Pedro Almodovar, Prix Lumière 2014 : « Ça, c’est ma Palme d’Or! »

Posté par Morgane, le 18 octobre 2014

pedro almodovar juliette binocheComme chaque année, le festival Lumière atteint son sommet lors de la remise du Prix Lumière, qui se déroule à l'Amphithéâtre du Centre des Congrès. Cette année, le prix est décerné à Pedro Almodovar, aussi logique qu'évident. Véritable défilé de personnalités du 7e Art sont de plus en plus nombreuses d'édition en édition. Beaucoup de figures du cinéma français sont là (Juliette Binoche, Jean-Pierre Marielle, Gilbert Melki, Tahar Rahim, Guillaume Gallienne, Brigitte Fossey, Bérénice Béjo etc.) ainsi que plusieurs personnalités étrangères telles que Keanu Reeves et Christopher Kenneally, Franco Nero (le Django originel), Michael Cimino, Valeria Golino, Isabella Rossellini, John McTiernan (arrivé à Lyon aujourd'hui pour une visite surprise) ainsi que Xavier Dolan et le grand Paolo Sorrentino qui filmeront tous deux un "remake" de la sortie des usines des frères Lumière rue du Premier Film.

Almodovar et la musique

Connaissant l'importance de la musique dans les films d'Almodovar, l'hommage a grandement été chanté ce soir. Que ce soit par Agnès Jaoui ("grâce à toi ou à cause de toi, je ne m'arrête pas de chanter en espagnol car j'aime à me prendre pour une héroïne de tes films") qui a repris Piensa en mi. Puis Camelia Jordana, avec une maîtrise de voix impeccable, a admirablement interprété C'est irréparable de Nino Ferrer puis Cucurucucu paloma de Caetano Veloso, chanson que l'on retrouve dans Parle avec elle. Et pour clore l'épisode musical était invité Miguel Poveda, très grand interprète espagnol, qui a entonné A ciegas, chanson du film Les étreintes brisées, puis deux morceaux de flamenco. La soirée s'est même finie en karaoké géant sur Resistiré!

Hommages multiples

Elena, Marisa, Rossi, trois de ses muses féminines étaient présentes ce soir pour lui rendre un bel hommage. Elena Anaya a pris le micro en premier et a ainsi déclamé, en français s'il-vous-plait: "Mon Pedro chéri, voici ma déclaration d'amour. Je te le dis en français, c'est plus romantique. Je t'aime! (…) Merci de me laisser faire partie de ta vie et de vous faire rêver grâce à ton cinéma." Rossy de Palma n'a rien préparé pour son "Pedrito" mais comme elle le dit elle-même, ce n'est pas grave car elle a plein d'anecdotes à raconter et en effet c'est ce qu'elle a fait! Quant à Marisa Paredes de conclure par cette phrase: "Son aventure fait partie de mon aventure et j'ai envie de continuer à avoir des aventures avec toi!".

Agustin Almodovar a également pris la parole pour parler de ce cinéaste exceptionnel qu'est son frère et proclamer en public haut et fort: "Viva Pedro y viva el Cine!!!"

Des messages vidéos de certains absents ont ajouté leur pierres aux discours comme ce fut le cas de Javier Camara (depuis Amsterdam), Antonio Banderas et Penelope Cruz.

Puis Xavier Dolan, Tahar Rahim et Guillaume Gallienne (avec son timbre de voix sublime et si particulier, parfait pour "lire" une histoire) ont lu tour à tour un texte publié dans plusieurs journaux que Pedro Almodovar avait rédigé à la mort de sa mère, "Le rêve de ma mère".

Le Prix Lumière comme un Prix Nobel

Cette année, c'est des mains de Juliette Binoche que Pedro Almodovar recevra son Prix. On peut se questionner quant à ce choix sachant qu'habituellement il y a un lien plus que direct entre le lauréat et la personne qui lui remet le prix (Fanny Ardant pour Gérard Depardieu, Éric Cantona pour Ken Loach et Uma Thurman pour Quentin Tarantino)… mais pas cette fois. "De la vie, de la vie, de la vie… jusqu'à la mort, voilà ce que tu cries dans tes films. (…) Au nom de tous, MERCI!!!"

Puis c'est au tour de Bertrand Tavernier, qui s'est de nouveau paré de son inséparable écharpe, de dire quelques mots au grand maître du cinéma espagnol. Hommage sublime et émouvant, véritable déclaration d'amour qui ne laissera pas Almodovar de marbre. "Pedro, tu as été la fortune de beaucoup de coeurs."

