujet en est, plus ou moins, la figure de la star.

Tout est parti d'une interview donnée par Catherine Deneuve au Journal du Dimanche, dans laquelle elle déplore qu' "il n'y [ait] plus de stars en France". Égratignant les nouvelles technologies et la célébrité éphémère qu'elles confèrent, la comédienne ajoute : "Une star est quelqu'un qui doit se montrer peu et rester dans la réserve. Avec l'introduction du numérique, il y a une intrusion de tout, partout, tout le temps. On voit énormément de gens très célèbres, qui ont des millions de followers et qui n'ont absolument rien fait."

Cela n'a pas plu à une jeune femme prénommée Nabilla (connue pour ses apparitions télévisées comme pour ses démêlés avec la justice, nevermind), qui, se sentant probablement visée, a traité Deneuve de "vieille jalouse aigri" (sic). Oui, oui, tu as bien lu. Même si Nabilla a depuis effacé son tweet, il circule des copies d'écran sur le net. Que ce pur produit de la téléréalité puisse penser que Catherine Deneuve ait quoi que ce soit à lui envier est presque mignon... en plus d'être parfaitement ridicule. C'est en tout cas assez révélateur de l'état d'esprit de l'époque qui passe d'une polémique vide à une autre, juste pour le "plaisir" du buzz et de l'audience facile.

Alors que s'ouvre la 68e édition du Festival de Cannes, dont tu es le visage officiel, il faut se préparer psychologiquement à ce que cet état de fait touche plus que jamais la Croisette. Cette année encore, les petites phrases, les robes longues et les querelles superficielles risquent d'éclipser les films et les sujets parfois forts qu'ils abordent. Paradoxalement, toi qui fus la star dans toute l'acception du terme, discrète et mystérieuse, te voilà exposée partout, caution élégante mais impuissante d'un système qui se nourrit indifféremment des grandes actrices, des présentatrices météo, des bimbos et des égéries l'Oreal foulant pêle-mêle le tapis rouge.

Pourtant, en choisissant d'apposer ton visage radieux et au naturel sur l'affiche du plus grand festival du monde, ce n'est pas seulement une actrice que les organisateurs ont voulu mettre en avant. C'est l'histoire du cinéma que tu convoques, les personnages que tu as incarnés, l'empreinte que tu as laissée sur le 7e art. Comme une manière de mettre tout le monde d'accord sur ce qu'est "une vraie star". Alors, pour revenir au "conflit" entre Deneuve et Nabilla, il porte en lui-même sa résolution : si, il existe encore des stars en France. L'une d'entre elles figurera un jour sur l'affiche du festival de Cannes, et elle s'appelle Catherine Deneuve.

Cannes 2014 : Lettre à… Gilles Jacob

Posté par MpM, le 25 mai 2014

Gilles JacobCher Gilles Jacob,

Voilà, c'est fini. Cette 67e édition du Festival de Cannes se referme (déjà) sur une multitude d'impressions, d'images et d'émotions. Nous avons vécu tant d'histoires pendant ces dix jours. Tant de destins, de coups du sort, d'émerveillement et de drames. De quoi nous accompagner longuement sur nos chemins respectifs.

Et que dire alors des presque 40 ans que vous avez passé dans l'organisation du Festival ? De ces milliers de films qui ont défilé devant vos yeux, des choix sensibles qu'il a fallu faire, des regrets, des amertumes et des immenses joies ?

Avec votre départ, c'est une page primordiale de l'histoire de Cannes qui se tourne. On ne dira jamais assez ce que le Festival vous doit : le Certain Regard, la caméra d'or, la Cinéfondation... et une certaine idée du cinéma mondial. Tout au long de cette 67e édition, notre série "les années Jajacobbi" est ainsi revenue sur ces cinéastes que vous avez révélés et qui nous ont depuis offert des énergies et des fulgurances inoubliables.

Pour nous tous, amoureux de Cannes et du cinéma (qui se confondent), votre départ va laisser un vide immense, incommensurable. La sensation que plus rien ne sera jamais pareil.

Heureusement, vous continuerez à veiller sur le festival de loin, et notamment à travers la Cinéfondation. On vous imagine riant sous cape en découvrant tous les hommages qui vous sont rendus et balayer joyeusement la nostalgie qui nous gagne déjà. Il vous reste plein d'idées, plein d'envies, plein de découvertes à faire et de choses à raconter. On attend désormais le nouveau volume de vos mémoires de Cannes. Et, qui sait, d'autres surprises.

Car comme vous l'avez si bien dit lors de la clôture de la section un Certain Regard, au sujet de cette sélection parallèle qui gagne chaque année en qualité : "on est là pour mettre en question, repousser les limites, inventer inlassablement." Soit ce qui devrait être le but de toute existence.

Aussi, de notre côté, comme vous nous avez exhortés à le faire, nous continuons notre route avec Cannes et avec le cinéma. Et ce faisant, notre vie de festivalier cannois, malgré votre éloignement, passera comme un rêve.