Et c'est finalement au tour du héros du jour de prendre la parole, commençant par dire que cette soirée a été "une vraie montagne russe". Beaucoup d'émotions l'ont submergé. Il remercie tout le monde en essayant de n'oublier personne, ceux qui ont rendu cette soirée si belle pour lui, ceux qui ont permis ce festival et les spectateurs qui remplissent les salles obscures. Avant de venir il avait demandé à Thierry Frémaux quel type de discours on s'attendait qu'il fasse pour le Prix Lumière. Ce dernier lui a répondu, le plus sérieusement du monde, "fais comme si c'était un Nobel!" Et de conclure avec ces mots: "Thierry, ça c'est MA Palme d'or…"

Almodovar ça pétille, ça explose, ça se chante, ça se danse, ça se boit, ça s'écoute beaucoup, ça se regarde aussi. Bref, Almodovar nous remue l'intérieur, interpelle tous nos sens et ne laisse certainement pas indifférent! Chapeau bas señor Pedro, ton cinéma, c'est certain, a déjà laissé son empreinte dans le monde infini du 7e Art.

Festival Lumière – Jour 5 : Conversation avec Almodovar

Posté par Morgane, le 17 octobre 2014

Cette journée a débuté sur un air d’Italie. Quel rapport avec Almodovar me direz-vous? Voyage en Italie de Roberto Rossellini projeté ce matin fait partie du cycle « el ciné dentro de mi » dans lequel Pedro Almodovar présente pour chacun de ses films un film de référence. En ce qui concerne Voyage en Italie, ce film l’a accompagné durant le tournage des Étreintes brisées.

L’après-midi on a pu assister à une première au Festival Lumière, une conversation avec le lauréat du Prix Lumière. La conversation avec Pedro Almodovar, animée par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, en présence de Agustin Almodovar (producteur des films de son frère de Pedro), Elena Anaya, Rossy de Palma, Chema Prado et Marisa Paredes, s’est déroulée au théâtre des Célestins. Un très bel avant-goût de la soirée de ce soir pour la remise du Prix!

Conversation intime et très belle rencontre avec un cinéaste qui a su imposer sa marque bien à lui…

Bertrand Tavernier: J’ai toujours été remué par l’énergie de tes films qui me laissent pantois et m’intimident parfois. J’aimerais savoir si tu te souviens de ton premier jour de tournage de ton premier film?

Pedro Almodovar: La première fois que j’ai tourné c’était en super 8, mais pour moi c’était déjà du cinéma. Ça s’appelait Le sexe, ça va, ça vient, un court-métrage. La première chose que j’ai filmé, c’est leur rencontre, se percutant au coin d’une rue. Une histoire typique d’un jeune homme qui rencontre une jeune femme. À la suite de cette rencontre percutante, elle le tape à chaque fois qu’ils se revoient. Il finit par lui avouer qu’il aime ça, alors elle arrête. Elle lui avoue qu’elle préfère les femmes. Alors cet homme se transforme en femme pour elle, mais l’accueille froidement lui disant finalement « en fait, depuis que je suis devenu une femme, je préfère les hommes ». Et c’est moi qui jouais l’homme…

Thierry Frémaux: Tu es intéressé par différents arts, musique, littérature, peinture etc. du mouvement de La Movida mais as-tu toujours su que tu étais un cinéaste avant tout?

Pedro Almodovar: Enfant je voulais être peintre, j’ai écrit, construit des décors, chanté (du punk!) puis finalement j’ai laissé tombé tout ça. J’étais un peintre frustré, un écrivain frustré, un architecte frustré, un chanteur frustré, mais toutes ces frustrations m’ont aidé dans mon métier de cinéaste, un metteur en scène qui utilise tout cela.

Faisant référence au lunettes de soleil qu’il porte en plein théâtre, il nous dit que c’est à cause des projecteurs. "Ça ne vous paraît pas paradoxal d’être metteur en scène et d’avoir de la photophobie? Je porte aussi des lunettes de soleil sur les plateaux de tournage ainsi qu’un chapeau, et pourtant je n’ai pas une tête à chapeau!, et j’ai aussi deux panneaux noirs qui ne reflètent pas la lumière. Ça ne vous semble pas kafkaïen? En même temps, depuis ma plus tendre enfance ma vie est un paradoxe donc je me plais dans les situations paradoxales!"

Bertrand Tavernier: Quand un metteur en scène commence un tournage, certains tâtonnent alors que d’autres commencent directement par une scène difficile. Tu appartiens à quelle catégorie?

Pedro Almodovar: C’est sûr, je ne commence pas par une des scènes les plus difficiles. Je préfère que les acteurs et les techniciens s’imprègnent du film. En revanche, le premier jour de la deuxième semaine je fais toutes les scènes difficiles du film car je ne veux pas les laisser pour la fin.

Thierry Frémaux: Ton histoire, ton nom, ton oeuvre sont liés à la Movida. Dis-nous en un peu plus sur ce mouvement et le souvenir que tu en as gardé.

Pedro Almodovar: Ce mouvement a été essentiel! La Movida c’est le début de la période démocratique (en Espagne, ndlr), l’arrivée d’une nouvelle ère radicalement opposée à celle qu’on avait connu avant 1977 (le régime franquiste, ndlr). C’était une véritable explosion de libertés donc pour moi qui commençais à écrire c’est incroyable. J’ai aussi pu vivre plein de choses dans ma jeunesse qui ont nourri les films que j’ai fait par la suite. J’ai eu la chance de pouvoir vivre cela. La Movida nous a permis de sentir avec tous les sens ce changement si difficile à mettre en mots. C’était au-delà du merveilleux et de l’impressionnant. Ceux qui avaient résisté sous Franco ont alors abandonné leur peur. Mais ceux qui étaient heureux sous Franco se sont mis à avoir peur de nous. Ça a créé une nouvelle Espagne, un nouvel équilibre et on l’avait bien mérité!

Thierry Frémaux: Aurais-tu été le même cinéaste si tu avais grandi dans en France, en Angleterre…? Aurais-tu été cinéaste?

Pedro Almodovar: Oui je crois, car depuis tout petit ma vocation est de raconter des histoires et de le faire à travers des images. Si j’avais été aux États-Unis j’aurais certainement fait un premier film underground avec tous les travestis et les drogués de la ville qui auraient également été mes amis. Puis pendant 30 ans, plus rien. Je serais devenu un phénomène sociologique puis un cinéaste frustré. Ceci dit je serais quand même ici au festival Lumière et mon premier film serait projeté car c’est ce qui est formidable dans ce festival! Si j’avais été anglais j’aurais fait un premier film en 16mm puis j’aurais continué à faire des films mineurs mais intéressants en 35mm. Si j’avais été turc, soit je serais parti dans un autre pays soit j’aurais fait un premier film superbe qui aurait été repéré par Thierry et présenté à Cannes et j’aurais alors pu à continuer à faire des films librement en Turquie. Thierry Frémaux et Gilles Jacob sont des personnages très importants pour le cinéma. Et dans tous les cas même si le film que j’aurais fait était un film de rien du tout, un européen l’aurait repéré par son titre ou autre chose et cette personne érudite est parmi nous, Bertrand Tavernier!

Bertrand Tavernier: dans tes films tu montres souvent des extraits de films américains des grands studios. Comment aurais-tu réagi dans un système comme celui que devaient affronter ces metteurs en scène?

Pedro Almodovar: Quand je vais aux États-Unis je discute de ce système de grosses productions et je ne sais pas si je serais capable de travailler ainsi. J’aime maîtriser tous les éléments, ce serait donc opposé à ma personnalité. Mais j’aurais certainement essayé de m’adapter. Dans mes films il y a aussi des références à des films de Rossellini, Franju etc. Je me vois bien faire des films dans d’autres pays européens mais aux États-Unis je ne sais vraiment pas si j’aurais pu. Je crois que le metteur en scène doit diriger (ce n’est pas une question d’autorité). Et si d’autres points de vue (production, agents d’acteurs etc.) rentrent en jeu alors c’est le chaos. Je pense que j’aurais alors fini par faire des films de série B.

Bertrand Tavernier: Truffaut disait qu’au début d’un film on a un rêve et qu’avec les contraintes on finit par perdre de vue ce rêve et qu’on essaie surtout de faire le moins de compromis possibles.

Pedro Almodovar: Tous les metteurs en scène commencent par un rêve qui se matérialise dans le scénario qui est pourtant encore totalement abstrait. Pour moi ce parcours est un vrai voyage et sur le tournage tout peut arriver! C’est la réalité de tous ces gens présents qui fait qu’au moment du tournage le rêve disparait et devient autre chose. Je vois tous les éléments vivants qui vont me permettre d’accéder à cette nouvelle créature. J’ai besoin de toutes ces étapes pour arriver à cette créature qui n’est pas celle dont j’ai rêvée au départ mais celle à laquelle me mène cette aventure. C’est pendant le tournage que se dévoile vraiment l’histoire qu’on voulait raconter. Cela ne signifie pas que je ne défends pas bec et ongles le rêve que j’avais au début mais ce qui est très important c’est cette nouvelle créature qui prend vie!