Cannes 2014 : Lettre à… Sarajevo

Posté par MpM, le 22 mai 2014

sarajevoSarajevo, joyau des Balkans et capitale de Bosnie-Herzégovine, te voilà l'héroïne d'un film collectif au même titre que Paris ou New York ! Les ponts de Sarajevo, présenté sur la Croisette en séance spéciale, réunit treize points de vue de cinéastes européens sur ton passé douloureux et ton présent où tout reste à inventer.

Pour te célébrer, des réalisateurs d'origines et de génération différentes posent chacun un regard bienveillant et sensible sur tes rues, tes habitants et ton histoire. On retrouve Jean-Luc Godard qui te connaît depuis longtemps (Je vous salue Sarajevo en 1993), mais aussi Aida Begic qui est née sous ton ciel, Cristi Puiu qui connait bien tes rues, Isild Le Besco qui est tombée amoureuse de toi...

Entre chaque volet du film, une partie animée signée François Schuiten et Lui da Matta Almeida retrace avec poésie et finesse les grandes lignes de ton histoire : le pont entre tes deux rives est constitué de mains qui se tendent l'une vers l'autre, puis est illuminé par un feu d'artifices, ou remplacé par un pont de livres. Des cercueils, aussi, passent en-dessous.

Quant aux différents courts métrages eux-mêmes, ils évoquent l'assassinat de l'archiduc François Ferdinand qui provoqua la première guerre mondiale comme les raisons politiques qui poussèrent son assassin à agir, et notamment le désir de voir le peuple slave se libérer du joug autrichien. Puis ils s'intéressent avec pudeur au terrible siège que connut la ville, et à la guerre immonde qui déchira le pays.

L'un des films les plus réussis est celui du Roumain Cristian Puiu (Réveillon) qui décortique en quelques minutes les clichés raciaux et xénophobes qui sont à l'origine de tous tes traumatismes. Avec beaucoup d'humour, il rappelle ainsi que la haine et les préjugés n'engendrent que la destruction et le chaos. La leçon, aujourd'hui encore, est toujours nécessaire.

Un autre film semble emprunter les célèbres répliques d'Hiroshima mon amour : "Tu n'as rien vu à Sarajevo" dit un homme à son frère trop jeune pour se souvenir des horreurs de la guerre ( Le voyage de Zan de Marc Recha). C'est donc l'occasion de lui raconter le siège : "sortir de la maison était comme jouer à la roulette russe", explique-t-il.

Aida Begic, elle, a recueilli le témoignage de certains de tes habitants (Album) sur leur vie pendant le siège : la faim, le froid, la mort qui rôde, les bombes qui pleuvent, l'horreur qui se déroule chaque jour au beau milieu de la rue...

Mais les images et les sons se dédoublent. A l'écran, on parle de toi, Sarajevo, mais dans notre tête apparaissent Grozny, Olms, Tombouctou, Benghazi, Bangui... Autant d'échos d'une histoire terrifiante qui n'en finit plus de se répéter.

Cannes 2014 : Lettre à Leila Hatami

Posté par MpM, le 20 mai 2014

leila hatamiChère Leila Hatami,

Vous êtes au centre d'un scandale en Iran pour avoir échangé une "bise" avec le président du Festival de Cannes Gilles Jacob. Le vice-ministre de la Culture iranien a jugé cette attitude "inappropriée" et s'est insurgé contre un tel comportement : "Celles qui participent à des évènements internationaux devraient prendre en compte la crédibilité et la chasteté des Iraniens, afin de ne pas montrer une mauvaise image des Iraniennes", a-t-il estimé.

Ce que semble avoir voulu dire cet admirable censeur, c'est qu'en vous prêtant à cette innocente pratique, vous avez porté atteinte à la dignité de tout un peuple. Le discours nous est désormais connu : c'est dans la chasteté (l'humilité, la dignité, l'innocence, etc.) de la Femme que se situe l'honneur de l'Homme.

Deux réactions à cette polémique stérile. D'une part, chère Leila, courage. Je propose qu'en solidarité avec vous, toutes les festivalières soient immortalisées en train d'embrasser Gilles Jacob en haut des marches (pour trouver la première volontaire, s'adresser à la rédaction).

D'autre part, il faut bien avouer que l'on n'en peut plus de ces hommes qui instrumentalisent le corps des femmes et l'investissent de je-ne-sais quelles propriétés sacrées. Le corps des femmes leur appartient, et elles en font ce qu'elles veulent. Si cela vous dérange, monsieur le vice-ministre, détournez le regard. Chacun devrait être le détenteur de son propre "honneur" et surtout le seul juge de ce qui l'atteint ou non.

D'autant que la "bise" est, comme le soulignait intelligemment Gilles Jacob, une coutume occidentale utilisée pour se saluer, à laquelle sont tout particulièrement attachés les Français. Le Hollywood Reporter du 16 mai dernier en faisait d'ailleurs un article que l'on recommande chaudement au vice-ministre iranien : How to kiss the french like a pro : 8 rules for mastering la bise (en anglais). Où l'on découvre que le risque n'est pas tant de déshonorer les hommes de son pays que de piquer un fard suite à dérapage incontrôlé du geste ou un excès d'enthousiasme.