Thierry Frémaux: Quand tu es devenu connu dans le monde entier, on a parlé de ton cinéma comme un cinéma à part. Est-ce que tu cherches toujours à faire un cinéma singulier?

Pedro Almodovar: Chacun fait les choses à sa manière et ça, c’est ma manière à moi de faire des films. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé à l’avance, je raconte juste des histoires à ma façon et ça a marché. Je ne voudrais pas paraître prétentieux en disant cela mais je suis un réalisateur authentique, tout simplement, car je ne saurai pas être autrement. Et tant mieux pour moi je me suis rendu compte qu’être authentique fonctionnait.

Bertrand Tavernier: Une joie, une surprise lors d’une scène que tu tournes. Quand tu l’éprouves le dis-tu ou le caches-tu?

Pedro Almodovar: Je ne sais pas si je l’ai dit sur le moment mais ce qui est sûr c’est que l’équipe l’a vu aussi. Mon équipe l’a ressenti également car ça devait se lire sur mon visage. C’est pour ces moments-là que les metteurs en scène deviennent accrocs à leur métier!

Thierry Frémaux: Te considères-tu comme un cinéaste qui fera des films jusqu’à son dernier souffle ou non?

Pedro Almodovar: Pour tout un chacun le moment où il faut se retirer est difficile. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui continuent à faire des films même s’ils finissent par ne plus rien faire de nouveau. Mais il y a des exceptions et c’est de ceux-là que je veux parler. J’ai une image concrète de John Huston sur son dernier film (Les Gens de Dublin), assis dans son fauteuil roulant avec sa bouteille d’oxygène. Et pourtant il était là, bien présent. Ce fut son dernier film et ce fut un chef-d’oeuvre. Et c’est cette image de cet homme-là assis à laquelle j’aspire. Enfin, quand j’aurais au moins 80, 84 ans!

Bertrand Tavernier: David Lean a dit à John Boorman:
« - nous avons fait le plus beau des métiers.
- oui, mais ils ont essayé de nous en empêcher.
- oui mais nous les avons possédés!
»
David Lean est mort le lendemain.

Pedro Almodovar: Je reprends complètement cette phrase à mon compte, mais je la dirai seulement après mes 80 ans!

Festival Lumière – Jour 4: Sautet et Cimino au service de monstres sacrés

Posté par Morgane, le 17 octobre 2014

Ce quatrième jour du Festival Lumière s'entame sous la pluie… rien de tel pour courir se réfugier dans les salles obscures qui sont toutes, ou presque, combles depuis le début de la semaine!

Pour se protéger de la pluie, rien ne vaut un bon Claude Sautet (Une histoire simple), présenté par le critique de cinéma N.T.Binh qui a signé le documentaire Claude Sautet ou la magie invisible.

Une histoire simple (1978) est la cinquième collaboration entre le réalisateur et Romy Schneider. On ressent le lien très fort qui les unit. C'est Sautet qui l'a sortie de son image juvénile à l'écran et qui en a fait une icône française d'adoption. On la retrouve ici après la trilogie Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs et César et Rosalie, dans un rôle de "la quarantaine" que Claude Sautet avait promis de lui écrire. Et puis après le film Vincent, François, Paul et les autres, Romy Schneider avait envie qu'ils fassent un film un peu moins masculin; ce qui est en bel et bien le cas dans Une histoire simple. Les hommes sont présents, certes, mais ils gravitent, comme des satellites, autour des personnages féminins, celui de Marie en tête. Femme forte et déterminée, elle prend son destin en main, avorte, quitte son homme et vit sa vie de femme. Une histoire simple est un film féministe avec en toile de fond une peinture sociale (mouvement féministe, licenciements, difficultés économiques…) dissimulée derrière ses personnages. C'est un véritable "film à message" qui "diffuse un climat prenant, d'une façon qui ne se voit pas" comme le dit N.T.Binh.

Pour ce rôle Romy Schneider recevra le César de la meilleure actrice et remerciera Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet de lui avoir écrit ce très beau rôle.

michael cimino"si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario."

Ce quatrième jour, c'est aussi celui de Michael Cimino. Pas très friand des festivals en général, il nous fait l'honneur de venir à Lyon pour la troisième fois consécutive. Lors des projections du festival, il est là, discret, au fond de la salle, refusant de commenter Side by Side lorsque Thierry Frémaux l'interpelle. Mais pour son film Le canardeur, devant une salle pleine à craquer, il prend le micro et ne manque pas, après un "Waouh!" impressionné de nous raconter quelques anecdotes sur ce tournage, son premier en tant que réalisateur (1974).

"Vous allez voir mon premier film et ma dernière bonne expérience en tant que réalisateur!". C'est un premier film au casting superbe: le grand Clint Eastwood et le fameux Jeff Bridges qui sont, selon ses propres mots, "ce qu'Hollywood a de meilleur!"

Michael Cimino revient sur les débuts de ce film, nous apprenant que Clint Eastwood, ayant lu le scénario, avait voulu l'acheter. Mais pour Cimino il n'en était pas question. Ce dernier est donc allé à la rencontre de Clint Eastwood et s'en est suivi à peu près ce dialogue:

"- Tu penses que tu peux me diriger?

- Oui.

- Alors il y a une chose à faire.

- Laquelle?

- On va passer un deal…

- Lequel?

- Je te donne trois jours pour filmer. Si ça me plait, ok. Mais si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario.

- Ok, we have a deal!"

Et c'est donc comme ça que le film a débuté, par cette simple conversation et "ce challenge que m'a lancé ce géant" explique Cimino.

Quant à Jeff Bridges, c'était également son premier choix pour le rôle de Lightfoot. Clint Eastwood et Jeff Bridges étant les seuls à qui il ait fait lire le scénario à Hollywood. Jeff Bridges avait alors une seule chose à faire sur le tournage, faire rire Clint Eastwood, chose qui ne s'était jamais vue à l'écran! Et ça a marché! En effet, Clint Eastwood qui joue habituellement mâchoires plutôt serrées sourit franchement, rarement certes mais franchement quand même, dans Le canardeur.

Film à mi-chemin entre le western moderne et le buddy road movie, Le canardeur frappe fort, encore plus fort lorsqu'on sait que c'est un premier film. Les dialogues sont percutants et les personnages très bien construits et attachants: Lightfoot pour son humour à toute épreuve et pour la fraîcheur qu'il insuffle face au personnage un peu plus sombre de John Thunderbolt, qui cache ses blessures. Bridges recevra sa deuxième nomination à un Oscar pour son interprétation de Lightfoot.

Michael Cimino montre avec ce film que dès ses débuts il était déjà un jeune virtuose de la caméra...

Festival Lumière – Jour 3 : Keanu Reeves et la révolution du numérique

Posté par Morgane, le 16 octobre 2014

keanu reevesLe Festival Lumière avance, les films défilent et aujourd'hui on commence la journée avec la projection de Pour un poignée de dollars dans une superbe version restaurée… Le film a 50 ans cette année et reste indémodable! Indémodable, restauration… Ces mots nous emmènent doucement sur les traces de Side by Side, documentaire de Christopher Kenneally, produit par Keanu Reeves et qui étaient tous deux là pour nous le présenter.

"le plus beau casting du Festival"

Passage de l'argentique au numérique, du 35mm au digital… Keanu Reeves interviewe un grand nombre de réalisateurs (Lynch, Cameron, Soderbergh, Scorsese...), directeurs de la photographie, monteurs, producteurs etc. ("c'est le plus beau casting du Festival" comme se plaît à le dire Thierry Frémaux) sur cette question d'actualité. Les aspects techniques et pratiques sont abordés. On comprend mieux les enjeux (financiers principalement), les avantages du numérique comme ceux du celluloïd, les limites qu'ils s'imposent. Les avis ne sont pas toujours tranchés, certains l'évoquent presque à contrecoeur, comme une fatalité, d'autres encore se lancent à corps perdu dans cette révolution du numérique comme Georges Lucas ou David Fincher, et puis il y a ceux qui n'y voient que peu d'intérêt et défendent le 35mm comme c'est le cas de Christopher Nolan.

Les arguments sont nombreux. Véritable liberté, coûts diminués pour certains, perte de la réalité, problèmes d'archivage, changements du rapport à l'image pour d'autres. La question passionne, et divise.

À la suite du film, un petit débat se met en place. Pour Christopher Kenneally on sent que c'est le numérique vers lequel il penche alors qu'en ce qui concerne Keanu Reeves, le 35mm semble garder son amour. "J'adore la qualité et le ressenti du film. Il y a une émotion. Ce qui me manquerait sans le film, c'est la réalité! Je pense en tout cas que les cinéastes devraient toujours avoir la possibilité de prendre une caméra traditionnelle si ils le souhaitent."

Et de conclure par: " Est-ce que le numérique a un réel impact sur notre façon de raconter des histoires?" La question reste en suspens...

Festival Lumière – Jour 2 : le mélange des genres

Posté par Morgane, le 15 octobre 2014

Le Festival Lumière donne la possibilité de faire de véritables grands écarts cinématographiques en un seul jour. On peut entamer sa journée aux côtés de Capra pour commencer avec entrain, changer de rythme avec Sautet, (re)découvrir Kotcheff et enfin respirer une bouffée de nostalgie avec Reitman et ses héros de Ghostbusters.

C'est aussi un peu ça la magie du Festival Lumière. Tous les genres se côtoyant, le Cinéma avec un grand C est à l'honneur et chaque séance (ou presque) est présentée par un talent du 7ème Art qui n'est là que pour une seule et même raison: faire partager sa passion.

Ghostbuster "ressemble à un film d'Alain Resnais"

C'est Rachid Bouchareb qui présente La Vie est belle de Frank Capra devant une salle comble! "J'ai vu ce film sept ou huit fois et je pleure à chaque fois à la fin." Il définit Frank Capra comme un réalisateur engagé, politique, qui souhaite nous faire réfléchir à travers des films empreints de tendresse, de partage et de solidarité. Il est le cinéaste de la bouteille à moitié pleine et La vie est belle est un exemple qui illustre très bien cela.

Capra fait preuve ici d'un optimisme à toute épreuve montrant sa foi en l'humanité malgré certains déboires successifs que subit George Bailey. C'est aussi un film rempli d'humour, dans les dialogues comme dans les situations (le trio Dieu, Joseph et Clarence qui espère gagner ses ailes d'ange en venant en aide à George). C'est, comme le dit Rachid Bouchareb, "un merveilleux conte" qui n'a pas eu le succès escompté à sa sortie en 1946 mais qui a connu par la suite un véritable succès télévisé où il est rediffusé depuis chaque année à Noël.

jean hugues angladePour Nelly et Monsieur Arnaud, c'est Jean-Hugues Anglade qui vient en discuter. "Les films de Claude Sautet ont été pour moi une véritable révélation dans les années 70. Et j'ai eu la chance de faire partie de l'aventure pour son dernier film" dans lequel il incarne Vincent Granec, l'éditeur auquel s'adresse Monsieur Arnaud pour publier son livre et qui succombera aux charmes de la ravissante Nelly. Jean-Hugues Anglade nous parle de l'incroyable intransigeance de Sautet, de son goût du détail, de son envie de perfection jusque dans l'harmonie entre la couleur de la cravate et le papier peint dans une scène.

Avec ce film, Claude Sautet suit tout en douceur ce couple particulier que forment Michel Serrault et Emmanuelle Béart en qui il retrouve son idéal féminin qu'il avait perdu à la mort de Romy Schneider.

Changement de décor direction le Canada avec Ted Kotcheff toujours présent pour dire quelques mots aujourd'hui sur L'apprentissage de Duddy Kravitz (Ours d'or à Berlin en 1974). Et tout comme la veille pour Wake in fright, ce dernier ne manque pas d'anecdotes. La genèse de ce film remonte donc à 1957 lorsqu'il vient vivre dans le sud de la France où il rencontre Mordecai Richler qui deviendra par la suite un grand romancier canadien. Selon eux, à la façon d'Hemingway, ils se devaient de venir en Europe en laissant l'Amérique derrière eux afin de pouvoir vivre leur art.

En 1959, Mordecai Richler rédige L'apprentissage de Duddy Kravitz et "je lui ai dit que j'en ferai un grand film". Ted Krocheff cherche alors des financements durant plusieurs années mais en vain. Un producteur est enfin intéressé mais veut de Duddy Kravitz soit grec et non juif. Hors de question! Un autre était également sur les rangs mais l'histoire devait se dérouler à Pittsburgh et non à Montréal. No way! Il aura donc fallu attendre 14 ans avant que Ted Kotcheff puisse réaliser ce film sans dénaturer le livre de son ami grâce à la création d'un fonds de développement du film canadien.

On est ici assez loin de Wake in fright mais on a toujours ce rythme, cette vitesse tant chez le personnage que dans la réalisation. Cela donne au film un rythme incroyable, une urgence palpable chez Duddy Kravitz (qui la ressent physiquement), cette impatience, ce besoin d'avancer vite, très vite dans le monde, de devenir adulte avant l'heure quitte à griller quelques étapes et à s'en mordre les doigts…

On fait ensuite un bon de 10 ans en avant pour finir la journée sur un air de nostalgie avec Ghostbusters (1984). 30 ans tout juste et le film fait toujours son petit effet! Certes les effets spéciaux paraissent bien démodés, mais ils nous rappellent tout de même que pour l'époque, ils étaient plutôt bien réussis…

C'est Rebecca Zlotowski qui nous le présente avec cette réelle envie de choisir un film populaire, un film de série B mêlant comédie romantique (Bill Murray superbe en incorrigible dragueur) et science-fiction. Parabole d'un capitalisme qui est en train de disparaître, elle trouve très intéressant de le revoir aujourd'hui avec un autre regard et surtout dans le contexte actuel. Elle trouve même qu'étrangement il "ressemble à un film d'Alain Resnais".

Une journée faite de tours et de détours cinématographiques nous rappellent que le 7ème Art, c'est avant tout de nombreux regards et tout autant de manières de les mettre en histoires et en images.

Festival Lumière – Jour 1: Ted Kotcheff et Faye Dunaway in the Town

Posté par Morgane, le 14 octobre 2014

Le Festival Lumière à Lyon a fait claquer son clap d'ouverture! Et pour cette 6ème édition, les festivaliers ont eu droit à des séances supplémentaires avant même l'ouverture officielle du lundi soir… Pour ma part ça a été Wake in frightde Ted Kotcheff (surtout connu pour son opus Rambo) à qui le festival rend hommage cette année.

Un film sauvé de la destruction
Le réalisateur canadien était présent pour nous dire quelques mots avant la projection. On apprend alors que le film a été apprécié par la critique lors de sa sortie mais boudé par le public australien qui n'aimait pas du tout le portrait que Ted Krotcheff dressait d'eux (qui est en effet assez peu reluisant). Et le réalisateur d'enchaîner: "Savez-vous pourquoi j'aime les Français? Quand le film a été présenté à Cannes en 1971, il a eu les honneurs de la critique mais aussi l'amour du public!". En effet le film est resté 9 mois dans les salles parisiennes puis a disparu littéralement pendant 25 ans! En 1996, un producteur australien s'est demandé ce qu'il était advenu et est parti à sa recherche, mais en vain. Puis le monteur du film (qui adorait Wake in fright) s'est lancé lui-même à sa recherche durant 13 ans. Londres, Dublin, New York pour finalement retrouver négatifs, bandes-sons etc. à Pittsburgh, dans une boîte sur laquelle il était inscrit "for destruction". "À une semaine près le film était détruit" nous dit Ted Krotcheff, amusé…

Mais heureusement que ce ne fut pas le cas: ce film quelque peu inclassable est une très belle découverte, qui nous plonge de suite dans une atmosphère bien particulière. La scène d'ouverture, un panorama sur un hôtel miteux et une école perdus au milieu du désert australien, scindé en deux par une voie de chemin de fer. L'ambiance est posée en quelques minutes seulement. L'immensité est omniprésente et pourtant, d'entrée de jeu, on étouffe. La scène de fin, la même que celle d'ouverture, métaphore de cet endroit d'où l'on ne peut s'échapper, accentue ce sentiment oppressant. Le soleil écrasant, la sueur qui perle sur les visages, tout semble poisseux, collant.

Une plaque Ted Kotcheff sur le mur des cinéastes
John Grant, jeune instituteur, doit rentrer à Sidney pour retrouver sa petite amie lors des vacances de Noël. Mais en route il se retrouve en quelque sorte bloqué à Yabba, ville étrangement étrange où tout le monde est très - trop - accueillant et qui se révèlera finalement être une ville cauchemar pour John. Ville qui va le plonger dans la douce folie de ses habitants l'entraînant peu à peu dans une véritable descente aux enfers durant laquelle il va perdre contact avec la réalité.

Ted Kotcheff donne à son film un rythme déconcertant pour le spectateur alternant des scènes qui semblent n'en plus finir au point de nous enivrer, suivies d'un retour au calme qui fait suite à la tempête, pour que celle-ci reprenne ensuite le dessus de plus belle. Le spectateur est baladé, ballotté tout comme le héros qui a bien du mal à reprendre son souffle.

Donald Pleasance y est superbe en docteur mi-sage mi-fou, parfois bouée de sauvetage mais doux dingue avant tout. Ce film est surtout surprenant et donne le "la" au festival. À l'issue de la projection, Ted Kotcheff s'est rendu rue du Premier Film pour inaugurer sa plaque sur le Mur des Cinéastes.

4000 personnes à l'ouverture
L'ouverture officielle du Festival Lumière à la Halle Tony Garnier s'est déroulée devant plus de 4000 personnes. Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier présidaient la cérémonie durant laquelle on a pu apercevoir Nicole Garcia, Michel Legrand, Pierre Richard, Jerry Schatzberg, Jean-Hughes Anglade, Richard Anconina, Michael Cimino, Laetitia Casta, Tonie Marshall et quelques autres ainsi que Gérard Collomb (maire de Lyon) et Jean-Jack Queyranne (président du conseil régional de Rhône-Alpes).

Et pour ouvrir cette 6ème édition allait être projeté le classique d'Arthur Penn, Bonnie and Clyde (1967, 10 nominations aux Oscars), en présence d'une Faye Dunaway émue aux larmes. "Voici quelques mots pour décrire notre art: excellence, intelligence, intuition et surtout beauté, juste la beauté. Car si c'est beau c'est forcément de l'art. C'est pour cela qu'on travaille, qu'on espère, pour chaque film, chaque personnage. Et sans vous tous, je ne serai pas la même Faye Dunaway."

Un scénario destiné à Truffaut puis Godard
Bertrand Tavernier a ensuite dit quelques mots sur le film. On a ainsi appris que Faye Dunaway est arrivée sur le film de Bonnie and Clyde un peu par hasard, par un concours de circonstances. Curtis Hanson a fait des photos d'elle et celles-ci ont intrigué Arthur Penn et Warren Beatty. C'est donc un peu grâce à lui que Faye Dunaway est devenue Bonnie Parker.

Le scénario, lui, avait été écrit en premier lieu pour François Truffaut puis pour Jean-Luc Godard. Il a ensuite été refusé par plusieurs réalisateurs - dont Arthur Penn d'ailleurs car il ne voulait pas que Clyde Barrow soit bisexuel. Warren Beatty a insisté et Arthur Penn a finalement accepté en faisant quelques modifications et en transformant notamment Clyde Barrow en bisexuel impuissant. Peu de gens croyaient au film finalement, alors que ce fut un énorme succès dû, dit-on, à son côté anti-establishment.

Ce film a aussi pris beaucoup de libertés par rapport à la véritable histoire de Bonnie et Clyde qui n'étaient apparemment pas aussi magnifiques et romantiques. Et Tavernier de citer alors pour l'occasion: "Quand la légende devient plus intéressante que la réalité, imprimons la légende."

Les lumières s'éteignent, la légende s'illumine et la magie peut opérer…

Festival Lumière : une ouverture en Bonnie and Clyde

Posté par Morgane, le 29 août 2014

Faye DunawayLa rentrée se fait sentir et cela signifie que le Festival Lumière approche à grands pas !

Nouvelle annonce en cette fin d'été : ce que nous réserve la soirée d'ouverture...
Après Jean-Paul Belmondo, présent l'année dernière pour Un singe en hiver d'Henri Verneuil, l'édition 2014 s'ouvrira avec une grande figure féminine du cinéma hollywoodien. Faye Dunaway sera en effet l'invitée d'honneur de cette soirée d'ouverture à la Halle Tony Garnier, le lundi 13 octobre, et présentera Bonnie and Clyde d'Arthur Penn, film (copie restaurée par la Warner) de 1967 dont elle partage l'affiche avec Warren Beatty.

On se souvient de Faye Dunaway (qui a soufflé ses 73 bougies cette année) dans L'Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, Portrait d'une enfant déchue de Jerry Schatzberg, Little big man où elle retrouve Arthur Penn, Chinatown de Roman Polanski ou encore Les trois jours du condor de Sydney Pollack. Plus récemment c'est, entre autres, sur le petit écran qu'elle fait des apparitions dans certaines séries comme Alias, Les experts ou bien Grey's anatomy.

Quant à Arthur Penn, décédé il y a presque quatre ans, il appartient à cette catégorie de réalisateurs marquants mais qui tournent peu et se font plutôt rares. Moins de 20 films à son actif mais beaucoup de classiques comme La poursuite impitoyable, Bonnie and Clyde, The Missouri breaks, Georgia, etc. dans lesquels il retrouve à plusieurs reprises Faye Dunaway mais aussi Warren Beatty, Marlon Brando, Gene Hackman...

La soirée promet donc d'être belle, glamour et riche en émotions ! On peut juste se demander si le Prix Lumière de cette année, mister Pedro Almodovar, nous fera l'honneur de sa présence dès l'ouverture du festival comme ce fut le cas l'année dernière avec le grand Tarantino...